[Quête] Guerre des plaines brûlantes : UCGPLM - Arthur

[Arthur de Faisanlys]

Arthur n’avait pas bougé.
Il avait écouté le tintamarre d’une oreille distraite, demeurant aux aguets, mais personne n’avait franchi son seuil. Sans doute avait-on amené des prisonniers à son étage, peut-être les officiers déchus plus tôt, peut-être d’autres otages qui avaient été malmenés par le nécromant et ses sbires, et que les capes cramoisies avaient décidé de remonter au soleil. Après tout, ce château avait dû appartenir à quelqu’un d’importance qui, s’il avait survécu, avait probablement une certaine valeur. A moins qu’il ne soit au front, quelque part, découvrant par le biais d’une missive que son fief lui avait été dérobé, sa famille capturée, et désormais menacée par l’ennemi...
Il soupira.
Dire qu’il avait voulu charger avec ses compatriotes, au grand galop sur le champ de bataille... Comment avait-il se laisser séduire par une mission qui, dès le départ, paraissait étrangement peu taillée pour ses compétences ? L’infiltration d’un moulin… C’était ridicule. Et voilà qu’il allait passer sa guerre entre quatre murs, à la merci des Mélandiens.
C'était formidable.

Le couloir était redevenu tranquille.
Arthur alla vers la meurtrière et s'agenouilla sur le sol, ferma les yeux et joignit les mains. La gauche traversa le fantôme de la droite, qu'il avait un moment cru percevoir, pour se refermer sur son moignon. Une douleur vive l'électrisa du poignet à l'épaule, avant de coloniser sa poitrine jusqu'au spasme. Mais il se força à tenir et il pria. Il prierait jusqu'à la nuit. Et ensuite il irait dormir. Ce n'était pas comme s'il avait un programme chargé, de toute façon...

[Taliesin]

La porte s'ouvrit brusquement, le faisant sursauter.
Le comte fit quelques pas à l'intérieur de la pièce, le toisant de haut. C'était un homme à la mine sévère, à la barbe et à la crinière d'un rouge flamboyant. Et il semblait bouillonner de rage.
Cependant, quand il parla, ce fut d'un ton posé.
-Messire Maelwedd, j'ai été informé du traitement qui vous a été infligé, à vous et à d'autres otages de marque. Son altesse l'empereur Swaren sar Venuma, loué soit son nom, ne cautionne nullement ces pratiques dignes des pires barbares : au contraire, il garantit la sécurité de ses prisonniers. Par conséquent, le sieur Destertres s'est rendu coupable de haute trahison : lui et ses lieutenants ont été mis aux arrêts, ils seront bientôt traduits devant une cour martiale et subiront un juste châtiment pour leurs crimes.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur avait été pris au dépourvu par l’irruption imprévue du comte et n’osa pas complètement se relever. L’homme était impressionnant et il n’avait pas envie de se prendre un coup. Il l’écouta, puis demeura muet, un peu interloqué, se demandant ce qu’il était censé répondre à ce genre de déclaration. Il ne ressentit pas particulièrement de joie ou de soulagement à l’idée que le nécromant serait puni pour l’avoir maltraité.
« Ah. Heu... Bien. »
Formidable, même.
Un instant, il ne put s’empêcher d’imaginer la cohorte d’éclopés qui devaient se trouver dans les chambres voisines. Eux aussi devaient être vraiment ravis d’apprendre que l’empereur ennemi ne cautionnait pas ce qui leur était arrivé. C’était un peu tard. Et un peu facile, aussi.
Mais s’il oubliait un instant son propre nombril, c’était une bonne nouvelle. Si le nécromant était privé de son bouquin maudit, sans doute ses maléfices resteraient-ils endormis encore un certain temps… jusqu’à l’arrivée des Manostiens, si Lathandre et Tymora décidaient de l'entendre.
Et d'un point de vue strictement personnel, il conserverait probablement sa seconde main, les yeux et les oreilles jusqu'au moment de sa décapitation. Sans compter un lit confortable... C'était presque humiliant.

[Taliesin]

-Soyez assuré qu'aucun mal ne vous sera fait jusqu'à ce que les négociations que nous comptons ouvrir avec votre père aient abouti, et à moins bien sûr que vous tentiez de vous échapper et qu'il ne soit pas possible de vous récupérer sans vous blesser, continua l'homme, imperturbable. Par ailleurs, sitôt qu'il aura fini de s'occuper des prisonniers dont l'état est inquiétant, le sieur de Roquebrune vous rendra visite.
Il se fendit d'un salut militaire minimaliste puis tourna les talons.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur ne se redressa qu'une fois la porte refermée. Il retourna s'asseoir sur le lit avec un soupir. Le comte avait tout juste confirmé ce qu'il avait supposé : il allait rester les fesses sur une courtepointe jusqu'à ce que le général décide de son destin. Il songea à Sire Armand et à son interdiction formelle de prendre part à la guerre. Il était prêt à parier que ce n'était pas exactement ce qu'avait imaginé le paladin au moment où il l'avait mis en garde. Ou peut-être si, justement. Peut-être n'était-ce pas tant une question d'inexpérience qu'une question de nom. Fichu nom. Ce n'était pas comme si son père se vantait d'avoir un gamin parmi les crétins de la commanderie, alors comment cela se faisait-il que tout le monde était au courant ?
Le jeune homme avait une féroce envie de dormir, seul remède à la frustration de son enfermement. Mais le comte avait parlé d'un sieur de Roquebrune, sans doute un clerc, peut-être celui qu'il avait vu plus tôt. Il ne savait pas très bien ce que le prêtre pourrait avoir à lui dire. Il doutait fortement qu'il soit investi d'un pouvoir suffisant pour lui rendre sa main droite, et s'il l'était, la chose serait en réalité bien inquiétante pour l'équilibre des forces en présence.
Il redressa l'oreiller, s'adossa à la tête de lit, et ramena ses genoux sur son menton. Pour tromper l'ennui, peut-être pouvait-il essayer de se trouver un autre nom. Quelque chose qui ferait que lors de la prochaine guerre, personne ne soupçonnerait qu'il était lié à son père, ce qui, assurément, les arrangerait tout autant l'un que l'autre.

[Taliesin]

Les dernières lueurs du crépuscule cédèrent la place à la nuit, enténébrant la petite chambre où le paladin était reclus.
Le calme était revenu à l'intérieur comme à l'extérieur de la tour, et c'est tout juste s'il entendait, parfois, quelqu'un se déplacer.
Une heure s'écoula, deux peut-être.
Enfin, on toqua à la porte, et la lumière de torches l'éblouit.
Le clerc qu'il avait déjà rencontré s'avança. Ayant troqué son armure contre une aube rouge sang portant le symbole de Tempus, ses traits étaient tirés, signe qu'il n'avait pas chômé depuis leur brève entrevue.
-A nous, messire Maelwedd... dit-il d'un ton las mais en rien hostile. Si vous voulez bien tendre le bras droit...
Et de déplier un parchemin qu'il avait apporté avec lui.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur dévisagea une seconde le clerc sans comprendre. Etait-il réellement possible que les Mélandiens aient décidé de rattraper les erreurs de la faction déchue d’une manière aussi radicale ? Ou était-ce un piège ? Une seconde, son sens de l’honneur le déchira. N’était-il pas tenu de refuser l’aide de l’ennemi ? S’il acceptait d’être soigné, ne se liait-il pas à eux d’une manière irrémédiable, le forçant à une certaine loyauté ? Un vrai paladin n’aurait-il pas refusé qu’une magie mélandienne l’envahisse?
Mais le Tempusien l’avait déjà soigné et Lathandre n’avait pas bronché.
Et la défiance l’avait mené à la souffrance et à l’horreur. Avait-il vraiment le choix ?
Sans doute que oui, le choix des principes.
Il était paladin.
Un paladin en sursis, de surcroît.
« Vous avez vraiment l’intention de gaspiller un sort aussi puissant sur moi ? » demanda-t-il finalement.

[Taliesin]

Le prêtre l'observa un instant, sourcils froncés, puis acquiesça.
-La chose est sans doute inconcevable pour un Luménien et plus encore pour un paladin de Lathandre, et pourtant, morale et honneur ne sont pas de vains mots pour nombre de Mélandiens. Si monsieur le comte ou moi-même vous avions rencontré sur le champ de bataille, et à moins que nous ayons reçu ordre de vous capturer, nous aurions tout fait pour vous tuer. Mais il s'avère que vous êtes un prisonnier, un prisonnier à qui on a infligé un supplice contraire à la fois au consignes de notre empereur et au dogme de notre dieu : si trancher la main d'un adversaire lors d'un combat à la loyale n'a rien de déshonorant, il en va différemment de la lui scier alors qu'il n'a aucun moyen de se défendre. Bref, nous entendons effectivement vous la restituer.

[Arthur de Faisanlys]

La mention de la scie le fit frémir malgré lui. Même s’il récupérait sa main, il n’oublierait jamais cette dernière journée.
« Vous vous méprenez sur les servants de Lathandre, dit-il finalement. Nous ne sommes pas aveugles à la nuance. Et nous avons la conviction qu’il y a toujours un espoir de rédemption en chacun, même dans le cœur le plus noir. »
Il n’ajouta pas qu’il avait toujours cru les Tempusiens froidement pragmatiques. C’était le dieu qu’aurait choisi son père s’il s’était soucié de divin. En cela, sans doute le général et ses ravisseurs se comprendraient-ils, à défaut d’être du même avis.
Il hésitait toujours. S’il devait mourir, ne serait-il pas plus digne de son dieu en refusant de coopérer ?
Il ressentit comme un vertige, ferma les yeux et finit par tendre le bras droit, comme lui avait demandé le Tempusien. Il avait l’impression de trahir quelque chose mais en même temps, égoïstement, il avait terriblement envie de récupérer cette main droite.

[Taliesin]

Martial de Roquebrune resta silencieux quelques secondes, scrutant son visage.
-Si cela peut vous réconforter, dites vous que vous n'avez pas le choix, que nous vous l'aurions rendue que vous le vouliez ou non, finit-il par lâcher.
Puis il entreprit de lire le parchemin.
Il y eut une vive lueur, une douce chaleur au bout de son bras mutilé.
La lueur se condensa, se modela, prit la forme d'une dextre.
Se fit matière.
D'abord les os : ceux du poignet, de la paume, des cinq doigts.
Ensuite les tendons, les nerfs, les muscles.
Enfin la peau, lisse, claire...
Plus de chaleur. Plus de lumière. Plus de douleur.
Juste une main.
-Voilà une bonne chose de faite, déclara le clerc. Normalement, il n'y a pas de temps d'adaptation, et vous n'aurez rien perdu de vos réflexes, de votre adresse.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur demeura un instant hypnotisé par la main qui venait de se reconstituer au bout de son bras. Bien sûr, il n’ignorait rien des prodiges de la magie divine, mais c’était une chose de le savoir, une autre d’y assister, une autre encore d’en être le récipiendaire.
Il replia lentement les doigts, en éprouvant la force et la souplesse, et sentit une émotion doucereuse le prendre à la gorge. Le clerc n’avait pas menti : cette main était part de lui, intimement, comme si elle avait toujours été là, comme si elle n’avait jamais disparu, qu’une scie émoussée ne lui avait jamais déchiré les chairs pour le faire hurler dans la cour d’un château…
Après la tempête émotionnelle des dernières heures, le jeune paladin avait besoin de repos. Il se sentait à fleur de peau, fragile, inquiet, reconnaissant. Il n’avait pas envie de craquer devant un inconnu – un ennemi – même si celui-ci venait de l’aider.
« Merci. » dit-il simplement, sans plus s’interroger sur ce que l’honneur lui dictait.

[Taliesin]

Roquebrune fit un geste de la main, comme pour balayer le mot.
-Je n'ai fait que mon devoir, messire Maelwedd. Sur ce, je vous souhaite bonne nuit. Oh, et je vais veiller à ce qu'on vous débarrasse de ça.
Il désignait le baquet, le seau, les frusques abandonnées. Autant d'éléments que, sur son ordre, des soldats maussades vinrent chercher.
Enfin, le clerc adressa un léger salut de tête au paladin et quitta les lieux, refermant la porte derrière lui.
A nouveau les ténèbres. A nouveau le silence.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur resta un moment immobile sur son lit, assis dans le noir, juste à jouir du retour inespéré de sa main droite. Même s'il ne parvenait pas à considérer complètement qu'il avait fait une erreur en provoquant le nécromant, il était conscient de la chance incroyable qu'il venait d'avoir.
Un cauchemar à effacer de sa mémoire.
Il se doutait qu'il le hanterait un certain temps, pourtant, que malgré sa guérison, il n'oublierait pas aisément la douleur et le désarroi qui l'avaient torturé, et la cruauté des hommes qui l'avaient mutilé.
Mais personne ne devait savoir. La parenthèse était close. Il était à nouveau intègre de corps, il retrouverait son intégrité d'esprit. Avec le temps.
Il fallait voir l'épisode comme une mise en garde. Lathandre lui offrait une seconde chance, une chance d'être plus sage, plus avisé, moins stupide.
Il finit par se pelotonner dans ses couvertures.
L'épuisement le frappa comme une vague. Son organisme avait hurlé et avait besoin de capituler un moment. Il se sentait mal à l'aise, pourtant, prisonnier jouissant d'un bon lit, alors que d'autres combattaient au dehors. C'était probablement le dernier endroit où il avait envie de se trouver. Alors qu'il dérivait, il songea à nouveau au futur et l'angoisse, un moment, garda le sommeil à distance. Serait-il tué ? Déporté jusqu'à Mélandis pour y être réduit en esclavage ? Sauvé par les Manostiens ? Libéré quand le général aurait payé sa rançon ? Gardé en captivité jusqu'à la fin de la guerre ? Ou bien fallait-il qu'il imagine s'évader ?
Il ne savait pas, il était fatigué, tellement fatigué, et il s'endormit.

[Taliesin]

Son sommeil fut agité, peuplé de rêves étranges et éprouvants.
Il vit une dextre fraichement tranchée s'approcher de lui en d'arachnéennes reptations.
Il vit un sinistre grimoire le fuir par petits bonds à travers une prairie ou des mains squelettiques poussaient aussi drues que l'herbe.
Il vit du sang, aussi. Beaucoup de sang, gerbes écarlates qui l'éclaboussaient...
Puis ce fut le réveil. En sursaut.
Il faisait nuit noire. Pourtant, une agitation fébrile régnait dans le château. Des pas précipités, des appels pressants...
Arthur fut envahi par une désagréable sensation.
Était-ce une simple réminiscence de ses cauchemars ? Ou, au contraire, une conséquence de sa sensibilité particulière de paladin ?
Quoi qu'il en soit, il ressentit un profond malaise. Eut la nette impression que quelque chose de terriblement maléfique était à l’œuvre.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur se sentait parfaitement réveillé en dépit de son mauvais sommeil. La sensation désagréable lui hérissait le poil, l'emplissant de l'énergie nécessaire pour faire face à l'urgence. Pourtant, une fois debout, il dut déchanter. Il faisait noir, il était enfermé, ce n'était pas comme s'il pouvait faire quoi que ce soit, sinon rester sur ses gardes et tenter de faire sens du raffut.
Il n'était pas impossible que le dénommé Destertres ait décidé de faire de la résistance. Avec le grimoire à disposition, peut-être pouvait-il tenir tête au fameux comte et ses acolytes. Mais ces derniers devaient connaître l'existence du bouquin, c'était après tout un objectif de l'armée mélandienne, il était peu probable qu'ils l'aient abandonné entre les mains du nécromant. Il était sans doute envisageable, cela dit, que le livre se soit réveillé de lui-même : il avait après tout déjà possédé l'une ou l'autre âme maladroite, et il devait être parfaitement capable de faire du grabuge en solitaire...
Bien sûr, l'explication pouvait être beaucoup plus simple : il était dans un bastion mélandien. Et les mélandiens étaient mauvais. Que l'air soit saturé d'une aura maléfique n'était finalement pas bien surprenant, et il faudrait qu'il s'y fasse...
Hésitant, il finit cependant par enfiler ses bottes puis, d'un air dégagé, essaya d'ouvrir la porte... Il savait qu'il y avait des gardes, mais il n'avait pas entendu de clé tourner dans la serrure. Il pouvait simplement aller s'enquérir des causes du bruit, après tout...

[Taliesin]

-RENTREZ DANS VOTRE CELLULE, ET PLUS VITE QUE ÇA !
La porte s'était ouverte sans la moindre résistance, révélant le couloir qu'illuminaient plusieurs torches... et un soldat prit au dépourvu qui, déjà, avait posé la main sur la garde de son épée. Apparemment nerveux, l'homme esquissa une grimace puis reprit d'un ton plus poli :
-Heu... Je veux dire... Je vous prie de regagner instamment vos quartiers, messire Maelwedd.
Plus loin, on descendait l'escalier avec précipitation.

[Arthur de Faisanlys]

S'informer sur la situation serait sans doute saugrenu, compte tenu de son statut de prisonnier, et le garde avait l'air nerveux. En même temps, Arthur était désarmé, et il leva les mains pour bien montrer qu'il n'avait nulle intention de l'agresser. Un homme seul avec une épée, ça avait quelque chose de tentant, évidemment, mais il aurait dû être prévoyant et se munir de quelque chose... Un oreiller, une couverture, une chaise... Il avait l'embarras du choix. Mais il y avait sans doute d'autres soldats devant les portes voisines... Il était paladin, mais il n'était plus suicidaire. Pour l'instant, du moins.
Réfléchis, Arthur, profite de la confusion.
" Je voudrais bien, mais... Je n'arrive pas à dormir, avec tout ce boucan... Vous avez des problèmes ?" dit-il d'un ton innocent, tout en tâchant de jeter un oeil aux alentours pour estimer combien de Mélandiens se trouvaient dans les parages immédiats.

[Taliesin]

Arthur découvrit qu'il avait bien fait de ne rien tenter. Car il y avait d'autres gardes aux alentours : pas un à côté de chaque porte, non, mais une demi-douzaine en tout patrouillant le long du couloir.
-Oui, j'ai des problèmes avec un prisonnier qui refuse de réintégrer rapidement sa cellule, fit le soldat. Pour le reste, je n'ai pas reçu l'autorisation de vous en parler. Si vous voulez en savoir plus, vous avez qu'à regarder par la fenêtre, si ça vous chante. Bon, mais maintenant, rentrez dans votre chambre. Heu... S'il vous plait.

[Arthur de Faisanlys]

Le paladin ne put s'empêcher de décocher un sourire goguenard au soldat. Ils n'étaient dupes aucun des deux, bien sûr, mais il obtempéra. Il n'avait aucune intention de se faire tuer stupidement. Cela dit, l'homme en avait de bonnes : comme s'il allait pouvoir percer la nuit avec son fantastique regard aveugle d'humain. Enfin... Il n'était pas impossible que les Mélandiens aient disposés quelques torches ça et là. Il pariait sur une mutinerie mort-vivante. L'observer par la fenêtre ne lui apporterait nul réconfort mais au moins, il saurait à quoi s'en tenir... s'il percevait quoi que ce soit. De toute façon, une chose était claire : si le sieur Destertres reprenait le dessus, il n'avait aucune intention de se laisser malmener à nouveau sans se défendre...

[Taliesin]

Il en vit plus qu'il ne l'aurait cru. Plus qu'il ne l'aurait voulu, peut-être.
Le ciel était dégagé, piqueté d'étoiles, et une lune pâle parait le paysage de blafards reflets.
Sur les remparts, torches à la main, les sentinelles avaient suspendu leurs rondes et lorgnaient non plus la campagne environnante mais l'intérieur du château, leurs regards dirigés vers un point unique que lui-même ne pouvait voir.
Dans la cour, des hommes portant également des flambeaux se dirigeaient vers le même endroit, d'un bon pas. Mais ils ralentirent bientôt leur allure, s'immobilisèrent complètement.
Car d'autres soldats accouraient dans leur direction.
Non, ils n'accouraient pas : ils fuyaient.
Fuyaient une brume verdâtre dont Arthur apercevait déjà les premiers filaments rampant sur les pavés tels des doigts osseux.
L'un d'entre eux rattrapa en Mélandien, sembla s'enrouler autour de lui. L''infortuné se mit à se débattre follement puis s'écroula, son corps désarticulé secoué de spasmes violents.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur fut horrifié mais pas vraiment surpris. C'était probablement l'oeuvre du livre, peut-être du nécromant, comme il l'avait supputé.
Ça n'avait pas grande importance.
Ce qui en avait, c'était que les Mélandiens au dehors paraissaient incapables d'y faire face.
D'un point de vue très pratique, c'était une bonne nouvelle. Même si le comte et son clerc parvenaient à inverser la tendance, ils sortiraient clairement déforcés de l'aventure, ce qui était un mieux pour les futurs assiégeants manostiens (ils devaient être tout proches, désormais), et mieux aussi pour lui, s'il finissait par se résoudre à tenter une sortie. La porte était ouverte, après tout.
Et si la brume verte décimait tous les habitants du château, ma foi... Il n'était pas obligé de faire partie des victimes. Il faudrait jouer serré, mais il se sentait parfaitement réveillé et prêt à saisir la moindre opportunité, là encore.
Et d'ici là... Ce n'était pas comme si un jeune paladin prisonnier allait pouvoir faire quoi que ce soit, de toute façon. Alors autant continuer à regarder...

[Taliesin]

La brume continua sa progression.
Elle s'empara d'un deuxième homme, d'un troisième.
Alors, leurs compagnons se mirent à reculer, et Arthur vit que la panique commençait à les gagner.
Cependant, des officiers veillaient au grain pour éviter que semblable chose ne se produise : des ordres furent lancés, les rangs se reformèrent, et c'est avec discipline que les Mélandiens se replièrent. Y compris les sentinelles qui abandonnèrent instantanément leur poste.
La brume continua sa progression. Bientôt, elle eut entièrement recouvert la portion de cour que le paladin avait sous les yeux.
Elle alla s'épaississant, s'élevant le long du mur de la tour...
Une voix, dans le couloir, exigeant qu'on vérifie que toutes les fenêtres étaient closes.
Un bébé, quelque part, qui se mit à pleurer.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur retourna s'asseoir sur son lit et soupira. Il avait l'impression d'attendre un gros orage, dont les éclairs claquaient au loin, et il n'avait d'autre recours que de prier, comme il l'avait fait maintes fois en bordure de la Forêt Maudite, quand la toile des tentes vibrait de la colère des cieux.
Curieusement, il n'avait pas réellement peur. Il était désarmé, impuissant, il ne pouvait que s'en remettre aux hommes qui le retenaient et qui étaient certainement capables de faire face à la puissance dont ils avaient voulu se rendre maîtres. Immanquablement.
Et s'ils ne l'étaient pas, et bien... tant pis pour eux tous.
Chaque dieu reconnaîtrait les siens.

[Taliesin]

Des cris, au dehors. De peur, d'agonie.
Des ordres, au dedans. Impérieux.
Un soldat entra sans frapper dans sa chambre, courut vérifier la fenêtre, repartit, toujours aussi pressé.
Des hurlements, à l'extérieur.
Du mouvement, à l'intérieur.
Un nouvel ordre, tonitruant :
-Transférez les prisonniers au dernier étage ! Au pas de course !
Un filet de brume à la luminescence cadavérique était en train de ramper contre la vitre.

[Arthur de Faisanlys]

Si Arthur avait cherché une opportunité pour prendre la tangente, elle était sans doute arrivée. Mais en réalité, il n'en menait pas large. Tout paladin qu'il était, il était conscient de n'avoir rien à opposer à ce qui rampait au dehors. La raison pour laquelle on voulait les faire monter au sommet de la tour ne lui apparaissait pas très claire — cela allait leur couper toute possibilité de fuite — mais en même temps, que pouvait-il faire ? Il était bien trop inexpérimenté pour pouvoir conjurer quoi que ce soit pour se prémunir de la brume, et s'il tentait de s'enfuir, il se retrouverait simplement les pieds dans le brouillard, à se faire dévorer par le maléfice du grimoire.
Mais ne valait-il pas mieux mourir en essayant, qu'une fois de plus obtempérer, comme un mouton ?
Tergiverser, tergiverser encore, ce n'était pas digne de ce qu'il entendait être.
Tu ne peux pas t'en remettre aux Mélandiens. Tu es un paladin de Lathandre, un fils de Luménis. Eux, c'est l'ennemi.

[Taliesin]

Dans le couloir, des soldats se déplacèrent à pas précipités. Des portes furent ouvertes, des consignes données. Si Arthur ne pouvait entendre les mots, il percevait le ton : indéniablement pressant mais non dépourvu d'un semblant de prévenance, de politesse.
Quelqu'un s'arrêta devant sa chambre, repoussa le battant.
-Messire, nous avons ordre d'escorter tous les prisonniers jusqu'au dernier étage, dit le soldat, dont la mine reflétait une certaine inquiétude.
Derrière lui, Arthur vit défiler quelques-uns de ceux qui partageaient son sort. Un vieillard courbé, deux femmes, une fillette qu'un garçon tout juste adolescent tenait par la main...

[Arthur de Faisanlys]

Ce fut cette vision qui paralysa le paladin.
Cette vision et l'écho du rire de son père.
Et voilà, Arthur. Juste retour des choses ! Pendant que les hommes se battent, tu vas te terrer avec les femmes, les enfants et les vieillards. Vraiment spectaculaire. Mais je n'en attendais pas moins de ta part, en réalité. C'est une chose de jouer au paladin, une autre d'assumer.
Il sentit la colère le secouer tout entier.
" Non, dit-il en faisant un pas en arrière. S'il y a quelque chose de maléfique en bas, je veux aller le combattre. C'est mon devoir. Donnez-moi une épée."

[Taliesin]

-Oh putain, pourquoi y a fallu que ça tombe sur moi ? grommela le soldat.
Par réflexe, il avait déjà posé la main sur la garde de son épée. Il ne la tira pas, cependant.
-Bon, désolé, messire, mais on a pas le temps de blablater, parce qu'on est comme qui dirait dans la merde, reprit-il. Mes ordres sont de vous conduire à l'étage, alors vous avez le choix entre vous y rendre de votre plein gré ou y être amené de force, après qu'on vous ait assommé. Et me dites pas qu'on a pas le droit de vous faire du mal, parce que le coup que vous essayez de me faire, là, ça pourrait vaguement ressembler à une tentative d'évasion, et on a la permission de tout faire pour vous empêcher de ficher le camp.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur lorgna la chaise. Ce n’était pas un modèle très pesant, il pourrait aisément la saisir et la balancer sur le Mélandien. Même si l’homme ne tombait pas à la renverse, il serait distrait, et le paladin pourrait franchir la distance les séparant sans difficultés. Ensuite, ce serait une pure question de force… et même si le soldat n’était pas maigrichon, le jeune homme se sentait parfaitement capable d’avoir le dessus.
Jusqu’à l’arrivée des renforts.
Il soupira.
Il aurait aimé avoir la conviction et la fougue de l’Helmite. Elle n’aurait pas perdu tout ce temps à imaginer les éventualités. Elle aurait agi en paladine, elle se serait battue, et elle serait morte pour ses idéaux. Sans se compromettre.
Et pourtant, c’était elle qui avait perdu tout pouvoir et lui qui en conservait des bribes. Où était la logique, là-dedans ?
La mort dans l’âme, et dégoûté par sa propre faiblesse, il finit par obtempérer aux ordres du soldat mélandien. Il était incapable de saisir les opportunités et incapable de se montrer inflexible. La voix de son père avait raison : sa place était parmi les vieillards et les gosses, à céder, et céder encore.

[Taliesin]

Il dut donc remonter le couloir, gravir les escaliers, dépasser le pallier où il s'était arrêté un peu plus tôt dans la journée, pour rencontrer le sieur de Roquebrune. Le trajet ne fut pas long, cependant, car c'est à l'étage au-dessus qu'on le força à bifurquer, à franchir une porte qu'on referma aussitôt derrière lui.
Qu'on verrouilla.
Il était dans une vaste salle confortablement meublée aux allures de grand salon et donnant sur d'autres pièces.
Là se trouvaient ses compagnons d'infortune. Surtout des enfants, des femmes et des vieillards, comme il s'en doutait déjà. Quelques adolescents complétaient le tableau, ainsi que deux hommes faits. Tous portaient des vêtements simples mais propres. Tous arboraient des mines hagardes, hantées, anxieuses. Tous ou presque.
-C'est l'apocalypse... murmura un ancêtre cacochyme. Helm est mort, Manost va donc disparaître à sa suite...
-Allons allons, voyez le bon côté des choses ! répartit joyeusement un jeune homme. En l'espace de quelques heures seulement, notre situation a évolué de manière miraculeuse ! Des tenues dignes de ce nom, un bain, de la nourriture à satiété et, à présent, des appartements seigneuriaux !
-Mais combien de temps avant que ce qui se déchaîne au dehors ne nous atteigne ? souffla une femme, serrant contre elle son bébé malingre.
-Bah, le comte n'a pas l'air d'un incapable, tout comme son clerc... Et puis, même si tout doit mal finir, pourquoi ne pas jouir agréablement du temps qui nous reste ? Vous croyez qu'ils ont laissé du vin, quelque part ?