La Couronne de Cuivre

- Oh, je ne le définirais pas comme un redresseur de tort. Mais il est certain qu'il ne porte pas les mages de l'ombre dans son coeur.
Un pli soucieux barrait son front.
- Je ne sais pas ce qui a pu le pousser à aller dans cette direction. Je sais qu'il évite soigneusement ce secteur, comme tout le monde. Ce sont des puissances trop importantes, et il n'est pas suicidaire... Il se contente d'agir à sa petite échelle, mais ne se mêle pas de guerres ou de luttes d'influences qui le dépassent. Par exemple, il n'agit ni contre les bédouins, ni contre les zhents, il se contente d'intervenir ponctuellement lorsque l'une ou l'autre de ces factions nuisent à la nature.
Elle soupira.
- Enfin, c'est comme ça que je l'avais perçu. J'ai pu me tromper. Et, d'ailleurs, ne vous fiez pas à ceux que nous croisons ici. La plupart des bédouins se soucient de maintenir le désert vivant, certes, puisque c'est leur lieu de vie. Mais ils n'hésitent pas non plus à attaquer et rançonner des caravanes de marchandises, ajouta-t-elle avec un sourire. Cela dit, nous ne sommes pas assez riches pour attirer leur convoitise, et ils ne s'en prendraient pas aux aigles je pense, sauf s'ils menacent leurs bêtes. Donc nous ne risquons pas grand-chose d'eux...
Elle fouilla du regard le ciel, à la recherche de leurs "montures". Mais les aigles demeuraient invisibles. Peut-être étaient-ils aller chasser un peu trop loin.

Il fallait espérer que la druidesse ne se trompait ni concernant son collègue asabi ni concernant les bédouins... Kasumi avait pu constater au cours des dernières semaines qu'elle se trompait rarement. Bien que ça ait pu être très agaçant lors de leur périple en Haute Forêt et dans les marais, le rôdeur s'en sentait tout de même rassuré en cet instant où il ne pouvait compter que sur les forces de la druidesse en plus des siennes.

- Je compte sur vous pour dissuader Rubis et Opale de nous attirer des ennuis en se servant dans les troupeaux de nos hôtes... Mais dans le pire des cas, il faudra se préparer à les dédommager si nous ne pouvons pas faire autrement.

Il scruta le ciel à son tour puis constata que la druidesse le regardait avec une certaine insistance et demanda d'un ton légèrement inquiet :

- Un problème, Eärundra ?

L'elfe secoua la tête.
- Ils sont un peu longs, mais ça s'explique s'ils sont allés chasser à quelque distance...
Les deux aigles finirent toutefois par apparaître. Opale tenait quelque chose dans ses serres, un animal d'une taille conséquente, qui s'avéra être une chèvre sanguinolente, déjà à demi-dévorée.
Ils atterrirent sans se soucier de leurs cavaliers, et poursuivirent leur festin, attirant des regards curieux... et des froncements de sourcils. Le chef de la tribu osa s'approcher de plus près pour détailler la chèvre, sans s'inquiéter du risque de coup de becs, confiant, peut-être, dans le fait que la druidesse empêcherait les oiseaux de s'en prendre à lui.
- C'est une bête des Pierrefeu, vu le tatouage...
Cette déclaration suffit, apparemment, à satisfaire la curiosité des spectateur, mais non leur inquiétude. Plusieurs d'entre eux se rapprochèrent de leurs troupeaux, lorgnant les aigles avec inquiétude.
- Vous pourriez avoir des ennuis avec eux, s'ils les ont vu faire...

Voilà qui était inévitable mais au moins les aigles avaient eu le bon goût de ne pas tuer l'une des chèvres des occupants de l'oasis. Kasumi adressa un regard de reproche aux oiseaux mais ceux-ci l'ignorèrent superbement pour finir leur festin bien mal acquis. Le rôdeur en revint au chef de la tribu des nomades et déclara d'un ton gêné :

- Des amis à vous ? Si nous croisons leur route, nous leur paierons la chèvre...

Il n'avait aucune idée de ce que valait une chèvre dans cette région et ce n'était pas non plus la première fois que ce genre de désagrément arrivait. Il espérait toutefois que les dits Pierrefeu ne leur cherchent pas trop d'ennuis pour cet... accident. Et aussi que les nomades de l'oasis se montreraient compréhensifs et éviteraient de faire courir des rumeurs sur les aigles.

- Ils doivent se trouver à une bonne dizaine de lieues au nord d'ici. Ce n'est pas tout à fait votre direction... Et ce ne sont pas exactement des amis à nous. Ni même des alliés. Ce ne sont pas non plus des ennemis. Disons... des concurrents.
Le chef de la tribu haussa les épaules.
- Il est peu probable que vous ayez l'occasion de leur payer votre dette, mais si vous les croisez, vous les reconnaîtrez à leur costume traditionnel, entièrement bleu et blanc. Et sachez qu'une chèvre, ici, a bien davantage de valeur que dans les régions au climat plus clément. Je ne parle pas seulement de sa valeur vénale... Il va falloir que vous fassiez attention à ce que font vos aigles. Sinon, peu à peu, la rumeur se répandra qu'ils attaquent les troupeaux, et vous risquez de recevoir un accueil bien plus froid...
- Je leur ai dit d'aller chasser plus au nord. Mais ils ne peuvent pas faire la différence entre un troupeau domestiqué et une harde sauvage...
- Oui, je le comprends bien. Mais c'est tout de même fâcheux... Pour votre réputation, je veux dire.

Kasumi garda les yeux rivés sur le chef de tribu en essayant de déterminer s'il cherchait seulement à les mettre en garde ou s'il cherchait au contraire à obtenir quelque compensation pour éviter de faire courir des "rumeurs" à leur sujet. Il répliqua avec peut-être un soupçon d'impatience voire de brusquerie :

- Merci pour vos conseils : il est vrai qu'ils n'ont pas l'habitude de ces contrées mais nous ferons désormais plus attention. En tous cas vous n'avez pas à vous inquiéter pour votre bétail, nous décollerons sitôt que les aigles auront fini leur repas.

Cela au moins il en avait clairement l'intention et il savait également qu'Eärundra et lui éviteraient les contacts avec des bédouins portant des tenues telle qui venaient d'être décrites. Tant qu'ils n'auraient pas quitté les environs en tous cas.

- Oh, mais je ne m'inquiète pas. Vous avez dit que vos aigles chasseraient au loin, et ils l'ont fait, ça suffit pour que j'aie confiance. Mais je ne peux pas empêcher mes hommes d'être un peu méfiants, bien sûr. Eux n'ont pas eu l'occasion de vous parler...
- Nous ferons attention à éviter d'autres incidents de ce genre, assura la druidesse d'une voix douce.
- Je dis ça juste pour votre propre sécurité...
- Je le comprends bien.
- Il me reste à vous souhaiter une bonne route... si je puis dire. Puissiez-vous trouver l'ombre et l'eau fraîche dont vous aurez besoin.
Sur ces paroles, ils s'inclina légèrement avant de rejoindre les autres hommes de sa tribu, qui s'étaient rassemblés et discutaient à voix basse, probablement de l'incident.
Les aigles, quant à eux, achevaient de se partager la carcasse, sans avoir conscience de l'importance de leur méfait.

Voilà de quoi apaiser la situation : Eärundra semblait avoir senti son léger changement d'humeur et savait faire preuve de sagesse sinon de diplomatie. Même s'il était peu probable qu'ils aient encore affaire à cette tribu dans l'immensité du désert mieux valait conserver de bons rapports quand ils pouvaient se le permettre et faire en sorte de soigner leur réputation. Quand on agissait dans un univers aussi inconnu, loin de toute possibilité d'aide, c'était la seule chose sur laquelle on pouvait compter pour éviter les malentendus.

Kasumi s'inclina plus bas que l'homme, faisant ainsi preuve de politesse à son égard en lui accordant une position sociale supérieure à la sienne. Le rôdeur était impatient de repartir tant les informations recueillies auprès du jeune guetteur contribuaient à le rendre nerveux mais il savait qu'il n'était pas très bon pour eux de reprendre leur vol aussitôt après leur repas. Il faudrait a minima qu'ils prennent encore le temps de boire puis il faudrait de toute façon arrimer à nouveau leurs bagages. Il était donc probable qu'il lui faille encore prendre son mal en patience pendant encore une demi heure.

Earundra, songeuse, ne pipait mot, observant les deux aigles d'un air distrait. Ceux-ci, ayant fini leur repas, sautillaient jusqu'à la grande mare pour y boire.
- Je me demande ce qu'il est allé faire près de cette cité, finit-elle par murmurer à mi-voix. Il devait avoir une bonne raison...
Elle finit par secouer la tête et se dirigea vers leurs bagages, rangeant soigneusement ce qu'ils avaient sorti.
- Il faudra se souvenir d'éviter les tribus de bédouins aux costumes bleus et blancs. Ils risquent de tirer à vue... ou en tout cas de très mal nous recevoir à l'atterrissage. Et ils ont la mémoire longue, donc ça vaudra aussi pour le retour.
Elle haussa les épaules.
- Enfin, ce qui est fait est fait. On ne transformera pas nos aigles en gentils herbivores, leur instinct est de chasser. Donc attendons-nous à d'autres ennuis du même genre. On ne peut pas les surveiller toujours... Mais assez traîné. Je vous laisse charger votre charge de bagages, vous avez compris comment l'équilibrer ? Et on s'envolera dès que possible. les montagnes sont encore loin et je voudrais arriver avant la nuit...

Kasumi pouvait au moins se rassurer en songeant qu'il n'était pas le seul à se faire ces réflexions sur les bédouins à éviter et à s'inquiéter de leur prochaine destination. Mais l'heure n'était plus aux ruminations. Il se mit donc à charger Rubis tout en répondant à la druidesse d'un ton incertain :

- J'espère que nous ne nous serons pas fait davantage d'ennemi au retour et que nous n'ayons à nous inquiéter que de quelques gardiens de chèvres mécontents. Sans vouloir les sous-estimer, je m'inquiète davantage de ce qui nous attend dans les montagnes et surtout au-delà. Mais quoiqu'il nous y attende, je suis moi aussi impatient d'y arriver. Nous n'en saurons pas plus avant d'y être et je préfère de loin arriver alors que nous verrons encore le sol avant d'atterrir. Et si possible assez tôt pour nous abriter avant les froids intenses de la nuit.

Le demi-elfe avait soigneusement observé Eärundra pendant qu'elle chargeait l'oiseau la veille et il jeta une regard satisfait à son ouvrage avant de se diriger vers la lanière lui permettant de monter en selle. Il était temps de prendre leur envol, à nouveau. Il n'y était pas encore tout à fait assez habitué pour ne pas éprouver une légère appréhension mais il n'avait de toute façon pas le choix.

Eaundra s'envola la première, comme à l'accoutumée, et Rubis suivit aussitôt, le secouant comme une prune au bout de sa branche. Il commençait à y être suffisamment habitué pour pouvoir relâcher sa concentration et regarder ce qui se passait autour de lui. Les nomades les regardaient s'envoler sans paraître hostiles. L'horizon bascula, et quelques instants plus tard ils rejoignaient leur altitude de croisière. Hors de l'ombre bienfaisante de l'oasis, la chaleur les assaillit aussitôt, les obligeant à nouer des voiles de tissus autour de leur tête pour se protéger, au moins, des rayons directs.
La luminosité, intense, les empêchait de distinguer nettement ce qui se passait au-dessous d'eux, mais il ne s'y passait pas grand-chose, en réalité. Le désert, à perte de vue. Une caravane colorée, au loin à gauche, mais ils ne semblaient pas vêtus de bleu et blanc. Plus loin, un troupeau de zébu. Une autre caravane. Un autre cortège, très réduit, seulement trois ou quatre personnes sur des chameaux. Difficiles à identifier, vu du ciel.

Les montagnes s'approchaient, et le désert de sable devint rapidement désert de rocaille, plus accidenté, tandis que les falaises se profilaient à l'horizon. Les monts cimeterres étaient aussi hauts que leur nom le laissait entendre, leurs sommets semblant, de loin, des lames aiguisées, les flancs aussi à pic que s'ils avaient été le plat d'une lame. Franchir ces montagnes, ou même tout simplement trouver un endroit où s'y poser, n'avait rien de trivial.
Eärundra bifurqua vers la gauche, longeant la falaise. Ils ne pouvaient pas communiquer donc il ne pouvait pas deviner ce qu'elle cherchait. Ils étaient presque arrivés à l'extrémité nord des montagnes lors qu'ils finirent par apercevoir un petit groupe d'humains en train d'établir son campement, au pied de la falaise. La druidesse ordonna aussitôt à son aigle de se poser.
Les nomades portaient le même genre de tenue que ceux qu'ils avaient déjà croisés, mais leur groupe était beaucoup plus restreint. Une petite dizaine de personnes accompagnées de chameaux, exclusivement des adultes. Armés. Ils les regardèrent se poser avec méfiance, la main sur la poignée de leur épée.

La méfiance était clairement partagée. Un groupe composé exclusivement de personnes pouvant combattre et qui plus était dans cette région isolée n'augurait franchement rien de bon. Mais il était évident que la région n'offrait pas quantité de lieux de villégiature et Eärundra n'avait sans doute pas eu le choix du site d'atterrissage.

Le rôdeur jaugea du regard leurs chances si les autochtones se montraient belliqueux. A dix, ils prendraient rapidement l'avantage en cas de combat régulier mais il avait confiance en les sorts d'Eärundra et les siens pour rétablir la situation à leur avantage en cas de grabuge. Sans compter le potentiel destructeur de deux aigles géants...

Kasumi fit atterrir sa monture aussitôt après celle d'Eärundra ou plutôt contrôla sa chute en espérant que Rubis comprendrait qu'il s'inquiétait de la sécurité d'Opale et de la druidesse. Il démonta souplement sans approcher les mains du manche de ses épées mais sans faire aucun effort pour dissimuler qu'il était lui aussi bien armé. Il prononça les paroles désormais redevenues familières avant de demander aux hommes :

- Acceptez-vous que nous demeurions ici pour la nuit ?

Mieux valait laisser penser que le choix leur revenait même s'il doutait pouvoir se rendre en un lieu plus propice avant la nuit. Leur réponse le renseignerait peut-être sur leur enthousiasme ou leurs intentions.

- Non.
La réponse, abrupte, avait le mérite d'être claire.
- Nous n'avons aucune intention hostile... tenta de faire valoir la druidesse.
- Nous ne souhaitons pas la présence d'étrangers à proximité de notre campement. Mais si vous continuez encore au nord, vous trouverez d'autre lieux abrités du vent de sable.
Ils étaient neuf, exactement. Dont l'un portait une robe de mage. Et certains d'entre eux n'avaient pas tout à fait le même type humain que les bédouins croisés récemment, à bien y regarder.

Le mage changeait assurément la donne et Kasumi n'était pas certain de vouloir savoir à qui ils avaient exactement affaire, brigands, espions Zhents ou simples voyageurs misanthropes. Le demi-elfe s'adressa à Eärundra sans quitter les inconnus des yeux :

- Nous devrions repartir : il reste encore une heure avant la nuit.

Mais les aigles le pourraient-ils ? S'ils ne trouvaient pas de point d'eau, ce ne serait pas dramatique pour une étape compte tenu de leurs ressources mais le gibier allait sûrement davantage faire défaut. Sans compter que cette heure perdue leur ferait défaut pour s'installer et qu'ils pouvaient fort bien faire chou blanc. Mais avaient-ils le choix ? Ils n'avaient pas vraiment d'arguments pour faire changer d'avis le groupe d'humains.

La druidesse acquiesça.
- C'est bon, nous allons repartir...
Elle parut hésiter, puis ajouta finalement.
- Mais avant, si vous permettez... nous sommes à la recherche de renseignements.
- Quel genre de renseignements ?
La mage intervint à son tour.
- Si vous voulez des renseignement... tout se monnaye ici. Contre d'autres renseignements, par exemple... C'est du donnant donnant...

Décidément, ces gens avaient une attitude détestable et Kasumi ne serait pas fâché de les laisser à leur campement en paix. Des informations contre des informations... Mais à quel point pourrait-on se fier aux leurs si tant est qu'ils aient des choses intéressantes à raconter ? Le demi-elfe était bien décidé à laisser passer l'offre mais il serait stupide de passer à côté d'une piste prometteuse : ces gens occupaient une position stratégique et pouvaient fort bien avoir croisé l'ami d'Eärundra et toute indication pouvait leur faire économiser des jours. Il risqua donc d'un ton pas tout à fait aussi diplomate qu'avec les bédouins :

- Vous avez l'avantage du terrain, posez donc votre question... Ma réponse sera gratuite, en guise de bonne volonté. Si j'en ai une.

- Votre bonne volonté n'a guère d'importance à nos yeux....
- Mais en l'occurrence, c'est vous qui êtes demandeurs de renseignements. Pour une question... d'équilibre dans la transaction, il vaudrait mieux que vous posiez votre question le premier, pour que nous demandions des renseignements équivalents.
- Oh, écoute, on ne va pas y passer la journée. Ce que nous recherchons, pour notre part, ce sont des informations sur Everaska. C'est bien de là que vous venez? Donc si vous êtes prêts à répondre à nos questions sur Everaska, nous répondront aux vôtres... quelles qu'elles soient.

La politesse ne risquait pas d'étouffer ces hommes mais Kasumi s'en moquait du moment que l'entrevue puisse donner autre chose qu'un échange d'amabilités. Le demi-elfe observa ostensiblement les environs avant de répondre à celui qu'il estimait être le chef de la petite troupe, à savoir le mage.

- Il ne doit pas passer souvent des Everaskans par ici. C'est donc, si je puis me permettre, un endroit curieux pour chercher des informations sur leur pays. Mais soit, je vais répondre à votre question gratuite : nous venons en effet d'Everaska ainsi que de bien des endroits avant cela.

Il ne laissa pas aux inconnus le temps de répondre avant d'enchaîner :

- Je sais donc des choses sur Everaska mais rien qui ne puisse un jour nuire à sa sécurité ou à celle de l'un de ses habitants. Et ce que je cherche puisque vous le demandez est un habitant du désert ayant la fâcheuse tendance à ses déplacer beaucoup.

- Nous voulons bien vous renseigner sur celui que vous cherchez, si vous nous en dites davantage...
- C'est un sage asabi du nom de Ta'sslan. Il voyage toujours seul...
- Hum... Ce nom me dit quelque chose...
Le mage acquiesça.
- Je vois de qui il s'agit. De notre côté, nous avons besoin de savoir avec précision à quelle distance de la cité cessent les protection magique qui empêchent de s'y téléporter.
- C'est simplement pour pouvoir planifier au mieux une expédition là-bas...

Le rôdeur fit un effort sur lui-même pour demeurer impassible. La question était potentiellement délicate : sans être un réel secret puisqu'il suffisait d'expérimenter pour obtenir cette information, des renseignements sur les protections de la cité elfique étaient assurément sensibles. Kasumi tenta de cacher ses tergiversations en répondant d'un ton posé :

- C'est une information de grande valeur de mon point de vue. Même si notre mode de transport en réduise considérablement l'utilité en ce qui nous concerne. Elle mérite en tous cas que vous me révéliez plus que la position supposée de notre asabi. Par exemple, les intentions de votre expédition ou vos identités.

Il se tourna un bref instant vers Eärundra :

- A moins que vous ne voyez autre chose ?

Une invitation à donner son avis... Du moins il espérait que ce serait suffisamment clair pour la druidesse.

La druidesse haussa les épaules, hésitante. Mais le mage intervint avant qu'elle ait pu ajouter quoi que ce soit.
- Vous semblez beaucoup tenir à retrouver cet asabi, pour parcourir ainsi le désert à sa recherche. Les informations que nous demandons sont certes importantes, mais certainement pas plus que ne l'est pour vous cette recherche ! Donc... c'est à prendre ou à laisser.
- Avez-vous réellement des informations précises sur l'endroit où peut se trouver celui que nous cherchons ? intervint Eärundra.
- Avez-vous réellement des informations précises sur l'endroit exact où s'arrête la protection magique ? répliqua instantanément son vis-à-vis, s'attirant un regard noir de la druidesse.
- Procédons de façon... disons... honnête. Dites-nous tout ce que vous savez sur la question que nous vous avons posée, et nous vous dirons tout ce que nous savons sur cet asabi. Et, ajouta-t-il en levant la main pour prévenir toute objection, soyez assuré que nous ne bluffons pas. Nous avons des informations.

L'attitude de ces hommes était décidément de plus en plus déplaisante et Kasumi était bien tenté de laisser tomber et de s'en remettre à la chance d'autant que plus la discussion s'éternisait plus s'amenuisaient les chances de trouver un abri convenable avant la nuit. Il leva une main pour intervenir à son tour :

- Je ne suis pas d'accord : nos informations sont on ne peut plus récentes alors que nous n'avons aucune idée de ce qu'il en est des vôtres. J'ajouterai que le prochain groupe que nous aborderons en saura peut-être autant sinon plus que vous sur celui que nous cherchons. Cela m'étonnerait que ce sera aussi le cas du prochain groupe qui vous approchera. Bref, je crois que nous allons nous en remettre à la chance plutôt que de vous livrer une information que vous pourriez vendre à prix d'or à Pénombre pour autant que nous en savons. Bonne soirée à vous. Et au plaisir de vous croiser à Everaska lors de votre expédition.

Le rôdeur fit mine de se rapprocher de Rubis mais sans jamais quitter les étrangers des yeux. C'était là aussi du bluff. Quoique...

- A votre aise, répliqua le mage. Mais vous faites erreur... deux erreurs mêmes. Les informations que nous vous demandons n'ont pas besoin d'être récentes, la limite du sortilège ne change pas chaque jour. Donc cet argument ne tient pas la route. Quant à l'autre argument, nous pouvons vous le retourner : n'importe groupe venant d'Everaska saura nous répondre... Et nous aurons nous-mêmes la réponse lorsque nous serons à proximité. Nous voulions juste gagner du temps. Comme vous. je vous rappelle que c'est vous qui étiez demandeurs...
- Et j'ajoute qu'il y a peu de chances que vous croisiez un autre groupe pouvant vous donner des informations dans ces parages. Vous avez atteint la limite des terres fréquentées par les nomades humains. Mais peut-être serez-vous heureux d'interroger les asabis, ou les hommes vivant à proximité de Pénombre. Bonne route, dans ce cas !
L'homme haussa les épaules, et rejoint ses compagnons sans insister davantage, suivi par le mage, qui se tourna tout de même une dernière fois vers eux, pour vérifier, sans doute, qu'ils ne changeaient pas d'avis...

Kasumi hésita un instant mais attrapa finalement la lanière pendant du cou de Rubis. Avant de se hisser en selle, il se tourna néanmoins une dernière fois vers les inconnus :

- Les asabis sont d'un commerce plus équitable que certains humains de ma connaissance : à condition de bien garder ses armes prêtes à l'action évidemment. Si j'étais vous, je ne m'approcherais pas des frontières d'Everaska par magie : la zone d'influence de son mythal est bien plus étendue. Les défenses ont été renforcées grâce aux recherches des mages de l'académie de Loth Imarhil alors méfiez-vous des informations de n'importe quel groupe venant de la cité : restez-en à la limite occidentale du désert. Il est vraiment dommage que nous ne nous soyons pas mis d'accord alors que je ne demandais qu'à savoir à quand remontaient vos propres informations.

- Ne me prenez pas pour un imbécile. Je sais très bien que le Mithal ne s'étend pas jusqu'au désert... Au moins, je sais maintenant que je n'aurais pas pu me fier à vos informations...
Et le mage rejoignit définitivement ses compagnons, lui tournant le dos.
- Il vaut mieux qu'on y aille je crois. Nous n'en tirerons plus rien, murmura la druidesse en saisissant elle aussi la lanière pour se hisser sur Opale.
Les hommes ne semblaient plus leur prêter la moindre attention.

Hélas, Kasumi était exactement du même avis : sa tentative de bluff avait échouée mais il se rassurait en se disant que rien ne prouvait que les informations de ce groupe auraient été plus fiables. De surcroît, il n'avait rien révélé qui puisse nuire à la cité de son père et c'était là une autre source de soulagement.

Le demi-elfe hocha la tête à l'intervention de la druidesse et monta sur le dos de Rubis, signifiant qu'il était prêt à la suivre. Cet échec leur avait déjà fait perdre bien assez de temps comme ça.

Durant leur halte avortée, le soleil avait poursuivi sa course et nettement baissé à l'horizon. Les aigles parurent surpris qu'on leur demande de voler à nouveau, mais ils obtempérèrent, et quelques minutes plus tard ils se trouvaient à nouveau dans les airs, rasant le sommet des falaises en direction du nord, à la recherche d'un endroit qui soit quelque peu abrité du vent.
Celui-ci s'était levé, par bourrasque, déstabilisant quelque peu les oiseaux, et le vol n'était plus aussi paisible et agréable qu'il l'avait été durant les deux jours écoulés. Les aigles rechignaient à se laisser diriger, sentant le danger de ces coups de vent imprévus, désireux peut-être de monter bien plus haut pour y échapper, ou de se poser. Ils durent s'accrocher, et remercier les dieux d'avoir l'estomac vide...
Le soleil disparaissait à l'horizon lorsqu'Opale, devant lui, finit par piquer en direction du pied de la falaise. L’atterrissage fut particulièrement délicat, manquant de faire chuter les deux cavaliers, mais les amena à un endroit relativement abrité, pour peu qu'ils se tiennent aussi près que possible de la falaise. Ils découvrirent même, en avançant un peu plus loin, une espèce d'anfractuosité, presque un abri, où ils pourraient dormir sereinement. Les aigles, en revanche, ne pourraient pas y entrer et seraient contraints d'affronter ce qui ressemblait de plus en plus à une tempête de sable.

Non seulement la halte les avait laissé bredouilles mais, au fil des minutes, le rôdeur s’était de plus en plus inquiété du fait qu’elle leur avait fait prendre des risques. Et dans un environnement qui ne pardonnait pas les erreurs, ces risques auraient pu se révéler fatals. Suite à l’atterrissage, il fut donc partagé entre une certaine dose de soulagement de ne plus avoir à lutter contre le vent et la pesanteur et le sentiment bienfondé qu’ils n’étaient pas encore tirés d’affaire. Leur étape de ce soir était des plus précaires et une tempête s’approchait et ne ferait sans doute que croître au cours des prochaines heures. Cela lui évoqua celle qu’ils avaient évitée de justesse en Calimshan mais il n’y avait pas d’échappatoire cette fois : pas pour Rubis et Opale en tous cas.

Dès que le sol s’arrêta de tanguer sous ses pieds et qu’il retrouva le contrôle de ses organes internes bien malmenés par les dernières minutes de vol, Kasumi appela Eärundra en élevant la voix pour se faire entendre dans la tempête :

- Eärundra ! Il faut protéger les aigles. Au moins en leur abritant les yeux !

S’il n’y avait pas matière à leur dresser un abri de fortune, il faudrait en effet convaincre les montures de se laisser bander les yeux pour éviter que le sable ne les abîme. Et les talents de la druidesse allaient se révéler précieux voire indispensables pour y parvenir.

La druidesse parut hésiter, observant le vent et les bourrasques de sable qu'il soulevait.
- Ils n'apprécieraient pas. mais s'il faut en venir là, je ne leur laisserai pas le choix. Simplement... Il y a d'autres possibilités à tenter avant, fit-elle remarquer. Je peux, dans une certaine mesure, contrôler le vent aux alentours, pendant une heure et demie. Ça suffira peut-être pour que la tempête retombe...
Elle s'approcha de l'anfractuosité, et les aigles, suivant son exemple, se rapprochèrent de la falaise.
- Ici, ils sont déjà en partie protégés. Mais pas suffisamment, effectivement... Je vais créer une zone de calme, approchez-vous d'eux et de moi...

Elle se mit à incanter, et Kasumi perçut un courant d'air s'éloignant d'elle, puis plus rien. Autour d'eux, tout était devenu calme. Les oiseaux n'en revenaient pas, et faisaient mine de s'éloigner. La druidesse dut les rappeler à l'ordre. Le calme n'était qu'apparent. A une dizaine de mètres devant eux, la tempête faisait rage, le vent de sable soufflant avec apparemment encore plus de force.
- Je peux maintenir le calme pendant un bon moment. Ensuite je pourrais utiliser un sortilège pour élever un mur perpendiculaire à la falaise, là, si la tempête se poursuit trop longtemps. Ça devrait suffire à mon avis. Et puis, n'oublions pas qu'ils savent aussi se protéger eux-mêmes du vent, d'une manière générale, en enfouissant la tête dans leurs plumes. Cela dit, on peut toujours les aider un peu. Et si vraiment tout ça ne suffit pas... On en viendra aux solutions moins agréables.

Le rôdeur était positivement surpris par l'étendue des possibilités qui s'offraient à eux grâce aux pouvoir de la druidesse. La tourmente repoussée un instant, même si c'était en partie un trompe l'œil, Kasumi essaya de se montrer utile à son tour. L'épisode amer de la rencontre avec le groupe précédent continuait d'assombrir son humeur, en grande partie parce qu'il avait conscience de ne pas avoir correctement négocié la rencontre et les marchandages.

- Je vais préparer le feu. Puis je jouerai de la flûte pour nous procurer un peu d'eau : cela m'étonnerait que l'on tombe sur une source ici.

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines