La Couronne de Cuivre

Le premier étage abritait une salle de vie, avec un âtre éteint, une table mise dont la vaisselle était vide, un fauteuil d'allure accueillante mais couvert de poussière et un tapis mité. Au second, il y avait une cuisine et une salle d'eau. Toute la nourriture avait disparu, à l'exception d'une douzaine de bocaux remplis de formes vertes et noires, que les animaux n'avaient pu briser. Au troisième se trouvait la chambre. Une armoire, une petit table, et un grand lit où reposait un squelette dans un pyjama de velours bleu sombre, mité lui aussi.

La sinistre vision vint confirmer sa théorie, et il se demanda s'il ne faudrait pas donner une sépulture décente au défunt.
Dans l'immédiat, toutefois, il entrepris de visiter le reste de la tour : il restait au moins trois étages à examiner, sans compter un éventuel sous-sol.
Ensuite seulement, il pourrait songer au reste.

Mais il ne put progresser au-delà du troisième étage : le suivant était fermé par une porte close. Elle ne semblait pas imbue de magie mais simplement en excellent état et verrouillée. Autant dire que les mystères des étages suivants demeureraient hors d'atteinte... A moins que...
" Il doit sûrement y avoir une clé quelque part, remarqua Victor.
— On devrait regarder dans ses poches." ajouta Cordélia.
Et déjà, ils redescendaient vers la chambre.

-Hé, attendez !
Il se précipita à leur suite, bien décidé à les rattraper.
-Vous vous rendez-compte que c'est d'un défunt qu'il s'agit ? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il mérite certains égards ? Est-ce que vous avez vraiment envie que son fantôme à juste titre courroucé vienne nous hanter cette nuit ?

" Mais il est mort, dit Victor avec une grimace. Ça ne lui sert plus à rien, tout ce barda.
— Et puis il est mort depuis longtemps, ajouta Cordélia. Son âme est ailleurs depuis plusieurs décennies à mon avis. Son fantôme ne va pas subitement décider de revenir !"

-Mais peut-être n'est-il jamais parti, répondit le barde avec aplomb. Peut-être estimait-il être mort trop tôt, avant d'avoir pu mener sa mission à bien, ce qui l'a maintenu attaché à ses lieux...
Le pire, c'est que c'était possible.
-Moi aussi, je suis curieux de savoir ce qu'il y a, là-haut. Mais je pense que cela ne nous dispense pas de témoigner quelques égards au maître des lieux.

" Mais il est mort, répéta Victor, incrédule.
— Qu'est-ce qu'on peut faire, alors, pour lui témoigner des égards ? dit Cordélia, conciliante. L'enterrer dehors ?"
Où il pleuvait désormais à verses.

Et flûte.
-L'inhumer aurait été l'idéal : je pense qu'il aurait apprécié de reposer plus... dignement, disons. Malheureusement, vu le temps qu'il fait, il faudra sans doute remettre ça à demain.
Il soupira.
-Cordélia, si vous tenez à le fouiller, faites-le mais... avec respect.
Détrousser un cadavre, tout de même...

Mais Cordélia n'était pas certaine de sa réponse.
" Vous êtes sûr ? Vous me donnez vraiment votre permission de le fouiller ? Parce que vous n'avez pas l'air vraiment enchanté, en fait."
Elle pinça les lèvres.
" Je vais fouiller ses affaires, mais pas son cadavre, ça vous va ? Juste les tiroirs de sa commode, des choses comme ça. Après tout, il y a peut-être son testament, là en haut... Ses dernières volontés !
— Est-ce qu'on peut utiliser la cuisine, ou c'est aussi interdit ?" demanda alors Baptiste, qui était resté en queue de peloton.

Il s'abstint de lever les yeux au ciel.
Mais... l'envie était forte.
Songer à la cuisine alors qu'ils venaient de pénétrer... dans une tour de mage et que... c'était à peine le milieu d'après-midi...
-Je pense que tu peux l'utiliser sans souci, répondit-il néanmoins.
Si là était sa passion, après tout...
Et puis, c'était peut-être surtout, pour le gosse, un moyen de se rassurer.
-Et de mon côté, je vais m'occuper de Minuit.

Tandis que Cordélia et Victor fouinaient dans la chambre du défunt, Baptiste entreprit de nettoyer la cuisine. Il avait sans doute l'intention de l'utiliser plus tard dans la soirée, mais comme elle était absolument répugnante, lui donner un bon coup de chiffon était une nécessité hygiénique. Dehors, Minuit s'ébrouait sous l'averse. Il y avait un appentis pour ranger du bois, bien achalandé d'ailleurs, même si les bûches étaient toutes vermoulues et colonisées par les insectes. Taliesin put lui dégager un espace et le cheval se retrouva à l'abri en deux temps trois mouvements... Mais la bête comme son maître étaient désormais trempés.

Ne pouvant décemment laisser l'animal dans cet état, il s'en fut glaner de l'herbe encore relativement sèche car abritée et entreprit de le bouchonner.
Une fois sa tâche accompli, une fois assuré que Minuit aurait de quoi se sustenter, il regagna la tour.
Son objectif : se changer puis entreprendre de nettoyer le rez-de-chaussée, puisque c'est là qu'ils séjourneraient.

Il trouva aisément ses affaires là où ils les avaient abandonnées : dans la salle de vie du premier. Juste au-dessus de lui, il entendait Baptiste s'activer dans la cuisine. Cordélia et Victor, un étage au-dessus, étaient inaudibles. Il avait désormais le choix : retourner au rez de chaussée pour déblayer ce qui devait servir de hall à l'habitant de la tour ou préférer ce premier étage plus cossu. L'un dans l'autre, il lui fallait un balai — qu'il trouva à côté du portemanteau — et pas mal de courage. Ouvrir les fenêtres, aussi, serait sans doute nécessaire en dépit de la pluie.

Le premier étage était plus cossu dans l'absolu mais s'il commençait par lui, les indispensables allers-retours avec le rez-de-chaussée réduiraient vite ses efforts à néant. Aussi préféra-t-il commencer... par le commencement, c'est-à-dire par ce dernier. S'il avait le temps, il enchaînerait avec le niveau supérieur : le travail ne lui faisait pas peur. Et puis, le but n'était pas que tout soit impeccable.
Il songea à Victor et à Cordélia, sans doute occupés à retourner le moindre tiroir, la moindre poche. Bah, de toute façon, essayer de réfreiner les élans de ces deux-là aurait été peine perdue, sans compter la mauvaise humeur qu'il aurait récolté.

Le hall était une pièce qui ne contenait rien hormis le porte-manteau, deux vieux seaux, les bottes trouées et un nombre inouï de crottes de souris. Il ouvrit une fenêtre pour que la poussière puisse s'échapper au dehors et travailla avec le doux chant de la pluie, qu'il percevait dans le frémissement du lierre. Il travaillait depuis une bonne demi-heure quand il entendit un frottement ténu. Il s'interrompit pour mieux l'écouter et l'entendit à nouveau. Quelque chose grattait à la porte.

S'il avait s'agit d'un humanoïde, celui-ci n'aurit pas gratté mais frappé.
Il devait donc s'agir de quelque animal.
Peut-être l'ancien chat du propriétaire, retrouvant ses habitudes en constatant que la tour était à nouveau habitée ?
Il en aurait bientôt le cœur net : s'étant assuré d'avoir son épée à portée de main - car on n'était jamais trop prudent -, il alla ouvrir.

Il ne s'était pas trompé : il y avait un chat sur le pas de la porte, un matou couleur feuille morte, mouillé et maigrichon, qui se glissa aussitôt entre ses jambes, s'y frottant généreusement, en miaulant avec impatience. Il grimpa sur la troisième marche de l'escalier, puis se retourna et miaula à nouveau, avant d'entreprendre de se nettoyer.

Pauvre bête, songea-t-il.
Le chat, bien sûr, avait eu moult souris pour constituer ses repas. Mais l'affection de son maître avait dû lui manquer : aussi indépendants soient-ils, beaucoup de félins aimaient la compagnie...
Il referma la porte et, après une hésitation, reprit son ménage. Pour un peu, l'attitude de leur visiteur - ou de leur hôte, tout bien réfléchi - lui aurait presque fait penser qu'il souhaitait lui montrer quelque chose.

Mais le chat resta sur sa marche à se nettoyer, avant de revenir se frotter au barde tandis qu'il terminait son ménage. Ensuite, l'animal sauta de marche en marche jusqu'au premier étage... et s'élança aussitôt à la poursuite d'une souris attardée, en feulant comme un tigre. Au dehors, la pluie tombait toujours. Le barde entendit alors une course dans les escaliers et Victor surgit.
" On a trouvé la clé. Tu veux venir voir ?"

-J'arrive !
Il déposa son balai et entreprit de rejoindre le petit garçon.
Mine de rien, il était curieux de savoir ce qu'abritaient les étages. Il faudrait juste qu'il s'abstienne de jeter un regard dans la chambre, qu'ils avaient dû mettre sans dessus dessous...

Mais il ne vit rien de tel : Cordélia et Victor avaient soit agi très prudemment, soit tout rangé ensuite. La jeune femme était déjà devant la porte, clé dans la serrure, mais elle s'effaça pour laisser passer le barde. La clé tourna, la porte s'ouvrit, et ils débouchèrent dans une bibliothèque encombrée. Là aussi, la poussière s'était déposée sur toutes les surfaces, et il flottait une odeur de moisi. Les livres paraissaient en bon état, mais la fuite d'une paire de souris renseigna le barde sur le risque que toutes ces tranches ne soient en réalité qu'une façade mensongère...

Il s'efforça de ne pas trop y penser. Se dit même qu'il ferait sans doute mieux de ne pas vérifier.
Non, parce qu'une telle somme de savoir réduite à néant par des rongeurs, cela tenait du sacrilège...
-On va voir plus haut ? proposa-t-il.
Il se tourna vers Cordélia.
-Et vous avez le droit de passer devant, vous savez. C'est vous qui avez trouvé la clef, après tout !

L'étage suivant contenait un laboratoire qui avait dû être bien achalandé, mais dont les bocaux semblaient désormais remplis de boue, pour la plupart, ou de poussière. Le système d'alambics était encore en place, mais le verre était devenu opaque et graisseux, et des résidus noirs encombraient la plupart des ballons et des tubulures. Il restait une balance en cuivre, qui retrouverait sûrement de son éclat si on prenait la peine de la frotter, mais le sablier gisait au sol, brisé.
Et ils ne purent atteindre la pièce supérieure : la dernière porte luisait d'une lueur violacée, trahissant la présence d'un sortilège toujours actif.
Victor soupira.
" Pas de trésor !"

-Non, mais une belle exploration et d'intéressantes découvertes malgré tout, tu ne crois pas ?
Bien sûr, il aurait aimé voir ce qui se trouvait au-delà de cette porte, dans cet étage protégé... mais ces modestes pouvoirs n'étaient pas en mesure de venir à bout du sortilège.
-Allez, redescendons : Baptiste et le chat doivent nous attendre !

Ils recommencèrent à descendre et croisèrent le chat qui musardait dans la bibliothèque, à l'affut des rongeurs qui s'y étaient retranchés.
" C'est fou, en fait, y'a personne qui est jamais venu dans cette tour depuis qu'il est mort, le mage, demanda Victor. Tu crois que ça fait combien de temps ? Dix ans ? Cinquante ? Un siècle entier ?
— La tour doit être protégée, en tout cas, contrairement à son contenu."

-A mon avis, le mage n'est mort que depuis quelques années : sinon, son chat ne serait pas encore là. Et je pense bien qu'il s'agit de son chat, non d'un lointain descendant : la manière dont il a gratté à la porte m'a convaincu. Après... Nous sommes dans un endroit isolé, à l'écart du moindre chemin, du moindre village... Pas si étonnant que personne ne soit venu.
S'il y avait eu des habitants à proximité, il aurait pu aussi avancer que l'endroit avait peut-être mauvaise réputation.

" Oui, tu as raison... Ce serait plus... momifié si c'était plus ancien." dit Victor.
Ils atteignirent le niveau de la cuisine où Baptiste terminait d'allumer un feu dans le fourneau désormais rutilant.
" Alors, vous avez trouvé quoi ?
— Une bibliothèque et un laboratoire."
Les yeux du gosse s'agrandirent et il se tourna vers Taliesin.
" Je peux aller voir ?"

Il acquiesça.
-Bien sûr. Mais ne t'attends pas à des merveilles non plus : l'endroit a... bien vieilli, et je n'ai même pas osé regarder les livres par crainte de découvrir que les souris en avaient rongé jusqu'à la dernière page.
Mais au moins Baptiste pourrait-il voir à quoi ressemblait un véritable laboratoire de magicien.

Baptiste abandonna son jeune feu et fila dans les escaliers. Cordélia s'étira et se tourna vers le barde.
" Alors ? On s'installe en dessous ? Le salon a l'air confortable... Enfin... Une fois qu'on aura viré la poussière et fait la vaisselle... C'est étroit pour quatre, mais comme ça on aura bien chaud ! Et il y a aussi une cheminée."
Elle jeta un oeil par la fenêtre. Une pie qui couvait sur le rebord lui jeta un regard meurtrier.
" Quand ça se calme, j'irai chasser."

-J'ai nettoyé le rez-de-chaussée. Mais si vous voulez qu'on s'installe au premier, pas de problème : c'est sûr que c'est plus confortable. Il faudra juste... Faire le ménage.
Bien qu'il ait déjà eu sa dose, il était prêt à donner un coup de main. Mais en attendant, il devait s'assurer que le feu prenait bien.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...