La Couronne de Cuivre

L’aube pointait à peine lorsqu’ils repartirent pour Chêne-Feuillu. Seroaunk était très satisfait. Il avait trouvé des gemmes fort intéressantes sur les corps des hobgobelins, une émeraude notamment.

- Sylveneige*?
- Oui*?
- Tu te souviens enfin de Milien d’Otrante*?

La réaction d’Eldurvellir ne manqua pas de les surprendre*: il explosa de rire.

- Ce crétin infatué de sa personne*!
- Tu le connais*?
- Oui… Un type sans humour, digne, donc insupportable.
- Je confirme… On a tenté de me faire étudier avec lui…
- Pauvre Sylveneige*!
- Oh*! Je me suis bien vengée, avec toutes les farces que je lui ai faites*!

Et la rôdeuse commença à en relater quelques-unes. On rit beaucoup*; Seroaunk enchaîna sur quelques-unes de ses propres farces d’enfance, dont certaines furent assez cruelles. Il eut le bon goût de ne raconter que les plus avouables.

Tirigh, malgré les rires et les plaisanteries, dormait blotti contre Eldurvellir. L’équipée dans les airs l’avait beaucoup fatigué, le départ avant l’aurore avait été propice à l’endormissement.

- Il est bien, avec toi, Titi.
- Oui… Mais que vais-je faire de lui, c’est un mystère. Sa nature devrait le porter vers quelqu’un comme toi… C’est très étrange. Kellynn*?
- Oui*?
- Y a t-il des formalités particulières pour l’adoption d’un orphelin, en Haute-Forêt*?
- Certainement. Mais je ne les connais pas précisément, il vous faudra voir les autorités locales.
- Ouais. Avec un peu de chance, je ne pourrai pas l’emmener…
- Détrompez-vous*! c’est l’enfant qui a le dernier mot, après consultation de nos aînés. Dame Malvinaë, notamment, qui a autorité pour bien des choses à Chêne-Feuillu.

Le silence s’installa, alors qu’ils franchissaient un passage difficile, où les buissons semblaient avoir obturé la route.

- C’est curieux, ces buissons ont tant poussé…

Seroaunk tailla dedans à coup de hache, tandis que Sylveneige et Kellynn tentaient de dégager un passage sur un des côtés.

- C’est incroyable*! Essayons de trouver un autre chemin…

Kellynn les guida le long des buissons, mais il leur fallut presque une lieue de détour avant de trouver un chemin acceptable.

- Il y a quelque magie là-dessous…
- Peut-être… Ou alors nous sommes restés une vingtaine d’années en Ombreterre*!

Tous rirent. Mais l’inquiétude commença à sourdre lorsqu’un autre mur végétal se profila à l’horizon.

- Cette fois, on taille dedans jusqu’à ce que les buissons cèdent*! Je ne ferai pas un nouveau détour*!

Seroaunk sortit de nouveau sa hache et la leva au-dessus de sa tête.

- Attends donc. D’abord, il faudrait jauger l’épaisseur. Vois avec ton épée, d’abord.
- Oui, tu as raison.

Le chevalier noir posa sa hache et dégaina son épée. Il la passa lentement dans l’épaisseur du buisson. Quelque chose parut le surprendre*: il retira vivement son épée.
Tous crièrent d’étonnement.

- Rouillée*! Rongée*!

Seroaunk Sombreterre se retourna, furieux, vers Eldurvellir.

- Tu me le paieras*!
- Certes. Je te promets de t’offrir une nouvelle grande épée. Désolé, vraiment. Je ne pouvais pas deviner que ton épée y resterait*!

De fait, l’épée cassa net au milieu de sa lame. Le mage eut soudain l’air très inquiet.

- Dis-moi… Ce n’était pas celle de Sombria*?
- Non… Non, heureusement. Son épée est en dépôt, avec ses affaires…

Le chevalier noir s’arrêta net. Inutile que le jeune Kellynn en sache trop sur notre compte… Ça me chagrinerait presque de devoir le faire taire de façon définitive.

- Le plus simple serait tout de même d’envoyer Lumi en repérage, non*?
- Tu ne pouvais pas le dire plus tôt*!!!

Une nouvelle fois Seroaunk sentit la moutarde lui monter au nez. Il serra les mâchoires. Eldurvellir, quant à lui, sentait venir une envie de rire*: il eut la sagesse de lui résister, afin de ne pas indisposer davantage le guerrier. Tiamandis sortit de la chemise du mage, lançant un bref appel strident. Enfin le harfang des neiges, auquel Sylveneige venait de murmurer quelque chose, prit son vol.

Il plana haut dans le ciel. Au loin, Lumi aperçut Chêne-Feuillu qui semblait la proie d’une étrange agitation.

Elfes et humains couraient, portant des torches, hurlant des invectives. On apportait des ballots de paille, du bois. Le vacarme d’un échafaud qu’on monte, les cris de haine… Au milieu de toute cette agitation, deux orcs prisonniers.

Lumi lança un cri à l’attention d’une amie*: Léanna. Elle leva la main et tendit le poing pour permettre au harfang d’atterrir.

- Bel oiseau… Celui de dame Sylveneige, très certainement. On m’en a parlé.
- Oui, dame Malvinaë, en effet… Mais je ne vois pas Sylveneige et ses amis, il leur est peut-être arrivé quelque chose*!
- Rien de grave, sinon notre protection magique qui doit les retarder considérablement.
- Ne peut-on la lever, puisque nous savons que le…
- Nous verrons, pour l’instant j’ai autre chose de plus urgent à faire*!

Malvinaë Haltevive s’approcha de la foule occupée à préparer le supplice des prisonniers.

- Tant qu’on n’aura pas l’assurance de leur culpabilité, vous n’assouvirez pas de vengeance*! Force doit rester à la Loi et à la Justice – et la Justice n’est pas vengeance mais enquête, explication et punition raisonnée.

Lumi considérait, pensif, l’elfe qui parlait et avait l’extraordinaire capacité de faire douter un peuple furieux. Il décida de son action et se posa sur l’épaule de Lysandria.

- C’est le harfang de la jeune Neige*!
- Sylveneige, oui, il me semble… Cela peut-il nous sauver…

Lysandria et Gragnurd se reprenaient à espérer.

Malvinaë Haltevive profita de l’action du harfang.

- Un oiseau apprivoisé peut-il se tromper*? Il connaît l’âme elfe, il sait à qui attribuer sa confiance. Ce harfang nous dit qu’il faut entendre ces gens. Coupables, peut-être, mais ils se resteront pas sans jugement ni chance de se défendre.

Les feuilluchênois les plus ardents se calmèrent, discutant entre eux de ce que dame Malvinaë venait de dire. Le bon sens et l’équité avaient parlé, ils le sentaient. Un ordre bref fut lancé, les prisonniers allèrent rejoindre la prison du village – en fait une simple maison abandonnée, qu’on se contenta de sécuriser.
Léanna rejoignit dame Malvinaë.

- Enfin, nous allons pouvoir aider nos amis…
- Nos amis*? Je ne pense pas qu’un guerrier orc, aussi noble soit-il, ainsi qu’un mage humain douteux soient réellement des «*amis*»*! mais évidemment…

Malvinaë Haltevive s’interrompit. Inutile de lancer à Léanna son comportement enthousiaste vis à vis des messieurs… Ce serait de si mauvais goût*!
Léanna, qui était suffisamment fine pour saisir sa pensée, soupira.

- Allons*! Une petite escorte ira à leur rencontre. Si tu veux en être*?
- Volontiers.

Une petite troupe s’organisa et partit à la rencontre des aventuriers, Lumi et Léanna en tête.

De leur côté, les aventuriers se lassaient de contourner la barrière végétale qui paraissait interminable. De guerre lasse, ils décidèrent de ne pas attendre le retour de Lumi. Le crépuscule tombait, il devenait urgent de trouver un abri pour le campement de nuit. Ayant trouvé un un endroit dégagé, ils dressèrent rapidement le camp.

- Nous sommes de mieux en mieux organisés*!
- Oui… Où vas-tu, Eldurvellir*?
- Une petite chose à faire. Je ne vais pas loin, ne craignez rien.

Le mage s’éloigna. Il s’abrita sous un orme immense et commença à incanter*:

Eldurvellir >> message >> Béroalde

lacouronne/le-havre-bourgeois/31822-pet ... post473194

Le tour de veille passa à Kellynn, puis à Sylveneige. Au moment où elle réveillait Eldurvellir, on entendit une troupe approcher. Seroaunk sauta sur ses pieds et un cliquètement furieux signala qu’il mettait son armure. Le bruit finit par tous les réveiller, à l’exception de Tirigh*; Eldurvellir prit doucement le petit garçon et l’installa contre un arbre, enveloppé dans sa couverture.

- Lumi*! c’est Lumi*!
- Un harfang ferait un boucan pareil*! Tu rêves encore, toi.

Le guerrier orc maugréait de bon matin. Mauvais signe, pensa Eldurvellir. Ils furent rassurés enfin en voyant la petite troupe arriver, Léanna en tête.

- C’est toi*! Nous avons cru à une attaque…
- Oh, ça va*!

Sylveneige pinça les lèvres pour ne pas rire. Seroaunk, le regard vers le superbe décolleté de Léanna, s’adoucit.

- Eh bien, j’espère que vous venez pour nous guider au village*?
- Oui*! j’espère que la protection magique de dame Malvinaë Haltevive ne vous a pas trop embêtés*?
- Non pas, pensez donc*!

On entendit deux cris légers fuser, se répéter, exploser enfin. Eldurvellir et Sylveneige riaient à en perdre haleine.

Après quelques instants où Seroaunk lança un regard furieux aux rieurs et que ces derniers eurent inventé une excuse idiote, on se dirigea vers le village.

- Pourquoi y’a t-il cette protection, Léanna*?
- Parce que deux orcs, signalés comme faisant partie d’un clan assassin, ont été repérés en forêt. Ils ont d’ailleurs été capturés et dame Malvinaë a eu fort à faire pour éviter qu’ils soient pendus haut et court*!
- Hein*?
- Pis encore, d’ailleurs, certains villageois commençaient à monter un bûcher.
- Qui sont-ils*?
- En quoi cela vous intéresse t-il*?
- Eh bien, nous avons rencontré un couple d’orcs en chemin. Vous les soupçonnez d’appartenir au clan qui a causé le massacre de la caravane*?
- Absolument. Mais dame Malvinaë insiste pour un procès équitable… Je crois bien que Lumi lui a sauvé la mise, il s’est perché sur l’épaule de la femme.

Eldurvellir serra les dents. Tiamaat*! Quels idiots*! Comment vais-je les sortir de là sans avouer qui je suis et risquer de me faire renvoyer dans la jolie petite prison de Lunargent*? Le mage amena sa monture vers Sylveneige et lui glissa à l’oreille*:

- Il faudra qu’on discute…

Sylveneige ouvrit de grands yeux, surprise, mais Eldurvellir était occupé à bercer Tirigh installé devant lui.

Ils ne mirent que deux journées à contourner les barrages de buissons. Les chevaux, reposés, descendaient le chemin pentu sans effort. Une halte au soir, qui fut gaie et animée, puis ils repartirent de fort bonne heure. Eldurvellir eut fort à faire pour tenter de persuader la rôdeuse qu’il ne devait pas paraître à Chêne-Feuillu, mais que son aide était indispensable. Il chuchota à son oreille*:

- Tu repères la prison où se trouvent Lysandria et Gragnurd, moi je reste «*malade*» à l’auberge, ensuite tu reviens me dire à quoi la prison ressemble… Tu pourrais voler la clef, je pense…
- Non*!
- Oui… Bon, un sort suffirait, mais on saura qu’un mage est dans le coup…
- J’ai dit non*!
- Non à quoi, Sylveneige*?

Léanna venait de les rejoindre, amusée du ton que leur aparté avait pris.

- Je ne savais pas que vous étiez en si bons termes…

Eldurvellir lui fit un sourire radieux.

- Moi aussi, cher Eric, j’aurai quelque chose à te proposer à l’oreille…

Le mage murmura un mot d’excuse à Sylveneige et partit discuter avec Léanna.

Eldurvellir, couché, attendit que Seroaunk fût endormi. Il farfouilla dans sa besace et en sortit une potion dont il avala une gorgée. L’énergie irradia dans son corps et il se sentit parfaitement éveillé malgré la fatigue qui aurait dû être la sienne après une journée de voyage. Puis il se rhabilla, saisit sa besace et sortit discrètement de la chambre.

Dehors, il partit ostensiblement en direction de chez Léanna. Arrivé au Carrefour de l’Orme, il profita de l’Allée aux Arbres Bleus pour se dissimuler au regard des passants. Enfin, une bâtisse de pierre grise apparut dans un rayon de lune. C’est là*!

Il contourna précautionneusement la maison, repéra une fenêtre grillagée à ce qui semblait être un premier étage. Personne à l’entour… On les garde bien mal, ces Orcs*!

Eldurvellir s’enhardit et lança une poignée de cailloux vers le grillage. Une minute après, une tête paraissait derrière la grille.

- Pst*! Qui est là*?
- Lysandria*? C’est moi, Eldurvellir. Y a t-il un garde*?
- Oui, mais j’ai l’impression qu’il médite…
- Parfait. Savez-vous où sont vos affaires*?
- Tout près, mais…

Eldurvellir entendit distinctement râler. Gragnurd pestait.

- Chut*! Eldurvellir*! On devrait pouvoir se contenter d’une dague pour faire sauter la serrure. Ça va juste faire un peu de bruit… Une diversion extérieure serait la bienvenue. Tu pourrais t’en charger*!
- Oui, bien sûr. Ecarte-toi, je vais te passer ma dague. Elle devrait tout juste passer par le grillage.

Eldurvellir >> déplacement d’objet >> dague

La dague parvint aisément près du grillage, entra par la lame*; Lysandria, remontée sur les épaules de Gragnurd pour atteindre la fenêtre, la saisit avec précaution.

La suite se passa aisément*: crochetage de la serrure de la cellule, neutralisation du malheureux garde qui avait eu l’idée idiote de méditer au lieu de faire son boulot. Eldurvellir n’eut pas à faire de diversion, l’endroit étant désert à cette heure tardive.

Les deux Orcs contournèrent la bâtisse après avoir récupéré leurs affaires. Ils trouvèrent leurs chevaux, qui avaient été nourris et abreuvés.

- Nous allons partir à pied, c’est plus sûr que de risquer qu’on entende le galop des chevaux.
- Oui. Faites-les marcher sur l’herbe, on ne les entendra pas. Tenez, j’ai pris ça à l’auberge…

Eldurvellir leur tendit une miche de pain et des saucisses sèches.

- Merci*! Quand nous retrouves-tu à la Porte de Baldur*?
- Le temps d’emmener Sylveneige en Evereska… Enfin, c’est ce qui était prévu, mais maintenant qu’elle a retrouvé un semblant de santé, elle préférera peut-être aller avec un type moins douteux que moi*!
- Fais attention à toi, un capitaine a été mandé d’Everlund pour l’enquête du massacre de la caravane… Il interrogera tous ceux qui ont suivi le chemin de Mithral Hall à Everlund.
- Bon sang*! Tu fais bien de m’en parler*! j’ai été arrêté par le capitaine de la garde, à Everlund… Le type voulait m’interroger et je suis parvenu à m’enfuir.
- Ca devient ta spécialité, on dirait*!
- Oui*! Je vais rester planqué quelque part en attendant qu’il foute le camp. Chez sa sœur, tiens, elle m’a à la bonne et n’aime pas trop son frère.
- Tu ne préfères pas partir avec nous*?
- Heu… C’est à dire… J’ai à faire…
- Ah*? À ton aise. Bonne chance*!
- Vous aussi, bonne chance*!

Ils se quittèrent en lisière de forêt. Eldurvellir retourna sur ses pas, cherchant le couvert des arbres pour revenir à l’auberge le plus discrètement possible.

Eldurvellir rentra près de l’auberge sans rencontrer quiconque. Il dut faire le tour du bâtiment à cause d’un crétin qui s’était allongé contre la porte d’entrée, mais fort heureusement Seroaunk venait de mettre le nez à l’une des fenêtres au-dessus.

- Psst*! Hé*!

Eldurvellir, par signes, parvint à faire comprendre au guerrier qu’il devait entrer par la fenêtre. Ce dernier lui lança l’échelle de corde qui servait en cas d’incendie et son ami remonta prestement.

- Quelques explications*?
- Volontiers. Il y a un imbécile allongé devant la porte d’entrée.
- Je sais, merci*! Un vagabond plus ou moins employé comme garde de nuit. Il fait très bien son boulot, visiblement… Et tu étais de sortie pour baguenauder*?
- Version officielle, si quelqu’un m’a vu, bien sûr.
- Tu connais ma légendaire patience, je pense*?

Seroaunk fronçait dangereusement les sourcils.

- Oui, oui… J’ai trouvé où étaient les Orcs prisonniers et les ai libérés. C’étaient nos amis Lysandria et Gragnurd, que nous avions rencontrés en chemin.
- Très bien… Quelle efficacité*! j’espère vraiment que personne ne t’a vu.
- Le village est calme, je n’ai vu personne. Et il y a fort à parier que le garde assez lamentable qui était en charge n’ait rien compris à ce qui lui arrivait.
- Souhaitons-le*! Bon, si tu n’y vois pas d’inconvénient, je retourne me coucher.
- Même chose pour moi. Bonne nuit*!
- C’est ça…

Ils s’endormirent profondément. Trois heures plus tard, l’éveil de l’auberge ne les sortit pas du sommeil.

Vers les huit heures, Sylveneige s’étonna de ne pas voir ses compagnons à la table du petit-déjeuner. Elle avait très bien dormi et se sentait tout à fait en forme. Hé*! Je pourrais proposer ici mes talents de barde*! Elle n’eut pas le temps d’y songer davantage*: un beau jeune elfe fit son entrée.

- Damoiselle Sylveneige*! Quel plaisir de vous revoir*! Comment allez-vous*?

L’interpellée se leva et serra la main tendue du capitaine Léante.

- Bien*! Beaucoup mieux, en tous cas. Et vous-même, capitaine*?
- Oh euh, fort bien. Fort bien*!

Sylveneige soupira. Il va redevenir balbutiant et tout timide… Le jeune elfe avait dangereusement rougi, mais il parvint à se donner une contenance en flattant Lumi.

- Ah, ce bel oiseau aime son petit-déjeuner, dirait-on.

Là, il eut une petite méprise. Tendant une main téméraire, Léante eut la mauvaise surprise de voir le harfang hérisser ses plumes et lui donner un coup de bec rageur.

- Lumi*! Veux-tu*! Excusez-le, capitaine, il ne faut pas le déranger pendant qu’il mange ses petites saucisses…
- Oui, je vois…

Le capitaine Léante examinait la petite morsure de l’oiseau. Lumi, penaud, lui lança un roucoulement d’excuses et reprit son repas.

Le bruit d’une porte qu’on fermait à l’étage leur fit lever la tête. L’instant d’après, Seroaunk descendait l’escalier et saluait à la cantonnade.

Le guerrier orc salua avec gaieté, une gaieté qui parut un peu forcée à Sylveneige. Elle haussa un sourcil, ce qui eut pour effet d’amuser le capitaine Léante. A la surprise de la rôdeuse, Seroaunk sourit. Un sourire orc, non dénué d’une férocité certaine, mais un sourire tout de même.

Ce petit manège les occupa suffisamment pour qu’on ne remarque pas trop la femme qui descendait l’escalier en roulant les hanches de façon un peu exagérée*; elle quitta l’auberge en saluant d’un petit geste de la main.

- Auriez-vous été en galante compagnie*?
- Permettez que je garde mes petits secrets*!

Seroaunk avait bien failli répondre assez vertement, mais il se contenta de se diriger vers le comptoir pour héler la serveuse.

Dehors, la fraîcheur commençait à laisser place à la douceur du soleil printanier. La femme enveloppée dans son manteau fauve hâta le pas et finit par arriver près de l’école.

Léanna eut la surprise de voir arriver une femme couverte d’un grand manteau fauve et chargée d’une large besace.

- Bon… Tu vas m’héberger un moment, je pense… Enfin j’espère*!
- Mais qui êtes-vous*? Eric !!!

Eldurvellir*retira sa cape réversible et sourit.

- Tu pourrais m’héberger pour… Un moment, je te saurais dire exactement combien de temps… Mais ça ne devrait pas être trop long, je pense, deux jours maximum.
- Pas une dispute avec Seroaunk, j’espère*!
- Non, ne t’inquiète pas, notre petite fête tient toujours*! Je suis impatient de rencontrer ton amie*!
- Ce sera une belle petite fête*! Un buffet, pour le repas, histoire de ne pas perdre de temps…
- Excellente idée*!

Eldurvellir faillit partir dans une rêverie délicieuse, mais Léanna ne lui en laissa pas le temps*:

- Pourquoi fuis-tu l’auberge*?
- Parce qu’un brave capitaine de Lunargent vient d’arriver, capitaine à qui j’ai faussé compagnie lorsqu’il m’a mis en prison, voilà pourquoi*!
- Non*? Mon frère Léante*? Ah oui*! Il vient certainement pour le procès des Orcs détenus ici.
- Ton frère*?
- Oh ne te fais pas de souci, il ne viendra pas ici. Enfin, espérons-le... Monsieur mon frère réprouve ma façon de vivre.
- Comment ça*?
- Il réprouve le fait que j’accorde aisément mes faveurs aux hommes qui me plaisent.
- Et toi, tu réprouves le fait qu’il veuille te dicter ta conduite…
- Voilà. Tu as tout compris. S’il vient malgré tout, on avisera. Penthéa habite très près, deux maisons plus à l’est. Tu iras de ma part.
- Penthéa, l’amie qui viendra nous rejoindre ce soir*?
- Si mon frère est parti. Sinon, je ne te cache pas que je préfère repousser à demain soir. Demain soir, après le procès, je suis sûre que mon frère sera suffisamment fatigué pour ne pas traîner ses basques par ici.

Eldurvellir réfléchit un instant. Il y avait un paramètre que Léanna n’avait pas intégré dans son analyse.

Pendant ce temps-là, à l’auberge, Seroaunk dévorait un petit-déjeuner pantagruélique sans plus s’occuper de ses compagnons d’auberge. Ce qui ouvrit toutes les vannes en ce qui concerne le capitaine Léante.
Il commença par bafouiller de lamentables compliments à l’attention de Sylveneige, qui eurent pour effet de mécontenter Lumi. Ce dernier crachait de petites injures bien senties, auxquelles Léante ne comprenait heureusement rien.
La rôdeuse finit par comprendre qu’il ne fallait surtout pas laisser le beau capitaine parler davantage. Vite, trouver quelque chose d’intéressant à dire…

- Heu… Capitaine…
- A-appelez-moi Léante, je vous p-prie…
- Ouiii, bien sûr, Léante.

Ce fut bien pis. Le capitaine ne se sentait plus, ému aux larmes d’avoir entendu son nom dit par la jeune elfe. Ce «*oui*» prolongé avait été comme le son d’une source pure, comme l’air frais d’un matin de printemps, comme l’arc en ciel d’une fin d’orage, comme un aveu d’amour enfin.
Sylveneige jeta un coup d’oeil désespéré vers le guerrier orc, mais ce dernier n’avait d’yeux que pour sa troisième assiettée de charcuterie. Ce détail n’échappa pas au sieur Léante. Il aiguilla son intérêt pour la jeune rôdeuse. Lumi, quant à lui, s’était calmé et venait de s’éloigner*; il convoitait avec intérêt l’assiette de Seroaunk.

- Damoiselle Sylveneige*! Laissez-moi vous expliquer*!

Oubliant toute timidité, le capitaine Léante savait qu’il devait enfin agir efficacement.

- Je suis ici pour un procès qui doit se tenir dès demain… Je serais très honoré – et très heureux – si vous acceptiez de dîner avec moi ce soir.

Sylveneige ne mit pas longtemps à se décider. Elle se doutait qu’Eldurvellir allait très probablement rejoindre Léanna et n’avait aucune envie de dîner seule avec Seroaunk. D’ailleurs, s’il riait avec Eldurvellir et Léanna en chemin, c’est peut-être parce qu’il a lui aussi prévu une sortie…

- Eh bien…
- Hé là, messire mon frère*! Comment vas-tu*? Bonjour, Sylveneige. Bien dormi*?

Léanna regardait le capitaine Léante d’un air narquois. Elle avait décidé de s’assurer que nul ne troublerait la fête qu’elle avait prévue, surtout pas une visite inopinée de son frère. Tu sais Eric, avait-elle dit, je préfère prendre les devants. Parce que je n’ai pas envie de repousser notre fête*! Ne dis rien. Reste ici, si quelqu’un vient toquer à la porte, n’ouvre pas. Je vais voir mon cher idiot de frère, si tout va bien je resterai une heure ou deux à discuter avec lui… Bien qu’en général ça dure juste le temps de se prendre la tête*! Eldurvellir, enfin «*Eric*» avait acquiescé d’un bref hochement de tête, tout en dévorant le petit-déjeuner que Léanna avait disposé devant lui.

Le visage de Léante avait pris une expression étrange. L’exaspération qu’il ressentait toujours quand il voyait sa sœur se mêlait à l’impatience d’entendre la réponse de Sylveneige. Qui le remarqua immédiatement et lâcha un discret*:

- Ouiii.

Ce petit «*oui*» prolongé de la rôdeuse donna au capitaine Léante l’énergie nécessaire pour tenir tête à sa sœur. Il jeta un regard tendre à Sylveneige et répondit à Léanna*:

- Bien le bonjour, ma chère sœur*! Je ne te demande pas comment tu vas, je sais que tu vas toujours bien.
- Certainement. Toi aussi, d’après ce que je vois.
- Oui, je vais bien. Très bien, même…
- Tu as à faire, ici*?
- Le procès des deux Orcs arrêtés. On soupçonne qu’ils pourraient être du clan qui a massacré la caravane de marchands entre Mithral Hall et Lunargent.
- Oui, je sais, nous avons bien failli avoir un lynchage*! c’est Lumi qui a contribué à les sauver. Où est-il, d’ailleurs*?

Ils regardèrent à l’entour. Lumi avait disparu. Un hurlement de rage se fit entendre, venant des cuisines.

- Maudit hibou*! File ou je te fais en brochette*!

Lumi arriva en trombe, laissant tomber une partie de son butin en route. Le cuisinier, très en colère, brandissait une énorme cuillère en bois.

- Je vous prie de tenir votre harfang, damoiselle*!

Un moment confus passa, où Sylveneige eut fort à faire pour défendre Lumi. Elle finit par proposer de l’argent au cuisinier*; mais l’intervention de Seroaunk, qui suspendit l’homme à un pied du sol en le traitant d’escroc l’en empêcha. Ce fut Léanna qui intervint avec succès pour les calmer. Léante risqua alors une réflexion peu amène sur l’influence de sa sœur sur le sexe masculin. La jolie blonde en profita*:

- Cher frère… Je n’ai qu’un mot à te dire, si tu veux me voir désormais ce sera ici et certes pas chez moi*! Tiens-le toi pour dit.
- Je ne me risquerais pas là où ma sœur vit dans la luxure la plus éhontée*!
- Oh La ferme*! Je te verrai au procès, et en tête à tête pas avant demain.

Léanna fit un geste d’adieu à Sylveneige et Seroaunk et quitta l’auberge.

- Vraiment, Léante, je suis désolée que vous ne parveniez pas à vous entendre avec votre sœur*! Mais quelle idée de la brusquer, aussi…
- Oh ne vous inquiétez pas… Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est devenu un jeu entre nous, mais il est vrai que nous n’arrivons pas à nous parler sans nous disputer. Et je n’ai pas de patience avec elle*! Savoir qu’elle… disons «*rencontre*» tant d’hommes me rend fou. C’est une honte pour la famille, vous comprenez*?
- Non… Enfin si, un peu. Mais sa façon de vivre est son choix, vous ne pouvez aller contre…
- Peu importe. Nous aurons la soirée pour nous*! Vous acceptez mon invitation, n’est ce pas*?
- Avec plaisir*!

Sylveneige, qui craignait un peu de finir par tenir la main à un grand timide, était tout à fait rassurée.

- Le procès a lieu très bientôt, je suppose… Serai-je appelée à témoigner*?
- Oui. Nous avons besoin de tous les témoignages.
- Comment ces Orcs s’appellent-ils*?
- Je n’en sais rien. Il s’agit d’un couple.
- Nous avons croisé un couple d’Orcs en forêt. Ils n’avaient pas l’air si dangereux, mais j’avoue avoir été assez mal à l’aise lorsque je les ai rencontrés.
- Le contrecoup de ce que tu as… vous avez vécu, bien sûr.
- Si on se tutoyait*?
- Oui, c’est plus simple*!

Ils discutèrent pendant un moment. Sylveneige trouvait le capitaine de plus en plus agréable. Les fossettes aux coins de sa bouche lui donnaient un air candide et plein de charme.

- Ah*! Capitaine Léante, sans doute*?

L’elfe qui venait d’entrer sourit aimablement.

- Dame Malvinaë vous informe que le procès aura lieu en tout début d’après-midi, après le déjeuner. Il aura lieu dans la salle commune qui se trouve juste en face… Vous la connaissez.
- Oui. Fort bien. A tout à l’heure.
- Damoiselle Sylveneige*?
- Oui, c’est moi.
- Vous êtes conviée au procès, en tant que témoin.
- Je viendrai, bien sûr.

L’elfe remercia et sortit de l’auberge, non sans avoir lancé un bonjour amical à la serveuse.
Sylveneige caressait distraitement son harfang.

- Nous avons le temps de faire une grande balade, mon beau*!
- Je dois commencer à préparer l’interrogatoire. Promenez-vous bien*! Je suppose que Lumi est calmé, maintenant qu’il a dévoré tout ce qu’il y avait en cuisine*!

Tous deux rirent*; Lumi eut bien l’air vaguement contrarié, mais se tint coi.

Sylveneige emmena donc son harfang dehors, commençant par le tour des petites échoppes du village. Sur la place du marché, elle eut la surprise de voir commerçants et artisans fermer très tôt leurs étals. Est-ce à cause du procès*? Elle finit par poser la question et reçut une réponse affirmative.

Poussant plus loin sa balade, Sylveneige parvint à l’orée de la forêt. Tiens*! Pourquoi des chevaux ont-ils marché sur le bas-côté*?

Elle s’arrêta et examina les traces. Oui*! Ce sont bien des chevaux ferrés qui ont marché sur l’herbe. D’où venaient-ils donc*? Viens, Lumi, remontons la piste*!
Sylveneige marcha environ un quart d’heure. Arrivée à une vieille bâtisse, elle perdit la piste. Lumi lança un cri bref.

- Quoi, mon beau*? Ah*!

On entendait un gémissement, qui semblait venir de l’intérieur de la maison.

- Ohé*! quelqu’un*?

La rôdeuse ouvrit la porte de la bâtisse et vit une scène passablement ridicule*: un elfe quasi nu, ligoté à sa chaise avec sa chemise et ses chausses, son bonnet de nuit attaché avec sa ceinture en guise de bâillon.

- Oh mon pauvre*! Attendez*!

Sylveneige détacha la ceinture et le bonnet de nuit tomba sur les genoux de l’elfe.

- Ils se sont enfuis*! Détachez-moi plus vite, voyons*!
- Du calme*!
- Comment ça, du calme*? Je vous dis qu’ils se sont enfuis*!

La rôdeuse, enfin, comprit. Elle finit de détacher les pieds de l’elfe et lança machinalement les chausses par dessus son épaule.

- Hé*! Mes chausses*! Permettez… Mais tournez-vous, bon sang de bois*!
- Oh pardon*!

Docilement Sylveneige se tourna, laissant le râleur s’habiller. Hé, mon gars, si tu crois que je vais languir sur ton corps de rêve… Quel crétin*!

- Alors comme ça, vous avez laissé s’échapper les deux Orcs soupçonnés du massacre de la caravane*? Malin, ça…
- Oh, ça va*! J’aurais voulu vous y voir*!
- Ce que vous allez voir, c’est…
... la tannée qui vous attend, doux crétin… Mais Sylveneige eut la présence d’esprit de ne pas finir sa phrase. Elle se contenta de hausser les épaules.

- Le procès devrait commencer bientôt…
- Oui, oui, on y va. Je vais passer manger un morceau chez moi.
- Faites…

Vraiment un crétin, ce type, qui n’a même pas l’idée d’aller informer son chef*! songea la rôdeuse.

- Dites… Vous pourriez aller porter la nouvelle*?
- Vous ne manquez pas de culot, vous, on dirait*!
- Ben quoi*? Vous préférez sans doute que je vous invite à déjeuner chez moi*?

L’elfe ricana, montrant des dents à l’ordonnancement peu décoratif.

- Euh, non, en fait.

Sylveneige soupira et se dirigea vers la place du village.

Evidemment… C’est sur moi que ça tombe… C’est toujours moi qui trinque, en fait… Mais pourquoi y vais-je, alors*? Il me suffit de filer… Mes affaires sont à l’auberge, mais je vais passer les prendre discrètement, je paierai à la serveuse en lui disant… Rien du tout, en fait. Pas la peine.

Elle pensa brièvement à Eldurvellir. S’il y en a un qui se remettra de mon départ précipité, c’est bien lui*! Seroaunk comprendra – ou pas. Plus probablement il comprendra de travers, que je n’ai pas souhaité continuer la route avec cet épouvantable dragueur d’Eldurvellir et ses manigances*!

Ainsi pensait Sylveneige en retournant à l’auberge. Brusquement elle s’arrêta net.

Et Léante*? J’ai vraiment envie de dîner avec lui*! Vraiment.

Comme par hasard, elle tomba sur lui.

Léante était accompagné de trois gardes. Il sourit à la rôdeuse.

- Chère Sylveneige, va vite te restaurer, le procès commence dans une petite demi-heure*!
- Fort bien. Euh… Je suppose que vous allez chercher les prisonniers*?
- Tout juste*!
- Ah… J’ai une mauvaise nouvelle…
- Comment ça*?

Sylveneige respira à fond et débita tout à trac*:

- C’est à dire que j’ai trouvé le garde minable qui était en charge saucissonné de belle façon et pas vu d’Orcs ou alors ils étaient très bien cachés après tout on ne sait jamais vous les trouverez peut-être mais à mon avis non…
- HEIN*?

Le visage de la rôdeuse, désolé, confirmait malheureusement ce qu’elle venait de dire. Le capitaine Léante se précipita vers la vieille maison qui avait servi de prison. Ouvrant la porte, il ne put que constater l’absence des deux Orcs. Il contourna la bâtisse.

- Les chevaux n’y sont plus, évidemment*! Où est cet imbécile de garde*? Où*?

Sylveneige retenait son souffle. Jamais elle n’aurait imaginé que le calme capitaine pouvait s’énerver autant. Il va me détester, encore plus quand il saura où est le garde…

- Ma pauvre Sylveneige, je suis désolé de m’être énervé… Et que tu te sentes avoir le mauvais rôle… Mais personne ne t’en veut, ne t’inquiète pas. Si tu sais où le garde est parti, tu peux me le dire, il se prendra juste un savon*!

Un beau, très beau savon, songea le capitaine Léante en son for intérieur. Un savon magnifique, il aura de quoi se laver pendant un siècle ou deux…

- Il m’a dit qu’il rentrait chez lui avant de se rendre au procès. Pour manger.

Là, Sylveneige se demanda si le détail final était vraiment nécessaire, si les gardes et le capitaine n’allaient pas mourir de colère sous ses yeux. On frôlait clairement l’apoplexie. Par un phénoménal effort sur lui-même, Léante parvint à reprendre son calme. Les gardes, quant à eux, lâchèrent des bordées de jurons qui auraient fait honneur aux Orcs enfuis s’ils avaient pu les entendre.

- J’hésite… Faut-il aller directement à la salle du procès ou passer prendre l’imbécile et le traîner à ce procès – qui deviendra, je l’espère bien, son propre procès*?

Les gardes étaient clairement pour la deuxième option. Sylveneige faillit intervenir, mais se souvint juste à temps que le couple orc était probablement celui qu’ils avaient croisé en chemin. Et selon Eldurvellir, ils sont innocents du massacre de la caravane… Mais peut-on faire confiance à Eldurvellir*? Et comment se fait-il qu’on ne l’ait pas vu aujourd’hui à la table du petit-déjeuner*?

Plongée dans ses pensées, elle suivit Léante et les gardes.

Mais Sylveneige s’aperçut vite que le capitaine, aussi énervé fut-il, connaissait son métier. Léante s’adressa à un des gardes*:

- Cléophe, file donc chercher cet imbécile et ramène-le au procès. Nous restons ici chercher des indices pour trouver la piste des Orcs. Sylveneige, je te prie d’accepter le mauvais rôle encore une fois*: va porter la nouvelle de la fugue des prévenus et celle de notre enquête. Je te retrouve ce soir à l’auberge, bien sûr*!
- Oui… J’y vais.

La rôdeuse retint un soupir et partit en direction de l’endroit où le procès devait se tenir. Elle arriva sans trop se presser, à tel point que le garde délégué pour amener le geôlier défaillant arriva juste après elle.

- Jeune Sylveneige*! Je vous remercie. Tenez, installez-vous ici, sur le banc des témoins.
- Merci, dame Malvinaë, mais j’ai une mauvaise nouvelle. Le procès ne pourra…
- Lâche-moi*! Immédiatement*!

Les deux gardes venaient d’entrer.

- Lorié*! Du calme. Que se passe t-il*? Cléophe, pourquoi le traîner ici comme un malpropre*?
- Ma Dame, cet idiot a laissé les deux Orcs s’enfuir*!
- Comment*? C’est intolérable*! Lorié, tu devras en répondre*! Ici même*!
- Si je puis me permettre…

Tous les regards se tournèrent vers Sylveneige.

- Sachez que le capitaine Léante, ne voulant pas perdre de temps, a déjà commencé son enquête et compte bien poursuivre les fuyards.
- Léante est un capitaine exceptionnel, il mérite son avancement. D’autres n’auront pas cette chance…

Malvinaë Haltevive jeta un coup d’oeil explicite à Lorié.

- Je propose que notre procès se tienne, malgré l’absence des accusés. Il s’agira d’aller, au cours des débats et échanges, au plus près de la vérité. Nous sommes tous déçus de cette fuite, mais il n’est pas possible d’en tirer la conclusion que ce sont bien des coupables qui se sont enfuis. Nous avons des témoins, Sylveneige d’Evereska bien sûr, mais aussi un jeune elfe de Lunargent qui lui aussi a échappé au massacre de la caravane et a accepté de témoigner ici. Le capitaine Léante, qui a arrêté un humain soupçonné de faire partie du clan assassin aux environs de Lunargent, témoignera aussi – enfin, s’il est de retour ces prochaines heures.

Un murmure d’acquiescement parcourut la salle. Dame Malvinaë était trop respectée à Chêne-Feuillu pour que quiconque émette une objection. Et tout le monde comprenait l’utilité d’*»aller au plus près de la vérité*» selon les paroles de la vénérable prêtresse seldarine.

Seroaunk entra à son tour. De nouveau les regards convergèrent vers une personne, l’unique Orc de la salle. On entendit des murmures. Fallait-il juger celui-là, à défaut d’avoir le couple orc sous la main*? Dame Malvinaë, comme toujours, calma l’assistance.

- Messire Seroaunk, je vous remercie d’être venu. Votre ami, qui était avec vous à l’auberge du Père-Chêne, serait également aimable de venir… Pourriez-vous aller l’en prier*?
- Ce serait avec plaisir, certainement, mais il est parti très tôt ce matin. Il a à faire du côté d’Eauprofonde, m’a t-il dit.
- Eh bien, tant pis.

Si Malvinaë Haltevive était contrariée, elle n’en laissa rien paraître.

On commença à appeler les témoins, par ordre chronologique*: Sylveneige et le jeune Marlis se retrouvèrent debout face à l’assistance. Ils firent un récit de l’attaque bref et Marlis faillit s’effondrer en parlant de la mort du chevalier d'Eau d'Elfe.

- Il m’a sauvé la vie*! Il s’est jeté devant moi et le fléau d’une des Orcs l’a frappé si violemment que sa tête a été arrachée*!

Sylveneige prit le garçon dans ses bras.

- Je suggère que vous me laissiez témoigner seule… Marlis est bouleversé*!
- J’entends bien, damoiselle, mais il faut malheureusement qu’il apprenne à faire face. Son témoignage peut être important.

Malvinaë Haltevive soupira. L’enfant est trop sensible pour que l’on puisse l’interroger, elle a raison… Enfin*!
D’un geste, elle signala à un garde d’emmener Marlis dehors.

- Continuez, damoiselle Sylveneige.

La rôdeuse réfléchit un instant.

- L’attaque a été très soudaine. Nous avions bien entendu quelques craquements à l’entour, mais pensions qu’il s’agissait d’animaux. Les Orcs et quelques barbares ont bondi de partout, par petits groupes, certains devant et sur les côtés, mais aussi à l’arrière de la caravane. Nous étions encerclés, et sous un tir nourri de carreaux et de flèches.

Un silence lourd accueillit les paroles de Sylveneige. Tous se souvenaient d’un parent ou d’un ami, mort pendant l’attaque.

- J’ai réussi à grimper en haut d’un arbre et ai à mon tour tiré toutes les flèches que je pouvais sur les assaillants. Ceux qui n’en étaient pas encore au corps à corps, bien sûr, afin de ne pas faire courir un risque inutile aux caravaniers. Lorsque j’ai vu que Marlis s’enfuyait à cheval, j’ai concentré mes tirs sur les barbares et les Orcs les plus proches de lui. J’ai heureusement réussi à préserver sa fuite, mais j’ai été repérée et on m’a fait descendre de l’arbre à coups de pierres. Un barbare qui s’amusait à sa façon*! Je me suis évanouie… Lorsque je suis revenue à moi, ç’a été pour constater le massacre, épouvantable… J’ai fui. C’est Kaori, mon cheval, qui m’a retrouvée.

La voix de Sylveneige se brisa.

- En-ensuite les secours sont arrivés, grâce à Marlis. Dame Ysaure, la prêtresse seldarine de Lunargent, a empêché une jeune Naine venant de Mithral Hall de s’attarder sur la scène horrible du massacre et nous sommes tous allés à l’auberge du Chêne d’Or. Lumi – mon harfang – avait disparu, j’ai donc été voir le crieur public…
- Merci, damoiselle Sylveneige. Vous serez rappelée un peu plus tard pour la suite. Ysaure de Blanchemain, je te prie*?

Malvinaë Haltevive sourit à la belle prêtresse seldarine de Lunargent. Cette dernière passa devant Sylveneige et lui donna une accolade amicale.

- Merci de votre témoignage. Beaucoup de caravaniers étaient connus ici à Chêne-Feuillu.
- Dame Ysaure*! Brina est là*?
- Non. Nous parlerons plus tard…

L’interrogatoire de Dame Ysaure de Blanchemain fut prolifique. L’enquête avait beaucoup progressé. On savait désormais quel était le clan qui avait attaqué la caravane, on savait même que ce clan s’était quelque peu dispersé.

- Ce clan comporte des éléments extrêmement dangereux et prêts à tout. C’est le cas du chef, Roghnar le Furieux. Son épouse, Arkherinh, n’est pas moins cruelle. Les blessés du clan incapables de s’enfuir du lieu du massacre se sont soit suicidés, soit ont été tués par les leurs… Ils ne font aucun prisonnier ou rarement, ne laissent aucun de leurs guerriers en mauvaise posture derrière eux. La cruauté est le guide de leur existence. Je regrette que le capitaine Léante ne soit pas encore arrivé, il vous en dirait bien davantage que moi. C’est lui qui dirige l’enquête.

On entendit, à l’extérieur, ce qui semblait être une longue litanie de jurons.

- Cléophe, peux-tu aller voir ce qui se passe*?

Le garde sortit.

Cléophe rentra suivi de Léante, accompagné d’un homme à l’allure vaguement vulgaire.

- Je ne ramène pas le couple d’Orcs enfui, mais cet homme a des nouvelles intéressantes.
- Capitaine Léante, à moins d’un événement exceptionnel, je préférerais que le procès se déroule dans un ordre de témoignages chronologique.
- C’est en effet exceptionnel, mais nous pouvons parfaitement entendre cet homme à la fin.
- Hé*! j’ai pas que ça à f…
- Restez calme.

L’air sévère du capitaine persuada l’homme.

- Bon… C’est bien parce que l’auberge est fermée, hein…

Le procès se déroula sans anicroche. On appela encore quelques personnes, puis vint le tour de Seroaunk.

- Messire Seroaunk Sombreterre, vous pensez avoir croisé ce couple…
- Oui, Dame Malvinaë. Deux Orcs plutôt sympathiques, même si damoiselle Sylveneige a eu du mal à les supporter… Le contrecoup de l’attaque qu’elle a vécue, sans doute.
- Savez-vous leur nom*?
- Oh… Je crains de ne pas m’en souvenir. Nous avons campé ensemble, certes, mais… Vous savez ce que c’est… On parle, on rigole, mais on n’échange pas nos cartes de visite*!

En lui-même, Seroaunk pensait*: et pourquoi irais-je donner des renseignements qui risquent de mettre en danger des amis d’Eldurvellir*? Restons évasif.

- Sylveneige d’Evereska, vous étiez avec messire Seroaunk. Vous souvenez-vous du nom de ces Orcs*?
- Impossible de me souvenir de celui de l’homme. Elle, elle avait un nom en «*ia*» - Lysia*ou Lydia ? Je ne m’en souviens pas non plus. Désolée, vraiment.

La rôdeuse était sincère. Ses souvenirs retrouvés avaient envahi sa mémoire, son esprit avait occulté la plupart des détails récents.

- L’homme qui vous accompagnait aurait peut-être su, lui… Dommage. Capitaine Léante*?
- Eh bien, la suite revient à damoiselle Sylveneige.
- Fort bien. Mais avant, je vais à mon tour témoigner pour l’ensemble du village.

Malvinaë Haltevive relata l’arrivée des Orcs et la scène de lynchage qui avait failli s’ensuivre, puis sa propre intervention et celle de Lumi.

- Votre harfang, Sylveneige, a peut-être empêché une terrible injustice. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de raconter la suite…
- Après le petit-déjeuner, je suis allée me promener dans les rues du village. Arrivée à l’orée de la forêt, j’ai remarqué des traces de chevaux. Fait étrange, ils n’avaient pas marché sur la route, mais sur le bas-côté herbu, là où on remarquerait moins les traces… Mais c’est surtout pour atténuer le son des sabots. Ce sont à mon avis les Orcs qui sont partis, en prenant soin d’être les plus silencieux possible.

Un murmure d’approbation parcourut l’assistance.

- J’ai suivi la piste de ces traces, qui menaient à la prison. Et Lumi a entendu le geôlier qui geignait. Je suis entrée et l’ai vu bâillonné et attaché sur sa chaise avec ses vêtements.

A ce point du récit, Lorié rougit vivement. Certains feuilluchênois ricanèrent.

- Je l’ai libéré et il a décidé de rentrer chez lui pour manger avant d’aller au procès…
- C’est faux, elle ment*!
- Silence, Lorié*! Nous discuterons de votre cas plus tard. Continuez, jeune Sylveneige.
- Merci. J’ai fini… Je veux dire, le capitaine Léante et les gardes sont arrivés et Léante m’a demandé de venir vous prévenir après que je lui aie dit ce qui s’était passé. Voilà.
- Très bien. Messire…

Dame Malvinaë venait de se tourner vers l’homme que le capitaine Léante avait amené.

- Ouais, Dame*?

La vénérable prêtresse seldarine dut se forcer à ne pas reprendre l'insolent personnage.

- Votre nom, je vous prie*?
- Ah*! Fhiongan le Ru… Fhiongan Belbesan.
- Fort bien, messire Belbesan. Qu’avez-vous à nous dire*?

- Ben voilà. J’étais en voyage, depuis la ville de Mélandis, et les concirstan… circonstances ont fait que je me suis retrouvé un peu vite dans un endroit passablement désert et très froid…
- Quelles circonstances*? Quel endroit*?
- Faut me laisser causer comme je veux, hein, la p’tite dame. Déjà qu’être ici, moi, hein*!
- Hem. J’entends bien. Soyez juste un peu plus précis*! Et moins insolent*!

Fhiongan se râcla bruyamment la gorge et reprit son récit.

- Rien de bien grave, sauf que quand on entourloupe un type au jeu, faut juste veiller à ce qu’il ne soit pas un mage. Ou alors, juste débutant. Bref, le type m’a envoyé assez loin, vert de rage.

Malvinaë Haltevive commençait à se demander si le sieur Belbesan allait enfin en venir au fait.

- Donc j’me retrouve dans un endroit glacé, glacé mais bien, à vous ratatiner les grelots. Je fais quelques pas et j’me trouve en plein dans une sacrée bagarre. J’me suis planqué vite fait, autant vous dire*! Les types étaient sacrément nombreux, près de trois centaines…

A ce moment-là, tout le monde avait une vague envie de casser la figure au témoin. Dame Malvinaë soupira, Sylveneige finit par lâcher ce que tout le monde pensait – avec un peu plus de réserve*:

- Si vous ne voulez pas qu’on vous tombe dessus à bras raccourcis, ça vous gênerait de dire ce qu’on attend sans trop tourner autour du pot*?
- Ouais ma p’tite. Faites queq’chose, ce soir*? Bon, les types les plus petits, des Orcs et des Barbares, étaient les plus nombreux. Ils se battaient bien, mais contre des types deux fois plus grands qu’eux c’était peine perdue. Les autres, c’étaient des Géants de givre*! c’est là que j’ai compris où j’étais, sur l’Epine Dorsale du Monde. Foutrecul*!
- Si vous pouviez éviter les jurons…
- Ouais ouais, ça va. Bref, les plus petits se sont fait ratatiner par les plus grands. Les Géants les ont quasiment tous tués*! Ils ont dû garder les plus beaux pour leur collection d’esclaves. Sûr.

Un silence accueillit le témoignage de Fhiongan. Quelques minutes passèrent, puis dame Malvinaë énonça lentement*:

- Donc le clan des Orcs et des Barbares a été à son tour massacré… Nous sommes vengés.
- On le dirait bien. Bon, dites-moi si l’auberge a maintenant l’intention de rouvrir, j’ai vaguement soif…
- Merci messire Belbesan. Je crois que, malgré leur côté insolent, vos paroles ont ramené la sérénité.
- Ah, euh… Ouais. Tant mieux.

Fhiongan sourit de toutes ses dents jaunâtres. On entendit le frémissement bavard de la foule qui échangeait des impressions sur le procès.

- Silence, je vous prie.

Malvinaë Haltevive attendit un bref instant, tout le monde se calma. Elle reprit*:

- A l’issue de ce procès, il est entendu*: que le couple orc, bien que ne s’étant pas présenté au procès, semble ne pas appartenir au clan du massacre de Mithral Hall*; que le clan ayant été à son tour massacré dans les terres du Nord, les caravaniers peuvent être considérés comme vengés*; je déclare donc le couple orc relaxé eu égard au fait qu’il n’appartient pas – ou plus – au clan coupable de la tuerie.

Les murmures reprirent de plus belle. Les villageois ne semblaient certes pas convaincus. On sentait qu’en cas de nouvelle rencontre avec les Feuilluchênois, le couple orc courrait des risques.

Lentement la salle se vida, comme si l’on regrettait de n’avoir pas entendu davantage de témoins, davantage d’explications. Quelqu’un aborda Sylveneige pour lui demander de bien réfléchir et de dire si elle se souvenait d’autres points importants. Dame Malvinaë dut prendre l’importun par le bras pour le faire sortir.

Enfin tout fut terminé et la rôdeuse sourit à la soirée qui l’attendait avec le beau capitaine de Lunargent.

Que dire de la soirée, puis de la nuit*? Elles furent parfaites pour bien du monde.

Malvinaë Haltevive passa une soirée très agréable avec son amie Ysaure de Blanchemain suivie d’une nuit paisible.

Fhiongan passa également une très très bonne soirée*; sa nuit fut quasi comateuse, les nombreuses bières ayant fait leur effet.

Sylveneige et Léante eurent la chance d’obtenir une table isolée de la grande salle de l’auberge. Ils dînèrent délicieusement, les yeux dans les yeux*; le capitaine eut la finesse de ne pas se montrer insistant – la nuit fut chaste.

Chaste n’est certes pas le mot de la soirée ni de la nuit que passèrent les autres voyageurs. Eldurvellir, toujours sous le nom d’Eric Legris, et Seroaunk furent comblés. Léanna et son amie Penthéa savaient recevoir*: les sens furent à la fête… Ce fut une orgie telle qu’elle reste irracontable encore à ce jour.
Ce ne fut que le lendemain matin, au petit déjeuner, que Penthéa et Seroaunk racontèrent le procès à ceux qui en avaient été absents.

- J’y suis allée, mais lorsque je me suis rendue compte qu’on ne verrait pas les Orcs accusés, j’ai quitté la salle. Je ne voyais pas l’intérêt de rester alors que les protagonistes de l’affaire faisaient défaut à leur propre procès*! Et enfin il fallait bien que j’aie du temps pour préparer la fête*!
- Tu as eu tort, ce n’était pas inintéressant…

Penthéa avait une grande qualité en plus de ses indéniables qualités physiques, elle savait divinement raconter.

- La rencontre du geôlier avec la vraie vie a dû lui faire bien mal. Il ne s’est pas rendu compte qu’un couple orc était plus intelligent que lui, tout à ses nécessités vitales qu’il était*! Ah*! Méditer*! Art majeur elfe…

Les rires commencèrent à fuser.

- C’est vrai, méditer est si important pour un elfe de bonne lignée*! Histoire de ne pas trop stresser lorsqu’on a la difficile mission de garder deux Orcs. Deux affreux méchants, soigneusement enfermés dans la prison la plus sécurisée de Haute-Forêt*!

Seroaunk se tenait les côtes. Eldurvellir souriait, vaguement inquiet du fait qu’on ait pu déterminer si les orcs avaient eu un complice. Il attendait la suite avec impatience, sans oser trop le montrer. Le guerrier orc reprit son souffle pour murmurer*:

- Et la cerise sur le gâteau, ne l’oublie pas…
- Ah non*! Bien sûr*! l’elfe qui vous accompagnait…
- Sylveneige…
- Oui, c’est elle qui a découvert le geôlier saucissonné*! Et elle a dit qu’il était après rentré chez lui pour manger*!
- Non*? Quel idiot*! Il n’a même pas eu l’idée d’aller prévenir la garde*?
- Mais c’est ça l’extraordinaire*! Il a demandé à Sylveneige d’aller faire son boulot*! Elégance et finesse…

Tous éclatèrent de rire une nouvelle fois. Le visage mobile de Penthéa prenait les expressions les plus improbables, imitant tantôt le geôlier indélicat, tantôt l’agacement de Sylveneige, tantôt la surprise de l’audience.

Ensuite Penthéa décrivit le témoin imprévu.

- Laissez-moi vous décrire le sieur Belbesan*! Pas mal fait de sa personne, le teint bistre et le cheveu roussâtre, les dents affreusement jaunies par la chique… Un beau parti, assurément, même si le langage fleuri du personnage risque de décourager les futures belles-mères…

Ce fut à peine si on entendit toquer à la porte, tant les rires étaient devenus bruyants. Personne ne pensa à aller ouvrir. Eldurvellir se demandait s’il ne connaissait pas ce Belbesan. La description de Penthéa lui rappelait quelque chose.

A ce moment, on vit le bouton de la porte qui menait à l’escalier tourner lentement.

Le coeur d’Eldurvellir manqua un battement*: et si c’était l’autre affreux, là, le capitaine de Lunargent*? Ah, je serais frais… Il fut tout à fait rassuré lorsqu’un petit garçon et une minuscule chauve-souris se jettèrent l’un dans ses bras, l’autre dans son cou.

- Tu es venu pou m’emmener*!
- Oui mon Titi*! Tout juste*! Mais on ne peut pas faire comme prévu.

Il embrassa l’enfant et murmura*:

- Léanna, que peut-on faire*? Eric Legris est officiellement parti…
- C’est très possible que j’accompagne Titi jusqu’à son nouveau père. Mais le fait que les démarches officielles ne soient pas faites par l’adoptant risque de rendre les choses plus difficiles, je ne te le cache pas.
- Ne puis-je pas les faire à sa place*?
- Oui, bien sûr, mais je crains que l’opinion publique soit assez remontée contre les Orcs en général et que dame Malvinaë ne l’autorise pas justement à cause de cela… Il vaudrait mieux que ce soit Sylveneige qui fasse ces démarches. Elle inspire confiance et aime beaucoup Titi.
- Pourquoi veux-tu partir avec Eric, Titi*?
- Ze veux deveni maze.
- Ah*! Mais tu pourrais être initié ici, à Chêne-Feuillu*!
- Nan. Ze veux pati avec hui.
- Hui*? Ah, lui*!

Tous rirent. Tirigh, vaguement vexé, cacha son visage sur la poitrine d’Eldurvellir qui le cajola.

- Et dire qu’il serait si bien avec Sylveneige*! Elle lui apprendrait les soins aux animaux, lui qui les aime tant*!
- On ne peut jamais savoir… Il a probablement un destin qu’on ignore, cet enfant, toi seul peut lui ouvrir la voie à ce destin.

Tous se tournèrent, surpris, vers Penthéa.