La Couronne de Cuivre

" Vous savez, des permutations de ce genre, il y en a treize à la douzaine, dans les romans, dit doucement Elsa. Evidemment, cela vous frappe directement, parce que vous le vivez. Mais les gens ne s'en rendront pas compte, eux. Des maris, des amants, des morts brutales, des enfants qui ne sont pas du bon lit, des héritages, des secrets, des trahisons... C'est un peu la même chose dans les chansons de barde, non ? On n'identifie pas forcément les protagonistes."
Elle se tourna vers la table du buffet.
" Haran aussi, s'inspire de faits réels, en général. Bon, il les métamorphose tellement et il rajoute tellement de boyaux qu'ils en deviennent méconnaissables... mais il aime bien ancrer ses horreurs dans le monde. Je fais la même chose. Mais en musique, évidemment, c'est toujours plus discret."

-Je suis bien d'accord avec ce que vous dites et, effectivement, je suis bien placé pour savoir comment ça marche. Simplement, je craindrais, dans le cas d'une inspiration trop directe et d'une lublication trop rapide, que cela ne soit pas très bien vécu... Mais j'anticipe et je m'inquiète trop. Je suis certain que messire Saugeverte fera au mieux.
De toute façon, c'était hors de son contrôle.
Toutefois, il se garderait de trop en révéler au halfelin et à son épouse - qu'il trouvait par ailleurs fort sympathiques.

" Ne vous inquiétez pas... Il n'a pas un lectorat si étendu... et pas concentré dans la région." dit la musicienne en se levant.
Elle alla convaincre sa fille de se lever et ensemble elles se rendirent au buffet. Haran et Victor en étaient déjà revenus et s'étaient installés côte à côte à table. Le gamin semblait avoir perdu toute réserve et l'écrivain l'écoutait tout en mangeant, un sourire en coin sur les lèvres. Baptiste, de son côté, s'était écarté vers une commode, en compagnie de son père. Aucun des deux ne semblait très prolixe pour l'heure, ils avaient même l'air fortement embarrassés, presque miroir l'un de l'autre. Ancolie Saugeverte passa près du barde.
" Vous devriez aller vous servir : il ne restera rien, sinon !"

-Vous avez raison : merci du conseil, répondit-il, aimable.
Lorsqu'il se serait servi, il se mettrait en quête d'interlocuteurs. Il ne voulait pas, en effet, déranger Baptiste et son père. Ni Victor, d'ailleurs, quoiqu'il espérât qu'il ne soit pas en train de raconter toute leur vie.
Heureusement, ce n'était pas comme si les personnes avec lesquelles discuter manquaient !

Le buffet paraissait délicieux : il y avait du saumon frais et de la truite fumée, des oeufs de caille et des quiches variées, trois sortes de soupes fumantes aux couleurs disparates, du faisan rôti, deux pâtés en croûte, un jarret de sanglier dont on pouvait trancher le jambon cru, des salades de légumes variés, feuilles vertes, tubercules oranges ou blancs en bâtonnets, du pain blanc, du pain noir, des confits d'oignons et de figues, des champignons poêlés, des pommes et des poires confites, du riz sauvage, des panais, des scorsonères, des dés de courge et mille fromages. Et bien sûr du miel. Inévitablement. Huit sortes, étiquetées avec soin.
Ce n'était pas un festin de roi, mais c'était sans doute ce qu'on pouvait trouver de mieux chez un nobliau de la région.
Taliesin n'avait que l'embarras du choix. Il pourrait aussi, ensuite, décider de rejoindre Victor et Haran à table, où s'étaient installées Elsa et Miranda, ou retourner au salon, où les deux halfelins et la poétesse, Georgina, s'étaient assis autour de la table basse.

Se ravisant finalement, c'est pour le premier de ces deux groupes qu'il opta lorsqu'il se fut servi. Il y avait là un peu plus de monde, dont un Victor très bavard, un écrivain qui semblait pouvoir l'être tout autant si on lui en laissait la possibilité, ainsi qu'une musicienne avec qui il pourrait parler de ce qui avait longtemps été sa principale activité : bref, les chances étaient moindres qu'il soit le centre de l'attention et que les discussions tournent principalement autour de Baptiste. Et c'était tant mieux !

Taliesin fut accueilli par des sourires, de Haran comme d'Elsa, et il s'assit juste entre deux, face au mur et à un tableau qui représentait la lande, le manoir et une tour un peu plus loin. Les enfants avaient pris les bouts de table et s'observaient de temps en temps. Victor reportait ensuite son attention sur Haran et Miranda sur le fond de son assiette.
" Victor me confirmait que vous êtes bien le Taliesin de Luménis, dit Haran avec un air malicieux. Je m'en doutais, je dois dire. Je ne sais pas si c'est un prénom courant chez les elfes du soleil, mais vous n'êtes pas bien nombreux dans cette région du monde...
— Le Taliesin de Luménis ?" demanda Elsa, curieuse.
Haran eut un léger haussement d'épaules.
" Barde. Célèbre.
— Oh. Je suis navrée de n'avoir jamais entendu parler de vous. Mais je dois dire que je ne suis pas trop ce qui se passe à la capitale. La scène musicale là-bas est trop... moderne pour moi."

-Vous ne devez pas être navrée, répondit-il, souriant. Non seulement je ne suis pas si connu que ça mais, de surcroit, cela fait bien longtemps que je ne me suis pas produit dans la capitale...
Sans doute Haran faisait-il référence à une autre forme de célébrité - dieux, pourvu que Victor n'en ait pas trop dit... - mais il préférait faire comme s'il n'avait pas compris.
-Je n'ai jamais rencontré d'autre Taliesin, reprit-il en se tournant vers l'écrivain. Mais comme je n'ai somme toute passé que très peu de temps parmi les elfes, ça n'est guère significatif...

" Elstephann, c'est un prénom elfe aussi, non ? demanda Elsa en se tournant vers l'auteur de romans horrifiques.
— Effectivement. Mais j'ai du sang elfe. Une lubie de ma mère pour célébrer une étreinte. Je dois avouer que j'ai hésité à me trouver un pseudonyme, mais quand je me suis lancé, ça n'a pas paru très utile... Je n'ai jamais pensé que je serais lu comme je le suis aujourd'hui.
— Moi non plus, je ne l'aurais jamais cru." railla-t-elle.
Il rit sans se vexer. Manifestement, il avait l'habitude.
" Qu'y puis-je, si les gens aiment se faire peur ?
— Vous pourriez quand même baser vos histoires à Mélandis ou, je ne sais pas, en Outreterre ! Là, vous peuplez Hélonna d'horreurs !
— Mais c'est ça qui plait aux gens. Si je faisais arriver mes monstruosités à Mélandis, ce serait tellement loin que ça perdrait son impact. Et puis je n'ai jamais été à Mélandis. Je n'aime pas écrire sur des choses que je ne connais pas."
Il jeta un oeil à Taliesin, signe que, comme le barde l'avait deviné, l'écrivain était curieux de son parcours. Il s'adressa ensuite à lui.
" Vous qui avez des enfants, vous devez être témoin du goût, précoce, des gens à se faire peur."

Il opina du chef.
-Cela dépend des cas mais oui, c'est assez répandu, y compris parmi les plus jeunes. D'ailleurs, en bien des lieux, nombre des histoires narrées lors des veillées sont horrifiques : cela satisfait ce goût et cela sert aussi, souvent, de mise en garde : les comportements qu'il faut éviter, les lieux dont il vaut mieux se tenir à l'écart, ce genre de choses.

« Je dois avouer que ce n'est pas mon style, les histoires moralisatrices... Il y en a déjà tellement !
— Moi j’adore les histoires qui font peur ! » s’exclama Victor.
Il eut un sourire un peu bravache.
« Après, j’ai vu des choses qui font vraiment peur. La dernière fois, c’était une sorcière ogresse qui avait fait la gentille mais qui voulait manger des enfants, alors on a dû entrer dans son antre parce qu'elle avait attrapé notre ami Titus et il y avait plein d’animaux prisonniers et on les a libérés et puis…
— Ce garçon a beaucoup d’imagination. » remarqua Elsa en haussant les sourcils.
Haran paraissait fasciné.
« Je ne crois pas que ce soit de l’imagination, dit-il d’un ton badin. Cette histoire-là est un peu trop… fantastique pour moi, mais j’ai comme l’impression que ce jeune homme a de la matière… s’il est prêt à la partager.
— Il y a eu aussi la sorcière qui voulait manger Taliesin avec du miel.
— Quelle horreur.
— Une sorcière de la région, à n’en pas douter. Dites-moi, Maître Taliesin, est-ce que ce garçon est à prêter ? Juste un jour ou deux ? Ce n’est pas que je manque d’inspiration, mais quand on a une telle source à disposition, ça parait presque criminel de la laisser passer… »
Il eut un léger sourire.
« Après, je serais ravi de vous accueillir tous les deux… ou tous les trois…
— Baptiste n’aime pas les histoires qui font peur, lui. Pourtant il a même rencontré un vampire à Mélandis !
— Trop cool ! » intervint brusquement l’adolescente, qui se tourna sur sa chaise pour regarder Baptiste, toujours aux côtés de son père.
La discussion de ce côté-là ne semblait pas démarrer mais ils paraissaient, Maurin comme Baptiste, un peu plus détendus.

-Merci pour votre invitation, dit-il à Haran. Je ne peux vous répondre dans l'immédiat, ne sachant pas quel sera notre programme dans les jours à venir. Mais pourquoi pas...
Il adopta un air pensif.
-En revanche, je ne sais pas s ic'est une bonne idée de vous raconter toutes nos aventures. Après tout, puisque le goût pour la peur est si courant, je devrais peut-être me mettre à écrire des histoires pour le satisfaire...
Il plaisantait, cela se voyait. Toutefois, il y avait là-derrière un message caché. Un message qui, l'espérait-il, serait saisi par Victor, auquel il adressa d'ailleurs un regard en coin.
Mieux valait ne pas trop en raconter, même si cela n'avait aucun rapport avec des projets littéraires.

" Laissez-moi de l'avance ! s'exclama Haran. Vous êtes elfe, vous pourrez encore écrire dans cent ans ! Moi je n'en ai plus tant que ça..."
Elsa leva un sourcil.
" Mais vous avez déjà écrit assez de bouquins ignobles pour remplir toute une vie. Vous pourriez vous arrêter.
— Ah, on ne s'arrête que quand on est à sec. Je ne suis pas à sec. Vous n'imaginez pas le nombre d'idées qui me viennent... plus le nombre d'idées que mes lecteurs m'envoient. Il y en a de drôlement tordus dans le tas. Parfois, je dois avouer que j'en signale aux autorités. C'est rare, mais quand ça sent trop le vécu... Il faut savoir faire la distinction entre la réalité et l'imaginaire, et manifestement, ce n'est pas l'apanage de tout le monde."
Victor avait rendu son regard en coin à Taliesin, assorti d'une grimace. Il n'avait pas l'air de comprendre pourquoi il devait s'arrêter mais, à l'instant présent, il était silencieux. Cela ne durerait peut-être pas longtemps.

Qu'importe : il ne voulait en aucune façon obliger le gamin à se taire. Il souhaitait juste qu'il n'aborde pas certains sujets. Par exemple la libération de Baptiste : c'était à celui-ci qu'il appartenait d'en parler, et son père devait en avoir la primeur. Ou encore ce qui s'était passé suite à son évasion de la mine de Gargouille : cela amènerait leurs interlocuteurs à poser trop de questions.
Mais si Victor n'osait plus rien dire, il veillerait à le lancer sur certains épisodes autrement moins problématiques.

Puisque Taliesin ne disait rien et que Victor avait été rappelé à l'ordre, les convives se recentrèrent un moment sur leur repas. Il restait de la place à table et Baptiste et Maurin vinrent s'installer. L'adolescente jetait des regards intrigués à Baptiste mais elle ne l'interrogea pas sur le vampire.
" Il parait que vous partez en tournée, Elsa ? dit Maurin, conscient que personne ne parlait.
— Oui, d'ici une petite veille, j'espère. Nous allons remonter la Trouée jusqu'à Lunaros, puis continuer jusqu'à Correliah.
— Vous allez être partie six mois !
— Je ne suis pas spécialement triste de manquer l'hiver, je dois dire."
Elle se tourna vers Taliesin.
" Pendant la pire partie de la saison, cet endroit est coupé du monde pendant des jours entiers.
— Nous nous en sortons toujours très bien ! protesta Maurin.
— Vous devriez vendre, Maurin. Vous le savez.
— Nous avons déjà eu cette discussion. Je n'en ai pas l'intention."
Elle secoua la tête mais n'ajouta rien, retournant à sa soupe au potiron.

-Je peux comprendre que vous soyez tant attaché à votre demeure, malgré les inconvénients que représentent son isolement et ses difficultés d'accès, intervint-il.-Ce n'est pas rien qu'une maison de famille, surtout quand elle est aussi ancienne : beaucoup de souvenirs, beaucoup d'histoires y sont attachés.
Il sourit.
-De surcroit, elle ne manque pas de cachet. Le souterrain, par exemple, est des plus intéressants. Victor et moi avons beaucoup apprécié.
Et d'adresser un clin d’œil au gamin.

" Ah le souterrain, dit Maurin avec un sourire. C'est un vestige des premiers temps, apparemment, quand le temps était parfois encore pire qu'aujourd'hui."
Le tonnerre roula au dehors, comme pour lui donner tort.
" Il n'est pas très tortueux, cela dit : il mène au cottage et aux caves du manoir, et il y a deux autres embranchements, mais qui sont condamnés aujourd'hui. L'un des deux est complètement écroulé : il l'était déjà dans mon enfance et je ne sais pas exactement où il mène.
— Peut-être au trésor ?" dit Elsa, d'un air moqueur.
Maurin leva les yeux au ciel tandis qu'Haran gloussait.
" Il n'y a pas de trésor. C'est un délire de certaines personnes de la région. Il faudra sans doute que je déblaie tout ça pour le leur prouver, un jour, mais j'ai franchement d'autres chats à fouetter. L'autre embranchement est barré mais en fait praticable : il mène à l'ancienne tour. Mais comme elle est en ruines, c'est dangereux d'aller jusque là, on ne sait jamais quand elle va s'effondrer."

-Une tour en ruine, un souterrain à déblayer dont on ne sait où il mène, une histoire de trésor... Voilà qui est intéressant. Très intéressant, même.
Il sourit.
-Voilà ma curiosité piquée. D'autant que je suis certain qu'il ne s'agît pas là des seuls mystères de cette demeure.

" Et en voilà un autre, ferré par les mystères d'Averlande !" s'exclama Haran en riant.
Maurin grimaça.
" Ce n'est qu'un domaine. Humide et à moitié en ruines. Enfin. Il a ses charmes.
— Parlez-lui des pierres dressées, du vieux sanctuaire !
— Personne n'est sûr qu'il s'agit d'un sanctuaire ! protesta le maître des lieux.
— Mais si, avec tous ces symboles cabalistiques ! Que voulez-vous que ce soit ?"

-Quelle curieuse coïncidence... fit le barde, amusé. En effet, la dernière fois que je suis parti en voyage, c'était à la demande d'un clerc de mes amis : il souhaitait que j'étudie, pour son compte, des ruines récemment découvertes et gravées d'étranges symboles...
Maintenant qu'il y songeait, Mathieu avait dû parler de ces pierres levées, dans sa lettre. Mais il n'avait guère prêté attention à ce détail. Lequel, désormais, piquait sa curiosité, quoique les chances soient faibles pour qu'il s'agisse du même genre de vestiges que dans la vallée du Nirvana.

" Alors vous allez être servi, dit Haran. Il y a des cercles de pierres et des vestiges absolument partout. Un cartographe a essayé de les compiler, il y a de ça... quoi... deux ans ? Il en a recensé plus de quatre cents rien qu'autour d'Athrey.
— Si le temps le permet, vous pouvez aller les voir demain matin, ajouta Maurin. Elles ne sont pas difficiles à trouver. Mais honnêtement, ce n'est pas le site le plus beau du coin. Je crains qu'on en ait usé les pierres pour rafistoler le manoir à plus d'une occasion.
— Il y en a tellement que c'est difficile de juger de leur valeur historique, commenta Haran.
— Mais elles ont un cachet romantique. Et beaucoup leur attribuent un rôle religieux, compléta la musicienne. Il me semble qu'un des ensembles les plus beaux se trouve sur votre domaine, Elstephann, je me trompe ?
— Vous ne vous trompez pas. On les appelle les Six Nymphes au Linceul. J'ai acheté la propriété à cause d'elles. Elles sont très inspirantes."

Taliesin se frotta le menton, songeur.
-Existe-t-il des légendes expliquant les particularités de la région ? Parce qu'entre sa topographie, son climat et la présence de multiples ruines mystérieuses, on la croirait tout droit sortie de l'imagination d'un auteur de romans d'épouvante. Or, d'ordinaire, face à des spécificités locales très marquées, on raconte souvent des histoires tentant de leur trouver une cause. Concernant Athrey, il porrait s''agir, par exemple, d'une antique malédiction, d'un drame ancien ou de la présence d'un être maléfique...

Tous les locaux se tournèrent vers lui, surpris.
" Pourquoi maléfique ? dit alors Haran. C'est joli, les ruines. Et avant, c'en était pas, d'ailleurs, des ruines.
— Il y a du soleil, parfois, vous savez, ajouta Elsa.
— J'ai l'impression que vous avez une vision très sinistre de la région. On produit du miel, surtout. De la cire. Les abeilles, c'est pas morbide, si ?"

Bigre : alors qu'on ne cessait de lui répéter que la région inspirait les artistes amateurs d'horreur, de gothique ou de fantastique, que plusieurs étaient présents dans cette pièce et que lui-même avait pu constater le côté sinistre de la région, voilà qu'on s'offusquait qu'il en fasse mention ! C'était à n'y rien comprendre.
-Je vous présente mes excuses si vous avez trouvé mes propos offensants : veuillez croire que ce n'était pas leur but, dit-il néanmoins, diplomate. Je voulais simplement parler de l'atmosphère particulière de la région qui inspire tant les artistes et qui la distingue du reste de la Trouée.

" C'est de ma faute, dit Haran. Les gens croient que j'écris des horreurs parce que j'habite ici. Mais en fait, j'ai écrit mes six premiers romans à Correliah, dont je suis originaire. Les Landes, voilà un endroit vraiment... sinistre.
— C'est vrai que les gens sont frappés par la beauté des lieux... et leur caractère... mais généralement on parle plus de romantisme que de... manifestation démoniaque...
— Mais je peux comprendre que ce soit l'impression que ça donne, dit Maurin avec un soupir. Quant on y vit, c'est fatalement un peu différent. Et c'est vrai qu'une partie des gens de passage espèrent voir un fantôme ou une goule. Mais je ne crois pas qu'il y en ait plus qu'ailleurs."

Les Landes, pires qu'ici ? Il le croyais volontiers mais cela lui donnait tout sauf envie d'y mettre les pieds.
-On peut trouver ce genre de créatures absolument partout, même dans les lieux d'apparence les plus charmants qui soient. J'en ai fait l'expérience.
N'avaient-ils pas eu affaire à un fantôme à l'orée de la Lorien, dans la retraite paisible qu'ils s'étaient choisie après leur fuite de Luménis ?

" C'est d'ailleurs ce qui fait le bon ressort d'une histoire horrifique !" s'exclama Haran joyeusement.
Elsa secoua la tête.
" Vous êtes toujours tellement sinistre, Elstephann,
— Ne me dites pas que vous n'avez jamais rien vu ! Le revenant de la fontaine des goujons, a minima ?
— C'est juste une grosse oie !
— Mais fantôme quand même.
— Fantôme, oui. Pffff.
— Moi j'ai un crâne de faucon fantôme, intervint Baptiste.
— Vraiment ? s'exclama Haran. Où l'as-tu trouvé ?
— Heu... A Mélandis, en fait."
Ce qui jeta un léger froid sur la table.

Bon, il ne pouvait faire l'économie d'une petite explication...
-Comme beaucoup de Luméniens durant la dictature, Baptiste a été déporté dans l'empire mélandien. Mon épouse a subi le même sort, et s'est en allant la chercher que je l'ai rencontré. Grâce aux dieux, nous avons tous pu rentrer sains et saufs sur Helonna.
Il sourit.
-Quant au crâne, il n'est ni maléfique, ni dangereux : je m'en suis assuré auprès de clercs des plus compétents.
Restait à espérer que cette dernière remarque ferait un peu dévier le cours de la conversation et détendrait l'ambiance. Il ne voulait pas que Baptiste regrette sa prime intervention publique : ce serait fort oommage.

Haran échangea un bref regard avec Taliesin puis se fendit d'un sourire.
" Je suppose que tu ne l'as pas amené, le faucon fantôme ?
— Non, je le laisse le plus souvent à la maison. Pour veiller sur les plus jeunes.
— Un faucon fantôme pour veiller sur les plus jeunes ? C'est original. Mais c'est un totem puissant, je suppose.
— Moi j'ai apporté mon fulcifer, cela dit, annonça Victor.
— Qu'est-ce que c'est, un fulcifer ? demanda Elsa.
— C'est une sorte de lézard qui change de couleur !"
Si le reste de la tablée paraissait se relancer, Maurin, de son côté, semblait avoir plus de mal à reprendre la conversation.

Taliesin était sincèrement désolé pour lui. Mais il ne voyait pas commet il aurait pu éviter un minimum d'explications : s'il s'était concentré sur le crâne, s'il avait éludé les raisons de la présence de Baptiste à Melandis, les convives auraient peut-être voulu en savoir plus et il n'aurait pu aussi aisément revenir à un sujet moins anodin...
-Victor l'a gagné auprès d'un bateleur, à Luménis, reprit-il. Sauf qu'à l'époque, ce n'était qu'un œuf et que nous nous demandions ce qui pourrait bien en sortir. Même lorsqu'il a éclos, nous n'avons pu identifier son espèce. Heureusement, à Eredhun, nous avons mis la main sur un livre fort instructif.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Domaine d'Averlande