La Couronne de Cuivre

Il n'y avait que prêtres et gardes, dans le temple. Les fidèles n'étaient pas encore présents, vu l'heure. Les discussions allaient bon train, et personne ne prêtait pour l'instant attention à Sheaxie. Ses oreilles dressées guettaient les paroles échangées.

Les rumeurs se faisaient précises. Un assaut contre le clergé d'Aurile était prévu ; le temple avait déjà été attaqué quelques nuits plus tôt, mais la plupart des prêtres et acolytes s'étaient enfuis, ou ne se trouvaient pas au temple au moment de la bataille... la Fille du Gel étant une déesse difficile à maîtriser, et rivale d'Umberlie en terme de puissance et de faveurs vis-à-vis de Talos, Umberlie se devait de prendre l'initiative, d'autant qu'elle n'avait pas encore subit d'affront. Un avantage à conserver, justement en écartant les concurrents...

Sheaxie était toute ouïe, et avait pu récolter ces informations, certes lacunaires, mais intéressantes, en quelques minutes. Restait à savoir quand, et où l'offensive aurait lieu...

HRP : te voilà face à un choix intéressant : soit tu t'allies aux umberlites et tu les suis, soit tu essaies de prévenir les aurilites du sort qui les attend...

La demi-orque se gratta le crâne, pensive. Elle était tombée sur du lourd, du très lourd, restait à savoir qu'en faire. Il ne s'agissait pas simplement de décider ou non d'aller prévenir les Aurilites. Elle n'avait que ce qu'elle avait entendu, et c'était une preuve difficile à vendre. Et prévenir le temple d'Aurile impliquait de prendre des risques avec les Umberlites. Minimes, elle n'était pas connue, mais des risques tout de même. Et faire chanter les Umberlites était une perspective séduisante, mais encore plus dangereuse. Assurément, l'église de la Reine Garce était riche, mais il restait à savoir si elle était prête à plier sous la menace. Probablement pas, mais c'était dur à déterminer. Umberlie craignait-elle Talos? Sûrement, mais Talos n'avait rien vu venir et était à présent affaibli à Mélandis, si son temple avait vraiment été détruit. Craignait-elle Aurile? Elle n'en savait rien. Les dieux étaient des créatures compliqués -surtout ceux en dehors du panthéon orque, et elle n'avait jamais vraiment pris la peine de se renseigner à leur sujet. A quoi bon? Les dieux n'avaient pas de poches à vider. Et pour ce qu'elle en savait, ils n'avaient jamais rien fait pour elle. Les prêtres, c'était différent. Pas forcément plus évident, mais au moins on savait à quoi s'en tenir avec les mortels.
Bien. Prévenir les Aurilites, faire chanter les Umberlites? Aucune des deux solutions n'était évidente, et dans les deux cas, il faudrait bluffer, au moins en partie. A moins de se rallier aux conspirateur? Et sous quel prétexte? Elle trouverait bien. Au moins c'était une alternative moins dangereuse que les deux autres. Elle prit une expression boudeuse. C'était peut-etre une option moins lucrative, aussi. La demi-orque renifla et décroisa les bras. Rester en vie n'avait pas de prix. Elle ignorait en revanche si les Umberlites engageaient. C'était peut-être un peu naïf que de penser que les sbires d'Umberlie allaient lui faire un pont d'or. Mais elle venait de se décider. On pouvait toujours trouver une utilisation à une espionne demi-orque.

Autour d'elle, les groupes se faisaient, se défaisaient... mais guère plus de détails ne parvinrent à ses oreilles. Lui manquaient toujours des éléments vitaux pour comprendre la situation et savoir quand l'action aurait lieu. Elle pouvait évidemment tenter de se rapprocher, mais elle songea fugacement que les prêtres devaient être méfiants, en cette période apparemment incertaine.

Elle en était à ce point dans ses réflexions lorsqu'un acolyte la heurta dans le dos. Le maladroit recula d'un bon pas, tandis qu'elle se retournait sur lui, et il bredouilla :

"Euh... excusez-moi, mais je ne vous avais pas vue..." Il hésita, puis poursuivit. "Ma dame, que puis-je faire pour vous ? Je ne vous ai jamais vue au temple."

L'homme était petit, rondouillard, et portait une immense barbe grise broussailleuse. Il parlait lentement, et malgré la première impression de couardise qu'il dégageait, il était jovial.

"Êtes-vous ici pour rendre gloire à la Reine Garce ? Je connais un de vos congénères qui est prêtre, ici... même si ses occupations le rendent assez invisible au temple, ces temps-ci. C'est bien dommage, il est aimable. Mais, je bavarde, je bavarde... de quoi avez-vous besoin ?"

Il semblait intarissable.

Elle dut baisser le regard pour croiser celui du petit homme et réfléchit un instant à ce qu'elle allait dire. Il ne s'agissait pas de savoir comment parler à un prêtre, il s'agissait de lui faire dire le surcroît d'informations qui lui manquait.
"Un de mes congénères, dites-vous? C'est plutôt étonnant."Elle se passa la main dans la nuque."Mais j'oublie votre question. Je... Me suis sentie attirée ici."C'était vrai, dans une certaine mesure. La demi-orque passa sur le sujet. Le prêtre n'avait pas vraiment le profil d'un inquisiteur, et avait visiblement posé la question pour meubler la conversation. Sheaxie reprit sur l'autre sujet, nettement plus intéressant à son goût, sans toutefois prendre de précautions particulières.
"Vous devez savoir que 'nous autres', nous ne devenons que rarement prêtres. Je suis curieuse à propos de votre collègue. Je pensais qu'avec l'activité qui règne ici... Tous ces prêtres... Enfin, on voyait tout le monde, quoi. Et vous me dites qu'il en manque encore! Umberlie a beaucoup de suivants, visiblement. "
Elle estima son entrée en matière particulièrement maladroite. Tant pis. La demi-orque ignorait encore dans quoi elle s'engageait, et ce n'était peut-être pas une idée excellente de mettre les deux pieds dans le plat dès le départ, mais ce qui était dit était dit. Et le fait que le prêtre ait mentionné un "congénère", un demi-orque, déstabilisait Shea. Traiter avec les demi-orques était différent de traiter avec les autres races. Et elle se demanda fugacement ce que l'un des "siens" pouvait faire comme prêtre, surtout d'Umberlie, avant de rappeler à sa propre conscience qu'elle était mal placée pour avoir des préjugés.

Le prêtre sourit aimablement face à la maladresse sympathique de la demi-orque. Même si son apparence brute et ses traits grossiers ne la rendaient vraiment pas belle à voir - sans compter son teint plus vert que chair et le soupçon de moustache qui ornait sa lèvre supérieure - elle était d'un abord intéressant. Il répondit :

"Duorok passe régulièrement ici, mais il s'occupe d'affaires... il gère un commerce, ou quelque chose du genre. Ces derniers jours, il n'est pas passé très souvent, mais je gage qu'il reviendra bientôt. Les... ah, les évènements récents posent des soucis à tout le monde..."

Il perçut le haussement de sourcils de Sheixa, et se fit un plaisir de l'informer de la situation en cours.

"Vous ne semblez guère d'ici, ma dame. Le temple de Talos a été ravagé par les flammes, voici deux nuits. Les coupables ne sont pas totalement identifiés, mais nous avons la certitude qu'il s'agirait là de l'œuvre de cyrinishades. Probablement appuyés par des suivants d'autres cultes... mais je ne veux pas vous ennuyer avec nos soucis. Peut-être voulez-vous rester seule pour prier ? Ou avez-vous besoin d'être guidée en ville ?"

hrp : désolé pour le retard, je ne pense pas pouvoir poster avant samedi

hrp: Aucune problème, je comprends.
"Les cyrinishades, hein? Cela ne m'étonne guère de leur part."
Fit-elle avec un haussement d'épaules. Elle ne savait pas grand-chose de Cyric et ses sbires, mais si la rumeur populaire voulait que ce soit eux, alors ce serait eux.
"N'est-ce pas folie que de s'en prendre au dieu tutélaire de Mélandis? J'veux dire... Ceux qui ont fait ça ont une sacrée audace. Ca n'vous inquiète pas, vous autres prêtres? S'ils s'en sont pris à Talos, ils pourraient s'en prendre à ses servants... Umberlie, Aurile peut-être. Vous pensez que les églises devront faire front, et créer des... Alliances?"
Sheaxie eut un sourire maladroit qui semblait se vouloir amical. La carte de la brave et solide demi-orque un peu naïve était une de ses favorites. Elle était aussi une des plus naturelles à jouer.
"J'viens d'arriver en ville, z'avez raison. Je suis pas au courant de grand-chose, ici, j'espère juste ne pas tomber en pleine guerre totale de religion. Mais je serais ravie de visiter un peu, puisque vous me le proposez. Enfin si vous en avez le temps. Ou si vous savez qui m'indiquer."
Et je sens que je vais devoir me démener si je veux encore trouver quelque chose de valable. Ce petit minable ne m'apprendra rien, il n'est même peut-être pas au courant de ce qui se passe. Faut l'faire, avec tous ses collègues aussi discrets que des géants des collines dans une réception ducale.

Le prêtre sourit étrangement, comme s'il comprenait enfin que la demi-orque n'était vraiment pas au courant du panthéon humain.

"Cyric est un dieu très... lunatique. Son clergé est en partie composé de gens très agités... pour ne pas dire fous. Aucune extravagance de leur part ne devrait nous étonner, à vrai dire. Quant à une alliance entre cultes, cela dépend essentiellement des dieux concernés. Je ne vais pas vous faire un cours de théologie, mais Umberlie et Aurile sont... rivales, toutes deux essayent de gagner les faveurs de Talos plus que l'autre. Une coalition est impensable."

"Ah. je savais Cyric un dieu dérangé, mais... A ce point? Mh, excusez-moi, prêtre. Je peux poser des questions naïves, mais j'ai grandi en recluse, et les dieux ne se sont pas plus intéréssés à moi que je ne me suis intéressée à eux. Néanmoins, votre déesse a un côté... Fascinant. C'est cela. Fascinant."
Elle battit des paupières. La statue d'Umberlie semblait lui jeter un regard de reproche voire de colère. Elle lui aurait très bien répondu en tirant la langue, si la salle n'avait été aussi pleine de prêtres. Le regard de la demi-orque revint se poser sur le petit prêtre.
"Je n'voudrais pas abuser de votre temps. J'vois que votre clergé est occupé, j'voudrais pas vous retenir. D'autant qu'il faudrait se préparer, si Talos a été frappé, Umberlie doit se méfier, pas vrai? Vous pouvez me laisser, si je vous dérange. Je vais juste prier un peu et partir, si c'est l'cas. Bref."
Passer pour une imbécile était peut-être un bon moyen de jouer les innocentes, mais dans le cas présent cela n'avait guère été concluant, et c'était toujours un peu frustrant après coup. La demi-orque s'étira, eut un bâillement très peu cérémonieux quoique silencieux et fit craquer ses huit doigts les uns après les autres. Le prêtre et ses sourires jovials commençaient à l'agacer.
"Quoi qu'il en soit, j'vous souhaite bonne chance. Vous m'êtes sympathique."

Le prêtre lui rendit son sourire, même si celui de la demi-orque était plutôt étrange à regarder, puis s'en retourna vaquer à ses occupations. Ils avaient une attaque à organiser, et ce n'était pas une espèce de monstre repoussant qui allait les empêcher de frapper correctement...

Plus personne ne faisait attention à elle, maintenant, et elle errait silencieusement dans le temple toujours aussi animé, quoiqu'un peu moins bruyant.

Hrp : oui, c'est bref, mais comme la conversation est terminée... tu as encore et toujours l'embarras du choix ; t'allier à Umberlie, passer du côté des aurilites, t'en ficher complètement et te rendre dans un autre temple, voire noyer ton chagrin dans la bière naine qu'on vend un peu partout en ville...

Un peu furieuse d'avoir échoué, et toujours pensive en ce qui concernait l'usage des informations qu'elle tentait de récupèrer, la demi-orque s'avança vers la statue d'Umberlie, qui était toujours figée dans sa colère scupturale. Sheaxie s'agenouilla doucement, ce qui pour une femme d'1m80 et des poussières nécessite pas mal de temps, à cause de la distance élevée qu'ont à parcourir les ordres depuis le cerveau jusqu'aux muscles des jambes. Elle ferma les yeux et adressa un murmure à la déesse, presque un grognement sourd, qui disait grosso-modo:
"Excusez-moi, madame, je vous emprunte quelque chose."
La demi-orque se releva, après sa simili-prière, jeta un regard inquisiteur à la statue silencieuse et grimaçante, et tourna les talons et se mit à marcher d'un pas énergique jusqu'à sortir du temple. Elle resta quelques instants sur le parvis, contemplant la rue toujours déserte en cette petite heure du matin. Quelques chats errants, un mendiant ou deux endormi sur les pavés, un ivrogne en grande conversation avec son vomi et un chien mâchouillant un os non identifié. Des formes de vie, certes, mais du genre qui faisait un décor. Il n'y avait pas de personne à proprement parler. Quelques marins qui passaient au loin sur la place, qui faisaient d'ailleurs "plouf" de temps en temps, mais elle était en pleine heure morte. L'instant où les soûlards venaient de plonger dans un coma plus ou moins réparateur selon la quantité de bière ingurgitée, et où les marchands matinaux n'avaient pas encore sorti leurs étalages puants. Une heure parfaite pour...
hrp: super-orque!
... Re-rentrer dans le temple, en extirper en vitesse un acolyte ahuri et un peu maigrichon qui s'apprêtait à sortir, le pousser d'un bon coup de coude contre un mur la tête en avant et lui donner un coup de poing sur le crâne pour être certaine de l'avoir bien assommé, puis le traîner tout en finesse et en vitesse dans un coin peu propice à une évasion-au-réveil potentielle.
Un *vrai* comportement de sorcière-voleuse. Le prêtre allait avoir à bavarder un peu, à son réveil. Rien de bien méchant, il était même possible qu'il s'en sorte avec à peine quelques bosses.

hrp: la réponse D, donc. Pas très délicate, mais je ne vais pas laisser ma Shea rester sur sa faim d'informations croustillantes, nan mais ho. Si ça pose un problème, envoyer une pierre, c'est peut-être un poil trop facile comme solution, et trop rapide. Je manque d'idées, à vrai dire, et le perso est délicat à jouer (oui, une demi-orque anticonformiste c'est très dur à jouer), je m'en rends compte à présent. Si ça ne pose pas de problème, je poste dans les ruelles...

L'acolyte se réveilla peu de temps après. À vrai dire, il était étourdit, mais pas complètement inconscient. Il avait un vague souvenir d'une patte velue se portant sous ses bras et le soulevant sans efforts, puis d'émerger face à un visage tout aussi velu et pourvu de dents exubérantes et sensiblement jaunâtres. Si c'était cela, le paradis promis par les dieux, il se demandait s'il n'avait pas trop péché pendant son existence...

"Eeeuh..." Il essaya de se mouvoir, mais une nouvelle grosse patte le lui empêcha. "Ah, bon."

La demi-orque, qui avait rabattu sa capuche mitée sur sa tête, gronda laconiquement:
"Oui."
La demi-orque eut un sourire menaçant -ce pour quoi elle était très douée aussi, et grinça des dents. Il valait mieux qu'elle continue de passer pour une brute, ce qui lui plaisait nettement moins que de passer pour une idiote. Frapper pour obtenir ce qu'elle voulait? Elle n'était pas faite pour cela, même si elle tentait bien souvent de le faire croire. Recourir à une solution de facilité pervertissait l'esprit. Un jour, elle allait même se mettre à hurler "saletés d'humains!" en brandissant une hache double, si elle n'y prenait pas garde. Quoique au vu de ses très faibles capacités martiales, ce serait sûrement un spectacle ridicule. Cela importait peu dans le cas présent. Elle jeta un regard suspicieux au prêtre affalé en travers d'un coin de rue crasseux, espérant que lui au moins lui serait d'une quelconque utilité. La dague de la demi-orque glissa de sa manche jusqu'à sa main droite, et elle l'agita sur le nez de l'acolyte, puis l'en écarta. Elle voulait juste qu'il sache qu'elle était armée et que crier ou tenter de fuir n'était pas une idée excellente.
Et voilà où elle en était. A devoir mener un semblant d'interrogatoire. Elle aurait largement préféré pouvoir sauter directement à la case "profits".
"Maintenant, tu me parles de l'attaque sur le temple d'Aurile, et en échange je ne fais rien de regrettable. Je ne veux pas te tuer, prêtre, alors ne m'y oblige pas."
L'homme était plutôt maigrichon, avec des muscles aussi épais qu'une phalange de souris, mais on ne savait jamais ce qu'un prêtre pouvait faire, et elle n'avait pas envie de se battre avec lui.

Avait-il vraiment le choix ? Celle-ci semblait encore plus hargneuse que Duorok Gutrash, qui n'avait déjà pas une réputation d'être franchement tendre.

"Hum... bon, très bien, mais par pitié, cessez de sourire comme ça !"

Il s'épousseta tristement les manches, constatant avec effroi que sa tunique était bonne pour une lessive complète. Puis il reprit avec un ton apparemment indifférent :

"L'attaque contre Aurile ? Elle aura lieu demain, très tôt au matin. Ils comptent envoyer pas mal de monde. Elle est une rivale directe d'Umberlie, il faut y mettre le paquet pour assurer la victoire écrasante de la Reine Garce. De ce que je sais, ce seront surtout des prêtres qui attaqueront, plus quelques gardes au cas où."

Mentait-il? Elle n'en avait pas l'impression, même si les aveux étaient venus un peu rapidement. Le sourire mauvais de Sheaxie s'effaça, pour laisser place à une expression vide de tout sentiments. La sorcière réfléchit un instant, ses paupières se refermèrent lentement sur ses yeux gris, pour se rouvrir rapidement. Son regard aqueux et méfiant se reposa sur le visage du jeune prêtre. Il avait l'air sincère, mais la tentation de lui couper quelques doigts pour s'en assurer s'instilla dans l'esprit de la demi-orque -et elle la repoussa. Puis, après cette longue pause, elle reprit, d'une voix un peu moins menaçante:
"Une dernière chose, prêtre, et je te laisserai. Êtes-vous seuls dans cette bataille? Comment un simple temple parmis tant d'autres a t-il les forces nécessaires pour abattre tous les autres? Quelqu'un vous paie t-il, prêtre? Qui est votre chef? Qui est assez fou et assez dévot pour risquer tout ceci pour sa déesse? Et ne prétend pas que c'est le cas de tous les clercs d'Umberlie."
Elle pencha la tête sur le côté, et murmura avec amusement, plus pour elle-même que pour son prisonnier:
"Ca fait beaucoup de "une dernière chose", ça.
Et elle ajouta, avec un autre de ses sourires terribles:
"Cela ne t'exempt pas de répondre à chacune de mes questions. J'vais pas te tuer, ça m'servirait à rien, j'pense pas que ça te serait d'une quelconque utilité de prévenir tes supérieurs. J'ai comme dans l'idée qu'ils doivent être moins tendres que moi avec ceux qui se laissent aller à informer innocemment une honnête citoyenne."

L'acolyte fixait à présent Sheaxie dans les yeux. Le regard de la demi-orque était méchant, mais elle n'avait pas l'air d'être prête à l'exécuter sur un simple coup de tête... lui donner des informations exactes mais incomplètes pourrait être suffisamment simple. De toute façon, qu'aurait-elle à faire de tant de détails ?

"Les combats deviennent généralisés. Cyric et Talos se déchirent, Malar est intervenu, Umberlie et Aurile se sont déjà affrontés il y a quelques nuits. La plupart des clergés relativement importants en ville, somme toute. Nous n'affrontons que les clergés qui sont à notre portée... et Talos est notre allié. Sa puissance a décru, mais ce n'est que temporaire, femme."

Il s'arrêta. Il réfléchit quelques secondes en essayant de se rappeler les questions qu'elle lui avait posées.

"Nous ne sommes pas payés. Les prêtres ne sont pas des mercenaires. Du moins, pas les umberlites. Notre grand prêtre est au temple, mais je vous déconseille d'aller le trouver", précisa-t-il avec un sourire étrange. "Nous ne craignons pas la mort, pas lorsqu'elle est dévouée à Umberlie. Désolé de vous décevoir, mais c'est ainsi. Notre foi est plus grande que ce que vous pouvez imaginer."

Et c'était exactement pour cela même qu'il se permettait de ne lui donner que des informations lacunaires.

Là, par contre, il mentait, au moins en partie, par omission, concernant l'attaque du temple de Talos. Il ignorait ce qu'elle savait déjà, et pensait sûrement s'en tirer en présentant une version très légèrement différente de la vérité, suffisamment pour ne pas trop impliquer Umberlie dans la chute de Talos. Oh, il s'en tirerait. La Reine Garce craignait-elle son maître? Ou n'était-ce que volonté de la part du prêtre de ne "pas trop déplaire" à sa déesse? La demi-orque ne voyait aucune différence entre foi et couardise, et ne se garda pas de le dire:
"Une lettre de différence entre 'foi aveugle' et 'fol aveugle', prêtre, et les deux s'écrivent de manière tellement semblable que beaucoup les ont confondus. J'ai rencontré des types qui causaient comme toi, et, au moment de mourir, aucun de leurs dieux n'est venu les secourir. Mais toi, tu ne mourras pas. J'en ai fini avec toi, et j'tiens ma parole même si ça me fait mal. Pas d'entourloupe, et tu peux partir."
La demi-orque se releva et recula de quelques pas, lorgnant prudemment le prêtre du coin de l'œil. La dague entre ses mains frétillait encore d'un doigt à l'autre, prête à être jetée si besoin était. C'était peut-être une erreur de relâcher le prêtre, mais c'en aurait aussi sûrement été une de le tuer. Elle gageait tout sur le manque de tolérance des supérieurs de prêtre quand à ses minces aveux pour espérer qu'il n'ébruite pas sa recherche d'informations. C'était un pari risqué, mais nécessaire. Elle tenait à son statut supérieur à celui des simples brutes. Question de classe. Elle aurait tout aussi bien pu devenir arnaqueuse du dimanche, et, par exemple, se mettre à vendre avec une honnêteté relative des saucisses douteuses dans des petits pains infects, mais cela ne regorgeait pas vraiment de romantisme. Et maintenant qu'elle disposait de quelques informations à authenticité plus ou moins correcte, il fallait qu'en en tire profit. Elle avait dans l'idée de s'allier momentanément aux Umberlites, mais, et cela la dérangeait particulièrement, le seul avantage qu'elle pouvait avoir pour eux était relatif au fait qu'elle pourrait prévenir les Aurilites si on la refusait. C'était très maigre, et cela offrait peu de chances de survie. Elle enrageait, même si elle ne semblait, extérieurement, qu'agacée. Rien ne se déroulait vraiment comme il le fallait. Risquer sa vie n'était pas sa passion, même si elle tirait une certaine fierté de sa survivance acharnée. Au fond, il y avait peut-être un moyen plus simple de gagner sa pitance, mais hors de question de faire des courbettes et de vivre honnêtement. D'ailleurs, elle doutait que ce soit réellement possible à Melandis. Il allait falloir contacter quelqu'un, et aviser. Il ne savait pas qui, et elle ne savait même pas de quoi il lui faudrait aviser, et cela la faisait d'autant plus bouillonner de colère.

En route vers

L'orque venait d'arriver. Elle paraissait différente, marchait voûtée, une expression morne sur le visage. Sur ses épaules déjà larges, elle avait jeté un vêtement moins troué et plus sombre, presque noir, qui lui descendait jusqu'à mi-cuisse. Le propriétaire légitime de ce nouvel habit ne risquait plus de déposer plainte pour vol. Même si ce n'était pas grand-chose, elle aimait changer. Elle n'allait pas jusqu'à avoir une hygiène, mais cela la rendrai un peu moins repérable, puisqu'elle était déjà allée faire un tour chez les Umberlites. Le manteau lui conférait une carrure impressionante (et il était peut-être aidé par son ancien manteau, qui était roulé en boule dessous), de vraies épaules de catcheur demi-orque. Guère charmeur, mais elle n'avait jamais eu d'illusions sur sa beauté (c'était un atout concernant les blagues, l'auto-dérision marchait bien pour se rendre sympathique), pas plus que de recherche d'élégance.
Pour l'heure, le grossier orque écervelé qu'elle était paraissait ivre. Sur les quais, cela le rendait presque invisible, surtout aussi tôt. Elle avait croisé quelques "collègues", et avait soigneusement imité leur comportement. L'orque titubant s'affala, totalement par mégarde, dans un coin d'ombre proche d'une entrée auxiliaire du temple, avec une toux grasse plus vraie que nature.
L'orque se roula en boule. La plupart des Umberlites étaient déjà partis, mais il attendit quelques secondes à fixer la porte avant de se relever doucement, toujours dans l'ombre, abandonnant son "nouveau manteau" par terre pour reprendre forme Sheaxienne. Elle s'épousseta silencieusement les manches, et les retroussa sur ses avant-bras brun-vert. Un bête sort d'ouverture murmuré entre les dents fit l'affaire de la porte, et elle se coula à l'intérieur du temple, se souvenant à temps que, mesurant un mètre quatre-vingt-cinq, elle faisait bien de se baisser pour éviter de se fracasser le crâne et/ou d'alerter les Umberlites restants en se cognant la tête au montant.
L'air, à l'intérieur du temple, était étouffant d'humidité mais pas aussi glacial que celui du temple d'Aurile. Elle ne regrettait pas encore son choix. Pas encore. Ses paupières aux longs cils battirent sur ses yeux aqueux pour les débarasser d'un trop-plein de condensation. La nef était éclairée des brasero qui attendaient l'aube (qui ne devait plus tarder) pour pouvoir s'éteindre en paix, et qui projetaient à terre des lueurs rougeâtres peu en accord avec le bleu-vert des murs et des vitraux.

Le calme régnait en ces lieux. Seul l'écho de quelques pas, diffus en raison de leur éloignement, résonnait tranquillement jusqu'aux oreilles poilues de Sheaxie, qui estima la position de ces gens à plus d'une vingtaine de mètres. Mais cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne d'autre... c'eut été une grossière erreur de la part des umberlites, et elle doutait qu'ils l'eussent commise.

Évoluant aussi silencieusement que possible, la demi-orque tendait l'oreille - toujours poilue du reste - guettant le moindre son qui pouvait attirer son attention sur un danger imminent.

Une conversation débuta non loin. Des chuchotis incompréhensibles, sur la gauche, derrière une colonne, à quelques mètres seulement.

Elle avisa alors l'autel d'Umberlie, et les diverses portes menant sans doute vers les chambres des prêtres et acolytes du temple.

Hrp : tu es donc sur le côté gauche du temple, l'autel est sur ta gauche également, et les portes sont dans ce coin-là. La porte principale est sur ta droite. Des colonnes sont disposées régulièrement, comme dans une église classique.

Elle était courbée en deux, le dos plié, les genoux fléchis, la nuque un peu douloureuse. Sa haute silhouette trapue ne l'avait toujours handicapée -à moins de se déguiser en pilier dans le cas présent? Elle trottina en silence jusqu'à aller se coller à une colonne, pieds nus sur le froid du dallage -c'était toujours mieux que de porter ses bottes de cuir, certes plus agréables mais nettement moins discrètes. Il faisait froid en cette heure matinale, et elle prit une pause pour frotter ses mains aux doigts gourds avant de reprendre son lent cheminement. Sheaxie se glissa derrière une autre colonne, ombre fugitive et voûtée qui aurait pu donner à un spectateur égaré l'impression d'une gargouille échappée de son toit. A côté du temple d'Aurile, le sanctuaire d'Umberlie était une vraie fournaise. Pour la forme, elle maudit tout de même intérieurement les déesses qui refusaient l'installation du chauffage central dans leurs lieux de culte. A croire qu'elles faisaient tout pour décourager les honnêtes gens d'aller les espionner.
Sheaxie se plaqua à la colonne qui assurait son camouflage. D'ici, elle pouvait entendre la conversation des acolytes. Elle fronça les sourcils, ferma à demi les yeux pour mieux se concentrer sur leurs voix, et attendit une éventuelle information digne d'intérêt. Le métier d'espionne réclamait de la patience. Elle était apaisée de ses frustrations de la journée, et en bonne condition pour exercer. Elle n'était pas une sadique, mais s'en prendre à celui qui lui avait fourni son très temporaire déguisement l'avait défoulée. Le sang des orques -un sang impulsif, brutal, mais qui avait ses avantages en combat- bouillonait parfois trop intensément dans ses veines. Mais pas là. Elle était bien, dans son élément, immergée dans l'attention qu'elle prêtait à l'environnement qui l'entourait.

La conversation ne s'orientait pour l'instant pas vers des révélations fracassantes sur l'assaut donné en ce moment même sur le temple d'Aurile... les acolytes discutaient d'une taverne récemment ouverte, dans le quartier, non loin des rues chaudes du port.

"L'autre soir, j'y ai trouvé une poule roulée... ma foi, j'en avais jamais vu de pareille. Devait avoir du sang elfe !
- M'étonne pas que tu l'aies trouvée à ton goût, t'as toujours été porté sur les fillettes...
- Pfeuh ! Vu ses attributs, elle avait largement la majorité..."

Sheaxie entendait à la perfection les moindres intonations de chacun des deux protagonistes. Dommage que ce fut pour écouter de pareilles inepties...

Soudain, un bruit de pas résonna non loin d'elle. Coincée derrière sa colonne, elle ne pouvait changer d'endroit sans se montrer aux deux bavards, ou au nouveau venu... son coeur battant la chamade, elle faillit s'évanouir lorsqu'une voix bourrue tonitrua :

"Dites, bande de feignants ? C'est pas parce que les prêtres sont partis qu'il faut baîller aux corneilles ! Les bassins, faudrait-y pas les laver, des fois ? Allez, au trot !"

Elle roula des yeux affligés, et manqua de peu de lâcher un "ta gueule" agacé à son propre coeur. Elle n'était pas courageuse, elle était même très lâche. Ce qui fit qu'elle resta plantée là, statufiée, tous ses muscles crispés, tentant sûrement inconsciemment de fusionner avec la colonne qui la dissimulait. Quelqu'un d'un tout petit peu moins lâche se serait enfui en courant, et aurait sûrement attiré la mort sur lui. Quelqu'un de courageux aurait fait face. Elle était donc pour le moment très heureuse de ses réflexes de survie qui consistaient dans le cas présent à ne rien faire du tout.
Sheaxie se força à respirer calmement -mais pas trop fort quand même. La dague dans sa manche faisait sentir sa présent froide et rassurante. Elle était solide. Elle savait utiliser la magie. Elle savait qu'ils étaient là, ils ne savaient pas. Et donc elle aurait l'avantage, pendant quelques secondes au moins, en cas de confrontation. Mais elle ferait tout pour que cela n'arrive pas. Il lui fallait atteindre les pièces auxiliaires, les bureaux peut-être, pour trouver d'hypothétique document propres à intéresser ses employeurs (ou elle-même). Mais pour le moment, les trois acolytes la paralysaient. Elle allait donc devoir attendre de nouveau, quelques secondes au moins, en priant pour que personne n'ait l'idée saugrenue d'aller voir derrière une colonne si une espionne demi-orque s'y trouvait.

Des bruits de pas se firent entendre à nouveau. Les trois hommes se dispersaient, vaquant à leurs occupations. Alors qu'elle s'apprêtait à relâcher la pression, Sheaxie vit un des trois hommes passer devant elle, allant droit vers un des bassins latéraux, sans l'apercevoir. Il continua son chemin, insouciant, et s'agenouilla à côté du rebord en pierre, tout en extirpant une brosse à poils durs de sa musette, et s'affaira à récurer soigneusement l'intérieur de la pièce d'eau afin d'en décoller les dépôts d'algues.

S'il se retournait, il aurait en face de lui, à environ trois mètres, une géante au teint vert, au sourire méchant et à la stature effrayante, ce qui ne manquerait pas de lui faire pousser de hauts cris. Mieux valait sans doute ne pas traîner dans le coin, il n'en aurait pas pour des heures dans sa tâche...

Derrière la colonne, le calme était revenu. L'autre acolyte était sans doute parti de l'autre côté du temple afin de réaliser la même corvée que son ami, tandis que le rabat-joie était probablement en train de houspiller d'autres tires-au-flanc.

Après un regard furtif à l'acolyte qui paraissait suffisamment absorbé dans sa tâche, la demi-orque se décolla sans bruit de sa cachette de pierre, tirant profit d'une mare d'ombre pour s'avancer vers les portes des salles auxiliaires. Un bref courant d'air fit frissoner sa peau brun-vert, et elle resserra son manteau miteux sur ses épaules. Il était hors de question de laisser un éternuement impromptu tout gâcher. Fugitivement, Sheaxie se demanda où en étaient les choses au temple d'Aurile. Combien de temps lui restait-il? Suffisamment, d'après ses estimations. Elle avait beau ne pas avoir un gabarit d'elfe anorexique ou d'halfelin filiforme, elle n'était pas la pire des espionnes (et quelques muscles en supplément ne faisaient jamais de mal), et une bataille prenait du temps, tout le monde n'ayant pas accès aux bottes de hâte (celles-ci ne courant pas les rues, du moins pas d'elles-mêmes). Les Umberlites verraient-ils les quelques Cyrinishades envoyés parmi eux? Peut-être, et peut-être pas. Qui pouvait savoir? Sûrement pas elle. Elle s'amusa à calculer les chances de survie de son barbare de collègue mercenaire. Son-talent-à-la-hache moins sa-propension-à-foncer-dans-le-tas, sans compter le facteur alliés-redoutables-pour-tout-le-monde.
Sheaxie se glissa dans l'entrebâillement de la première porte qu'elle put atteindre et jeta un coup d'oeil prudent à l'intérieur, prête à prendre ses jambes à son cou (position pourtant fort peu efficace en pratique) ou à poignarder un importun, les trois doigts osseux de sa main droite serrés sur sa minuscule dague.

La porte ne grinça pas, ce qui était très remarquable. En général, les portes qui ne grincent pas sont celles qui ne présentent strictement aucun intérêt, du style celle de la remise ou d'un placard à balais. Celles qui, au contraire, sont vitales pour la réussite d'une mission, voire pour la survie de quelqu'un - comme par exemple Sheaxie, le cas présent - prennent toujours un malin plaisir à gémir désagréablement, occasionnant chair de poule - à cause du bruit désagréable - et décharge d'adrénaline - parce qu'on sait qu'on a intérêt à filer le plus vite possible pour ne pas se faire découper en rondelles. Mais là, le seul bruit qu'entendit la demi-orque était celui de son coeur cognant à perdre haleine dans sa cage thoracique surdéveloppée.

Elle glissa furtivement un coup d'oeil à l'intérieur de la cellule, qui se révéla être vide de tout occupant... ah non. Un prêtre, ou un acolyte, ou peu importait qui, ronflait doucement sur une paillasse enchâssée dans un lit de bois blanc.

Un bureau était également présent, couvert de papiers et parchemins en tous genres.

Un regard de céruse hésita un instant sur le ronfleur. Il avait intérêt, pour leur bien commun, à avoir le sommeil lourd. Elle pouvait l'égorger. Il n'aurai probablement même pas le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, et passerai d'un sommeil tranquille à un sommeil encore plus tranquille et un peu définitif sur les bords. Ce n'était pas la peur de tuer qui retenait Sheaxie. Elle n'était pas une tueuse, mais des années d'errance dans des bas-fonds aussi divers que variés l'avaient exercée à étouffer les quelques sentiments humains qui lui venaient parfois. Sa pitié était morte, enterrée, elle mangeait les pissenlits par la racine, et, si la main qui tenait sa dague tremblait en cet instant, ce n'était qu'à cause de sa peur générale de se faire attraper. La peur était utile, la pitié non. La vie humaine (ou elfique, ce qui était encore pire) n'avait souvent que peu de valeur. Son ambition, maîtresse incontestée de son âme et son corps, le lui avait martelé pendant trop longtemps pour qu'elle songe encore protester.
Mais en fait non. La mort du dormeur était peut-être une mesure de sécurité immédiate, mais à long terme, son corps risquait d'être découvert par ses collègues. Elle lui jeta un coup d'œil mauvais, qui signifiait à peu de choses près: "Tu vas voir ta gueule si tu te réveilles, toi...", et s'en désintéressa pour aller fouiller le bureau. Elle souleva les feuilles de parchemin du dessus -vierges, à la recherche d'un quelconque document intéressant. Connaissant sa chance actuelle, elle gageait qu'elle allait tomber sur quelque chose comme des rapports sur la quantité de rats dans les celliers ou des additions des tavernes des alentours.

Elle n'en était pas loin... la première feuille couverte d'une écriture féminine contenait un message coquin, à l'adresse, sans doute, de celui qui ronflait tranquillement, qui sait, en rêvant à sa bien-aimée - dont le discours était assez progressiste en la matière, du reste.

Maugréant intérieurement, la demi-orque poussa plus loin ses investigations. Une note reproduisant les paroles d'une chanson paillarde dont le sens échappait quelque peu à Sheaxie - et c'était sans doute mieux ainsi.

Rien de probant, à part cela. Le type allongé sur sa paillasse ne devait être qu'un vague acolyte. L'ingrat !

L'envie de faire manger les feuillets au dormeur lui passa par la tête. Mais elle n'avait pas vraiment de temps à perdre en gavage parcheminesque d'oie humaine. Mélandis ne lui portait pas autant chance qu'elle l'avait espéré en arrivant. Beshaba, qui avait presque toujours été clémente avec elle -presque seulement, lui rappelèrent ses doigts manquants-, semblait l'avoir prise en grippe. Sheaxie n'avait pas non plus de temps pour s'apitoyer sur elle-même, réflexion faite, et ses grommellements mentaux la ralentissait. Si elle espérait encore pouvoir trouver quelque chose, mieux valait ne pas trop traîner. Elle fit donc taire la petite voix intérieure qui ne demandait qu'à pester contre tout et n'importe quoi, et quitta la pièce en la laissant telle qu'elle l'avait trouvée en entrant (à deux-trois morceaux de parchemins déplacés et une porte entrouverte près). La demi-orque, au sortir de la chambre, se colla au mur par réflexe, si subitement et automatiquement qu'on eut pu croire les pierres aimantées et l'espionne métallique. Il aurait probablement été faux de dire qu'elle prenait son travail très à cœur. C'était son existence qu'elle prenait à cœur. Elle se serait tuée pour survivre. Au minimum.

Le couloir latéral semblait libre. Elle entendait encore, au loin, des gens qui discutaient, mais sans en entendre davantage que des échos répercutés par les murs du temple presque vide. Loin, elle voyait l'enfilade de bassins en attente d'être nettoyés à fond.

Sur sa gauche, d'autres portes s'offraient à elle comme autant de possibilités de fouille plus ou moins discrètes. Peut-être y trouverait-elle ce qu'elle cherchait. Si elle cherchait quelque chose de précis, du moins, ce qui n'était pas forcément le cas, du reste...

La femme choisit une nouvelle porte au hasard, la plus proche. Sa main blessée tira doucement sur la poignée, puis, voyant que le bois résistait, poussa, sans plus parvenir à l'ouvrir. Avec un soupir léger, elle enfonça la lame de sa petite dague dans la serrure, et la força d'un coup de poignet qui lui fit émettre un craquement un peu trop sonore à son goût. L'utilisation de crochets aurait pris trop de temps -elle se rappela qu'il fallait qu'il se procure quelques passepartouts-, et, avec sa main infirme, elle n'y excellait plus vraiment. Pauvre espionne aux doigts tranchés, pauvre, pauvre roublarde manchotte. Quelques doigts en moins ne l'arrêtaient pas. C'eut été nettement plus dérangeant de perdre une main entière, elle devait le reconnaître. Sa dague reprit sa place dans sa manche, Sheaxie poussa la porte d'un coup de hanche (ce qui la fit légèrement grincer), et entra en se voûtant pour pouvoir passer l'embrasure peu haute. Elle pariait sur une pièce de stockage, cette fois.

Point de placard à balais ou de rayons de bouteilles de vin, mais un acolyte en pleine activité des plus louches ; à quatre pattes, il essayait de se dégager du dessous du lit qu'il fouillait apparemment, et, empêtré dans sa robe de bure, il n'arrivait que gauchement à reculer sur les pavés, se cognant la tête sur la planche du lit, il se redressa en se massant la tête, et en grognant :

"D'accord, d'accord, j'sors de là. J'pensais que Murod cachait des parchemins por... eh, mais... j'vous connais pas. Z'êtes nouvelle ?", demanda naïvement le jeune acolyte, dont la barbe à peine naissante laissait à supposer qu'il devait avoir environ quinze ans.

La Couronne de Cuivre

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