La Couronne de Cuivre

Astrée hésita un instant...
" Si je peux me permettre... Je crois qu'il est important pour Byron de pouvoir s'exprimer, parce que c'est son rôle d'ambassadeur. Enfin, il faut qu'il puisse parler aux autorités. Mais ce serait mieux si... son témoignage n'avait pas besoin d'être aussi complet que le mien, s'il pouvait se contenter de dire que les humains les asservissent sans entrer dans les détails. Parce que lui, il a vécu tout ça de l'intérieur, il a subi le traumatisme d'être esclave. Et devoir le raconter, ça le lui ferait revivre, c'est très difficile pour lui. Comme j'ai tout détaillé... peut-être qu'il peut en dire moins ? Il le fera si c'est nécessaire, bien sûr, mais moins il aura à raviver de souvenirs douloureux, moins rude ce sera. "
Surtout devant des humains complètement blasés qui en avaient apparemment vu d'autre et ne montreraient pas la moindre compassion. A croire que les événements des Montequine étaient parfaitement ordinaires...

" C'est lui qui décidera ce qu'il désire raconter, Dame, dit le Tyrite. A ce stade de la procédure, il n'est pas obligé d'entrer dans les détails, comme je vous l'ai dit. Ce sera différent ensuite, car une enquête, un procès... nécessitent toujours des détails. Tous les Luméniens qui ont souffert sous la dictature le savent. Mais nous n'en sommes pas là, comme je le disais.
— Reste le problème du clerc de Lurue, dans ce cas. Si votre ami veut s'exprimer, nous devons pouvoir authentifier ses déclarations. La comparaison avec votre témoignage ne suffit pas."

Astrée hocha la tête.
" Je comprends. Vous aviez dit qu'il fallait qu'il témoigne sous sortilège pour avoir le droit de parler ensuite devant la conseillère... enfin, les autorités. Mais nous n'avons pas encore trouvé de clerc de Lurue, ajouta-t-elle avec un soupir. Nous allons continuer nos recherches demain. Comment est-ce que ça doit se passer ensuite ? Il faudra sans doute que nous prenions rendez-vous ici, avec le clerc ? Et la suite des événements, ça sera... quoi ?"
L'enquête, le procès... ça allait être rude pour les centaures, si vraiment ils devaient témoigner. Ce serait peut-être à un ou deux d'entre eux, Byron par exemple, de s'exprimer pour son peuple. Ou peut-être qu'il n'y en aurait pas trop besoin, vu tout ce que les enquêteurs verraient par eux-mêmes, et en prenant en compte ce qu'elle venait de raconter ? Peut-être que l'enquête chercherait surtout à départager les responsabilités parmi les humains, et que les centaures ne seraient pas sans cesse interrogés ?

" Vu la gravité des faits, le passage devant les autorités sera sans doute une formalité, dit le Tyrite. Une signature, au plus. Il serait bien sûr plus... correct que le centaure se présente lui-même devant Dame Dithazir, mais si nous sommes coincés par le temps, nous pouvons nous en passer."
L'elfe haussa les épaules.
" Si vous le dites."
Le clerc se tourna vers Astrée.
" Ensuite, la procédure sera sans doute assez simple : envoi d'un courrier à Bortheias, où une force dirigée par un de nos hommes ira jusqu'au village pour prendre les choses en main. La suite prendra le temps qu'il faudra, des mois, sans doute, mais ce ne sera plus de notre ressort. Cela dépendra de la résistance qu'opposent les habitants du village, principalement. Soit ils accepteront la loi, soit ils se rebifferont. Dans ce cas, les choses pourraient être plus violentes que nous l'espérons tous."

Il fallait que Byron parle lui-même aux autorités, c'était important. Donc il allait falloir qu'elle remue ciel et terre pour trouver très vite un clerc de Lurue. Mais au moins son témoignage de ce soir allait-il permettre d'enclencher rapidement la procédure...
La mention du délai de plusieurs mois lui arracha en revanche une grimace.
" Je pense... enfin j'espère... que le simple fait de savoir que les autorités ont été mises au courant et d'être rappelés à l'ordre devrait suffire. D'après le peu que j'ai vu, il existe des Montequins qui sont opposés à cet esclavage, qui peut-être arriveront à se faire entendre des autres. Et j'espère que vous arriverez assez vite, au moins, à obtenir la libération des esclaves, en mesure transitoire."
Elle songea à Kess, captive depuis deux ou trois veilles maintenant. Elle ne tiendrait pas des mois.
" Mais je sais que les centaures souhaitent aussi qu'on leur rende leur vallée, que les villageois s'en aillent. Il est vraiment important que Byron puisse faire entendre cette demande."
Ils n'auraient pas confiance tant qu'ils n'auraient pas obtenu ça.
" Donc je trouverai un clerc de Lurue..."

" Bonne chance." dit l'elfe avec une grimace.
Le Tyrite croisa les bras.
" Ne perdez quand même pas trop de temps. Si la situation est aussi précaire que vous le craignez, les précautions que vous prenez pour ménager l'amour-propre de votre ami pourraient lui coûter la survie de sa harde."

" Je suis consciente de l'urgence, on ne va pas risquer la survie de la harde. Mais le temps que la plainte remonte et qu'on soit convoqués à nouveau, on va chercher ce clerc. Ça nous laisse combien de temps, à votre avis ? Un jour ou deux, davantage ? Et d'ailleurs, est-ce qu'il faut qu'on vienne prendre des nouvelles régulièrement ou est-ce que vous allez nous contacter ?"
Avec l'aide de Tybert et Reynald, en faisant le tour des temples et des auberges, ils épuiseraient vite toutes les pistes possibles. Reynald pouvait peut-être en connaître un, dans la Trouée, et le faire venir par téléportation. De toute façon, il fallait tout tenter, c'était important. Elle sentait que Byron et Sheldon seraient vexés si la plainte et les démarches passaient par elle et non par Byron.

" Revenez demain en fin de journée. Nous ferons le point. Si vous trouvez le clerc de Lurue, vous pouvez bien sûr revenir plus tôt. Je me débrouillerai pour vous intercaler dans mon programme." dit l'elfe.
Le Tyrite soupira.
" Je me charge de trouver quelqu'un pour mener l'intervention. Comme ça, l'équipe sera prête dès que nous avons le feu vert des autorités."

Astrée leur adressa à tous deux un sourire reconnaissant.
" C'est très aimable à vous de faire aussi vite, vraiment."
Donc, si elle avait bien compris... l'étape suivante serait de faire témoigner Byron, puis de rencontrer Dame Dithazir. Puis ils enverraient un courrier à Bortheïas, et un de leurs hommes viendrait là-bas diriger les opérations. Par téléportation, elle l'espérait. Sinon, Reynald pourrait sans doute le transporter là-bas, si ça n'était pas déjà prévu.
" Je ne vais pas abuser plus longtemps de votre temps pour ce soir, conclut-elle en se levant. Enfin, à moins qu'il y ait autre chose... ?"

Les deux hommes s'entreregardèrent puis secouèrent la tête.
" Non, tout est en marche, dit finalement l'elfe. Nous nous reverrons demain."
Il se leva et entreprit de la raccompagner dans les couloirs dédaléens, en direction de la sortie. Astrée constata que les lumières avaient déjà été éteintes à plus d'un endroit et que le Palais était plus silencieux. Il était manifestement tard, de nombreux employés étaient rentrés chez eux et les visiteurs s'étaient fait rares. Astrée fut rapidement menée à la porte. Le ciel était bleu sombre, la nuit ne tarderait plus à tomber.

Jetant un coup d'oeil au ciel, Astrée jugea que Byron était probablement encore au Parc, mais qu'il ne tarderait pas à rentrer au Castel. Elle hésita un moment sur sa destination : compte tenu de la configuration de la ville, le Castel était beaucoup plus proche. Le plus logique était peut-être de se diriger vers l'auberge, puis de redescendre vers le parc à la rencontre de Byron. Comme ça, elle serait certaine de ne pas le manquer s'il avait déjà quitté les lieux.
Elle mit donc, pour commencer, le cap sur le Castel, profitant du trajet pour remettre ses idées en ordre, pour pouvoir rendre compte à Byron de ses démarches du soir. Les choses étaient lancées, c'était l'essentiel.

hrp : bon, à toi de voir si elle va jusqu'au parc ou s'arrête au castel...

Quête : Équité

L'architecture du Palais était certes chargée, tranchant avec l'austérité du Fort qu'ils venaient de quitter.
" Je n'en ai sans doute pas pour très longtemps", murmura Astrée à Reynald en le laissant à l'entrée, s'engageant seule dans l'allée après s'être présentée aux gardes à l'entrée et avoir laissé, comme de coutume, ses affaires dans un casier. Elle n'avait pas insisté pour qu'il l'accompagne. Elle connaissait les lieux, elle connaissait la personne chargée du dossier, et elle devait pouvoir se passer de ses talents de persuasion.
Elle se présenta à nouveau à l'entrée, et rejoignit la salle d'attente dévolue aux relations interraciales, espérant pouvoir être reçue aussi rapidement que la veille.

L'elfe ne tarda pas, même s'il avait l'air pour le moins occupé, les bras chargés d'une pile monumentale de documents.
" Vous revoilà, dame aux centaures." fit-il d'un air blasé.
Il lui fit signe de le suivre dans les couloirs, le long d'un trajet qu'elle connaissait désormais par coeur.
" Les choses bougent bien de notre côté. Qu'en est-il du vôtre ? Les centaures ont-ils accepté de se soumettre à la justice luménienne ? Et vous avez trouvé le clerc de Lurue ?"

Astrée grimaça.
- Nous n'avons guère avancé, expliqua-t-elle après avoir refermé la porte du bureau derrière eux. Il y a eu quelques imprévus qui m'ont occupée une partie de la journée... Et surtout, notre ami clerc sur qui nous comptions pour communiquer avec la harde ne nous a rejoints que cet après-midi, et non hier soir comme nous l'espérions. Nous allons donc poser la question ce soir, et nous aurons la réponse demain. Quant au clerc de Lurue... La seule piste que j'ai n'est pas très solide, il s'agit d'une prêtresse qui n'en est peut-être plus une, qui ne vit peut-être plus à Luménis. Ce qui nous aiderait, en fait, ce serait d'avoir accès au registre des entrées de la ville... mais il faut sûrement un mandat officiel pour cela ?

L'elfe écarquilla les yeux de surprise.
" Les registres des entrées ? fit-il. Oui, en effet, il vous faudrait un mandat pour y avoir accès. Ce sont des données protégées par la loi, savez-vous. Tout un chacun ne peut pas y farfouiller, les Luméniens ont droit à une certaine vie privée... De surcroît... Vous réalisez que nous ne disposons pas d'un registre des sorties, n'est-ce pas ?"

Astrée hocha la tête. Elle savait que les sorties n'étaient pas contrôlées.
" Je sais, bien sûr. Mais ça pourrait tout de même nous donner quelques pistes, des noms. Je comprends bien que ce sont des données confidentielles... Mais s'il m'est impossible de feuilleter moi-même les archives, serait-il possible de demander à la personne qui tient les registres de nous donner la liste des derniers clercs de Miellikki ou de Lurue arrivés, en remontant jusqu'à... je ne sais pas moi... hum... plusieurs mois, un an ou deux... "
Elle secoua la tête avec une grimace.
" Bon sang, ça va être un travail énorme... Il vaudrait mieux qu'on puisse le faire nous-mêmes, je n'ose pas imaginer les délais si on demande à quelqu'un du bureau des nationalisations de le faire."
Il resterait la possibilité que Reynald tente de joindre une de ses connaissance, sinon. Sans garantie.

" Vous savez, ils doivent se compter sur les doigts d'une main... dit l'elfe avec une grimace. Je peux demander à quelqu'un de l'administration de faire le travail, mais ce ne sera pas gratuit, malheureusement. Luménis ne roule pas sur l'or et nous ne pouvons pas nous permettre d'affecter gracieusement nos employés à toutes les demandes qui nous viennent. La machine administrative de la ville doit tourner par ailleurs... Sans compter que la nuit tombe, ce sera donc pour demain. Si vous consentez à payer une pièce d'or, je peux rédiger une demande, cela dit. Mais je crains que les démarches nous incombent intégralement : je ne pourrai pas vous livrer d'informations officielles."

" Si c'est juste une question d'argent, je peux payer, bien sûr, répliqua immédiatement Astrée. J'ai quelques pièces d'or sur moi", ajouta-t-elle en fouillant dans sa bourse.
Il faudrait, d'ailleurs, qu'elle songe à rembourser Reynald de tout l'argent qu'il lui avait avancé pour ses courses à Bortheïas et pour le voyage. Mais avec toutes ses allées et venus au Palais, elle trouverait bien l'occasion de se rendre dans les locaux de ce qui faisait office de banque nationale, où elle avait laissé quasiment l'intégralité des récompenses qu'elle avait reçues. Peut-être en sortant, si tout n'était pas déjà fermé.
Elle tendit sa pièce d'or.
" Vous croyez que les délais seront... longs ?"
Bien sûr, ils allaient poursuivre leurs recherches de leur côté. La harde ne pouvait pas attendre indéfiniment. Elle songea un instant à la situation là-bas, à la guerre, au massacre qui se préparait sans doute. Les nouvelles ne seraient sans doute pas trop mauvaises ce soir, du moins elle l'espérait : ça ne faisait qu'une veille qu'ils étaient partis. Mais même sans cette urgence latente, elle se prenait à songer qu'elle aimerait être de retour à Bortheïas avant l'équinoxe. Et puis, Prince allait s'impatienter...

" Non, je ne crois pas. Ces données ne sont pas simplement entreposées, elles sont traitées. Les autorités ont intérêt à savoir quel type de personnes entrent en ville. Sans doute devraient-ils aussi s'intéresser à ce qui sort, mais ça demande beaucoup de personnel. Bref... A mon avis, les clercs sont classés dans une pile, les guerriers dans une autre, les magiciens dans une troisième. Ça ne devrait pas prendre plus d'une heure, demain matin. Bon, il faut compter le temps que la demande arrive là-bas, évidemment."
Il commença à rédiger le document ad hoc.
" Vous devrez revenir ici pour prendre connaissance des résultats."

Astrée poussa un soupir de soulagement. Elle s'attendait à bien pire en terme de délais. Une matinée, ça n'était rien. Ils venaient de perdre toute une journée, après tout...
" D'accord. Je reviendrai sans doute en fin de matinée, ou en début d'après-midi, dans ce cas."
Le plus long serait, bien sûr, de retrouver les personnes de la liste. Mais ils avaient du renfort, désormais. Ils pourraient se partager le travail.
" Et... vous disiez que de votre côté, les choses avancent bien ?"

" Le clerc vous l'a dit hier, votre témoignage était déjà suffisant pour faire bouger les choses. Nous devrions obtenir un ordre d'intervention très rapidement. Le souci, c'est qu'avec la guerre, nous manquons un peu d'hommes en ce moment. Parfois nous embauchons des mercenaires fiables, mais il y en a moins en ville aussi, en ce moment. Bref, les papiers sont quasiment prêts. A présent, il nous faut l'équipe officielle. Sans doute deux ou trois personnes, selon le type de procédure. Un juge, un officier, un clerc, ce type de trio. Sans doute le Tyrite que vous avez rencontré hier voudra-t-il participer à l'expédition."

Astrée hocha la tête.
" D'accord..."
Trois personnes. Pourquoi pas ? L'essentiel était qu'ils représentent l'autorité luménienne et sachent faire entendre raison aux villageois, là-bas. Il lui semblait important, également, qu'ils n'aient pas d’à-priori négatifs sur les centaures. Qu'ils ne soient pas du genre à les juger trop peu civilisés, par exemple, puisqu'ils devraient peut-être -certainement, même- rencontrer Sheldon pour discuter avec lui des issues possibles au conflit. Mais elle voyait mal comment expliquer son inquiétude. Et puis, ils avaient l'habitude de ce genre d'affaire, ils devaient savoir ce qu'ils faisaient.

Elle préféra se concentrer sur un souci autrement plus concret.
" Il faudrait quelqu'un qui puisse ouvrir magiquement l'une des failles qu'ils ont obturées, si possible, pour pouvoir accéder à la vallée close. De préférence celle qui est au coeur du village. Tout déblayer à la main serait bien plus long. Et je me demandais, bêtement... Comment ça va se passer, concrètement ? Est-ce que toute l'équipe va se téléporter jusqu'à Bortheïas ? Mon ami clerc pourrait aider à cela, si c'est nécessaire."
Elle aurait voulu, également, savoir comment tout allait se passer une fois là-bas. S'ils devaient rencontrer Sheldon, ça allait peut-être être délicat : elle n'oubliait pas que le chef des centaures avait décidé d'interdire la vallée à tout être humain. Il accepterait certainement de les rencontrer, mais il faudrait peut-être qu'elle aille négocier auparavant, pour expliquer les choses. Quoiqu'il en soit, il lui faudrait attendre que l'équipe soit constituée pour pouvoir discuter de toute cela avec eux.

" Se téléporter, comme vous y allez ! Notre équipe prendra la route, sur de bons chevaux. Ils iront à Borthéias pour y chercher des troupes, puis ils marcheront vers votre village. Si vos villageois sont coupables de tout ce dont vous les accusez, ils pourraient tout à fait décider de se défendre. Nous ne pouvons pas prendre de risques. Enfin, c'est comme ça que je le vois. C'est hors de mes mains, cela dit. Je ne suis pas habilité à organiser ce genre de choses. Mais ça m'étonnerait qu'ils aillent se promener, juste eux trois, le brin d'herbe entre les dents."

" Excusez-moi... J'avais cru qu'il n'y aurait d'abord qu'une sorte... d'injonction, de la part des autorités, et que des forces armées ne seraient envoyées qu'en cas de refus de la part des Montequins. Mais c'est certainement plus sûr si les autorités envoient toute une troupe. Si ça n'augmente pas trop les délais..."
De toute façon, ça n'était pas de son ressort, il le disait lui-même. Il était donc inutile de se perdre en hypothèses.
Mais même avec de bons chevaux, combien de temps leur faudrait-il pour atteindre Bortheïas ? Montequine ? Deux veilles au moins. Trois peut-être. Ils pourraient gagner du temps s'ils acceptaient d'être téléportés jusqu'à Bortheïas. Ou peut-être qu'ils pourraient au moins lui confier un courrier pour qu'elle le porte à la garnison sur place, pour qu'une troupe soit prête dès leur arrivée. Il faudrait qu'elle discute de tout cela avec l'homme qui superviserait l'opération. Toute ce qui pouvait leur faire gagner quelques jours était bon à prendre.
" Et sinon... une fois que nous aurons trouvé un clerc de Lurue, combien de temps faudra-t-il pour que Byron puisse rencontrer Dame Dithazir?"

" Hum. Je ne sais pas si nous pourrons aller jusqu'à Dame Dithazir. Sans doute que son secrétaire ou un autre officiel pourra le recevoir... Mais... Vous voyez, c'est une affaire un peu trop locale pour que notre unique conseillère puisse faire davantage qu'apposer une signature sur un document. Je sais que pour votre ami, sa harde, c'est toute sa vie, mais nous parlons d'un groupe de centaures, d'un petit village... Ce n'est pas vraiment du ressort du conseil. Elle n'a rien à trancher : les lois qui ont été violées sont très claires. Il n'y a rien à plaider à ce stade, non plus."

" Ah... je... D'accord, je comprends."
Bon, ça n'était pas très important. Ou peut-être que si ? Qu'est-ce que ça changerait, que Byron voie la conseillère ? Rien, sans doute. Sauf... sauf, peut-être, si Sheldon était réticent à respecter les lois luméniennes ? En même temps, s'il n'avait pas d'autre choix, il le ferait : la survie de la harde était sa priorité absolue. Peut-être voudrait-il émettre des réserves, essayer de négocier le droit de conserver de leurs coutumes ? Ou peut-être même pas. Elle avait du mal à l'évaluer. Il lui semblait que se plier à des lois humaines, se soumettre à l'autorité de Luménis, pouvait l'atteindre dans sa fierté. Mais il l'avait déjà surprise en décidant de lui-même de quérir l'aide de Luménis. Il pouvait également la surprendre en se montrant parfaitement conciliant sur ce point. Et de toute façon, apparemment, ça n'était pas quelque chose de négociable...
De toute façon, quoi que décide Sheldon, il fallait que Byron parle au nom de son peuple, qu'il demande officiellement l'aide de Luménis, et qu'il dise ce que la harde attendait de leur action. Mais que ce soit à Lathiriel ou à l'un de ses sous-fifre n'était sans doute pas essentiel.

D'un ton hésitant, elle poursuivit :
" Sinon, je voulais vous demander... pour que je sois parfaitement claire dans le message que nous allons transmettre ce soir au chef de la harde... La seule possibilité, du point de vue législatif, pour que Luménis intervienne, c'est que la vallée soit considérée comme relevant de la juridiction luménienne avec tout ce que ça implique ? Il n'existe aucune autre possibilité... comme, je ne sais pas, considérer qu'il s'agirait d'une sorte d'aide à un peuple voisin et allié qui aurait ses propres lois ? C'est juste pour que je puisse présenter les choses de la façon la plus neutre et objective possible... Je veux être certaine qu'il n'existe, légalement, que cette seule et unique possibilité, ou savoir si c'est simplement la plus rapide et évidente à mettre en oeuvre. Je suis désolée si ma question est naïve ou peut-être stupide. Je n'y connais vraiment rien dans ce domaine...
Plus que naïve, elle avait surtout l'impression qu'il risquait de la considérer comme... une gamine qui s'obstine pour obtenir quelque chose qu'on lui refuse. Il ne pouvait pas comprendre que cela lui tienne à cœur, puisqu'il considérait les traditions des centaures comme barbares et indignes d'un monde civilisé. Le genre d'opinion qui lui hérissait le poil. Il allait l'envoyer sur les roses, sûrement. Mais elle se devait d'explorer toutes les possibilités existantes, tout de même. Au fond, elle aussi estimait que ce serait mieux si les chefs potentiels de harde cessaient de s’entre-tuer. Mais c'était sa compréhension humaine qui lui faisait ressentir les choses ainsi. Ici, elle devait représenter les centaures, tenter de faire valoir leur point de vue. Et eux ne le ressentaient pas forcément les choses ainsi.
Sauf qu'en réalité, elle n'était pas certaine de la façon dont ils ressentiraient cette condition imposée : elle ne savait pas à quel point ils étaient attachés à leurs coutumes, à celle-ci en particulier. Peut-être qu'en réalité elle se faisait une montagne de ce qui n'était qu'un détail pour eux. Décidément, il était important qu'elle ait l'avis de Sheldon...

" Même si on considérait l'intervention comme une aide à un peuple allié, on ne peut pas aller au-delà de certains accommodements raisonnables. Cela dépend aussi du blâme que vous espérez voir retomber sur les perpétrateurs... Pour que vos amis centaures accèdent au même statut que leurs bourreaux, ils doivent être tenus aux mêmes lois. Imaginez que dans les villages voisins de cette harde, les gens se mettent à s'entre-massacrer au nom de lois ancestrales. Que ferons-nous si les villageois nous montrent que leur culture, depuis des millénaires, comprend l'esclavage d'autres races ? Nous allons devoir, au nom du respect de leurs traditions, nous contenter de leur taper sur les doigts ? Est-ce que vos amis centaures l'accepteront ? Sans doute pas. Devrons-nous alors accepter qu'ils se vengent ? Peut-être. Mais nous ne pourrons intervenir. Et si j'ai bien compris, ils ne sont pas exactement en position de force. Luménis a étendu son pouvoir partout sur l'île. Hormis la Lorien et quelques cités naines, personne n'échappe à sa juridiction."

Astrée acquiesça.
- Je comprends... Et comme je vous l'ait dit, je suis certaine que Sheldon, le chef centaure, acceptera ces conditions. Il sait de toute façon qu'il n'a pas d'autre choix. C'était simplement... pour avoir bien en tête les choses, pour être sûre d'avoir saisi toutes les subtilités de la situation.
Luménis avait étendu son autorité partout, oui. Et les humains leur influence, leur domination. Elle repensait à des discussions avec Neffen, avec la dryade. C'était un peu regrettable qu'ils imposent ainsi à d'autres peuples leurs valeurs, leur fonctionnement. Mais d'un autre côté, il s'agissait de valeurs qu'elle partageait, donc elle ne pouvait que s'en féliciter. Ils faisaient ainsi barrage à d'autres systèmes de valeur, comme celui de Mélandis. C'était tout de même bien mieux qu'Hélonna toute entière suive Lathandre plutôt que Cyric...
- Bon... je vais vous laisser vaquer à vos autre tâches, je pense. Et je vous remercie pour votre disponibilité. Je reviendrai demain en fin de matinée, si vous pensez que c'est un délai suffisant pour avoir la liste des clercs de Lurue ou Mielikki. A moins qu'il n'y ait autre chose que nous devions voir ensemble ?

" Non, je pense que ça ira. N'oubliez pas de me payer, et de signer ici..."
Il lui désigna un endroit sur le document qu'il avait rédigé pendant qu'ils parlaient. Une fois qu'il eut empoché le pièce d'or de la rôdeuse, il l'accompagna à nouveau dans les couloirs. Elle connaissait le chemin mais il n'était probablement pas imaginable qu'un visiteur puisse se promener sans surveillance dans les couloirs du Palais. Ce n'était sans doute pas une surprise qu'il soit en pleine forme, à force de marcher encore et encore dans ce dédale. Il abandonna la rôdeuse dans le grand hall et battit aussitôt en retraite vers les tréfonds du bâtiment. Au dehors, Astrée retrouva le soleil printanier et fut accompagnée jusqu'à la rue. Reynald se trouvait un peu plus loin, en grande conversation avec une femme d'un certain âge, qui lui pointait des détails de la façade. Quand il aperçut Astrée, il lui fit signe et attendit qu'elle les rejoigne.
" Dame Violaine, ici présente, me montrait les stigmates de la révolution sur ces marbres anciens... Les combats ont dû être d'une rare violence...
— Tu n'imagines pas, mon garçon."
Elle devait bien avoir quatre-vingts printemps, voûtée sur sa canne noueuse.
" Il y avait des Rouges partout. Et des gens avec leurs vieilles épées et leurs couteaux de cuisine. C'était un beau bordel."
Elle gloussa de sa propre audace langagière.

Astrée s'approcha du duo avec curiosité, d'un pas tranquille, vaguement soulagée, quelque part, que Reynald ne soit pas en grande discussion avec une jeune et jolie demoiselle. Bien sûr, son charme devait aussi agir sur les vieilles dames, mais c'était bien moins risqué !
Elle hocha la tête avec gravité, souriant poliment à l'aïeule.
" C'est ce que j'ai entendu dire, oui... Mais je n'était pas dans la région à ce moment-là. Je suis arrivée à Luménis l'hiver suivant. Tout était en reconstruction."
Elle tourna son regard vers la façade, cherchant les traces qu'elle indiquait.
" Je sais que ça a été une parenthèse bien sombre de l'histoire luménienne, qu'il y a eu beaucoup trop de morts. Heureusement que tout ça est bien fini..."

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Palais Présidentiel