La Couronne de Cuivre

Quête : Rapports diplomatiques

Althéa secoua la tête tout en regardant Lothringen. Elle savait que ce qu’elle allait dire allait surprendre le conseiller et elle s’en réjouissait d’avance. Bien des choses avaient changé depuis son dernier passage au Loyal Paladin. Il devait se douter à présent qu’elle était membre de la guilde d’Elissa vu que c’était lui qui les avait mises en contact. Elle n’en ferait aucunement mention. Quant à sa profession aux yeux de tout le monde, il ne s’y attendrait pas du tout.

« Althéa de Lochnohan, dit elle avec un petit sourire, je suis propriétaire du Loyal Paladin »

Lothringen eut un haussement de sourcil mais ne pipa mot. Quelque peu déçue, elle continua sur sa lancée.

« J’étais dans le groupe recruté par le conseiller pour retrouver la relique du temple de Helm. Et vous ?
- Mornagest, ambassadeur Mélandien »

A ce moment, Dryade passant dans la salle commune munie d’un seau d’eau chaude s’arrêta net en voyant sa jeune collègue :

« Et bien vous voilà enfin !, s’exclama-t-elle sans se soucier des gens qui l’entouraient, et dans quel état ? Mais où donc êtes vous allée pour revenir dans un état pareil ? »

L’espace de quelques secondes, une expression de parfaite panique passa sur le visage d’Althéa. Elle ne pouvait en aucun cas énoncer la cause de son périple au théâtre de la Harpe Manostienne, et surtout pas devant un Mélandien. Il fallait donc qu’elle trouve un mensonge :

« Hé bien, commença-t-elle en regardant du coté de Lothringen qui serait le seul à comprendre ce qu’elle disait véritablement, j’étais en train de me promener du côté du théâtre. Vous savez, ce qui se passe dans notre belle ville m'intéresse énormèment. Et comme on m’avait dit qu’il allait s’y jouer une nouvelle pièce. Malheureusement, j’ai glissé et je suis tombée dans la boue. En me relevant, je me suis aperçue que j’avais perdu mon médaillon. J’ai mis longtemps à le retrouver … et me voilà … »

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen n'avait pas beaucoup de difficultés à imaginer la jeune femme fouinant "par curiosité pure" où il ne fallait pas, et, à en croire son apparence (il avait tendance à évaluer l'intensité d'une aventure aux livres de crasse rapportées, comme d'autres aux blessures de guerre), elle avait trouvé quelque chose d'intéressant. Mais la bretteuse avait raison d'esquiver le sujet, la situation n'était guère propice.

Le semi-drow préféra détourner l'attention générale vers le seau d'eau chaude transporté par Dryade.

" J'ai un baquet pour un boueux! Hum, ou une boueuse, d'ailleurs."

"Nous allons laisser passer Althea", répliqua Lothringen. Mornagest acquiesça d'un hochement de tête. " Depuis que je l'ai vue, je me sens d'ailleurs déjà un peu plus propre."

Pendant que la jeune femme éberluée cherchait quoi répondre, Lothringen fit à Titoeil signe de le rejoindre, puis il lui parla à voix basse.

"Parlez-moi un peu de ce changement de propriétaire..."
L'aubergiste se rengorgea.
" Vous vous souvenez, je vous avais dit que j'avais des problèmes financiers... J'en étais à chercher un repreneur. Et mademoiselle s'est présentée..."
" A d'autres."
" Euh? C'est-à-dire? Althea a mis toutes ses économies dans l'affaire et cela nous a permis de renflouer le tout..."
" J'ai dit: à d'autres. "
" Qu'est-ce qui vous étonne là-dedans? Elle avait quelques économies et..."
" ... n'aurait jamais eu seulement l'idée de se lancer dans une entreprise pareille... surtout toute sa fortune... ça ne m'a pas l'air net... Je vous dis que je veux savoir le reste."
" Quel reste? " fit Titoeil d'une voix un peu moins assurée.
Lothringen décida de bluffer un peu plus. La réaction de Titoeil lui confirmait ses soupçons.
" Ecoutez, c'est simple, je vais lâcher une brigade sur la Taie Dorée dans très peu de temps, je pourrais faire d'une pierre deux coups en lui suggérant de s'occuper de votre établissement par la même occasion. Qu'en pensez-vous?"
" Que... ce ne serait pas très gentil..."
" C'est bien pourquoi ce serait beaucoup mieux pour tout le monde que vous m'en parliez de vous-même. Je ne suis pas du genre à dénoncer. Vous êtes un curieux, Titoeil, vous devez me comprendre..." conclut le semi-drow sur un clin d'oeil entendu.

Quête : Rapports diplomatiques

Titoeil eût un bref soupir. Il savait bien que Lothringen ne serait pas dupe quant à l’arrivée d’Althéa dans les affaires du Loyal. Lui aussi connaissait assez la jeune fille pour savoir qu’elle ne tenait pas une heure assise à une table surtout pour s’occuper de gestion. Quant à ses économies, il savait très bien qu’elles ne feraient pas le poids dans une affaire de gros sous.

« C’est une longue histoire …, dit il après un bref silence, nous cherchions un repreneur et cet homme, ce ménestrel luménien est arrivé de Luménis. C’est Waulkyne qui l’a sans doute emmené ici. Il cherchait à s’installer à Manost. Je lui ais parlé des affaires peu florissantes du Loyal et il m’a proposé de reprendre l’établissement. Je ne pouvais refuser voyez vous. Il avait l’air si content. Mais il n’était pas Manostien … Si vous aviez vu la tête du pauvre homme quand je lui ais annoncé. Et comme par miracle, Althéa nous a dit qu’elle voulait bien servir de prête-non en tant que Manostienne. Elle tenait tellement à cet établissement. Si vous l’aviez vu nous implorer pour nous apporter son aide. J’en étais tout ému. Mais cet affaire est presque légale, nous avons fait un contrat … »

Il eût un regard vers Lothringen guettant une réaction puis replongea son nez dans sa choppe de bière en suppliant :

« S’il vous plait. Dites moi que vous n’irez pas porter l’affaire à la guilde des marchands ! On ferait fermer la taverne et ça serait une catastrophe. Où iraient tous ces pauvres gens sans nous ? »

Et comme pour corroborer ses dires, un client entendant supplier se jeta à genoux et joignit les mains en direction du conseiller.

Quête: Rapports diplomatiques

Gêné, hésitant entre le rire et l'agacement, le semi-drow ne sut tout de suite comment réagir à ce qu'il concevait comme une agression caractérisée. Il n'était pas du genre à s'embarrasser beaucoup de protocole (peut-être y manquait-il lui-même régulièrement, d'ailleurs) et il préférait de beaucoup qu'on lui rende la politesse. Il regarda le client en fronçant les sourcils et répliqua d'un ton un peu plus sec qu'il ne l'aurait voulu:

- Ne soyez pas ridicule. Puis, se tournant vers Titoeil: Je suis parfaitement conscient du rôle caritatif joué par cet établissement et ça n'aurait vraiment servi à rien de le reconstruire à si grands frais si c'était pour le refermer aussitôt. Du reste... il eut un signe de main vaguement désinvolte... les affaires commerciales, ça me dépasse un peu. Toujours aussi bonne, cette bière.

Le silence retomba un moment. Titoeil tentait de réaliser à quel point il l'avait échappé belle tandis que les deux guerriers-diplomates savouraient leur pinte. Lothringen avait brièvement lorgné sur Mornagest de temps à autres. Il paraissait détendu, pour une fois. Et après tout, ils avaient bien mérité ce répit.

Un bon moment plus tard, Dryade revint à la charge, leur annonçant qu'elle venait de remplir un nouveau baquet dans la salle d'eau des messieurs. A en croire son soupir, elle aurait bien voulu se rendre utile un peu plus longtemps. Lothringen fit signe au mélandien de prendre son tour, demeurant alors seul avec l'aubergiste qui avait pour une fois le bon goût de réfréner son habituelle passion pour les questions indiscrètes. Le conseiller souriait, bien que sa choppe fût enfin vide. Difficile de déterminer la part de la fatigue et celle du soulagement.

Soudain, un vacarme abominable d'éclats de voix, de claquements de portes et de rires gras résonna dans les étages. Aussitôt, Titoeil témoigna d'une inquiétude significative.

- Qu'est-ce que c'est que ça?
- ça devait arriver ça... J'avais une demi-douzaine de convoyeurs qui fêtaient l'arrivée de leur paie, et que Dryade a été coucher de force il y a deux bonnes heures... Ils ont dû poursuivre leur petite fête à huis clos, et maintenant ils débordent dans les couloirs...

On entendait désormais quelques clients grogner avant de se réfugier sagement derrière leurs meubles. Titoeil leva le petit doigt.

- On dirait qu'ils sont trois... Au premier étage je dirais.
- Rassurez-moi... il y a quoi au premier étage?
- Des chambres ordinaires, la suite royale, les latrines et...
- Les salles d'eau?
- Euh... oui.

Lothringen soupira en se levant de table et se mit à gravir l'escalier. Pourquoi n'en était-il pas seulement surpris... C'était le jour.

Quête : Rapports diplomatiques

Au moment où Lothringen gravissait l’escalier le bruit d’une joyeuse cavalcade se fit de nouveau entendre. Visiblement, les trois autres convoyeurs venaient de rejoindre leurs collègues. Bien décidés à prendre un bain nocturne afin de se remettre des émotions de leur douce journée de débauche, ils investirent rapidement la salle du baquet sans se soucier du guerrier nordique qui était juste parvenu à enlever dans la douleur sa chemise élimée et crasseuse.

Avec des cris provoqués par la joie de trouver de l’eau chaude rien que pour eux, ils se ruèrent sur les seaux. Certains commencèrent même à se ôter leurs vêtements sans aucun souci de pudeur. D’autres s’amusaient à s’éclabousser et à se pousser dans les baquets. D’autres quasiment nus dansaient, une serviette nouée autour de la table. D’autre encore jouaient à se poursuivre en se pinçant le derrière. Un autre, plus hardi que les autres prit même la chemise de Mornagest pour s’en faire un pagne. Tout ce petit monde avait retranché dans un coin l’ambassadeur Mélandien qui observait la scène, totalement pétrifié.

[Quête : rapports diplomatiques]

Tombant des nues devant la scène qui se déroulait devant lui, le guerrier sentait ses tempes battre la chamade, au rythme de son coeur endiablé. La situation était du plus haut ridicule, avec un Mornagest à moitié nu devant d'autres fous ivres morts, encore plus nus, mais ne semblant pas le remarquer.

L'ambassadeur hésitait entre se saisir de son arme et menacer les fous des pires tourments s'ils ne cessaient leur manège, et rester là en attendant qu'ils ne tombent au sol d'épuisement et le laisse enfin prendre tranquillement un bain.

L'accès à la porte était compromis par leur danse effreinée, aussi prit-il le parti de les bousculer assez rudement, afin de se frayer un passage parmi eux.

Il était en train de se préparer à les charger de l'épaule, lorsqu'il entendit des pas dans le couloir. Bravement, Mornagest appela : "Si quelqu'un pouvait m'aider à ne pas passer ces manants au fil de mon épée, pour me laisser prendre un bain ensuite ?"

Son ton était mi-figue, mi-raisin.

Quête: Rapports diplomatiques

Ce n'est qu'en parvenant au sommet de l'escalier que le conseiller se demanda enfin ce qu'il allait bien pouvoir faire. A en croire les cris des uns et l'appel de l'ambassadeur, les intrus avaient opté pour la pièce de gauche, c'est-à-dire la salle d'eau des hommes. Une chance pour Althea, et un bon point pour eux. Mais que pouvait-on faire pour évacuer une bonne demi-douzaine d'imbéciles fin saoûls, sans trancher dans le tas?

Si on attendait la garde, on n'en aurait pas fini, et Lothringen doutait de voir la patience de Mornagest se prolonger jusque là. Si on laissait faire Dryade (dont il entendait déjà le pas léger agresser les marches de l'escalier...) on courait à un autre genre de catastrophe. Sur sa droite, il vit Althea sortir en trombe, armée, sentant le savon, en chemise et le pantalon à l'envers. Mais elle n'avait pas l'air de trouver de solution miracle non plus, et elle hésitait sur le seuil de la salle. Entrera, entrera pas?
Lothringen finit par se décider à trouver une idée:

Lothringen = = > sons imaginaires = = > porte de la salle d'eau

On commença à entendre des bruits de pas, des cliquetis d'armure, des éclats de voix approchant qui parvinrent même à couvrir ceux des fêtards éméchés. Pas de doute, c'était le guet qui montait vers les étages.

Quête : Rapports diplomatiques

Et presque aussitôt, la porte de la salle du baquet s’ouvrit, poussée avec une telle force qu’elle sortit de ses gonds et la demi douzaine de joyeux lurons s’éparpilla comme un seul homme dans les chambres. En quelques minutes, il n’y eut plus dans la salle du baquet que Mornagest qui avait désormais autant de place qu’il souhaitait. Althéa eût un léger soupir de soulagement. Sans l’intervention de Lothringen, elle aurait été obligée de faire fasse à la bande d’imbéciles qui aurait pû faire n’importe quoi plutôt que de lui obéir. Le mois dernier, elle, Dryade et Titoeil avaient dû les faire fuir à grand renfort de seaux d’eau glacée alors qu’ils s’étaient perchés nus sur les arbres du verger.

L’arrivée du conseiller avait été providentielle. Elle se tourna de son coté et murmura un petit « merci » avant d’ajouter :

« Et bravo. Vous avez réussi à les maîtriser sans avoir recours à la force. Exploit que ni Titoeil, Dryade et moi réunis ne sommes jamais parvenus à réaliser. A croire que nous n’utilisons pas les bons arguments … »

Elle s’interrompit pour courir vers Dryade qui s’approchait dangereusement de la porte entrouverte.

« Et vous, inutile d’approcher !, murmura-t-elle en se plaçant devant la semi-orque, ils sont tous rentrés dans leur chambre. Il n’y a plus rien à voir ! »

[Quête : rapports diplomatiques]

Alors qu'il allait rentrer dans le tas, Mornagest entendit un vacarme épouvantable en provenance du couloir, duquel il pensait qu'il ne venait qu'une seule personne. Là, il lui semblait qu'une armée d'orques y marchait à présent, faisant le plus de bruit possible afin d'éviter de prendre ses ennemis par surprise.

Tandis qu'il se redressait, l'ambassadeur vit les gais lurons s'enfuir vers leurs chambres, apeurés par le brouhaha qui s'approchait de plus en plus, grondant.

Puis soudain, ce fut le silence complet. Et ensuite, la voix de la jeune femme de tout à l'heure se fit entendre, remerciant le conseiller manostien pour son renfort. A n'y rien comprendre....

Mais Mornagest avait fort à faire. Il avait perdu sa serviette dans la mêlée, et s'empressa de la récupérer tandis que les pas lourds de la demi-orque se faisaient eux aussi entendre, de l'autre côté de la porte entrouverte.

Rhabillé - sommairement - l'ambassadeur alla ouvrir la porte et regarda le trio, interloqué.

"C'était quoi, ce raz-de-marée dans le couloir ?"

Quête: Rapports diplomatiques

En fait de raz de marée, Mornagest dégoulinait abondamment sur le parquet sous le froncement de sourcils quelque peu désaprobateur de la semi-orque. Mais qui s'en souciait... Lothringen regardait fixement tomber les goutelettes, une à une, sans les voir. La journée avait été longue.

- C'était un sort d'illusion auditive mineur mais bien commode... Il est bien temps que la journée s'achève, je n'ai plus grand chose en mémoire; la prochaine fois qu'un troupeau de boeufs débarque dans cette auberge, je risque assez de ne rien trouver de mieux qu'une porte dimensionnelle, je vous préviens.

- Il n'y a pas de boeufs dans mon auberge! gronda Dryade de cette voix de gorge qui faisait fuir les clients à problèmes.

Le conseiller se contenta de hausser les épaules tout en redescendant vers la salle commune.

- L'incident est clos. Quand vous aurez de l'eau chaude et propre, faites-moi signe.

Quête : Rapports diplomatiques

Le reste de l’opération de mise au propre du conseiller et du diplomate se déroula dans une atmosphère de calme après la tempête. Dryade et Althéa étaient descendues remplir d’autres seaux d’eau chaude que Titoeil avait monté afin de canaliser les féroces appétits de Dryade. Trop d’hommes nus dans la même soirée et bientôt, on ne la tiendrait plus. C’est tout juste si Althéa n’avait pas été obligée de l’enfermer dans les cuisines. Alors, Lothringen et Mornagest, l’un après l’autre avaient pû goûter au plaisir d’un bon bain suivi de près par celui d’une chambre et d’un bon lit avec des draps propres. Pour une fois, la ruelle sur laquelle donnait la chambre du Mélandien demeura calme. Les fauteurs de trouble l’avaient déserté en croyant entendre la patrouille du guet. Le Manostien lui, s’endormit bercé par le chant de la mer.

Le lendemain, c’est deux hommes reposés qui entrèrent dans la salle commune. Ils découvrirent un Titoeil soucieux faisant les cent pas sans trop prêter attention aux clients qui commençaient à affluer. Mais il parvint tout de même à sourire en les voyant et pressa vers eux son pas chaloupé.

« Vous tombez bien, murmura t’il gêné, peut être allez vous pouvoir m’aider. Je sais que je ne devrais pas compte tenu de votre statut conseiller … Mais je suis inquiet … Ce matin, Althéa m’a averti qu’elle allait étudier à nouveau la configuration du théâtre. Il se passe de drôles de choses ces derniers temps. Et vu l’état dans lequel elle est revenue hier, je suis partiellement inquiet. Elle n’en fait qu’à sa tête voyez vous. J’irai bien voir ce qu’il en est mais elle le prendrait mal. Mais … si par hasard il vous arrivait de passer du coté du théâtre … »

Et il gratifia Lothringen d’un regard implorant dont lui seul avait le secret.

Quête: Rapports diplomatiques


Le semi-drow se contenta d'un haussement de sourcil contrarié. Il descendait à peine de sa chambre, le ventre creux, et Titoeil l'agressait déjà avec ses circonvolutions inutiles.
Il répliqua avec un certain agacement : "Et bien, terminez votre phrase... S'il m'arrivait tout à fait fortuitement, tout en discourant paisiblement sur les mesures de sécurité à prendre pour Aghoralis, de passer près du théâtre...?"

- ... si vous pouviez sauf votre respect vérifier qu'il ne pourra rien lui arriver. Et pour une fois de rentrer au Loyal. Je suis convaincu que vous, elle vous écoutera. Au pire, elle reviendra furieuse. Mais elle reviendra.

Lothringen hocha la tête. Rendre ce genre de service à la jeune femme revenait à partir en quête d'une bouderie de grande ampleur. D'un autre côté, ALthea était souvent à la limite de l'inconscience dans ses prises de risque inconsidérées... Et Titoeil avait de bonnes raisons d'être inquiet. Il pouvait bien leur rendre ce service, après tout.
Lothringen haussa les épaules, et acquiesça.

"Bah, nous trouverons bien le temps de nous promener dans les parages, entre deux calculs de pourcentages... Avec un peu de chance, il y aura même un peu de boue à la clef. Qu'en pensez-vous, Mornagest? "

[Quête : rapports diplomatiques]

L'ambassadeur, l'air un rien hagard malgré la bonne nuit qu'il venait de passer - ses songes l'avaient pour une fois laissé tranquille - regardait un peu partout dans la salle à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent, sans vraiment écouter ce que le tavernier disait.

Puis, quand Lothringen lui demanda son avis, il sursauta, et déclara tout de go :

"Je n'irai pas plus loin sans avoir englouti un déjeûner correct. Je meurs de faim."

Et, comme pour souligner ses paroles, un gargouillis stomacal vint remplir l'espace sonore de toute la salle, avec une élégance rare. Souriant, Mornagest ajouta :

"Il y a urgence. Mais ensuite, nous pourrons nous occuper de votre affaire, vous savez tout aussi bien que moi que parler chiffres toute la journée n'est pas mon fort."

D'autant qu'il ne connaissait pas ce théâtre. Quoique sa dernière apparition au théâtre lui avait laissé un assez mauvais souvenir, à Lumenis. Il osait espérer qu'un complot visant à détrôner le Conseil Manostien n'était pas en cours en ce moment même...

L'ambassadeur demanda alors au drow :

"Vous avez passé une bonne nuit ?"

Des plus banal. Mais depuis quelque temps, le silence entre eux deux le mettait mal à l'aise.

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen eut une moue étrange, comme son regard s’abîmait sur le parquet. Au réveil, il s’était découvert en nage, les draps éparpillés comme s’il venait de se battre avec, et de ne pas gagner. Après un bref effort de remémoration, il s’était souvenu de son rêve… par bribes, puis avec une netteté d’un réalisme préoccupant. Un mauvais rêve, qu’il refaisait quelquefois. Il n’avait pu se rendormir, et il était demeuré allongé, immobile, à n’oser refermer les yeux, guettant le jour qui tardait à venir.

Alors que Titoeil était parti dans les cuisines, le semi-drow prit le temps de s’asseoir à une table avant de répondre :

- En fait, non. Fatigué comme je l’étais, je me suis endormi comme une masse: malheureusement, ce n’a guère duré. J’aimerais pouvoir affirmer que ce n’était qu’un cauchemar... un mauvais souvenir.

Il s’efforça de sourire, comme pour chasser cette pensée déplaisante, et regarda Mornagest.

- Qu’importe, un nouveau jour commence. J’ai aussi faim que vous.

[Quête : rapports diplomatiques]

Mornagest sourit au drow, et lui lâcha :

"J'aime quand vous parlez comme cela. Mangeons donc !"

Il demanda alors à Titoeil un pain entier, avec du jambon et du fromage, puis se mit à engloutir, tranche par tranche, l'entièreté des aliments, sans s'arrêter pour souffler. Il dévorait littéralement son repas, et le monde semblait pouvoir s'arrêter de tourner, rien ne comptait plus que son estomac, en ce moment crucial.

Tandis qu'il achevait sa dernière tartine de pain, l'ambassadeur demanda doucement à Lothringen :

"Vous avez parlé d'un rêve... des souvenirs d'hier ?"

Quête: Rapports diplomatiques

Certains mots n’avaient visiblement pas la même signification selon ceux qui les employaient. Quand Lothringen disait qu’il avait faim, il entendait par là pouvoir engloutir deux repas ordinaires. Avec Mornagest, il valait mieux les compter par dizaines ! Aussi le semi-drow avait-il observé avec une certaine admiration le déjeuner de son vis-à-vis. L’ambassadeur lui rappelait singulièrement un certain semi-ogre forgeron qu’il avait connu autrefois.

"Vous avez parlé d'un rêve... des souvenirs d'hier ?"

Si doucement que Mornagest avait enfin posé sa question, elle l’avait surpris au milieu de cette rêverie en le rappelant à des souvenirs moins agréables. Son cœur se serra. Le regard du semi-drow se fit extrêmement vague, tandis qu’il se demandait jusqu’où il pouvait aller. Le Grand Emissaire était en réalité la seule personne à laquelle il avait jamais parlé de cette partie là de son passé… ENcore étrait-il demeuré on ne peut plus allusif.

Mais il se souvenait de l’aide que le mélandien lui avait apportée la veille, ainsi que de la difficulté qu’il semblait avoir à assumer de lui avoir parlé lui-même. Peut-être le fait de le voir en faire autant aiderait-il Mornagest à relativiser? Et après tout… rares étaient les personnes à l’avoir jamais appelé leur ami…

Pourtant certaines choses frôlaient l’indicible. Lothringen prit son inspiration. Peut-être qu’en se limitant à la stricte narration de son rêve, il parviendrait à dire…

- En fait… non … c’est un rêve qu’avec des variantes, j’ai refait plusieurs fois depuis mon retour de Melandis… Mais cela ne ressemble pas tout à fait à un rêve. Pas assez, grinça-t-il encore.

- C’est-à-dire ?…

- Hé bien… Le semi-drow ferma à demi les yeux. Je me trouve seul, mais invisible et tel que me voici aujourd’hui, au cœur de la grand place d’une cité drow que j’ai connue jadis… La place est vide, battue par les vents des profondeurs, et je me tourne sur moi-même pour regarder un à un ses bâtiments. Leurs flèches, leur élégance, leur couleur de pourpre, la nuit de la caverne et les gemmes qui brillent à ses parois, dans la pénombre… Je suis seul, mais je devine une présence à la fois familière et glaçante. Et bientôt, je me sens comme obligé de regarder au centre de la place. Une flaque de sang se met à sourdre de nulle part… et je devine que ce sang est le mien.

La flaque s’étend; une voix commence à siffler dans le vent, à murmurer à mes oreilles… Elle ne m’appelle pas par mon nom, mais par celui que j’avais jadis, celui que je portais en Ombre-Terre et que j’ai renié. Celui qu’elle m’avait donné. Je choisis… le silence. Tandis que le sang commence à recouvrir toute la place, les vents se font cinglants et me fouettent le visage… jusqu’au sang. Le vent se fait bourrasque, il pleut du sang, du sang encore ! Je sens que dans mon dos certaines vieilles cicatrices se rouvrent, et je découvre qu’en dépit de mon invisibilité, je suis nu. Leur sang se mêle à celui qui goutte sur le sol. La voix se fait impérieuse. Elle provient d’une haute tour à la périphérie de la ville : pourtant, il ne serait pas faux de dire qu’elle est partout, qu’elle m’enveloppe comme les vents, comme un linceul.

Une barque est là qui attend. Je refuse d’entendre, le sang me monte jusqu’aux chevilles, le fouet sanglant du vent m’étourdit, me donne la nausée, m’écœure, me repousse et me tire… je ne peux plus faire autrement que d’aller vers cette barque, et quand j’y ai posé le pied, tout s’arrête, le vent se refait murmure pour me souffler : « Tu vois. Ce n’était pas si difficile. Pourquoi ne veux-tu jamais comprendre? M’as-tu si vite oublié? Je t’attends. Si tu refuses de te montrer, donne-moi au moins de tes nouvelles…» Et comme je me tais, obstinément, voilà que la barque s’écarte du bord sans que je puisse la quitter, s’enfonce lentement dans le sang, et me noie…

Le semi-drow secoua la tête. Sa gorge s’était serrée à mesure, et c’était un miracle qu’il parvienne encore à articuler.

- Tout ceci… ne serait qu’une bête succession d’images angoissantes si je n’en devinais trop aisément la signification. Je…

Mais les mots lui manquèrent, et il s’enfouit les lèvres dans la main, dans une dérisoire tentative de masquer sa confusion.

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier était étonné. Il ne s'attendait guère à ce que Lothringen puisse avoir autant peur de rêves, à moins qu'ils ne cachent, comme il semblait le suggérer, un cruel passé. Ce passé, qui hantait visiblement ses songes, tout comme l'ambassadeur. Triste ironie, que de rencontrer une personne en apparence si différente, pour lui découvrir un point commun si douloureux.

Mais cela lui donnait un certain regain de confiance. Mornagest avait trop vécu avec la pensée d'être un persécuté, se croyant seul à tout jamais, condamné à vivre avec son passé, à tenter de le fuir en se cachant derrière une carapace dure comme l'acier de la lame qu'il maniait pour se venger de ceux qui osaient se trouver sur son funeste chemin.

En ce moment, à travers le malaise du conseiller, Mornagest entrevoyait une lueur d'espoir. Même s'il se garderait bien de lui signaler ce fait.

"Je pense que vos rêves ne sont pas anodins. Ils ne reflètent que vos peurs. Comme moi face au freyeur...." Il trembla en repensant à sa tourmente mentale qui suivit la fin du combat. Toutes ses craintes, toutes ses terreurs avaient rejaillies en un seul instant, mais pour rester profondément ancrées dans son esprit, dans son coeur, dans la moindre de ses fibres, prêtes à ressurgir à la moindre occasion. Et le savoir l'affaiblissait.

"Mais il faut savoir faire face à son passé. Le combattre, et l'empêcher de ressurgir à tout jamais. Du moins c'est ce que j'essaie de faire...."

Il baissa le visage, sombre, sur les miettes de son repas, avec lesquelles il commença à jouer machinalement.

"Ce rêve... revient souvent ?"

Quête: Rapports diplomatiques

- J'ai dû le refaire cinq ou six fois tout au plus... de préférence après une journée particulièrement éprouvante, quand mon esprit fatigué baisse la garde. Ce n'est évidemment pas anodin.

Il jeta un bref regard à Mornagest, soupçonnant le contresens. Il n'avait pas non plus donné beaucoup de moyens de l'éviter... Seul un pratiquant des arcanes aurait pu deviner sans peine ce qu'il avait voulu dire.

- Pas anodin, mais pas pour les raisons que vous pouvez croire. Quand je disais que ce rêve n'en était pas tout à fait un, je ne voulais pas dire qu'il brassait des souvenirs... Enfin, ce n'est pas faux... Je voulais dire qu'il n'a rien de naturel. Comprenez-vous? C'est l'effet d'une magie malveillante, d'une suggestion. A cause de ce cauchemar, je n'ai pu mémoriser aucun sort cette nuit... et certaines cicatrices bien réelles se sont effectivement rouvertes.* Il secoua la tête. Je sais de qui me vient ce rêve, et je sais ce qu'il veut... Aussi longtemps que je refuserai de répondre, que je demeurerai caché, il reviendra.


* il s'agit du sort de cauchemar, domaine de l'illusion/mal, niveau 5. Charmant, non?

[Quête : rapports diplomatiques]

L'ambassadeur resta un instant sans mot dire. Il n'était guère versé dans les magies occultes, et manipuler les esprits des autres avec tant de facilité l'effrayait quelque peu. Il serrait son gobelet d'eau, au point de rendre ses articulations blanches, et serra la mâchoire, avant de répliquer :

"Vous savez qui vous tourmente de la sorte, alors ? Si ce n'est votre passé, qui est-il ?"

Il espérait presque que le conseiller allait lui donner un nom, une identité. Quelqu'un sur qui passer la rage accumulée, la peur qui l'avait envahi, et pouvoir ainsi se libérer de ses chaînes.

Tandis que lui... il n'avait que lui-même à combattre, seul et dans l'obscurité, seul mais avec ses souvenirs, sa rancoeur. Au final, lequel des deux hommes souffrait le plus ? Peut-être pas celui auquel on pouvait penser au premier abord.

Ils devaient, en ce moment, donner une belle impression de puissance, à baisser misérablement les yeux en songeant chacun de son côté aux vicissitudes de leur existence.

Quête: Rapports diplomatiques

Comme les questions se faisaient plus précises, le semi-drow s'assombrit un peu plus, ce qui relevait en soi de la prouesse lexicale. Lothringen commençait à prendre en pitié l'incommunicabilité humaine. Il avait l'impression d'égarer son auditeur sur de fausses pistes à force de vouloir dire à moitié sans rien révéler de l'essentiel. Cela ne rimait à rien... S'il y allait, autant y aller jusqu'au bout. Tant que cela ne le mettait pas davantage en péril, bien sûr.

- C'est mon passé et ce pourrait encore être mon avenir, c'est un homme qui appartient à mon passé et qui sait bien quel souvenir, parmi tous les autres, est susceptible de me tourmenter. Sur la place que décrit mon rêve, de la façon que décrit mon rêve, j'ai failli mourir... C'est lui qui m'a sauvé la vie. Mais pas gratuitement. Aujourd'hui encore, il me rappelle sa dette et me la fait payer. Je...

Il voyait bien que cela n'allait nulle part... Pourquoi s'obstinait-il? Pourquoi devant cet homme-là? Parce qu'il avait lui-même avoué des souvenirs pas beaucoup plus reluisants? C'était plutôt comme si Lothringen ne pouvait plus se retenir à présent, comme s'il voulait crever l'abscès de tout ce temps de silence, maintenant qu'il en avait l'occasion, maintenant qu'il avait commencé le travail, dépassé le plus dur, le premier mot, le premier pas...

- C'était mon maître. Je suis parti et il me cherche. Il ne peut pas me localiser mais il peut encore m'envoyer des rêves.

Il pria intérieurement Tymora que Mornagest ait assez d'entendement pour deviner le reste sans l'interroger davantage.

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier était frappé de voir que le drow, pourtant aux abords si confiants, puisse craindre de la sorte un relent de son existence passée en Ombreterre. Tout, dans ce monde corrompu, n'était qu'apparence et leurre. Encore quelques jours à passer ici, et Mornagest apprendrait que le conseiller manostien ne voulait que la chute d'Helm lui-même.

"Et vous restez là sans pouvoir le chasser et le tuer, afin de vous en débarasser une bonne fois pour toutes ?"

Mornagest fit la moue. Il considérait jusqu'ici que le conseiller était un homme courageux, et cette conversation n'allait pas le faire changer d'avis. Il venait d'être acerbe avec lui, mais en son for intérieur, il songea que ce "maître" devait avoir un pouvoir très puissant. Il avait pu juger de la vaillance du drow au combat, un misérable mortel ne lui ferait pas tant d'effet.

"Qui est-il vraiment ?"

Quête: Rapports diplomatiques

Piqué dans sa susceptiblité, Lothringen ne risquait pas d'oublier de répondre. Il avait de bonnes raisons de redouter celui dont il parlait. De très bonnes raisons.

- Un devin drow, Mornagest. Un grand devin qui approche les mille ans d'étude, assez puissant pour balayer une armée de combattants sans lever un doigt, sans ouvrir la bouche, presque instantanément, d'une simple pensée. Un archimage.

Il soupira.

- Mais, dûssiez-vous me prendre pour un faible, je vous dirais que même si j'avais la possibilité de le tuer, à moins qu'il ne me laisse pas d'autre choix, je n'en ferais rien.

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier se leva presque de sa chaise. Un mage puissant, certes. Et alors ? Lothringen pensait-il vraiment qu'il était le seul dans les Royaumes à disposer de pouvoirs magiques ? Qu'il était invincible, tel Elminster, ou un avatar de Baine lui-même ?

Quant à l'épargner... là, Mornagest failli hurler. Mieux, après s'être retenu un instant, il laissa échapper sa colère, avec un soupçon de dédain dans la voix :

"Un elfe noir, soucieux d'épargner celui qui le torture depuis des années ? Vous croyez que quand j'ai eu l'occasion de massacrer les truands qui ont assassinés mes parents, je leur ai laissé la moindre once de chance ?"

Il se rassit, les tempes battantes, puis repris, moins nerveusement :

"Vous pensez que je suis devenu ce que je suis en montrant de la pitié ? Qu'à Melandis, la miséricorde a sa place ?"

Il se frotta les yeux. Il pleurait presque, mais d'énervement, cette fois. D'incompréhension. De rage.

"Pourquoi ?", laissa-t-il tomber, la voix brisée par les sentiments contradictoires qui se bousculaient dans son esprit. Comme si le conseiller l'avait trahi, comme si sa déclaration l'avait dégoûté à vie.

Quête: Rapports diplomatiques

- Mais qui vous parle de miséricorde?!

Lothringen s'échauffait à son tour. L'ambassadeur avait-il réellement entendu ce qu'il venait de lui dire? Ou bien extrapolait-il d'après des préjugés nationaux trop aisément identifiables? Il estimait en tout cas que Mornagest le jugeait mal, et, vexé de ce qu'il entendait - peut-être plus blessé qu'il ne voulait se l'avouer, d'ailleurs, il ne lâcherait pas l'affaire avant de le lui avoir fait comprendre.

- Pour avoir vécu quinze ans en Ombreterre et plusieurs mois à Melandis, j'ai une idée assez précise de la façon dont fonctionnent ces sociétés, et je sais bien qu'il n'y survit pas longtemps, celui qui ne sait pas lécher la main des hommes trop puissants pour lui...

Et vous pas plus qu'un autre, Mornagest. Je ne crois pas que ce soit l'épée tirée que vous êtes sorti de vote cellule, ni avec des projets de vengeance immédiate contre ceux qui vous avaient torturé. Pourtant, je ne vous mépriserai pas pour cela. Aviez-vous le choix? Ne me disiez-vous pas hier qu'il était sage de savoir distinguer la bravoure des pulsions de suicide?...

Il fit un violent effort pour se calmer. Y parvint enfin. Ses doigts se mirent à dessiner dans le cercle de lait frais laissé par son bol sur la table.

- Et pour qui me prenez-vous, reprit-il un ton plus bas. Il songea fugitivement à Eolder'n, à la façon dont il avait repris conscience sur son cadavre. La dernière fois que j'ai affronté un ennemi personnel, sans me vanter, on pouvait ramasser son crâne à la cuillère. Un acte commis dans la folie, et dont il n'était pas très fier, habituellement... Qu'est-ce qui lui prenait d'en faire étalage? Comme s'il voulait prouver quelque chose. Je sais parfaitement haïr et me venger, rassurez-vous.

Seulement, pour le mage dont je parle... c'est différent. Je ne parviens pas à le considérer comme mon ennemi. Il est celui sans qui je n'aurais pas survécu à l'Ombreterre, jeune sang mêlé que j'étais. Celui qui m'a adopté, qui m'a protégé, qui m'a tout appris. Les sentiments qu'il m'inspire sont mêlés de peur et de reconnaissance, de rejet et d'admiration. Ni rancune, ni véritable haine.

Et, en dépit de son oppression, il ne m'a pas non plus "torturé". A moins que vous ne considériez les menus effets secondaires de ces cauchemars comme le summum de l'art drow en la matière, ironisa-t-il enfin, un vague sourire aux lèvres.

[Quête : rapports diplomatiques]

Plus surpris qu'énervé par les paroles de Lothringen, l'ambassadeur se tint coi un long moment. Il regardait fixement le drow, méditant ses paroles. Il ne comprenait pas. Et il ne se priva pas de l'expliquer au conseiller :

"Je ne vous suis pas. Comment pouvez-vous laisser en vie un être qui vous a causé du tort, si vous avez l'occasion de le tuer ? Comment pouvez-vous ne pas lui en vouloir ?"

La haine était son essence, depuis si longtemps. Il ne comprenait pas ce point de vue, cette façon de penser. Non qu'il était étonné de l'entendre de la bouche de Lothringen. Il avait déjà rencontré d'autres personnages ayant la même philosophie. Mais il ne parvenait pas à imaginer qu'un être ayant tant souffert à cause d'un autre ne puisse lui en vouloir.

"Certes, j'ai dû faire profil bas durant de longues années, mais lorsque j'ai retrouvé ces assassins, je ne me suis vraiment pas privé. Et, oui, avant que vous ne posiez la question, j'ai pris plaisir à les torturer."

Il parlait sur un ton calme. Monocorde, même, comme s'il récitait une leçon, comme s'il ne croyait pas ce qu'il déclamait.

Quête: Rapports diplomatiques

Le calme de Mornagest le surprit beaucoup plus que ses déclarations. Quoi de plus naturel que le plaisir de la vengeance... mais... un autre visage venait se superposer à celui du mélandien... un souvenir vieux de six ans.

- Almaeron, secoue-toi! il faut le tuer tant qu'il est évanoui! si tu l'épargnes aujourd'hui il nous retrouvera et notre fuite n'aura servi à rien!
- Il n'en est pas question, Gythris. Sinon c'est à moi que tu auras affaire.
- Mais tu es complètement conditionné ma parole! tu as accepté de venir mais tu ne vois toujours pas le mal qu'il t'a fait?!
- Tu préfères fuir sans moi? sans ma magie? C'est pour le coup que tu n'aurais aucune chance.

Dire que c'était la dernière conversation qu'il avait eue avec Gythris avant qu'il ne succombe au poison des araignées, et que c'était une dispute... Le conseiller regarda à nouveau Mornagest.

- Je n'ai eu qu'une seule fois l'occasion de le tuer... lors de mon évasion... et il ne m'est même pas venu un instant l'envie de le faire...

Pourquoi, en fait? S'il l'avait tué ce jour-là, jamais cette ombre n'aurait continué de peser sur sa vie comme une menace lointaine. Lothringen se mit à froncer les sourcils, non de colère, mais parce qu'il peinait à concentrer sa pensée sur la question. Sa réaction lui avait toujours paru si naturelle qu'il n'y avait jamais vraiment réfléchi. En réalité, Dorson ne lui avait fait de bien que dans son propre intérêt. Elever un esclave était pour lui le meilleur moyen de garder l'entier contrôle de son apprenti. Reconnaissance mal placée... et bien mise à profit par son maître.

- Vous avez raison... Je devrais logiquement lui en vouloir... Il manipulait mon esprit. J'ai réussi à trouver la volonté de partir mais il me reste manifestement du chemin pour m'en affranchir tout à fait...

Il sentit des humeurs amères lui remonter soudain sous les paupières, puis deux larmes se mirent à rouler sur ses joues. Lothringen ne les essuya pas, ni ne chercha à les cacher, comme s'il en était le premier surpris. C'était la première fois... depuis tant d'années... depuis qu'il était tombé entre ses mains.

[Quête : rapports diplomatiques]

Tandis que Lothringen parlait, le guerrier le regardait à nouveau. Il semblait moins tendu qu'au début de leur conversation, et cela calma complètement Mornagest, peu enclin à la violence verbale.

Soudain, il vit perler, au bord des yeux du drows, deux larmes, à l'aspect nacré sur sa peau d'ébène. Ce n'était pas tant le fait qu'un homme pleure devant lui, que le fait que ce soit Lothringen, l'homme qu'il croyait impassible en toute situation, maître de ses nerfs, de ses sentiments, qui ne cherchait pas à retenir... sa tristesse ? sa rancoeur ? qui le mit mal à l'aise.

Choqué, l'ambassadeur resta silencieux, puis se rappela soudain que Titoeil devait être dans les environs, et qu'il en avait déjà bien assez entendu comme cela. Mornagest se leva vivement, prit le conseiller par le bras et fit mine de le faire se lever.

"Venez. Nous aurons l'occasion d'en reparler, dans un endroit plus approprié.", souffla-t-il à Lothringen.

Il était curieux de connaître les raisons qui l'avaient poussé à laisser son maître en vie, mais il estimait qu'ils avaient eu leur compte de confessions intimes pour ce matin, avant même d'avoir parlé d'autre chose.

"Allez, venez. Partons." Il n'y avait aucune trace d'impatience dans sa voix, plutôt de l'insistance, comme pour convaincre un petit garçon qu'il devait le faire, pour son bien.

Mornagest compatissait à la douleur du drow. Non qu'il put savoir en quoi elle consistait, mais il savait qu'un souvenir du passé, quel qu'il fut, guettait toujours pour piquer là où ça faisait mal. En cela, ils étaient semblables. Ils avaient un passé lourd de peines et de souffrances, qu'ils n'avaient pu oublier, ni tuer.

Quête: rapports diplomatiques

Le semi-drow se laissa entraîner hors de la taverne sans opposer de résistance, la pensée ailleurs. Peu lui importait pour l'heure de se laisser faire comme un enfant... Et peu lui importaient les regards dont ils auraient pu faire l'objet.

Tant de chemin déjà parcouru pour découvrir qu'il en était encore à penser comme on lui avait appris à penser, à ne rien pouvoir ressentir d'hostile envers son maître: à se sentir indéfectiblement lié à lui... exactement comme ce dernier l'avait voulu. Ne faisait-il encore rien d'autre que de danser au bout d'invisibles ficelles?
Les séquelles étaient si profondes. Sans doute ne serait-ce qu'en s'affranchissant davantage qu'il pourrait recouvrer ce qu'il lui manquait encore, ce que l'Ombreterre lui avait volé: une partie de sa sensibilité.

Il avait déjà fait des progrès immenses s'il comparait avec ce qu'il était à son retour en surface. Mais la route était si longue... En attendant, cette douloureuse prise de conscience lui réapprenait à pleurer. Ce n'était déjà pas si mal...

Lothringen ne songea à se reprendre que plusieurs rues après avoir tourné le coin du Loyal. La présence du mélandien ne le gênait guère, comme s'ils étaient désormais au delà de ce genre de pudeurs. Il se dégagea alors du bras de Mornagest, qui commençait à se demander quelle direction suivre, et, marmonnant trois mots, parla de se rendre au théâtre, comme ils l'avaient prévu...

Direction > La rue des bateleurs

Quête: Les Caves du Loyal
Retour aux sources... Home sweet home...

Elza poussa la porte du Loyal. Bryan était probablement dans sa chambre, et devait dormir à poings fermés pour récupérer de sa crise. Il ne valait sans doute mieux pas le réveiller pour le moment. Il vallait donc mieux qu'elle se concentre sur son autre objectif. Elle s'approcha du comptoir et commanda à boire.

Quête : Les Caves du Loyal

C’est un Titoeil l’esprit ailleurs qui vint la servir. Le conseiller Lothringen venait à nouveau de partir, et cela l’attristait. Il ne reverrait pas le semi drow avant quelque temps. La prochaine fois, il lui offrirait une choppe de bière, rien que pour le plaisir de bavarder un peu.
Il s’approcha de la jeune femme assise à sa table. Elle aussi était partie vivre des aventures mais était revenue. Il se pencha vers elle et lui dit dans un sourire :

« Votre petit frère semble très sage. On ne l’entend pas. Il dort peut être. En attendant, que puis je donc vous offrir ? »