La Couronne de Cuivre

Angèle regarda spontanément en l'air. Les nuages en effet ne disaient rien de bon. Morgan lui avait raconté que les orages étaient beaucoup plus spectaculaires et meurtriers en montagne. Elle ne comptait pas l'expérimenter.

"Nous devrions trouver un endroit pour nous abriter et cela rapidement."

Elle espérait que Malo et Malika en connaisseurs de l'endroit étaient en mesure de trouver un refuge.

Malika réunissait déjà leurs chevaux quand Malo prit les choses en main, invitant calmement Angèle à mener son cheval par la bride et à le suivre.

- Il y a une caverne qui pourrait convenir à un bivouac à seulement dix minutes à pieds d’ici : nous aurons largement le temps de l’atteindre avant le début du grain.

Rassurée, Malika hocha la tête et laissa la tête de la petite colonne à son aîné alors que le vent commençait à se lever, dissuadant les conversations.

Moins d’un quart d’heure plus tard, le professeur les fit bifurquer vers une formation rocheuse dans laquelle se découpait une large et profonde entrée. Une fois les chevaux mis à l’abri, le professeur reprit la parole :

- Mieux vaut s’installer ici en attendant que ça passe même si nous devons perdre la journée. Il faudrait réunir du bois au cas où nous resterions coincés plusieurs heures.

Ils avaient l’abri. Malo connaissait la région aussi bien qu'escompté. L'aventurier avait repris depuis longtemps le dessus sur l'amnésique blessé qu'elle avait rencontré. Ce changement ne lui déplaisait pas. Quelque part, elle était heureuse qu'Amélie ne soit pas là pour voir le changement qui se produisait. Elle n'aurait certainement pas manqué de faire une remarque sur leur complicité.

Elle même était surprise. Elle n'aurait d'ordinaire jamais parlé d'aller à Luménis avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas quelques jours à peine.

Elle n'eut cependant pas énormément de temps pour introspecter avant d'être mise à contribution. On lui laissa le choix entre s'occuper de rassurer les chevaux et de vérifier leur état, installer le bivouac ou se risquer dehors pour récolter une petite réserve de bois. Ils n'étaient vraiment pas nombreux pour tout faire et tout le monde devait donc contribuer à leur installation.

Hrp : désolée, j'avais mangé la dernière partie de mon post. Je comptais dire qu'elle coupait du bois. ça aurait fait avancer les choses. Un peu fatiguée, moi.

Angèle se proposa pour aller chercher du bois. S'il y avait du danger, elle était plus amène pour se défendre. Les deux autres seraient plus à l'abri dans la grotte.

Son épée à la ceinture pour parer une éventuelle attaque, elle s'aventura donc hors de l'abri et commença à rassembler le bois demandé.

Fort heureusement, elle n'eut pas à aller outre les consignes de Malo délivrées sur un ton un peu inquiet de ne surtout pas s'éloigner de la grotte car la tempête pouvait éclater sans prévenir. En effet, il y avait quantité de petites branches plus ou moins sèche parmi les broussailles et arbustes marquant les abords de la petite rivière dans laquelle ils avaient brièvement pêché.

En moins de cinq minutes, Angèle avait réuni une bonne brassée. Mais peut-être cela ne suffirait-il pas s'ils se retrouvaient bloqués plus de quelques heures. A elle de décider alors que le ciel fonçait encore et que le vent commençait à agiter même les plus grands arbres, charriant poussière, feuilles et brindilles...

Angèle n'avait pas l'habitude de se montrer imprudente. Aussi se dépècha-t-elle de prendre son précieux chargement avant de rejoindre la caverne. Peut-être pouvaient-ils faire durer le bois en n'allumant le feu que lorsque l'obscurité se serait installée.

Si elle adorait les étoiles, elle détestait les orages dont elle avait une peur presque viscérale. Heureusement, la proximité de la mer faisait dévier le front orageux. Ce qui n'était malheureusement pas le cas en montagne.

Et c’est bien un orage qui semblait se profiler malgré la saison. Malo, devinant son hésitation ou voulant tout simplement la dissuader préventivement de prendre des risques inutiles, la complimenta sur sa récolte et sortit une large couverture :

- On doit pouvoir arrimer quelques couvertures à l’entrée pour nous protéger un peu du vent. Vous voulez bien m’y aider ?

Il désigna d’anciennes solives, visibles uniquement de là où ils se tenaient et laissant à penser que la grotte n’était sans doute pas aussi naturelle qu’elle n’était apparue de prime abord.

Angèle se dépécha donc de donner un coup de main à Malo. Elle était impressionnée par son sens de l'organisation. En entrant dans la grotte, elle n'avait même pas remarqué les solives. Malo, lui connaissait parfaitement l'endroit.

Peut-être que ce genre de repérages viendrait avec la pratique. Si elle repartait à l'aventure un jour, bien entendu. Pour le moment, elle ne pensait qu'à continuer son voyage.

Elle aida le jeune homme à tirer sur les cordes qui retenaient les couvertures puis fit des noeuds solides afin qu'ils ne s'en aillent pas.

L’aide de la paladine se révéla décisive car ils parvinrent de justesse à terminer de nouer solidement les pièces de tissu avant de devoir se replier vers le fond de l’anfractuosité. Le vent se mit en effet à souffler beaucoup plus violemment et de grosses gouttes de neige fondue ne tardèrent pas à s’abattre en trombes.

Et autant qu’on puisse en juger à travers les rideaux, il semblait même qu’ils aient affaire à une chute de grêlons qui les auraient probablement mis en grande difficulté si Malo n’avait connu cet abri. Toujours est-il que la température chuta brusquement et que Malika entreprit aussitôt d’allumer un feu pour lutter contre les éléments.

Angèle aida Malika à allumer le feu puis observa avec un certain effarement la nature se déchainer. Les orages en montagne n'avaient vraiment rien d'anodin. Elle entendit la pluie et les grêlons s'abattre au dehors. Elle se sentait angoissée, oppressée et elle lutta pour tenter de rien laisser paraître. Manque de chance, elle n'avait rien pour s'occuper les mains, pas même un bon livre pour occuper son esprit.

Alors, elle espéra que Malo et son humour, Malika et sa bonhomie puissent l'aider un peu. Mais elle n'avait aucune envie d'avouer son angoisse devant eux.

Malo lui aussi semblait soucieux de ce revirement brutal de temps, preuve s'il en était qu'il n'avait absolument rien de banal ou d'anodin. De son côté, Malika dissimulait un peu mieux son souci mais sa façon de répéter plusieurs fois les mêmes gestes inutilement montrait qu'elle n'avait pas toute la tête à ce qu'elle faisait.

Bientôt, les intempéries étaient telles que la seule source de lumière fut celle, modeste et vacillante, de leur petit feu de camp temporaire. C'est alors qu'un reflet - à peine plus qu'un éclat fugace - attira l'attention d'Angèle vers le mur qui lui faisait face.

Angèle focalisait son attention sur la lumière pour tenter de se rassurer. Tout irait tant qu'elle ne se retrouverait pas dans le noir. Elle se revit petite fille, terrorisée par les orages. Là, elle trouvait le réconfort auprès de Guiguemar qui, même s'il prétendait le contraire avait aussi peur qu'elle.

Son regard fut atirré par un éclat brillant, un reflet sur le mur en face d'elle. Curieuse, elle se retourna pour voir ce qui renvoyait ainsi la lumière.

L’impression avait été fugace et la paladine ne vit rien – en tous cas de là où elle se trouvait – sur le mur qui puisse expliquer sa vision. Cependant, son mouvement brusque n’avait pas échappé à ses compagnons et Malo l’interrogea avec douceur entre deux grondements du ciel impressionnants :

- Quelque-chose ne va pas, Angèle ? Vous avez vu quelque-chose ?

Angèle se sentit rougir. Elle n'aimait pas agir dans la précipitation. Elle dit simplement.

"J'ai crû voir quelque chose sur la paroi en face. Un reflet de métal ... Je suis désolée, c'est peut-être la fatigue."

Ou peut-être y avait-il quelque chose de brillant sur la paroi elle-même. Elle se leva et marcha en direction de l'endroit où elle avait aperçu le reflet.

"J'aimerais en avoir le cœur net."

Jusqu’à avoir le nez presque collé contre la paroi, elle ne perçut rien et conclut avoir été abusée par ses sens ou peut-être par l’orage qui grondait dehors. Mais un coup de vent fit vaciller la flamme de leur petit feu et elle remarqua à nouveau le phénomène. Cette fois, elle crut discerner – l’espace d’un battement de cœur – un symbole dessiné sur la paroi qui lui faisait face.

Elle sentit Malo bouger dans son dos et la rejoindre mais le symbole était à nouveau invisible…

Elle regarda encore. Non, elle n'était pas folle, elle avait bien vu un symbole. Visiblement dévoilé à la lumière du feu. Elle se tourna vers Malo avant de lui demander.

"Pouvez-vous apporter un peu de lumière par ici, s'il vous plait ? Il me semble avoir aperçu une sorte de ... dessin sur la roche."

Malo n'hésita pas une seconde, comme s'il lui faisait suffisamment confiance pour se fier à ses intuitions ou que ce genre de phénomène lui était familier. Il revint quelques secondes plus tard avec un brandon qu'il tendit là où Angèle le lui désignait.

Alors, sous les yeux de la paladine, le symbole qu'elle avait entraperçu réapparut nettement. Il s'agissait d'un dessin complexe et elle entendit le professeur s'exprimer d'un ton ébahi :

- Ça alors ! Il s'agit d'un idéogramme nain : celui qui désigne le clan des Lunepierre ! Vous devez avoir des yeux d'aigle pour l'avoir remarqué : il semble presque effacé.

Angèle regarda l'idéogramme. C'est grâce à un reflet minuscule qu'elle l'avait remarqué. Ils avaient eu de la chance. Tymora les accompagnait peut-être un peu. Elle eut un sourire.

"Qu'est-ce que cela signifie-t-il ? Cette grotte était-elle une entrée vers leurs mines ou simplement un signe de reconnaissance ? Pensez-vous que nous trouverons d'autres symboles ?"

Elle se sentait passionnée et curieuse comme lors de ses premières années à l'école d'avocate.

Malo, tout professeur et explorateur qu'il était, semblait lui aussi très excité par cette découverte inattendue :

- C'est très curieux : nous sommes encore loin de leur frontière connue. J'imaginais cette entrée bien plus récente... De deux choses l'une, soit je me trompais, soit le clan a perduré bien plus tardivement que ce que nous pensions jusqu'ici !

Ces deux perspectives semblaient le réjouir tout autant, comme si sa seule vocation était de découvrir de nouvelles choses qu'il ignorait. Malika s'était levée et, quand le professeur tendit la main presque machinalement, il se retrouva avec le petit pinceau qu'elle lui avait obligeamment glissé entre les doigts. Le professeur entreprit aussitôt de nettoyer le symbole qui apparut beaucoup plus nettement.

- Voyons... C'est une clé. Il devrait y en avoir d'autres aux alentours. Angèle, vu que la découverte vous revient, à vous l'honneur de rechercher les autres !

Il esquissa un sourire bienveillant à son intention en désignant les autres parois de la grotte.

Angèle admira la complicité des deux membres de l'équipe ainsi que leur coordination. Cela relevait de nombreuses années de pratique. Mais curieuse tout autant que le professeur, elle s'en détourna rapidement pour chercher d'autres symboles.

Pour cela, elle procéda comme elle l'avait fait avec le premier symbole en approchant une torche de la paroi. Avec un peu de chance réussiraient-ils à trouver d'autres parties de la fameuse clé.

Il lui fallut moins d'une minute pour repérer une nouvelle zone lisse dont le tracé reflétait la lueur de sa torche. Le symbole paraissait cette fois plus imposant et plus complexe et Malo la félicita avec chaleur pour son instinct. Il la taquina d'ailleurs sans malice :

- Vous êtes tellement douée que vous allez nous mettre au chômage !

Le professeur suivit le dessin du bout d'un doigt pendant un moment avant qu'un sourire se dessine sur son visage. Il désigna une partie de l'idéogramme à Angèle et reprit d'un ton plein de conviction :

- Pouvez-vous poser votre main à plat à cet endroit, s'il vous plait ?

Angèle rougit quelque peu embarrassée. Non, elle ne voulait mettre personne au chômage. Les aventuriers devaient rester à leur place et elle devant ses livres de droit. Du moins, à partir du moment où la situation retournerait à la normale. A bien réfléchir, elle n'avait pas foncièrement envie que tout se rétablisse. Elle aimait les découvertes et voyager en bonne compagnie. Elle ne se sentait plus vraiment l'âme d'une gratte papier enfermée dans son étude à trouver l'argument clé. Et elle devait bien se l'avouer, elle appréciait la compagnie de Malo dont l'enthousiasme commençait à la gagner.

Elle appuya donc sa main sur le symbole en se demandant ce que cela allait provoquer. Peut-être l'ouverture d'une porte ...

Elle avait vu juste : dès qu'elle eu posé sa main et ses doigts comme demandé par le professeur, elle entendit un léger cliquetis, une légère vibration qui alla crescendo puis finalement un grondement qui fit tomber un peu de poussière du plafond. Tout un pan de la paroi avait pivoté pour révéler un couloir sombre et frais.

- Je crois que nous allons devoir abandonner les chevaux ici, murmura Malo dans son dos sur un ton à la fois enthousiaste et révérencieux.

C'était tout bonnement incroyable. Angèle observa le couloir, les yeux écarquillés. Elle se retourna vers Malo avec un petit sourire incrédule et quelque peu intimidé. Le même qu'avait pu observer Morgan quelques années auparavant quand elle lui avait montré l'étang tout près de Manost. La paladine ne se doutait pas qu'un monde totalement différent du sien et magnifique existait tout près. Avec Malo, elle le redécouvrait.

Elle tiqua cependant.

"Comment allons-nous procéder ? Il faut être sûr qu'ils auront la nourriture à volonté jusqu'à ce que nous revenions et surtout qu'ils soient en sécurité."

Malo redescendit un instant de son petit nuage pour revenir à ces considérations plus matérielles :

- Ce sont des chevaux de montagne : je pense qu'ils sauront se débrouiller. En fait, ils seront même mieux installés que si nous avions atteint le campement. Cette grotte leur fournira un abri tant que durera le mauvais temps et ils trouveront ensuite de l'eau et de l'herbe en quantité juste à l'extérieur. Mais nous allons leur laisser assez de grain et d'eau pour deux jours, au cas où.

Angèle hocha la tête.

"Alors, nous devrions aussi les dissimuler aux bêtes sauvages. L’académie ne nous pardonnera pas si nous lui perdons encore ces chevaux. Peut-être devrions-nous leur délimiter un enclos avec tout ce qu'ils auront besoin à portée."

Elle n'avait pas vraiment de connaissances dans ce genre d'intendance.

Cette fois, Malo se montra franchement dubitatif et répondit d'une voix incertaine :

- Je fais mon affaire de l'Académie : il nous faudrait des heures pour construire un enclos et nous ne disposons pas de matériel. Non, je crois que nous allons devoir faire confiance aux chevaux pour se débrouiller : de toute façon, il y a peu de risque qu'ils quittent la vallée et qu'ils se fassent attaquer ici : les ours et les loups ne la fréquentent pas avant le printemps à ma connaissance.

Elle l'espérait sincèrement, songeant à l'attaque de loups qu'ils avaient dû affronter un peu plus loin dans la montagne. Peut(-être ne viendraient-ils pas jusqu'ici. Elle faisait confiance à Malo. En même temps, ils n'avaient pas d'alternative que de laisser les bêtes ici. Elle débarrassa donc les chevaux de leur fontes en triant leur contenu : ce qui serait utile pour les bêtes et ce dont ils auraient besoin dans les profondeurs de la grotte.

Elle se concentrait sans répondre à l'appel de la précipitation. Un oubli majeur sur terre pouvait vite s'avérer fâcheux.

Au bout d'un moment, elle aperçut Malo qui l'observait en arborant une expression indéchiffrable. En partie amusée sans doute, mais en partie seulement. Remarquant qu'il avait été découvert, il sourit et s'approcha :

- Je vais vous aider : nous n'allons pouvoir emporter que nos armes et les besaces pour ne pas nous surcharger. Ces tunnels sont parfois très étroits et assez périlleux ! Emportons aussi les livres : ils ne sont pas immédiatement utilitaires mais j'ai le sentiment qu'ils contiennent des informations qui pourraient nous tirer de mauvais pas. Sans compter que je n'aime pas exposer de pareilles merveilles aux intempéries !

Il entreprit alors de l'aider à faire le tri sans remettre en cause aucun de ses premiers choix et même avec une moue approbatrice pour la plupart d'entre eux.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum