La Couronne de Cuivre

" Je ne pense pas qu'il soit susceptible, mais il va bouder... et puis il a un côté vieux jeu. Il va estimer que c'est à lui de te protéger."
Elle gloussa.
" Et moi, on m'a mise avec qui ? Le beau Jeroen, j'espère ?"

" Et non, pas de bol. Dimitri t'a mise avec la belle Jolien. Ils avaient peut-être peur que Mathieu s'y intéresse... Mais je ne crois pas qu'il soit son genre, et vice-versa. Enfin, je n'en sais rien."
En réalité, Mathieu aurait plutôt songé à séduire Jeroen. Mais en l'occurrence, il serait certainement trop inquiet de leur survie quotidienne pour envisager sérieusement ce genre de chose...
" C'est une bonne lanceuse de hache, parait-il. Avec ta fronde, vous ferez une bonne paire. Mathieu, lui, sera avec Jeroen, et Dimitri se charge d'Eyri. Il parle elfique."

" Oui, c'est ce que j'ai vu. C'est pratique. Même s'il faut encore que notre petit sauvage décide de l'écouter."
Elle haussa les épaules.
" Jolien est sympathique comme une porte de prison. Je parie que c'est pour me faire taire. Mais j'ai compris les consignes, je ne suis pas stupide. Je n'ai pas envie de me faire manger par un troll. Il parait que les trolls des montagnes ne prennent même pas le temps de te cuire : ils te dévorent cru et vivant, en quelques bouchées. Enfin, moi, ce sera peut-être en une seule bouchée. Du coup, je vivrai dans son estomac et je finirai par lui crever la panse pour m'enfuir !"
Elles avaient atteint leur bâtiment et montèrent dans les étages. Il était encore relativement tôt et il y avait encore du mouvement, même si les couloirs étaient déjà silencieux.

Astrée secoua la tête en riant. Félicie avait trop entendu de contes pour enfant...
" Eh ben voilà, on a trouvé comment les vaincre ! Il faudra que je suggère l'idée : tu seras notre arme secrète contre les trolls des montagnes ! ", conclut-elle avec un clin d'oeil.
" Mais plus sérieusement, on a intérêt à être les plus discrets possible, sinon ils nous repéreront vite."
Elle se dirigea vers leur chambre, étouffant un bâillement. Il n'était pas tard, mais elle s'était levée à l'aube et avait crapahuté toute la journée.
Elle comptait prendre le temps de vérifier une dernière fois ses bagages, en séparant bien ce qu'elle comptait porter sur le dos et ce qu'elle confierait à Kimik -tout ce qui concernait la nourriture et la cuisine, et une partie de ses vêtements. Puis dormir...

L'aube vint vite. Félicie avait la tête de quelqu'un qui a peu ou mal dormi mais elle n'avait rien perdu de sa bonne humeur. Les deux jeunes femmes replièrent rapidement leurs dernières affaires et descendirent au réfectoire pour un rapide petit-déjeuner. Elles y retrouvèrent Mathieu (qui paraissait parfaitement reposé), Kalju (pareil à lui-même) et Eyri, plus fébrile que jamais. Les mercenaires passèrent chercher leur excédent de bagages pour les charger. Dimitri insista pour qu'ils mangent suffisamment : il n'y aurait pas de pause avant plusieurs heures.
Ensuite, ils se mirent en route. Dimitri et Eyri prirent la tête, le cerf bondissant autour d'eux, puis Jolien et Félicie avec Kimik à la longe, ensuite Astrée et Kalju (le génasi n'avait pas posé de questions) et enfin Jeroen, Mathieu et la mule. Ils marchèrent une bonne demi-heure dans un terrain qui grimpait en pente douce avant que Dimitri ne s'immobilise.
" Vous voyez ces rochers à taches rouges ? Ce sont les bornes de la carrière. Au-delà, les glyphes protecteurs ne sont plus actifs et la montagne reprend ses droits. Il est impératif de progresser sans éclats. Sans cris, sans éboulements, sans rien qui puisse attirer l'attention. Les trolls sont plus que probablement du côté du chantier, car ils auront suivi le convoi précédent et n'ont aucune raison d'imaginer qu'un autre groupe puisse emprunter le même chemin si rapidement. Rappelez-vous que ce ne sont pas des animaux ordinaires : ils sont dotés d'une intelligence bien supérieure, et ils ont perpétuellement faim. Si nous ne créons pas de commotion, nous devrions avancer sans mal aujourd'hui et peut-être même demain. Mais si nous provoquons des remous, quels qu'ils soient, nous risquons gros."

Astrée se contenta d'acquiescer en silence. Elle savait déjà tout cela, et Félicie également puisqu'elles en avaient parlé la veille. Kalju était toujours silencieux, par nature, Eyri savait avancer sans bruit, et Mathieu tenait à la vie donc suivrait les consignes. Elle ne se faisait donc pas de souci particulier concernant la journée qui s'annonçait.

Pour sa part, elle comptait observer attentivement les alentours tout en progressant, à l’affût de quoi que ce soit d'inquiétant : les trolls n'étaient pas les seules créatures dangereuses de la montagne, et ils pouvaient fort bien croiser la route d'un ours, d'une meute de loups ou d'un tigre. Il leur faudrait alors éviter d'être repérés... ou, s'ils l'étaient, parvenir à éliminer la menace sans trop de bruit.

Elle laissait Prince vagabonder librement autour d'eux autant qu'il le souhaitait, abeille ou écureuil à sa préférence, pourvu qu'il ne se fasse pas remarquer lorsqu'il décidait de changer de forme. Compte tenu de la difficulté du trajet, il passerait probablement le plus clair de son temps sur son épaule sous sa forme d'écureuil, ou dans ses cheveux sous forme d'abeille.

Il choisit l'écureuil, car la brise était trop forte pour se risquer à prendre une forme légère. Même sous celle de l'écureuil, il souffrait des rafales, raison pour laquelle il alla se nicher à l'intérieur même des vêtements d'Astrée, la chatouillant jusqu'à ce qu'il trouve une position convenable. Kalju la regarda se tortiller avec le regard de celui qui ne comprend pas pourquoi elle s'imposait pareille indignité, mais il s'en tient aux consignes de Dimitri et n'ouvrit pas la bouche. Devant, Eyri et Dimitri marchaient d'un pas régulier mais relativement lent. Félicie craqua rapidement et grimpa sur le dos de Kimik. Le génasi ne montra pas de signes de fatigue lorsque le terrain commença à grimper, mais Mathieu pas davantage. Il avait l'air plutôt détendu, même, comme s'il se promenait. Le terrain, pourtant, s'éleva bientôt plus nettement. Il leur fallut s'aider de leurs mains pour escalader certains rochers. Le yack était étonnamment adroit en dépit de sa masse et la mule avait le pied sûr. Le cerf, par contre, trébuchait volontiers mais parvenait toujours à se rétablir. Il était clair que les trois animaux fatigueraient bien après les humains, il n'était pas nécessaire de s'en inquiéter. Les derniers arbres disparurent, à l'exception de quelques grands sapins noirs, perchés ça et là, à des endroits improbables. Des rapaces tournoyaient loin dans le ciel, sans jamais s'approcher, mais il était dangereux d'essayer de les reconnaître car lever les yeux, c'était prendre le risque de se casser la figure. Finalement, Astrée fut forcée de se concentrer sur ses mains et ses pieds, sans plus pouvoir observer grand chose autour d'elle, sinon le gris de la pierre, le jaune-vert des mousses, les myriades de fleurs minuscules qui parsemaient le moindre recoin de terre.
A la faveur d'un petit torrent, ils s'arrêtèrent quelques minutes pour boire. Il faisait frais mais le soleil tapait et ceux qui n'étaient pas déjà munis d'un couvre-chef s'en bricolèrent un. Mathieu et Félicie avaient rosi et ils s'enduirent d'un onguent qu'avait emporté la halfeline. Ils reprirent leur route pendant encore une bonne heure avant que ne sonne la pause de midi. Ils étaient désormais au sommet d'une première éminence, et dans le lointain, on devinait la tache irrégulière de la carrière qu'ils avaient laissé le matin.
Jeroen et Jolien s'éloignèrent pour monter la garde tandis que Dimitri leur distribuait les casse-croûtes.
" On s'arrête une petite heure. Reposez-vous. La seconde partie du trajet est pire."

Astrée ne se fit pas prier pour obtempérer. Elle était davantage habituée au relief que Félicie, Eyri ou Mathieu -dont l'endurance l'étonnait-, mais elle savait la nécessité de se reposer chaque fois que c'était possible. Elle se chercha un carré de sol pas trop rocailleux pour s'y asseoir, et étira ses jambes avec soulagement, bien décidée à s'allonger de tout son long dès qu'elle aurait avalé son casse-croûte.
Elle ne chercha pas à engager la conversation, s'en tenant aux consignes de discrétion qu'on leur avait données. Elle profita simplement du pique-nique pour observer avec curiosité le paysage qui l'entourait, cherchant à s'orienter, à repérer les glaciers lointains qu'elle rejoindrait dans quelques jours.

Ils repartirent à la fin de la pause, que chacun occupa en silence et dans le délassement, à l'exception des mercenaires. Comme l'avait annoncé Dimitri, leur itinéraire, toujours tracé à travers tout, sans qu'Astrée puisse deviner s'ils suivaient un chemin particulier, grimpa tout de suite davantage. Félicie n'essaya même pas de marcher et Kimik semblait peu se soucier de sa présence, perchée sur son garrot. C'était la seule qui pouvait observer les alentours tandis que tous les autres devaient garder les yeux vissés au sol. Cette fois, Jeroen et Mathieu prirent la tête, Dimitri et Eyri la queue du groupe. Il devenait nécessaire de s'arrêter fréquemment pour reprendre son souffle et parfois, le panorama se faisait alors vertigineux, défiant quiconque souffrant du vertige de persévérer. A la faveur de ces pauses minimes, Astrée pouvait prendre la mesure du massif, gigantesque et acéré, s'effilant du nord au sud en pics aveuglants. Ils virent, à bonne distance, un troupeau de chèvres sauvages. Parfois, ils débusquaient un oiseau. Dans l'ensemble, ils cheminaient sans heurts, mais de moins en moins vite, à mesure que la fatigue du jour prenait corps chez chacun. Eyri était peut-être le plus affecté, mais dès qu'ils s'arrêtaient, il reprenait une mine hautaine.
En fin d'après-midi, ils aperçurent un filet de fumée, noir, quelque part vers le sud. Avec les replis nombreux du terrain, il était impossible d'en voir la source, mais elle devait être relativement circonscrite. Les mercenaires échangèrent quelques minutes à voix basse puis repartirent, sans avoir rien dit et sans, apparemment, infléchir leur trajectoire.

Astrée calqua son attitude sur celle des mercenaires, sans poser de question. Bien sûr, sa curiosité était piquée, et si elle avait été seule, elle aurait sans doute dévié de sa trajectoire pour découvrir l'origine de la fumée, qui lui paraissait un peu trop sombre pour un feu de broussailles, Mais elle pouvait très bien provenir d'un camp de trolls, et c'était une hypothèse qu'elle n'avait pas la moindre envie de vérifier. Mieux valait se tenir à distance. Ou peut-être en verraient-ils davantage plus loin, en parvenant à un col -mais voir signifiait risquer d'être vu, et ça n'était pas souhaitable.
Elle restait attentive aux réactions de ses compagnons, vaguement inquiète pour Eyri, mais convaincue que sa fierté l'aiderait à surmonter sa fatigue. Pour sa part, elle appréciait les paysages grandioses, respirait avec bonheur l'air pur des hauteurs, et savourait cette sensation grisante d'espace et de liberté qui lui avait tant manqué en Lorien. Ici, au coeur des montagnes, elle se sentait totalement dans son élément.

Ce qui ne l'empêcha pas d'atteindre l'étape du soir complètement moulue. Le temps était resté beau, le vent était resté vif, et le ciel avait commencé à foncer loin vers l'ouest, derrière la masse immense et noire de la Lorien. Eyri avait rejoint Félicie sur Kimik, ce qui semblait le vexer mais il n'avait pas protesté. Ils étaient tout à l'arrière du groupe, flanqués de Dimitri et de Jolien, le cerf épuisé les précédant, tête basse, de quelques pas. Le yack était en sueur mais cheminait avec docilité. Astrée et Kalju étaient juste devant, le genasi était las mais ne se plaignait pas. Devant, Mathieu et Jeroen leur servaient d'éclaireurs. Ils atteignirent le lac de montagne les premiers : au détour d'un petit col, le terrain plongeait vers une cuvette au fond de laquelle trônait, imperturbable, une étendue plane d'eau très bleue. Une cascade fantastique dégringolait d'une falaise escarpée et c'est cette direction qu'ils prirent.
" Vous avez le choix : escalader la paroi pour vous glisser derrière la cascade ou nager... L'eau est glaciale, mais ça vous décrassera après une journée de marche. Je vous conseille de vous déshabiller complètement. Nous allons allumer un feu très minimaliste et il ne suffira pas à sécher vos vêtements."

Astrée hésita. Elle se sentait trop épuisée physiquement pour nager... mais pour grimper aussi. En réalité, elle était trop épuisée même pour réfléchir et prendre une décision.
Elle se contenta donc d'acquiescer vaguement et d'avancer encore, sans répondre, jusqu'à arriver au pied de la falaise, puis examina la roche d'un air dubitatif. L'eau fraîche était finalement tentante après la montée. Il lui fallait juste reprendre son souffle.
Elle se tourna vers Dimitri.
" Et les bêtes ? Elles restent ici ?"
Dans ce cas, il leur faudrait décharger Kmik, et transporter provisions et matériel, de préférence par la montagne.

" Les bêtes vont nager. Le yack pourrait probablement trouver une voie d'accès par la falaise, mais ça va lui prendre trop de temps."
Mathieu s'était dirigé vers la paroi, manifestement peu motivé à se mouiller. Félicie paraissait bien décidée à rester cramponnée au dos de Kimik, quoi qu'il advienne. Jeroen et Jolien étaient en train de se déshabiller. Kalju poussa un soupir et les imita. Les animaux s'étaient disposés en ligne et buvaient, goulument, sur les bords du lac.

Astrée se déshabilla elle aussi, fit un ballot de ses vêtements et se glissa dans l'eau glacée en frissonnant. Elle confia le ballot à Félicie, qui, a priori, devrait rester sèche jusqu'au bout et parvenir à destination avant ceux qui passeraient par la falaise. Elle attacha ensuite son sac sur le dos de Kimik puis se mit à nager vigoureusement, pour se réchauffer autant que pour arriver le plus vite possible au sec. Elle appréhendait un peu le courant fort qui l'attirerait sous la cascade, mais il suffisait de passer dessous avec un peu d'élan : au-delà, l'eau serait calme.

Félicie ne resta pas sèche (il y avait une cascade à franchir), mais Dimitri l'aida à arrimer une large toile cirée sur le dos de Kimik avant d'envoyer le yack dans le lac. La halfeline se dissimula en dessous pour traverser l'obstacle et passa la première, bientôt suivie par le reste de la bande. L'eau était glaciale, à vous paralyser les membres, mais ils trouvèrent tous suffisamment d'énergie pour nager jusqu'à bon port. Une fois de l'autre côté, dans la grotte cachée derrière le rideau d'eau froide, ils eurent le contrecoup. Dimitri les empêcha de se relâcher dans la seconde en faisant décharger la mule et le yack.
" Vous êtes tous crevés ! s'exclama la halfeline. Je vais faire à manger !"
Sa voix résonna contre la paroi et elle se tut.
" Ne t'inquiète pas, dit Jeroen en s'asseya par terre, frissonnant. Le fracas de la cascade dissimule nos voix.
— Je vais allumer le feu. Séchez-vous si vous ne voulez pas attraper la soufflante."
Il manquait encore Mathieu mais il surgit dans un bond et leur décocha un large sourire.
" Voilà qui était revigorant !"

Astrée connaissait bien les dangers du froid en montagne, et dès qu'ils en eurent fini avec leur chargement, elle se sécha vigoureusement avant de se rhabiller, s'enroulant un moment dans une couverture. Elle découvrit à cette occasion que la peau de naurruin était parfaite pour se réchauffer : Palen n'avait pas menti.
Mais la chaleur de la fourrure, associée à la fatigue de la journée, menaçaient de la rendre très vite somnolente. Pour se maintenir en éveil, elle s'assit près de Félicie, décidée à aider un peu à la préparation du repas... du moins, quand ses doigts auraient retrouvé un peu de souplesse.
" On est tranquilles ici, tu vas pouvoir recommencer à bavarder, fit-elle remarquer avec un clin d'oeil. Mais je ne suis pas sûre qu'on sera en état de te répondre !"

" Je suis capable de tenir le crachoir toute seule. Et je pense que si certains vont vite s'endormir..."
Elle désigna du menton Eyri qui s'était blotti contre son cerf et avait sans doute déjà entamé sa Rêverie.
" D'autres ont encore de l'énergie."
Mathieu était en train de décharger sa mule et discutait à mi-voix avec Jeroen.
" Tu ferais mieux de te reposer plutôt que de vouloir encore t'agiter... Tu vas faire n'importe quoi et te couper un doigt, ou un truc du style, et ce sera encore pire."
Elle étouffa un bâillement.
" J'ai pas marché, mais l'air glacé des montagnes... ça fatigue."

" C'est sûr... On est tous crevés ! Mais tu vois, si je ne m'active pas un minimum, j'ai bien peur de m'endormir avant que le repas soit prêt et de ne pas me réveiller avant demain !"
Elle étouffa un bâillement à son tour. Pouvoir prendre un peu de repos après une marche harassante était une tentation à laquelle il était difficile de résister.
" Disons que je m'accorde une petite pause. De toute façon, j'ai les doigts encore tout engourdis par le froid. Et ensuite je t'aiderai."
Se souvenant que Dimitri avait parlé d'allumer un feu, elle le chercha du regard. C'était quelque chose qu'elle pouvait faire en un instant, d'un simple sortilège de druidisme, s'il avait rassemblé un peu de combustible. Ensuite, elle prendrait un peu de repos, simplement adossée contre une paroi. Installer les couchages attendrait qu'ils aient mangé et repris des forces.

Mais le feu avait déjà pris dans le fond de la grotte, à un endroit qui avait déjà servi à cet usage plus d'une fois. Quand Astrée s'approcha, elle devina une sorte de conduit, à peine visible, qui partait vers le haut. Il faisait de plus en plus sombre. Le mercenaire se redressa.
" Nous allons allumer deux lampes. Pas plus. Elles doivent rester à l'arrière, à minimum deux toises de la cascade."
Il poussa un soupir.
" Ensuite, nous pourrons nous relâcher un moment."

Astrée acquiesça, sereine.. ou trop fatiguée pour être inquiète.
" Ici, on est hors de vue, ils ne peuvent ni nous entendre ni nous sentir. C'est sûrement l'endroit le plus sûr qu'on puisse espérer. Je peux aussi mettre une alarme magique à l'entrée, si vous pensez que c'est utile."
Elle chercha une lampe dans leurs bagages, et l'alluma d'un sortilège.
" Vous comptez organiser un tour de garde ?"

" L'alarme n'est pas nécessaire. Comme je vous l'ai dit, les trolls ne tenteront pas d'entrer. Mais effectivement, il va falloir monter la garde... Il est indispensable que nous sachions si nous sommes repérés. Jolien est déjà en position. Jeroen et moi la relaierons, ainsi qu'Eyri. La halfeline... hum..."
Il jeta un oeil vers Félicie qui bavardait joyeusement avec Jeroen et Mathieu.
" Je ne pense pas l'ennuyer avec ça cette nuit. Nous verrons pour la prochaine."

" Oui, je crois que le changement d'air la fatigue presque autant que nous... Mais demain soir, si elle continue sur le dos de Kimik, ce sera elle la plus en forme !"
Elle haussa les épaules.
" En tout cas, si je peux être utile, n'hésitez pas. Même si je n'y vois rien dans le noir... S'il y a de la lune, ou bien juste avant l'aube, il ne fera pas si noir."
Bien sûr, elle était épuisée physiquement, mais tous l'étaient et elle ne voulait pas être privilégiée. D'un autre côté, il était important de garder un maximum d'énergie pour la nuit suivante qui pourrait s'avérer plus problématique.

" Nous vous réveillerons si nous avons besoin de vous. Demain, il sera important que votre écureuil puisse nous servir d'yeux dans la montagne... et vous pourrez déterminer s'il y a eu du passage... Je vous mettrai à contribution, ne vous en faites pas. Cette nuit... effectivement, le mieux pour vous est de prendre un bon repas et puis de profiter au mieux du repos."
Félicie, Mathieu et Jeroen s'étaient approchés, attirés par la flamme comme des insectes.
" Je me disais qu'on pouvait cuire le fruit de ta chasse d'hier, Astrée ? Demain, apparemment, on devra manger froid..."

Astrée acquiesça.
" Tu as raison, on a intérêt à tout cuire ce soir, tant qu'on est à l'abri. La volaille se mange très bien froide. Je vais t'aider... il faut couper des petits morceaux, vu la taille du feu. On peut les griller sur une pique, ça ira plus vite..."
Elle se dirigea vers les bagages déchargés du dos de Kimik, en sortit les deux lièvres et les volatiles, des ustensiles de cuisine, et s'installa en tailleur auprès du feu -sortant pour l'occasion le couteau elfique à manche phosphorescent acheté avec Garahel : il lui avait annoncé une lame particulièrement efficace.

Le couteau était peut-être un peu trop effilé pour quelqu'un d'aussi fatigué... mais heureusement, elle était adroite et avait une certaine habitude de ce type de travail. Félicie s'installa près d'elle pour préparer les légumes. Mathieu et Jeroen, qui semblaient être devenus bons amis, s'occupèrent d'installer les couchages. Dimitri alla étendre une couverture sur Eyri, qui paraissait presque inconscient, puis s'installa sur un rocher avec un bocal rempli d'une substance visqueuse et un paquet de flèches à la pointe étrange, qu'il commença à enrober d'étoffe et de liquide.
" Il est bizarre, ton couteau. Il est fait en quoi ?" demanda Félicie.

Astre haussa les épaules.
" Je ne me souviens plus du nom. C'est de l'artisanat elfique. Le manche est lumineux dans le noir, il est tiré d'un arbre au bois blanc qui ne pousse qu'en Lorien. Je l'avais acheté dans un petit village elfique au bord de la Sylvestre, à l'entrée de la forêt, histoire d'avoir un souvenir de mon voyage. En plus d'être joli, il est incroyablement effilé, ça facilite le travail."
La lame tranchait sans effort la viande, les tendons, le cartilage entre les os, rendant la corvée de préparation de la viande presque plaisante.
" Tu as ramené quelques objets elfiques, de ton côté ?""
Du coin de l'oeil, elle observait Dimitri, se souvenant qu'il était censé lui expliquer comment enduire ses flèches d'une matière inflammable - sans doute ce qu'il était en train de faire..

Mais Dimitri ne lui prêtait guère attention, de son côté.
" Plein, répondit Félicie. Et tu ferais mieux de regarder tes doigts ou tu vas te couper."
Elle sourit et baissa le ton.
" C'est plus ton genre, alors, le mercenaire ? Ou il est trop humain pour toi ?"

" Hein ?!!?..."
Sous le coup de la surprise, elle manqua effectivement de peu se couper un doigt.
Elle baissa aussitôt le ton, réalisant que son exclamation manquait de discrétion.
" Nan mais tu as de ces idées, toi... Ça ne m'a même pas traversé l'esprit !"
Est-ce que le mercenaire pourrait lui plaire ? Elle n'en savait fichtre rien.
" En fait... je crois que je n'ai tout simplement pas la tête à penser à ce genre de chose en ce moment. "
Quant à savoir s'il était trop humain... Ce n'était pas parce qu'elle était tombée amoureuse d'un elfe récemment qu'elle ne s'intéressait qu'aux elfes. D'ailleurs, aucun autre elfe que Nremyn ne l'avait attirée. Et puis, elle n'avait plus pensé à lui depuis leur départ de la Lorien -ce qui était une très bonne chose, étant donné que ses sentiments ne seraient jamais partagés. Mais Félicie avait le chic pour lui remettre ces choses-là en tête.
Elle chassa ces pensées parasites, et se concentra sur sa cuisine.

" Oh, je disais ça juste parce que tu n'arrêtes pas de le regarder..."
Elle haussa les épaules.
" Sinon, oui, j'ai acheté plein de choses en Lorien. Une écharpe dans une étoffe presque transparente, des bijoux en bois, des petits bocaux avec des miels et des marmelades bizarres, un caillou gravé... mais j'ai tout laissé à la carrière. Puisque je dois repasser chercher Mémoire, de toute façon, ça ne coûtait pas grand chose et je suis sûre que j'aurais perdu le tout, d'une manière ou d'une autre, dans les jours à venir."

Astrée acquiesça, tout en se promettant de ne plus jeter le moindre regard curieux en direction de Dimitri, histoire d'éviter d'autres interprétations hasardeuses -Mathieu était capable lui aussi d'inventer n'importe quoi.
" Il vaut mieux emmener les moins de choses possible en montagne. J'ai évité de me charger au maximum, tant pis pour les souvenirs : je n'ai pris que ce couteau et des flèches... Mais je m'autoriserai sûrement d'autres achats sur le chemin du retour."
Elle haussa les épaules et sourit.
" Puis je te trouve bien pessimiste sur le déroulement du trajet ! Je suis sûre que Kimik aurait pris grand soin de ne pas renverser sa cargaison ! Après, je comprends que tu ne veuilles pas risquer de voir ta belle écharpe autour du cou d'une dame troll... "

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon