La Couronne de Cuivre

Kasumi avait tourné et retourné dans sa tête la meilleure façon d'aborder le sujet mais il avait déjà oublié le résultat piteux de ses réflexions et préféra répondre simplement, après avoir pris une longue inspiration et s'être assis près du feu :

- C'est en fait là où l'affaire se complique : le commandant Uriol n'a accepté de nous confier l'aigle que pour une durée limitée et à la condition expresse que vous ne le montiez pas...

Le rôdeur savait la druidesse suffisamment éveillée pour déduire la suite : qu'il s'était proposé pour la remplacer et qu'il ne savait ni chevaucher les aigles géants ni même ce qu'il devait chercher exactement. Il lui paraissait précoce d'aborder les sujets avant qu'elle ait réagi à sa première déclaration.

- Hum... Oui, effectivement, ça complique les choses... J'aurais pu m'en douter, cela dit, mais j'espérais que ce ne soit plus lui le commandant...
Eärundra soupira, et parut réfléchir quelques instants.
- Ce n'est pas un vrai problème, en réalité. Nous irons ensemble.
Elle échangea un regard avec Elvilith, quêtant peut-être son approbation. Celle-ci sourit.
- Je savais bien que tu n'allais pas le laisser s'envoler seul au-dessus du désert alors qu'il ne connaît rien à ces oiseaux-là...
- D'autant que je sais combien ces bestioles sont difficiles à diriger. Il faut arriver à créer un lien de qualité, c'est loin d'être évident pour un simple rôdeur... Enfin, sans vouloir vexer quiconque, ajouta-t-elle avec une grimace, en regardant tour à tour Sylvia, Kasumi et la grand-mère.

Kasumi était tellement apaisé par la réponse d'Eärundra qu'il poussa un soupir et lui adressa même un sourire en répondant d'un ton enjoué :

- Je ne vous cacherai pas que c'est un grand soulagement pour moi : je me voyais mal tout apprendre en un jour sans compter que je ne saurais même pas où chercher votre ami si j'arrivais même à voler seul sur le dos de ces mastodontes. Et il n'y a pas d'offense : j'entretiens un lien assez fort avec ma louve mais je suis très loin de parvenir à un niveau de symbiose suffisant pour faire plus que l'influencer ou lui passer des messages simples. Ce n'est peut-être pas ma spécialité après tout : Sylvia a toujours était la plus douée de notre couple en ces domaines.

Il eût la satisfaction de voir Sylvia rougir sous le compliment. Mais cela mis à part, elle aussi semblait soulagée d'apprendre qu'il n'irait pas seul.
- Tu exagères... je n'ai même pas vraiment de familier, moi ! Enfin, j'avais commencé à créer un lien, avec un faucon pèlerin, celui qui est intervenu lors du combat d'entraînement... mais il ne m'a pas suivie quand on est partis en mission.
Elle poussa un soupir, et il lut dans ses yeux sa déception.
- Si le lien avait commencé à se construire, il peut venir jusqu'ici, vous savez, expliqua avec douceur la druidesse.
Comme pour lui donner raison, ou comme si elle avait été doué d'un don de prémonition, on entendit un battement d'aile. Sylvia se précipita brusquement vers l'entrée de la grotte, et un grand faucon au plumage clair se retrouva soudain sur ses bras, quelque peu déséquilibré par le contraste avec la neige au-dehors, aveuglé par le feu, perturbé de se retrouver au milieu de tant de monde.

Kasumi s'était retrouvé debout sans même s'en rendre compte. Et maintenant, le voilà à mi chemin entre Sylvia et le feu qui réchauffait leurs autres compagnons. L'étonnement était un euphémisme pour décrire son état d'esprit en réalisant à quoi il venait d'assister. Le faucon avait parcouru plusieurs centaines de kilomètres, peut-être même un millier, pour rejoindre la maîtresse qu'il s'était choisie. Et si Sylvia avait manifesté de la déception à l'idée de l'avoir perdu, nul doute que ses émotions devaient être pour le moins intenses en ce moment. Hésitant entre son désir intime de partager ce moment de bonheur avec sa compagne et celui de la laisser savourer pleinement ce lien personnel qui l'unissait à l'animal, le demi-elfe, restait figé dans l'incertitude. Il se tourna inconsciemment pour interroger Eärundra du regard. Avait-elle su ? La coïncidence était presque incroyable. A moins que quelque dieu s'en soit mêlé peut-être. Kasumi se retourna vers la rôdeuse, sincèrement admiratif :

- Eh bien ! Si Tilmandil ne parvient pas à en faire une chanson de ça... Et a-t-il un nom ton merveilleux oiseau ?

Sylvia parut hésiter, embarrassée.
- Pour le moment, je ne lui en ai pas donné...
- C'est un faucon lanier, fit remarquer Eärundra. Pas tout à fait un faucon pèlerin. Il est un peu plus svelte, plus clair, avec davantage de blanc et une coiffe rousse sur la tête.
L'oiseau avait en effet le ventre presque entièrement blanc, son dos était strié de gris brun et sa tête capuchonnée d'un brun roux.
- Tout juste... mais je ne savais pas que vous vous y connaissiez en faucon...
- Un peu... Et Kasumi a raison, il va falloir lui trouver un nom maintenant que vous êtes liés.
- Il faut que j'y réfléchisse... Enfin, si vous avez des idées, elles sont bienvenues.
Tilmandil s'était approché à son tour.
- Hum... Attends, je vais t'en trouver, des idées... Volage ? Liberté ? Cristal ? Bohème ? Neige brune ? Flocon ? Reine ?... Enfin, d'abord, c'est un mâle ou une femelle ?
- Un mâle.
- Hum... Fugueur ? Diamant ? Plume ? Rouquin ? Vent-gris ?
L'oiseau, dont il s'était approché, fit mine de lui bequeter le bras.
- Aïe ! c'est malin ça... Alors... Piqueur ? Becd'acier ? Becfin ? Brutus ?
- Kasumi, tu n'aurais pas des idées un peu plus... gentilles ? J'aimerais bien un nom qui rappelle sa rapidité... ou son caractère indépendant... sa liberté peut-être...

Kasumi jeta un regard attendri à l'oiseau autant qu'à sa maîtresse. Il sentait que les idées de Tilmandil ne lui plaisaient guère, particulièrement les dernières évidemment. Mais trouver un nom pour le familier de quelqu'un d'autre était une tâche difficile. Une preuve de confiance mais aussi et surtout une grande responsabilité. Le demi-elfe répondit d'un ton hésitant mais sans chercher à se défiler :

- Je ne suis vraiment pas doué pour trouver de jolis noms alors tu vas trouver mes idées ridicules, à coup sûr. Mais puisque tu ne veux que des propositions et que le choix te revient, je me lance... Je trouve que le vent traduit bien la vitesse, la liberté et son univers. Mais il faudrait quelque-chose d'un peu plus élaboré pour un animal aussi intelligent. Vent d'hiver, pour sa couleur peut-être... Non, ce n'est pas exceptionnel. Quatre vents pour renforcer sa liberté de choix. Ou alors, Fend-le-Vent pour insister sur sa vitesse... Tu vois, ce n'est vraiment pas très inspiré.

- Je vais y réfléchir, finit par répondre Sylvia, songeuse. J'ai un peu de temps...
Le rapace s'était finalement perché sur son épaule et semblait toiser l'assemblée.
- Et à propos d'oiseaux... Il arrive quand, cet aigle ? questionna Eärundra.
- Demain matin.
La druidesse réfléchit un moment.
- D'accord... j'aurai besoin de l'emprunter deux heures je pense. Ensuite, on pourra se préparer au départ. C'est un vieil aigle, je parie ? Il a un nom ?

Le rôdeur adressa un sourire à Sylvia et tendit prudemment une main en direction du faucon, s'attendant à moitié à se la faire picorer comme pour Tilmandil. Il répondit néanmoins à la question d'Eärundra d'un ton songeur :

- Oui, c'est un ancien aigle dont le cavalier a disparu. Il se nomme Rubis...

En voyant le nouveau compagnon de Sylvia, il ne put s'empêcher d'évoquer mentalement l'image de Première Neige. Il s'en voulait d'avoir à peine pensé à elle durant son voyage. Il s'inquiéta de ce qu'elle devenait et se demanda avec nostalgie s'il pourrait un jour la revoir pour s'assurer qu'elle se portait bien.

Le faucon faillit bien lui picorer le bec, à lui aussi. Il n'eût que le temps de retirer sa main.
- Je ne sais pas s'il est souhaitable que tu sois là quand ils amèneront l'aigle..., réfléchissait à voix haute Elvilith, se tournant vers Eärundra.
- Ca dépend... J'imagine qu'il sera monté par l'un des soldats de la garde ailée ?
- Oui.
- Tout dépend si le commandant lui a parlé de moi ou pas... Mais si je ne suis pas là, saurez-vous le maîtriser suffisamment ?
La question s'adressait sans doute principalement à Kasumi.

Kasumi se sentait un peu bête d'avoir provoqué l'hostilité du compagnon de Sylvia : il valait bien mieux qu'il s'en tienne à l'écart jusqu'à ce que cette dernière l'ait suffisamment rassuré pour prendre le temps de les présenter l'un à l'autre. Le rôdeur n'avait en outre jamais eu d'affinité particulière avec les oiseaux et se retrouvaient bien démuni pour ce qui était de savoir comment s'y prendre avec eux. La question soulevée par Elvilith et Eärundra n'en prenait que plus de sens.

- Je pense qu'il n'aura pas manqué de vous signaler, oui. Mais il est probable que nous parvenions à le maîtriser, à trois rôdeurs. Au moins le temps que le garde se soit éloigné en direction de la ville. Mais n'oublions pas que vous pouvez aussi être présente sans être vue, grâce à Tilmandil. Et au cas où les choses tourneraient mal.

La druidesse hocha la tête.
- Je n'ai pas forcément besoin du sort de Tilmandil pour me cacher discrètement dans les environs. D'autant que si je dois incanter, le sort d'invisibilité sera aussitôt annulé. Mais je connais l'endroit comme ma poche, donc je vous indiquerai où je me cache et où vous pouvez demander à faire atterrir l'aigle. Comme ça je pourrai utiliser un sortilège pour le maîtriser, au besoin, si jamais il fait mine de vouloir vous échapper...
Elle sourit.
- Mais entre l'expérience d'Elvilith et les affinités de Sylvia avec les oiseaux, vous vous en sortirez peut-être tout seuls...
Entre-temps, une délicieuse odeur de soupe avait commencé à se répandre dans l'atmosphère.

Le rôdeur acquiesça et convint qu'ils procéderaient selon le plan d'Eärundra. Il avait noté au passage le compliment adressé à Sylvia : il semblait que les relations entre les deux femmes des bois pouvaient s'apaiser contrairement à ce qu'il avait craint à leurs débuts plutôt houleux. C'était un soulagement en soi alors qu'il allait partir le lendemain avec la druidesse en devant laisser la rôdeuse en arrière. Repérer les lieux pourrait en outre parfaitement attendre le lendemain matin. D'autant que la soupe était chaude et que le délicieux fumet s'en dégageant annonçait qu'elle était fin prête à réchauffer les corps transis des aventuriers. Il déclara avec un certain enthousiasme :

- J'espère que Tilmandil conviendra que la nourriture a encore plus de saveur quand on la prend au grand air après une honnête journée de voyage comme aujourd'hui !

- Nan ! répliqua son demi-frère d'un air revêche. Que ce soit après une journée de marche épuisante, ça reste juste des légumes bouillis et ça ne vaut pas la délicieuse cuisine des palais impériaux ou même des grandes auberges...
- Dites tout de suite que je cuisine mal !
- J'ai juste dit que ça ne vaut pas la cuisine des grands chefs... et surtout, le lit ne vaut pas le matelas moelleux d'une chambre d'auberge...
- Hum... Tu veux nous faire croire qu'un barde loge toujours dans des auberges somptueuses et est traité comme un roi ?
- Ah, peut-être pas tous les bardes... Mais je me suis fait une réputation, lors de mon séjour dans le Calimshan, et j'ai pris goût au luxe là-bas !
- On dit ça, on dit ça... Moi je ne t'ai jamais vu jouer tant que ça dans les palais par ici...
- Normal ! Mon public et ma réputation sont là-bas !
- On dit ça... Kasumi, toi qui a été avec lui dans le Calimshan... tu en penses quoi?

Kasumi ne put s'empêcher de rougir très légèrement en repensant à leur très bref séjour au Calimshan. Il prit un air songeur comme s'il réfléchissait à sa réponse et finit par déclarer d'un ton pensif :

- Eh bien, je ne saurais trop dire. D'un côté, la seule nuit que nous y avons passée l'a effectivement été dans un palais une certaine jeune danseuse semblait bien le connaître. Mais d'un autre côté, c'était la demeure du mage qui nous a permis d'effectuer le voyage alors c'est logique que nous y ayons pas la nuit et il faut également préciser que Tilmandil était lié à un cirque et se contentait probablement de tentes ou d'auberges de grands voyageurs quand je l'ai connu en Helonna !

Tilmandil poussa un soupir théâtral.
- Espèce de traitre ! Faux frère ! Bien sûr que sur Hélonna je n'étais qu'un pauvre barde sans le sou contraint de gagner sa croûte dans un cirque. Il faut du temps pour se faire une réputation, et je n'y suis resté que quelques mois ! Un an ou deux à Luménis, et je te garantis que je devenais le barde le plus connu de la ville et que toutes les grandes maisons se seraient arraché mes services ! Comme c'était le cas au Calmishan. Parce que, contrairement à ce que tu insinues, Nilrem n'est pas le seul noble que je connaisse là-bas, loin de là... mais c'était le seul à être un mage puissant et j'avais besoin de ses services donc je l'ai particulièrement dorloté, c'est vrai...
- Ne monte pas sur tes grands chevaux, va, je te taquinais... Tu y a passé une bonne dizaine d'années, c'est bien normal que tu y sois connu. D'ailleurs, je me suis toujours demandé pourquoi tu étais parti aussi loin
- Pfff... Nul n'est prophète en son pays, c'est bien connu. Et puis, surtout, il y a là-bas des filles absolument magnifiques et moins farouches qu'ici, si tu veux savoir...
La grand-mère, loin de s'offusquer d'une réponse qui cherchait visiblement à la provoquer, se contenta de rire.
- Tu as bien fait d'en profiter... Tant que tu es jeune et sans attache, il faut foncer, je l'ai toujours dit !
- Hum... Ma mère ne serait sans doute pas d'accord. Galawen non plus...
- Elles ont tort !
- Ta grand-mère a parfaitement raison sur ce coup-là ! , intervint Eärundra, amusée.

Un peu gêné par la tournure de la conversation, Kasumi échangea timidement un regard avec Sylvia avant de tenter de détourner le cours des discussions :

- Mais pour en revenir à cette soupe : Tilmandil a parfaitement raison en affirmant qu'elle ne serait pas servie dans un de ses chers palais. Mais j'ajouterai pour ma part qu'ils ne savent vraiment pas ce qu'ils y perdent. Elle est délicieuse. Il faudra que vous m'en donniez la recette, Eärundra !

Sa tentative de diversion lui valut un regard amusé de Tilmandil et de sa grand-mère. Mais nul ne chercha à revenir sur le sujet.
- Je crois qu'on aura beaucoup d'occasion de bivouaquer dans les jours à venir... donc d'échanger des recettes.
- Ne comptez tout de même pas emmener des monceaux de provisions... Enfin, tu sais mieux que moi estimer la quantité de bagages qu'un aigle peut porter j'imagine. Mais le commandant semblait dire qu'il ne pouvait porter qu'un elfe...
- Oui, bien sûr. Chaque aigle ne peut porter qu'une personne, mais avec tout de même un poids en bagages appréciable...

Le rôdeur s'engouffra dans le débat tout en appréciant le reste de sa soupe :

- Nous allons avoir besoin d'un peu de matériel pour le désert : notamment pour nous abriter pendant la nuit. Et aussi en altitude j'imagine. J'aurais besoin que vous m'indiquiez quel poids je peux espérer emporter. Et s'il faut d'urgence entamer un régime, ce n'était guère charitable de si bien réussir votre soupe.

Comme prouver ses dires, il tendit à nouveau son bol en espérant pouvoir se resservir.

Il ne fut pas le seul à se resservir, tandis qu'Eärundra répondait.
- Un aigle peut porter sans souci quatre cent livres, donc ne craignez rien, vous n'avez nul besoin de régime. C'est davantage au niveau de l'encombrement que ça peut poser problème. Il n'y a qu'une place possible pour le monter, juste à la base du cou, c'est pour cela qu'ils ne peuvent porter qu'un seul cavalier. Et il faut que les bagages soient bien arrimés à l'arrière de la selle, pas trop volumineux, et bien répartis surtout, pour ne pas gêner le vol. Tout un art... Mais l'aigle sait indiquer si l'équilibre n'est pas bon avant de prendre son envol, heureusement.
Tilmandil intervint à son tour.
- A propos de bagages indispensables dans le désert... il faut que je t'apprenne à jouer du pipeau, petit frère !

Tout en étant attentif à ses indications, Kasumi accordait toute sa confiance à Eärundra pour ce qui était de répartir au mieux leurs bagages. D'ailleurs, Tilmandil ne manqua pas de lui signaler qu'il y avait d'autres priorités : pouvoir compter sur sa flûte serait effectivement un atout quasiment indispensable dans le désert.

- Tu as raison mais j'aimerais bien que l'on fasse cela dehors : autant ne pas faire mal aux oreilles de mon public ! Je suis certain que le résultat sera atroce mais si les légendes sont vraies, je pourrais peut-être parvenir à provoquer une averse malgré tout.

Eärundra sourit.
- Provoquer une averse dans le désert, ça peut s'avérer très utile ! Donc je vous suggère de ne pas devenir trop bon joueur de pipeau, en fait...
- Ecoute, on n'a qu'à aller s'exercer dehors après le dîner ?
- S'il pleut, il y a d'autres grottes pour vous abriter...
- Hum... Est-ce que je peux assister à l'entraînement ? intervint Sylvia, presque timidement, avant de poursuivre avec plus d'assurance : Ou alors j'exige un récital à l'issue du cours de Tilmandil !

Kasumi ne manqua pas de rougir de la proposition de Sylvia. Un peu gêné mais néanmoins ravi, il répondit après avoir tourné timidement son regard vers elle :

- J'ai peur de ne pas arriver à grand chose surtout si tu me regardes ! Mais tu sais aussi que je ne peux rien te refuser. Et si tu as le courage d'écouter la catastrophe sans te moquer, je te donnerai tous les récitals que tu exigeras. Espérons que Tilmandil est aussi bon professeur que joueur en tous cas.

- J'espère que vous me laisserez essayer aussi ! répliqua Sylvia, ravie.
- Bien sûr...
- Bon, alors dépêchez-vous de finir le repas, alors... Que vous libériez le plancher et qu'on puisse enfin papoter tranquille !
- Serait-ce que tu n'es pas venue seulement pour une visite de courtoisie ?
- Mais si, je te rassure... Poussée par la nécessité aussi, mais avant tout de courtoisie !
- Tu m'en diras tant...
- Hum... Si on dérange, il faut nous le dire, plaisanta Tilmandil.
- Mais... vous dérangez, justement, ça ne se voit pas ? Allez, filez donc jouer du pipeau dans la grotte d'à côté...
- On a le droit de finir notre fromage et notre dessert tout de même ! s'offusqua Tilmandil.
- C'est tout juste...
Heureusement, le ton de la grand-mère était celui de la plaisanterie.

Kasumi était plutôt amusé par l'échange et finit rapidement sa portion. Il était plus impatient qu'il n'en avait donné l'air, surtout maintenant que Sylvia se proposait de participer à la leçon.

- Laissons donc ces dames discuter en paix, Tilmandil : elles ont manifestement prévu des conversations d'adultes : il vaut mieux nous enfuir pour éviter ça ! Et on n'aura pas trop de toute la nuit pour arriver à quelque chose. Par contre, j'espère que tu as un autre pipeau pour nous entraîner un peu sinon on risque de se mouiller un peu les pieds.

- Conversations d'adultes... dis tout de suite de vieilles ! Non mais quel âge crois-tu que j'aie ? gloussa Eärundra.
La grand-mère était amusée.
- Ah, s'il te juge sur ta sagesse, certainement un grand âge...
- Oh... Merci du compliment. Mais j'ai encore du chemin à parcourir dans ce domaine, je le sais...
- Ne sois donc pas si exigeante avec toi-même... N'oublie pas que ta mère avait quatre ou cinq cent ans d'expérience de plus que toi...

Tilmandil s'était levé
- Bon, venez donc, on va les laisser entre vieilles connaissances... Et ne t'en fais pas pour le pipeau, j'ai le mien aussi, j'ai prévu le coup ! Mais il faudra que tu t'entraînes avant tout sur le pipeau magique...
Sylvia les suivit au-dehors. La neige tombait toujours à gros flocons, et le ciel commençait à s'assombrir. Il y avait plusieurs grottes visibles, dont celle de Léo sans doute. Mais il ferait sans doute très sombre à l'intérieur. Sylvia s'accrocha à son bras. Peut-être parce qu'elle y voyait trop peu. Plus probablement pour le plaisir de rester à son contact.

Kasumi se garda bien de répondre à la question d'Eärundra d'autant qu'il aurait été bien en peine de lui donner un âge. Pas au centenaire près en tous cas. Il suivit donc avec une pointe de soulagement son demi-frère au dehors.

Le ciel blanc et le sol couvert de neige contribuait à donner un peu de visibilité mais le demi-elfe n'hésita pas un instant à offrir son bras pour guider sa compagne, heureux lui aussi de ce doux contact. Il s'exprima d'un ton rêveur alors qu'ils s'approchaient de l'une des grottes :

- C'est étrange comme la neige m'a toujours parue apaisante et jolie. Nous n'en avions pas souvent en Haute Forêt...

- Non. Et puis avec tous ces arbres, on ne voyait pas de telles étendues enneigées... C'est vraiment magnifique, ici, je trouve. Peut-être... un peu oppressant, aussi. On se sent tout petit face aux montagnes...
- Mais on est tout petits... Minuscules insectes, à la merci de la neige, de la tempête, du mauvais temps... Vous devez savoir ça, vous autres rôdeurs !
- On croirait entendre Eärundra !
La petite grotte dont ils s'approchaient n'était guère plus qu'une faille dans la roche, un petit espace abrité des intempéries mais sujet aux courants d'air.
- Bon... Cher petit frère... Voyons si tu es meilleur barde que je ne suis rôdeur ! Prends ce pipeau, appuie sur ces trous, celui-ci en-dessous, et ces deux-ci au-dessus, et souffle dedans, pas trop fort, que je vois si tu arrives à en faire sortir un son correct !
L'instrument qu'il lui tendait était le pipeau enchanté. Cela dit, tant qu'il ne jouait pas la mélodie indiquée par le petit feuillet que les sirènes lui avaient adjoint, il ne risquait rien.

Kasumi était un peu intimidé par l'instrument d'autant qu'il ne s'était jamais essayé à jouer. Fort heureusement, il ne manquait pas d'habileté dans le doigts ni de coordination. Le rôdeur fit abstraction de son public et souffla un peu timidement dans le bec de l'instrument après avoir placé ses doigts comme demandé.

Le son qu'il en tira était passablement discordant... Non, en fait, il était carrément suraigu et désagréable, et ses eux compagnons se bouchèrent ostensiblement les oreilles...
- Attends, pas comme ça les doigts... Le trou est mal bouché, là. Décale un tout petit peu, appuie plus verticalement... Non, ne crispe pas ta main comme ça dessus, sinon tes doigts se raidissent dans la mauvaise position. Détend ton poignet. Comme ça. Donne le pipeau, secoue ta main, relâche ton poignet. Bien. Reprends-le, maintenant, en posant ton pouce exactement ici, et ces deux doigts comme ça. non, tu es trop raide, décale un peu celui-ci. Voilà. Joue, maintenant.
Cette fois-ci, le son fut nettement meilleur.
- Voilà, tu viens de jouer un la. Maintenant, ce doigt, tu le décale, juste sur ce trou. Vas-y, souffle. Non, attends, place-le mieux... vas-y... Impeccable ! C'est un sol, cette fois. Et si tu bouches ce trou, ce trou et ce trou, tu obtiens un do...
Il lui expliqua, posément, la position nécessaire pour jouer toutes les notes utiles pour le morceau. A savoir le do, le mi, le fa, le sol et le si bémol.
- Maintenant, entraîne-toi à les enchaîner, un moment, dans l'ordre où je te les écris sur ce parchemin. Ne crains rien, tu ne risques pas de nous inonder, tant que tu ne sais pas les enchaîner convenablement et au bon rythme...

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines