La Couronne de Cuivre

Il acquiesça, songeant que c'était une bonne occasion pour apprendre au garçon ce qu'il n'avait pu lui révéler lorsqu'ils se trouvaient dans le Temple de Baine.
-Oui, répondit-il à mi-voix. Tu te trouves dans les locaux de la Réunion, une organisation secrète qui a pour but de libérer les Luméniens envoyés comme esclaves dans l'empire mélandien. Il reste encore de nombreuses personnes à sauver et, en l'occurrence... c'est ma compagne que nous recherchons.

" Oh." fit Baptiste.
Il acquiesça, reportant son regard sur le plan.
" J'espère qu'on va vite la retrouver." ajouta-t-il, à la fois trop sérieux et sincère.
Kerun avait divisé le quartier en quatre zones.
" Je pense que nous devons agir de manière très différente pour chacune des quatre sections, de manière à ce que si un groupe était éventé, il n'y ait aucun moyen de savoir que les trois autres travaillent dans le même but. Cela signifie qu'une équipe pourrait éventuellement explicitement chercher une femme enceinte..."
Taliesin vit l'enfant tressaillir, à côté de lui.
"... mais les trois autres ne peuvent pas utiliser le même genre d'approche..."
Il croisa les bras.
" Nous avons beaucoup tergiversé et maintenant nous allons agir. Toutes les idées sont bonnes. Je vous écoute."
Il y eut un moment de silence dans le groupe.
" J'imagine qu'on pourrait juste... fouiller les quartiers des esclaves... osa finalement Perceval.
— Sous quel prétexte ?
— On cherche quelqu'un qui a disparu ? Un esclave en fuite par exemple ?
— Ou un objet volé ?
— On cherche à racheter un profil précis ?
— On veut évaluer l'hygiène ?"

Taliesin se mordilla la lèvre inférieure, nerveux.
-Est-ce que vous ne craignez pas que, même en usant de prétextes différents, les gens finissent par remarquer quelque chose ? demanda-t-il. Je veux dire... Si des personnes vivant dans des zones différentes se rencontrent, discutent, se rendent compte qu'elles ont reçu, au même moment, des visites sortant de l'ordinaire... Peut-être trouveront-elles ça louche. Alors... Ne pourrait-on pas cibler davantage, avant de commencer les démarches ? En repérant les maisons correspondant le mieux à la description, ou... en vérifiant lesquelles abritent un étudiant de l’École du Necronomicon ?

" C'est vrai que l'étudiant, ça doit tout de suite restreindre les possibilités, dit Sedanius.
— Vrai. Très vrai, fit Kerun.
— Bon, mais tu peux éliminer ces trois-là, celle-ci, et ces deux-là. Y'a pas de gosses du bon âge dans ces baraques."
Kerun obéit à l'injonction de Meloenn.
" Là aussi... Ici... Et encore là...
— J'ai pas tout suivi mais... est-ce qu'on est certains qu'elle est restée chez l'étudiant ? Est-ce qu'on est certains que l'étudiant était un gamin noble ?
— Ils le sont tous, non, plus ou moins ?"

Il ferma les yeux.
Rester froid, pragmatique. Ne pas se laisser gagner par la panique.
-Je ne connais pas grand chose au fonctionnement de l'école : peut-être des bourgeois y ont-ils également accès... dit-il. Mais trouve-t-on des maisons aux allures de fortin et avec un grand jardin en dehors de ce quartier ? Peut-être quelques-unes, mais vraiment pas beaucoup. Pour le reste, comme mes informations datent d'un bon nombre de veilles... Non, rien ne nous assure que Galathée soit restée chez l'étudiant, tout comme rien ne nous assure qu'elle soit encore vivante. Néanmoins, il faut remonter la piste aussi loin que possible...

Kerun ne laissa pas le mouvement s'estomper.
" Nous avions parlé d'une trentaine de familles avec étudiants... en retirant les maisons inadaptées... Il nous en reste... six ici... quatre là... ces deux-ci... treize, quatorze... Hum... Dix-neuf, je dirais. Ce n'est pas énorme."
Il se tourna vers Taliesin.
" Peut-être faut-il utiliser le même prétexte partout, si on ne veut pas attirer l'attention in fine.
— Le problème, c'est l'usage de prétextes liés au pouvoir. Ils en sont trop proches, ils peuvent trop facilement vérifier l'information. Et ils le feront, dit Lena.
— Il faut que ça vienne d'un particulier, en somme.
— Et si je rentrais dans toutes ces maisons, comme esclave ? Ils en ont plein, non ? Je pourrais aller dans les maisons, traîner un peu, ressortir... Personne ferait attention à moi, intervint subitement Baptiste.
— On te prendrait pour un voleur à la tire, et on te couperait rapidement une main ou la tête, gamin, grogna Arion.
— Je suis désolé, mais on n'est pas à Luménis, Baptiste, dit doucement Sedanius.
— Je pourrais être un coursier, alors, fit-il sans se démonter. Ou bien je chercherais du travail..."

Le barde secoua la tête.
-C'est très gentil et très courageux à toi de te proposer ainsi, Baptiste. Mais ces gens ont une foule d'esclaves... Pourquoi payeraient-ils un enfant cherchant du travail ? Au mieux, ils te renverraient ; au pire, ils t'asserviraient. Quant à jouer les coursiers... Tu encourrais les même risques, à moins d'être envoyé par une famille bien connue. Et là, nous retomberions sur un problème déjà évoqué : ils pourraient tenter de vérifier l'information.
Il se tourna vers les autres.
-Ne pourrais-ton pas imaginer... de faire un discret repérage dans les dix-neuf maisons, pour voir lesquelles s'approchent les plus de la description ? Puis glaner toutes les informations possibles sur les familles qui les occupent ? Ainsi serait-il possible d'élaborer diverses couvertures susceptibles de ne les surprendre en rien... Ce serait plus long, certes, mais nous ne sommes plus à un ou deux jours près.
Il soupira.
-Bon, on pourrait aussi revêtir les aubes des Infortunés et faire du porte à porte. Mais des femmes enceintes, on en trouve sans doute facilement sur les marchés...

" Nous savons déjà un certain nombre de choses sur les familles qui occupent une partie de ces maisons, dit Sedanius. Enfin, surtout Meloenn..."
La barde sourit et prit un crayon des mains de Kerun.
" Je connais les habitants de celle-ci... et je connais cette maison-là... et celle-là..."
Elle fronça le nez.
" Je peux obtenir le nom de chacune de ces dix-neuf familles ce soir. A partir de là, rassembler des informations sera un jeu d'enfants. Mais je peux déjà mettre par écrit ce que je sais sur celles que je connais bien.
— Ce serait bien.
— Ce qui serait bien, ce serait que tu m'aides... Je ne suis pas certaine que je saurai trier l'utile de l'accessoire, vois-tu..."
Kerun la regarda comme si elle venait de prononcer l'absurdité du siècle.
" Les bardes sont des êtres fins et subtils, tu vas t'en tirer très bien toute seule." intervint Sedanius.

Il décida d'intervenir avant que Meloenn ne proteste.
-Une fois que nous disposerons d'informations sur toutes les familles dont la demeure correspond... Je suis certain que nous y verrons beaucoup plus clair. Déjà, il n'est pas impossible que nos entendions des rumeurs qui nous mettront sur la piste. Mais même sans cela... Peut-être certaines envisagent-elles des travaux dans leur maison ou des aménagement dans leur jardin. Peut-être d'autres souhaitent-elles se procurer de nouveaux meubles, des tapisseries, de l'orfèvrerie... Peut-être d'autres encore ont-elles l'habitude de faire des dons à des cultes précis... Bref, nous aurons des prétextes pour nous présenter à elles sans les étonner, sans éveiller leurs soupçons.
Il espérait juste que ce n'était pas la pusillanimité qui lui avait fait proposer ce plan... et que le temps nécessaire à la collecte desdites informations ne serait pas fatal à Galathée.

" Meloenn va prendre une heure... avec Sedanius, pour mettre les informations qu'elle a déjà par écrit. Nous les examinerons ensemble, ensuite, pour voir s'il y a des compléments à récolter. Perceval, tu vas sortir pour examiner la zone qui nous fait défaut... Je veux pouvoir compléter ce plan.
— Veux-tu que j'altère l'apparence de quelqu'un ?
— Non. Pas maintenant. Nous aviserons en fonction des données de Meloenn."
Il secoua la tête.
" Les autres... Vous avez quartier libre."
Perceval se leva tandis que Meloenn, grommelante, se tournait vers Sedanius. Kerun, sans s'asseoir, demeura circonspect, penché sur la carte.

Taliesin ne savait pas comment il occuperait son temps. Peut-être ferait-il visiter les lieux à Baptiste, si celui-ci en avait envie. Quoi qu'il en soit, dans l'immédiat, il avait encore une question à poser à l'agent secret.
-Jeter un coup d’œil au maisons sans être repéré et sans laisser de trace, est-ce que cela te parait faisable ? lui demanda-t-il. Cela limiterait le nombre d'opérations à mener et même d'informations à chercher. Bon, d'un autre côté, c'est sûr que si nous arrivons à savoir quelles familles comptent dans leur rang un étudiant en magie, nous aboutirons au même résultat tout en prenant moins de risques...

" Je pense que nous pouvons effectivement nous introduire dans certaines des maisons, dit l'agent, mais je crains que les dispositifs de sécurité ne soient lourds et dangereux. Seuls Arion et moi-même sommes potentiellement à même de gérer ce type d'interventions, peut-être Guéric, mais il est hors jeu pour quelques jours, encore. Je préfère ne recourir à cette méthode que lorsque nous aurons réduit le nombre d'habitations. Mais il est clair que cela faisait partie de mes plans, oui, à côté des méthodes moins invasives..."
Il croisa les bras.
" Meloenn peut certainement identifier la moitié des édifices. Je suis certain que nous pouvons ajouter quelques noms en nous promenant dans le quartier...
— Je peux faire ça, intervint Lena. Ma noble drow n'est pas inconnue de la bonne société. Son passage en rue n'attirera pas les regards.
— Et nous serons déjà à pied d'oeuvre dans l'après-midi.
— Autant pour les jours de repos." fit Abel en grommelant.
Kerun se contenta de hausser les épaules.

De fait, le contraste était grand entre la nécessité d'une pause évoquée très sérieusement par Kerun alors qu'ils se trouvaient dans le Temple de Bainr et les directives qu'il venait de donner. Toutefois, il fallait reconnaître que l'agitation en ville était propice à l'action, sans compter le risque d'un éventuel couvre-feu dans les jours à venir. De plus, ils ne parlaient pour l'heure que d'activités préparatoires : ils ne faisaient donc pas preuve de précipitation...
Or, la précipitation n'amenait jamais rien de bon.
L'attentisme non plus... songea-t-il.
Mais ils n'étaient pas attentistes. Ils ne fonçaient juste pas tête baissée.

Perceval était déjà dehors, tandis qu'Abel disparut sur ses traces, vers le Comptoir qui devait tourner comme de coutume. Kerun fit signe à Arion qu'il devait lui parler et les deux hommes s'esquivèrent dans la cour. Lena sourit à Taliesin et Baptiste.
" Bon, je vais t'accompagner jusqu'aux vestiaires, si tu veux." dit-elle à l'enfant.
Celui-ci acquiesça, mal à l'aise. Il semblait très impressionné par l'elfe noire, mais celle-ci ne semblait pas en prendre ombrage. Elle leva les yeux sur Taliesin.
" Je pense que tu peux décider d'écouter ce que Meloenn et Sedanius échangent... Sinon, il y a toujours du travail... Une cuisine à nettoyer et ranger, des cellules de fortune à vider et balayer... Et puis l'ordinaire du Comptoir."
Elle grimaça.
" Je sais que tu n'étais pas venu pour ça, et... tu peux bien sûr vaquer à tes propres occupations..."

-Au secours, on m'exploite, on m'asservit... gémirt-il, arborant un rictus horrifié...
...qui se changeait déjà en sourire.
-Allons, tu as bien vu que je fuis au maximum l'oisiveté. Et je n'ai aucune envie de rester les bras croisés tandis que tout le monde s'active pour libérer ma compagne... Alors je ferai tout ce que je peux pour me rendre utile.
Écouter Meloenne aurait été assurément intéressant. Mais sa présence distrairait à coup sûr la bardesse qui ne manquerait pas de le poursuivre de ses assiduités. Alors il se contenterait de lire son rapport et, dans l'immédiat, il allait s'occuper de la cuisine, puis des cellules.

La cuisine était encombrée mais relativement fonctionnelle, aussi Taliesin n'eut-il aucun problème pour s'imprégner de son organisation. Il trouva rapidement les endroits où ranger les choses, dénicha les éponges, les torchons, et put aussi se permettre de modifier la disposition de certains éléments, pour la rendre plus logique. Après quelques minutes, il entendit un petit bruit derrière lui, et Baptiste surgit. Lena lui avait déniché une tenue tout à fait ordinaire et hormis les taches bleues, un peu humides, qui lui maculaient le visage, il avait l'air d'un gosse de dix ans comme on en croise mille dans les rues d'une grande ville. Il se mit à fureter dans la cuisine sans rien dire, rangeant lui aussi ce qu'il trouvait, puis finissant par s'intéresser aux ingrédients et aux provisions.

-J'ai dit aux autres que tu connaissais une foule d'antiques recettes luméniennes, ce qui n'a pas manqué de faire son petit effet, dit-il lorsqu'il eut remarqué où se portait l'intérêt du gamin. Alors si tu as toujours envie de devenir notre conseiller culinaire, le poste t'ouvre grand les bras... Ceci dit, l'avis général était de procéder à quelques substitutions, de changer les ingrédients les plus rares et les plus typiques afin de ne pas trop éveiller les soupçons. Il faudra donc être imaginatif pour leur trouver des produits de remplacement.
Beaucoup de temps s'écoulerait toutefois avant que ne sonne l'heure de préparer le repas. Quant à la cuisine en elle-même, elle était déjà presque rangée : ne restait plus guère à faire que la vaisselle du petit déjeuner.

" J'imagine que ça ne doit pas être trop difficile, dit Baptiste avec un léger sourire. Et puis le défi, c'est de partir de ce qu'on a, pour trouver une solution adéquate..."
Il haussa les épaules en examinant un bocal où reposaient des légumes violacés.
" Le souci, c'est que je ne me souviens pas d'avoir jamais goûté ces recettes. Comme je vous l'ai dit, la nourriture de la commanderie, c'était assez basique... Pas mauvais, mais... Y'avait pas de volonté réelle d'en faire un moment de plaisir."
Il rejoignit le barde qui entamait la vaisselle et prit un torchon pour l'aider.
" Mais donc, si ça se trouve... Ce sont des recettes traditionnelles... avec des goûts infâmes, qui ne plaisent qu'aux vieilles grands-mères nostalgiques."

-Oh, j'en doute ! Celle que tu m'as décrite n'avait pas l'air mauvaise du tout... Mais si cela peut te rassurer, nous présenterons les choses comme... une séance combinée d'archéologie gastronomique et d'expérimentation culinaire. Par conséquent, si les autres sont horrifiés par le résultat, nous pourrons nous défendre en parlant de l'intérêt supérieur de la science et du savoir. Autre avantage non négligeable : ils se précipiteront ensuite pour cuisiner, et nous serons à jamais préservés de cette épuisante corvée.
Il sourit.
-Ça me fera des vacances. Parce qu'à l'aller, sur le bateau, on m'avait attribué les fonctions de cuistot alors que je n'avais qu'une envie : passer mes journées à récurer le pont.

Baptiste le regarda un peu bizarrement.
" C'est parce que vous êtes barde ? Vous avez peur de vous trancher un doigt en coupant des carottes ? demanda-t-il. J'imagine que ce n'est pas parce qu'on est adroit sur les cordes d'un luth, qu'on maîtrise l'épluchage de pommes de terre, c'est sûr. Mais le récurage de pont... Ça casse le dos."
Il frissonna et son regard se perdit une seconde dans le vide.
" En même temps, il faut que tout se fasse. Et c'est toujours mieux de l'avoir décidé."

L'elfe grimaça. Il en voulait à Meloenn pour ses excentricités mais, dans le fond, il ne valait pas mieux. Ne venait-il pas, à nouveau, de mettre les pieds dans le plat ?
Règle numéro un : ne plus plaisanter en présence du gosse, songea-t-il.
Il soupira.
-Je te présente mes excuse, Baptiste. C'était une simple boutade, parce qu'en réalité, j'aime bien cuisiner. Mais j'aurais dû me douter que... Enfin voilà, je ne voulais pas te renvoyer à des souvenirs pénibles.

" Faut pas, dit le petit garçon avec un sourire. Je dois juste... m'habituer. J'étais encore esclave il y a quelques jours... puis j'ai été capturé, baladé dans une cage minuscule, vendu à des déments..."
Il secoua la tête.
" Je dois m'habituer. Je veux pas que tout le monde surveille ce qu'il dit quand je suis là. Il va bien falloir que je vive... et récurer le pont, finalement, c'était pas le plus difficile. Puis vous aussi, votre compagne, elle est quelque part... et vous avez quand même l'énergie de faire des choses. C'est comme ça que je veux faire. D'autant que je suis plus prisonnier. Je peux encore tout devenir."

-C'est vrai. Mais tu dois aussi te laisser du temps. Tu viens de vivre une année épouvantable, les événements se sont enchaînés à une vitesse incroyable ces derniers jours... Comme tu le disais, il faut que tu t'habitues. Et de notre côté, nous devons être attentifs, essayer de ne pas trop faire de gaffes.. et de t'aider si nous le pouvons.
Il lui tendit une tasse fraichement rincée.
-A ce propos... Sedanius est clerc, comme tu l'as certainement déjà remarqué. N'hésite pas à lui parler de tes nuits agitées, il pourra sans doute faire quelque chose.

" Je crois que... Kerun, c'est ça ? L'elfe qui était assis près de vous ? Je pense qu'il lui en a déjà parlé. Apparemment, j'ai fait du raffut cette nuit. Je suis désolé. Mais je lui rappellerai. Je ne veux pas que vous regrettiez de m'avoir sauvé."
Il avait dit ces derniers mots avec un sourire mutin aux lèvres.
" Kerun, c'est le seul qui a un accent luménien marqué, parmi vous. C'est lui le chef de la Réunion ?"

Répondre sans évoquer la mort d'Ybarra ne serait pas évident. Il devait pouvoir s'en sortir, cependant. Il était barde, après tout.
-Non, les chefs de la Réunion sont sur Hélonna, où ils s'occupent de tous les aspects logistiques nécessaires à son bon fonctionnement. Quant à la cellule mélandienne, c'est Sedanius qui la dirige.
Ce n'était pas vraiment un mensonge : il avait été le bras droit de la demi-elfe et, depuis la disparition de cette dernier, le commandement lui avait échu de fait.
-Concernant Kerun... Tout comme moi, il ne fait pas partie de l'organisation. Mais c'est un officier des services secrets luméniens. Son expérience en matières de collecte de renseignements, d'infiltrations, d'exfiltrations et d'autres opérations du même genre est grande, si bien que nous nous en remettons logiquement à son avis.

Baptiste acquiesça, pensif, puis reposa le bol qu'il terminait d'essuyer.
" Sa tête me dit quelque chose, dit-il avec un haussement d'épaules. Je l'ai peut-être croisé à Luménis autrefois. Je ne suis pas certain. Je lui poserai peut-être la question. Enfin, c'est pas comme si un elfe de son importance allait se souvenir d'un gosse comme moi."
Il se tourna vers Taliesin et sourit.
" Vous aussi, votre tête me dit quelque chose, en fait. Mais j'imagine que c'est parce que je vous vois déjà depuis un moment... Je n'ai pas pu rencontrer beaucoup d'elfes du soleil, encore. Mais je suis un peu tourneboulé depuis que j'ai été empoisonné par cette bestiole."

Oh si, Kerun se souvient de toi. Comme il se souvient de chaque prisonnier dont il a dû assister au départ, debout aux côtés de Kanter, sur les quais de Luménis... C'est sans doute là que tu l'as vu.
Cela, bien sûr, il n'avait ni le droit, ni l'envie de le lui révéler.
Pas plus qu'il n'avait envie de lui dévoiler sa véritable identité.
Mais tôt ou tard - plus tôt que tard, d'ailleurs -, l'un de ses compagnons l'appellerait par son prénom en présence de Baptiste. Il valait donc probablement mieux qu'il prenne les devants. Et puis, il avait promis au gosse de lui dire la vérité, une fois hors de danger.
-Il n'est pas impossible que nous nous soyons croisés à Luménis, répondit-il d'un ton qu'il espérait neutre. J'y ai été assez actif juste avant le coup d’État.
Il soupira, regarda brièvement le garçon, replongea les yeux sur le bol qu'il était en train de nettoyer.
-Je m'étais engagé à te dire mon vrai nom sitôt que nous serions tirés d'affaire. Alors voilà : je me nomme Taliesin. lâcha-t-il.
Bon, c'était fait. Il avait été honnête.
Et advienne que pourra.
Le nom ne dirait peut-être rien au gamin...
Il n'y croyait pas, cependant.

" Taliesin, c'est comme le... Oh."
Il pinça les lèvres et hocha la tête.
" Je vois."
Pendant un moment, il ne dit plus rien, se contentant d'essuyer une fois, deux fois, trois fois, l'assiette qu'il avait entre les mains. Il la reposa ensuite sur l'égouttoir, d'un geste lent et maîtrisé, mais un peu tremblant.
" Je crois que je me sens... encore un peu faible, murmura-t-il d'une voix qu'il éclaircit d'un raclement de gorge. Si ça ne vous ennuie pas, je vais..."
Déposant le torchon, il déguerpit de la cuisine au pas de course.

Bon, ç'aurait pu être pire, n'est-ce pas ? Le gosse aurait pu s'emparer d'un couteau de cuisine et le poignarder. Il en aurait eu le droit.
Car, en fin de compte, c'était de la faute du barde si sa mère était morte.
S'il n'avait pas eu l'idée stupide d'emmener les esclaves survivants à Luménis, Nwalk n'y aurait jamais mis les pieds, n'aurait jamais fomenté de coup d’État et instauré un règne de terreur qui avait coûté la vie à des milliers de personnes.
Taliesin se demanda s'il n'avait pas commis une énième erreur. S'il n'aurait pas mieux valu cacher la vérité au gamin.
Non, les mensonges n'amenaient rien de bon. Et puisqu'il aurait fini par le savoir de toute façon...
Au moins, là, n'aurait-il pas l'impression d'avoir été berné, trahi.
Sur un soupir, l'elfe se concentra sur la vaisselle qu'il restait à laver. Quand ce serait chose faite, quand elle serait essuyée, il irait nettoyer les cellules.
S'occuper la tête et les mains. Pour le coup, le concernant, c'était toujours la bonne solution.

Mais il n'en eut pas tout de suite l'occasion. La porte s'ouvrit sur Kerun, passablement perplexe.
" Je viens de voir le gosse sortir d'ici comme s'il avait vu un fantôme, remarqua l'elfe des bois. Est-ce qu'il y a eu un problème ? Est-ce que je dois envoyer quelqu'un à sa poursuite ?"

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences