La Couronne de Cuivre

Les deux gamins se plièrent à sa demande sans rechigner, mais ils durent rapidement déchanter : Tim revenait avec Perceval.
" Ah ! En train de fendre du bois, exactement comme je l'avais prévu ! annonça le clerc.
— Ben quoi ? Faut bien le faire ! Tu as compté combien d'âtres supplémentaires notre présence à tous requiert ?
— Pas tant que ça. On se serre simplement plus depuis que vous êtes là. Je dors dans les bras d'Aaron, maintenant, par exemple. Il me tient chaud.
— Ah beeeeurk !
— D'abord, c'était une blague. Ensuite, pourquoi beurk ?
— Parce que beurk.
— Pfff. Lathandrite."
Gurvan grimaça, sans comprendre l'allusion.
" Est-ce qu'on sera armés ? demanda alors Baptiste. Je veux dire... S'il y a des monstres dans les catacombes...
— Il n'y a pas de monstres. Et seuls les adultes seront éventuellement armés.
— Je reste avec Perceval ! s'exclama Gurvan.
— C'est pas parce qu'il est deux fois plus grand que moi qu'il est beaucoup plus fort.
— Ce n'est pas ce que m'a dit Iris.
— La traîtresse !"

Et bien, l'excursion promettait d'être joyeuse ! Et c'était tant mieux : en écoutant Iris, il avait craint, un instant, que les catacombes ne soient trop sinistres pour les gamins...
-Ravi que tu viennes avec nous, Perceval, dit-il, souriant.
Puis, se tournant vers Tim :
-Nous pourrions immédiatement commencer à faire nos sacs, non ? En dehors de torches, y a-t-il besoin de quelque chose de particulier ?

" Les torches ne sont pas nécessaires, nous en prendrons à cet étage. Elles sont enchantées d'un feu éternel et elles ne brûlent pas. Chacun peut en prendre une. Au pire, nous en ferons quelques unes en plus, mais il y en a normalement pléthore. J'ai l'impression que c'est le seul sortilège que j'ai lancé pendant ma première veille ici. Par contre, il faut prendre du ravitaillement, de la corde peut toujours servir, et des bâtons... Pour sonder les sols, rien de tel... Du papier et de l'encre, pour annoter la carte. Hum... Iris s'occupe du ravitaillement je suppose... Non, on n'a pas besoin de grand chose, en fait. On va se promener.
— Des sacs vides si on trouve des trésors ? demanda Gurvan.
— Pourquoi pas... Le mieux, c'est de ne pas trop se charger.
— Perceval, c'est pas un petit sac qui va le fatiguer !
— Bien sûr, j'avais oublié l'incontournable Perceval."
Il les ramena vers la salle à manger.
" On va attendre Iris et Hippolyte puis je vous exposerai ce qu'il y a à savoir sur l'étage inférieur. Mais disons qu'il y a une règle de base.
— C'est quoi ?
— On obéit aux adultes.
— Tu ferais mieux d'attendre Hippolyte, tu as raison."

Il réfléchit un moment, ce demandant ce qu'ils pourraient emporter de plus. Mais il ne vit rien à ajouter à la liste du Milite et, faute de mieux, il dit une ânerie. Qu'il prononça cependant sur un ton on ne peut plus sérieux.
-Tim ? Auriez-vous en réserve une armure en mithril bien lustrée, une épée magique artistement ornementée et une cape rouge de belle facture, dans laquelle je pourrais me draper et qui voletterait élégamment derrière moi ? Partir à l'aventure ne s'improvise pas, et si l'on ne peut adopter le style adéquat, ce n'est même pas la peine d'y aller. Ce serait d'ailleurs contraire à la déontologie.

" Hum. Je crains que nous n'ayons perdu les dernières dans le Lac Putrescent... Mais tu connais le chemin et Kerun m'a dit que tu étais un expert en nettoyage de vêtements boueux. Je pense donc que tu peux faire un rapide crochet jusque là, puis prendre une heure pour briquer le tout. Ensuite, Maude sait lever un vent ravissant qui aura tôt fait de sécher ton attirail, et tu seras bienvenu pour nous rejoindre.
— On te laissera une goule, proposa Baptiste, avec un haussement d'épaules désinvolte.
— Toute une goule, tu es généreux !
— Je sais."
Iris et Hippolyte arrivèrent avec deux gros sacs qu'ils déposèrent sur la table.
" On va répartir, rassurez-vous, dit la jeune femme.
— Je suis sûr que Perceval peut tout porter."
Le jeune homme grimaça.
" Gurvan, je ne suis pas un mulet !"
Le gamin s'empourpra.
" Heu... Mais je n'ai jamais supposé que..."
Perceval lui ébouriffa les cheveux pour dédramatiser l'échange, embarrassé lui aussi.
" Bon, les amis, l'étage inférieur..."
Tim déroula une carte sommaire.
" Bon, ici en haut, nous avons l'escalier que nous allons emprunter. Il descend jusqu'à cette arche, qui donne directement sur cette salle. Douze piliers, des statues cassées, et quatre portes, deux de ce côté-ci, et deux de ce côté-là. Au sud, on ne va pas. Les portes sont d'ailleurs condamnées et lourdement protégées par des sortilèges que nous ne voulons pas déclencher. Au nord, il y a deux petites pièces qui sont normalement sans danger. A l'extrémité de la salle, il y a de nouveau une arche, quelques marches, puis un couloir dont les murs sont très abimés, avec des éboulis...
— Et des squelettes !
— Quelques squelettes, oui. Au bout se trouve le puits qui mène aux jardins... et puis ça continue mais il y a à nouveau un sortilège qui bouche le passage...
— Les murs sont franchissables à plusieurs endroits. Il y a des brèches... Parfois ça ne mène nulle part... mais le plan n'est pas encore très précis."

-Nous ferons en sorte de l'améliorer, dit-il joyeusement après avoir examiné la carte avec attention.
S'il y avait eu des créatures hostiles dans ces zones inexplorées, elles n'auraient pas manqué de se déplacer, d'alerter les Moandrins qui auraient alors repéré lesdits secteurs. En somme, rien à craindre de ce côté là. En revanche, il faudrait se méfier quelque peu des murs branlants, des plafonds ou des sols abîmés... Rien qu'une prudence adéquate ne puisse prévenir.

" Bon. Maintenant pour les consignes de sécurité : chaque adulte marque un enfant. Iris, tu prends Hippolyte, Taliesin, Baptiste, Perceval, Gurvan. Vous êtes responsable de votre mioche et vous, les gosses, vous obéissez et restez à proximité de votre adulte. Je propose qu'on passe d'abord un peu de temps dans la grande salle : y'a à voir, à faire, à fouiner, et y'a pas de risques.
— Trop nul.
— On peut ensuite retourner dans les deux petites pièces au nord. Le premier qui trouve un passage secret a gagné !
— Ce sera moi.
— Il te fait marcher, il n'y en a pas.
— Pfff.
— Je vous conseille aussi un arrêt pipi avant de démarrer. Vérifiez l'état de vos bottes. Quand tout le monde est prêt, on se retrouve ici.
— Je dois pas faire pipi.
— Mais tu y vas quand même.
— Mais...
— C'était quoi la règle ?
— Oui, oui."
Les trois gamins filèrent hors de la pièce.
" Méfiez-vous des éboulis. Les barrières magiques repoussent le mal, mais pas toutes les créatures dangereuses. Ni les araignées, ni les serpents, ni les rats ne sont maléfiques.
— Les pires bestioles sont à l'étage inférieur.
— Un minimum de prudence n'a tué personne."

Il se demanda un instant s'il n'aurait pas mieux valu que ce soit Tim qui se charge d'Hippolyte...
-S'il y a des risques que des créatures des jardins aient escaladé le puits, pourquoi ne pas prendre le baume protecteur dont vous disposez ? Je ne voudrais pas que ce qui est arrivé à Baptiste se reproduise... Hum, et peut-être serait-il opportun d'emporter quelques armes. Juste au cas où.
Sans doute tout cela était-il inutile. Néanmoins, comme l'avait souligné le Milite, la prudence était loin d'être une mauvaise chose.
Mieux valait prévenir que guérir.

" Il n'y a aucun risque de ce genre, dit le Milite. Les deux derniers mètres du puits sont badigeonnés de baume répulsif toutes les veilles, et en fait, tu t'en souviendras peut-être, la salle du puits toute entière est désherbée très régulièrement. La porte qui ferme les Jardins marque leur limite. Nous allons prendre de l'antidote, mais nous tartiner de baume n'est pas nécessaire. Les créatures qui rampent au second niveau viennent de ce niveau même...
— Mais tu ne dois pas t'inquiéter, Taliesin. Il y a des rats, mais ils ont peur de nous. Des araignées, bien sûr, mais pas très grosses.
— Nous serons bien sûr armés tous les quatre, cependant. Je crois que tu as ta propre épée, j'ai la mienne, Iris a ses dagues..."
Il leva les yeux vers Perceval.
" J'aime autant me contenter d'un bâton, dit le jeune homme avec une grimace embarrassée.
— Ce qui sera bien suffisant."
Tim acquiesça.
" La zone qui nous intéresse, c'est celle qui se trouve au-delà de cette fissure... On avait déjà balisé le couloir, puis protégé la petite salle ici... mais ce serait chouette de pousser un peu plus loin. Nous savons que l'espace de surface était un temple de Bhaelros, probablement aux tous débuts de Mélandis... Le désert avait attiré des colons de Mulhorande, habitués à ce type de terrain. Selon les écrits, Bhaelros fut tué par Talos, il y a des siècles déjà, et le Temple changea de mains. A priori, ce sont les Sharites qui l'ont utilisé en dernier, jusqu'à ce que le quartier devienne trop glauque, et qu'ils déménagent pour un édifice plus adapté et mieux situé. Si le niveau des jardins de Moandre remonte probablement à la fondation du Temple et donc de la ville, ou presque, les deux niveaux intermédiaires sont plus récents, mais nous avons tout lieu de penser que les Sharites n'en sont pas les auteurs. Bref, il y a de la découverte à faire."

-Effectivement, et je ne vous cache pas que je suis très enthousiaste, répondit-il, souriant. Par contre, s'il reste un peu de Bhaelros dans ces souterrains, comme il reste un peu de Moandre dans les Jardins... Nous devrions peut-être emporter quelques gourdes bien remplies.
Il jeta un nouveau regard à la carte, réfléchit un instant.
-Je pense que les gosses vont apprécier l'expédition autant que nous : explorer des ruines antiques, c'est palpitant, pour le moins ! Cependant... Essayons de rester attentifs à leur état d'esprit. Il faut que cela reste amusant pour eux, et si nous voyons qu'au contraire, cela les impressionne trop... Nous les remonterons.

" Bien sûr, dit Tim. C'est juste que... Judicaël n'aime pas tellement que nous oubliions nos prérogatives, c'est pourquoi nous voulions faire d'une pierre deux coups, mais il est certain que la sécurité des enfants, et la nôtre, passe d'abord.
— Nous avons préparé trois outres, mais Tim et moi pouvons générer de l'eau à volonté... Si nous restons groupés...
— Et nous resterons groupés.
— ... nous ne devrions pas avoir de problèmes."
Les trois gamins reparurent, encore plus excités qu'auparavant.
" En route, si tout le monde est prêt." dit Tim en repliant sa carte.
Iris distribua le ravitaillement aux trois équipes. Perceval prit le sac de son duo en décochant un clin d'oeil à Gurvan, Iris prit le sien alors qu'Hippolyte n'y songeait déjà plus, Baptiste tint à prendre l'eau tandis que Taliesin se chargeait de la nourriture.
" Bon. Je vais aussi donner du parchemin et de l'encre à chacun. Si vous voyez des dessins, des symboles, des marques, n'importe quoi qui attire votre oeil... Dessinez !"
Ils gagnèrent ensuite le couloir. Tim et Iris décrochèrent une torche par personne, plongeant le couloir dans l'obscurité sur une dizaine de mètres, mais sans s'en soucier, ils se dirigèrent ensuite vers l'escalier qui menait à l'étage inférieur. Baptiste glissa sa main libre dans celle de Taliesin et lui adressa un sourire enchanté.

Taliesin le lui retourna aussitôt.
-Je n'en reviens toujours pas. J'étais persuadé que si Juuicaël nous donnait l'autorisation de descendre, il nous ferait promettre de ne rester que dans les zones connues. Et bien non, nous allons réellement pouvoir explorer des endroits dans lesquels nos hôtes n'ont jamais mis les pieds.
Cela s'avérerait peut-être une erreur, en réalité... Toutefois, étrangement, il n'arrivait pas à vraiment s'inquiéter.
-J'espère quand même que tu n'es pas trop déçu pour votre partie d'Hermines, ajouta-t-il. J'ai hésité à vous laisser terminer mais il me semble que ce jeu est souvent très long...

Baptiste haussa les épaules avec le sourire.
" On n'est pas très bons, alors ça dure moins longtemps qu'avec des bons joueurs. Dès que toutes tes hermines ont été mises hors de combat par l'adversaire, la partie est terminée. Mais ce n'est pas très grave : soit on rejouera ce soir, soit tant pis. Gurvan a l'air de bien aimer ça, mais en fait, c'était juste pour passer le temps en attendant les choses sérieuses !"
Son sourire s'élargit.
" C'est le moment qu'attendait Messire Finrod Felagund, non ?"
Ils étaient arrivés au sommet de l'escalier et Tim s'était retourné vers eux.
" Méfiez des éboulis, sondez le sol dans le doute... Regardez les traces dans la poussière... Ouvrez l'oeil et l'oreille. Et pas de courses-poursuites.
— Même pas drôle !"
Le Milite leva les yeux au ciel puis prit la tête du groupe. Ils quittèrent rapidement la zone propre et éclairée du couloir pour gagner les marches poussiéreuses. En queue de peloton, Iris ferma la porte sur leurs pas et ils se retrouvèrent dans la cage d'escalier rectiligne qui descendait plus bas. Hippolyte imita le loup, ce qui résonna sur les parois et Gurvan le menaça de le battre à coups de bâton. Tim descendait sans crainte particulière. Ils débouchèrent bientôt sous l'arche, dans la grande salle obscure que leur avait décrit le Milite et que Taliesin avait déjà traversée, rapidement, sur les traces d'Ismène quelques jours plus tôt.

-J'ai l'impression que le duo Hippolyte-Iris va faire des étincelles, avait-il soufflé au gamin quand la prêtresse de Tymora s'était fendue de sa fausse récrimination.
Puis, parvenu dans la salle, il avait brusquement songé à tout ce qui était arrivé depuis sa dernière visite. Alors, il ne savait pas si les Moandrins accepteraient de lui restituer Baptiste, il ignorait qu'Arion et Meloenn étaient des traîtres, il n'avait aucune idée précise de l'endroit où se trouvait Galathée... En l'espace de quelques jours seulement, il s'était produit un drame affreux et moult miracles.
De quoi inciter à la vigilance mais, surtout, à l'espérance.
-Bon, souvenons-nous qu'il est interdit de s'approcher des portes sud et que, pour le reste, nous pouvons farfouiller à notre guise.

Les enfants lorgnaient le grand espace sombre avec une certaine révérence. Mais leur stupeur ne dura pas très longtemps. Hippolyte entraîna Iris vers la gauche, Gurvan poussa Perceval vers le centre, et le petit groupe se répartit automatiquement entre les colonnes. Elles étaient immenses mais très usées, leurs chapiteaux disparaissaient dans les hauteurs.
" On imagine qu'ici se trouvait la grande salle... de je ne sais pas quoi... culte, probablement, mais il y a peut-être d'autres explications... Peut-être était-ce une salle du trône. On a trouvé pas mal de squelettes encore vêtus d'armures, mais les tabards étaient réduits en poussière... Pendant le dernier siècle d'occupation, les Sharites sont restés à l'étage supérieur, ils avaient scellé le passage menant à ce niveau... Mais ils ont pris soin de piller ce qui s'y trouvait, je pense, en tout cas dans les pièces principales..."
Il leva sa torche vers un pilier, révélant une marque noire, ronde.
" Ce sont des marquages sharites. Il y en a un peu partout. Il est possible qu'ils mènent quelque part. Ou alors c'est juste l'équivalent d'un pipi de chien, je suppose. Il n'y a plus d'énergie maléfique, en tout cas."
La pièce était suffisamment vaste pour aller fureter vers les murs, les pièces nord, les colonnes en elle-même, les arches, les recoins...

-Vous n'avez pas essayé de remonter la piste éventuellement constituée par ces marques ? s'enquit-il. En tout cas, si nous parvenons quelque part où il n'y en a plus aucune, nous pourrons nourrir l'espoir de faire quelque belles découvertes...
Il jeta un regard circulaire sur la pièce puis le fixa sur Baptiste.
-Le sieur Finrod Felagund souhaite voir si tu es un bon assistant chasseur de mystères. Alors... Nous irons ou tu le souhaiteras.

" Il y en a beaucoup, dit Tim. Certaines sont légèrement différentes des autres, parfois le pigment utilisé est un peu différent... parfois il y a une inscription... C'est vraiment difficile de savoir à quoi ça servait. Je ne suis pas assez versé en religion sharite pour comprendre leur sens. Le fait que ces cercles soient désormais inertes me suffit."
Puis, sur un signe, il les laissa vaquer à leurs propres fouilles. La lumière des autres torches brillait dans les ténèbres, révélant le visage de leurs porteurs. Baptiste entraîna Taliesin vers les portes nord. Les embrasures étaient désormais vides, le bois ayant pourri depuis longtemps. La première pièce était absolument nue, à l'exception d'une ancienne mosaïque sur le sol, représentant un combat titanesque entre deux dragons, un vert et un bleu. De nombreux carrés de porcelaine étaient cassés, la poussière formait une couche épaisse, mais on devinait assez bien le motif.
" Qui vénérait les dragons ?" demanda Baptiste, en dessinant d'un doigt le front cornu du dragon bleu.

-On les vénérait, oui. Et on les vénère encore. Il existe même une déesse dragon maléfique, Tiamat... Mais, plus largement, ce sont de puissantes créatures qui ont toujours fasciné les peuples de Toril. Certains les prient, d'autres leur consacrent leur vie... Il existe même quelques rares élus qui obtiennent l'immense honneur de voler sur leur dos.
Il se pencha, examina la mosaïque.
-Ces deux là sont sans doute des dragons chromatiques, donc mauvais... Les métalliques, en revanche, sont bons, et il arrive qu'ils revêtent une apparence humaine pour se mêler aux hommes, pour les aider...
Il sourit.
-Victor et moi avons croisé l'un de ces êtres bienveillants, dans les Rocheuses du Dragon.

" Tu as rencontré un dragon... Oh..." fit Baptiste.
Ses yeux pétillèrent d'excitation.
" Rappelle-moi de ne pas te quitter d'une semelle."
Il continua à dessiner la forme du dragon du bout du doigt, rejetant la poussière derrière lui.
" Qu'est-ce que tu n'as jamais vu que tu aimerais voir un jour ? Comme créature, je veux dire ?"

-Les jumeaux ! répondit-il.
Puis il retrouva son sérieux, essaya de réfléchir.
-Hum... Le dragon que nous avons croisé étant très jeune, j'aimerais bien voir un grand dracosire d'or, d'argent ou de bronze... Hum, et un baelnorn, peut-être. Ce sont des liches elfiques et bienveillants : des puits de sagesse, assurément, qui pourraient me raconter des histoires passionnantes des années durant...
Il s'accroupit, entreprit de dégager le second dragon figurant sur la mosaïque.
-Mais je ne compte pas repartir à l'aventure avant un certain temps. Dans l'immédiat... Une vie paisible et bien rangée me ravirait. Et de ton côté, quelles créatures aimerais-tu rencontrer ?

" Hum... Je ne sais pas... Je n'ai pas vu grand chose, en fait. Même un gnoll, je trouverais ça exotique, je suppose."
Il sourit.
" Enfin, c'est pas vrai, maintenant que j'ai vu un vampire, la barre est plus haut ! Mais c'est vrai qu'un dragon gentil, ce serait bien... mais je serais content avec une licorne, en fait... C'est sûr que je n'aime pas trop les chevaux, mais une licorne, c'est différent. Ou alors un Solaire. Mais ça, j'imagine que c'est un peu pousser. Et puis ça fait paladin. Peut-être que la licorne aussi, ça fait paladin, en fait. Oublie ça. Je voudrais voir... une vase puante."

-Mais nous en avons vu une ensemble, non ? Une particulièrement affectueuse, d'ailleurs, qui ne se lassait pas de nous étreindre...
Son sourire disparut comme une image lui venait à l'esprit.
-Quant aux licornes... Il n'y a pas que les paladins qui les aiment. J'en ai vu une seule : c'était chez les Bainites...
Il secoua la tête.
-Je lui dois quelque chose, à cette malheureuse. Et... Oui, maintenant que j'y pense, je crois que j'aimerais en recroiser. Dans un autre contextes, sans toute cette souffrance... Il paraît qu'on en trouve dans la vallée du Nirvana et la forêt de la Lorien. Or, il est probable que nous nous rendions dans cette région avant longtemps.
Si les clercs luméniens n'avaient pu guérir Victor, il faudrait l'amaner à Loth Imarhil. L'arrivée des jumeaux compliquerait la chose... Mais, au moins, ce serait un beau voyage.

" J'aimerais ça, voyager dans la Vallée, dans la Lorien... Jusqu'à Solarcis et le retour !"
Il sourit, terminant son dragon, puis s'arrêta.
" Regarde, elle couve, celle-ci. Tu as vu, ses oeufs bombent un peu... Il y en a un rouge, un noir et un vert. Oups..."
En caressant du pouce l'oeuf vert, il l'avait enfoncé dans le sol. Ils entendirent un grincement tonitruant, juste derrière eux. Une plaque de pierre était en train de descendre, refermant la pièce dans lequel ils s'étaient avancés.

Le barde observa la scène avec des yeux ronds. Il songea bien à tenter de fuir, mais y renonça en constatant à quel point le panneau était déjà descendu : tout ce qu'ils obtiendraient en tentant pareil action, ce serait au mieux d'être séparés l'un de l'autre, au pire d'être écrabouillés.
-Baptiste, de toi à moi... Soit nos hôtes ne sont pas des explorateurs dans l'âme, soit tu en est un qui s'ignore encore...
Il sourit. Bien sûr, leur situation pouvait paraître inquiétante. Mais il ne s'en faisait guère : ils avaient de l'eau, des vivres, leurs compagnons n'étaient pas loin. Et puis...
-J'imagine que les autres œufs rouvrent la porte. A moins qu'ils ne révèlent quelque passage secret. Dans ce cas, notre pauvre Hippo va être déçu, car c'est bien toi qui auras gagné le concours. Commence déjà à réfléchir au prix que tu réclameras à Tim !

La tranquillité du barde rasséréna le gosse, qui avait paru un instant terrorisé. Il lui sourit crânement.
" Tant que ça ne libère pas le souffle acide d'un dragon, tout va bien, je suppose..."
Ils entendirent frapper contre la plaque de pierre puis des paroles ténues, inaudibles.
" J'appuie sur un autre oeuf ? demanda le garçon. Est-ce que le rouge et le noir ont des significations que je devrais connaître ? Enfin, j'aurais pas associé le vert avec la fermeture des portes..."

-Les couleurs ont des significations, oui. Le souci, c'est qu'elles changent selon les peuples, les continents, les époques...
Il se leva, scruta la salle avec attention.
-Bon, si le vert ferme la porte... Essaie le rouge, peut-être que ça la ouvrira.
Et, de son côté, il se tint prêt à réagir en fonction de ce qui se produirait, quitte à se jeter sur Baptiste pour le protéger.

Baptiste ferma les yeux, tendit le doigt, et enfonça l'oeuf rouge. Il y eut une vibration puis, brusquement, la pièce se mit à tourner lentement. L'enfant, accroupi, tomba sur ses fesses, tandis que le barde écartait les jambes pour se stabiliser. L'embrasure de la porte suivit le mouvement circulaire de la petite pièce, seul la mosaïque au dragon demeurant stable. L'ouverture fit un quart de tour puis s'immobilisa dans un grondement, donnant sur l'obscurité. Quand Taliesin leva sa torche, il révéla une énorme tête de dragon tapie dans l'ombre. Baptiste poussa un cri avant d'éclater d'un rire nerveux. C'était une statue, sertie de pierres rouges et blanches. Les yeux du dragon étaient creux, sa gueule ouverte silencieuse. Il n'y avait pas de corps derrière, juste cette tête gigantesque, fixant le centre de la pièce, ses crocs étincelants dans la lumière de leurs flammes magiques.

-Ben ça... souffla le barde.
Puis il tenta de remettre de l'ordre dans ses idées.
-Ce que tu as découvert vaut au moins dix passages secrets. Je te déclare donc vainqueur du concours.
Il baissa les yeux sur l'enfant.
-Tu veux bien regarder si les œufs sur lesquels tu as appuyé se sont... redressés ? Si c'est le cas, cela voudra sans doute dire que nous avons affaire à une sorte d'énigme. Il y en a parfois dans les ruines antiques et généralement, si on réussit à les résoudre... on découvre un trésor.
Et si on échoue, on meurt. Mais nul besoin de mentionner ce fait, n'est-ce pas ?
-Ensuite, nous irons examiner cette statue : peut-être dissimule-t-elle quelque mécanisme ? Dans le cas contraire, nous appuierons sur l’œuf noir. En se tenant prêts à bondir de côté au cas où il prendrait envie à cette gueule dentue de vomir des flammes...

Baptiste mit quelques secondes à sortir de sa torpeur, puis se pencha sur la mosaïque.
" Alors, le vert s'est relevé mais le rouge est enfoncé... Et Taliesin..."
Sa main frôla le dessous de l'autre dragon, soulevant la poussière.
" Le deuxième dragon couve un oeuf blanc, un bleu et un jaune."
Il lui décocha un regard embarrassé.
" Peut-être que comme ils se battent, l'un annule l'autre, je sais pas..."

-C'est quand même étonnant que nos amis n'aient pas examiné cette mosaïque ou marché par mégarde sur l'un des œufs... murmura-t-il avant d'ajouter, sur un ton plein d'entrain : Mais c'est tant mieux pour nous ! Car je n'ai plus aucun doute à présent, c'est bien à une énigme que nous sommes confrontés. Nous allons donc nous efforcer d'en triompher. Pour cela, procédons avec méthode.
Tout sourire - il y avait de quoi être enthousiaste -, il tira de son sac une feuille de papier et de quoi écrire. Puis, prenant soin d'expliquer à l'enfant ce qu'il faisait, il lista les différentes combinaisons possibles. D'abord les six impliquant un unique œuf, notant déjà les effets du vert et du rouge. Ensuite les neufs en impliquant deux : cela restait théorique, bien sûr, mais il savait dès à présent que, pour un dragon donné, on ne pouvait en activer qu'un seul à la fois.
-A présent, allons voir cette tête de dragon, dit-il quand il en eut terminé. Peut-être découvrirons-nous qu'il faut mettre quelque chose dans ses orbites ? Auquel cas, ladite chose est peut-être accessible via une autre combinaison...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Moandre