La Couronne de Cuivre

La blessure était profonde, et surtout, le sang coulait abondamment. La chair était déchiquetée jusqu'à l'os. Si Kasumi n'avait pas eu un minimum l'habitude des blessures graves, il aurait sans doute eu du mal à la regarder sans faillir.
Eärundra s'approcha immédiatement, et incanta. Une lumière bleue enveloppa un instant la blessure, et Kasumi vit, sous ses yeux, els chairs de recoller. la blessure était refermée, même s'il subsistait une mince cicatrice.
- il faudra vous ménager pendant un jour ou deux. Vous avez perdu beaucoup de sang...
La tunique de la rôdeuse, complètement déchirée et sanguinolente, pendait à son bras.

Kasumi avait été horrifié de constater à quel point Sylvia avait été touchée et son cœur avait failli manquer plusieurs battements en réalisant qu’il avait sans doute été bien proche de la perdre. Cette pensée insupportable le fit blêmir presqu’autant que la rôdeuse et il continua à la tenir par le bras même quand Eärundra eut fini d’intervenir. Il ne manqua cependant pas de la remercier chaleureusement mais avec une voix un peu tremblante car sans les talents de guérisseuse de la druidesse, il n’aurait sans doute pas pu sauver sa compagne. Il s’était assis à côté d’elle et prit le temps d’une longue inspiration avant de s’assurer que Tilmandil et Léo étaient sains et saufs. Puis il murmura pour la seule rôdeuse après lui avoir déposé un baiser mal assuré sur la joue :

- Je vais te chercher de quoi te changer. Et d’avance, ne m’en veux pas si je suis aux petits soins pour toi ces prochains jours : tu m’as fait si peur ! Et je dois aussi te remercier de m’avoir sauvé la vie. Je n’aurai pas pu faire face seul contre ces deux monstres.

- Tu m'as toi aussi sauvé la vie en venant à mon aide, donc on est quittes... Et je veux bien de quoi me changer, oui...
Sylvia était pâle, et ne semblait pas décidée à se lever tout de suite. Eärundra l'observait à la dérobée, d'un air soucieux.
- Il faudrait qu'on reprenne la route dans un moment. Prenez un peu de temps pour vous reposer et vous remettre de tout ça. Pendant ce temps, on va finir de préparer les affaires avec Tilmandil. Vous me direz quand vous vous sentirez prête à repartir.
Sylvia se contenta de hocher la tête. En temps ordinaire, elle aurait protesté qu'elle était capable de marcher, pour ne pas se sentir ridicule devant la druidesse. Le fait qu'elle ne dise rien prouvait son état de faiblesse. Elle ne lança même pas un regard noir à celle qui, comme d'habitude, prenait la direction des opérations.
Eärundra entraîna Tilmandil à l'écart, laissant diplomatiquement les deux rôdeur seuls.

La réaction presque apathique de sa compagne ne manqua pas d’inquiéter le rôdeur qui répugnait maintenant à s’éloigner d’elle ne fusse-ce que pour quelques secondes. Il ignorait en effet si elle avait été plus touchée encore au moral que dans sa chair par l’incident qui avait bien failli se solder tragiquement. Si seul du repos et une nourriture riche pouvait remédier aux séquelles physiques qu’elle avait subie, Kasumi décida d’agir en premier lieu sur son bien-être mental. Il vérifia que les deux elfes avaient fait plus que s’éloigner pour ôter sa tunique et la tendre à Sylvia avec un sourire :

- Tu as besoin d’un vêtement déjà chaud et plus ample pour ne pas risquer d’aggraver ta blessure. Et en plus ça me ferait plaisir de te voir la porter…

Il lui adressa un regard plein d’expectative, espérant revoir le si charmant sourire qui ne manquait pas de le faire fondre de bonheur à chaque fois.

Le sourire qu'il reçut en retour était un pauvre petit sourire... mais un sourire tout de même.
- Merci... Je la porterai si ça te fait plaisir... Et puis, ce sera bien agréable de sentir ton odeur contre ma peau.
Le sourire se fit plus large, et elle ajouta, avec un clin d'oeil.
- En fait, c'est juste un prétexte pour que je me déshabille tout de suite, avoue...
Et pour ne pas le décevoir, sans doute, elle se hâta d'obtempérer et d'ôter sa tunique, après un bref regard alentour pour vérifier que les deux elfes n'étaient plus dans les parages.
- Mais moi, j'aurais surtout besoin... que tu me serres fort dans tes bras.
L'émotion rendit subitement sa voix rauque. Elle avait réellement besoin d'un réconfort physique.

Kasumi sentit que la jeune femme était sur le point de craquer aussi ne perdit-il pas le temps de la couvrir, préférant se mettre à genou et la cacher aux regards indiscrets en l’enlaçant immédiatement mais sans aucune brusquerie, sans rien chercher d’autre que lui offrir un peu de réconfort, un peu de chaleur et surtout l’assurance de son soutien. Tout en la serrant contre sa poitrine, il caressa lentement ses cheveux et lui murmura des paroles qu’il espérait apaisante :

- Je te serrerai dans mes bras aussi souvent que tu le voudras. Prends tout ton temps, ma merveilleuse.

Il vit un frisson agiter ses épaules, et devina, à sa respiration hachée, qu'elle pleurait probablement. Elle resta un moment blottie contre lui, refusant de s'en détacher, cachant sans doute de son mieux ses larmes.
- J'ai failli mourir, finit-elle par murmurer. J'ai eu tellement peur...
Ce n'est qu'au bout de longues minutes qu'elle s'écarta légèrement de lui et prit enfin la tunique, détournant le visage pour ne pas qu'il voie à quel point elle avait été bouleversée.
- J'ai besoin... de me laver un peu dans la rivière avant de l'enfiler. Il y a des traces de sang sur mon bras... Et puis ça me fera du bien, un peu d'eau fraîche. Tu... tu restes avec moi ?

Kasumi ne chercha pas à la mettre mal à l’aise en cherchant son regard avant qu’elle n’en prenne elle-même l’initiative, se contentant de la laisser s’appuyer contre son torse le temps que le plus fort de la crise ne passe. Il passa alors une main sur son visage avant de répondre d’un ton déterminé :

- Bien sûr que je reste !

Puis il l’enlaça à nouveau dans une initiative spontanée avant d’ajouter d’un ton paisible :

- Et tu ne dois pas avoir honte ou quoique ce soit pour avoir eu peur. Je veux tout partager avec toi : tes sourires comme tes larmes, tes soupirs comme tes rires. Moi aussi j’ai eu peur de nous savoir en danger. J’ai eu d’autres combats mais la peur de la mort est toujours présente, à chaque fois. Mais je ne supporterais pas de te perdre. Je ne le permettrai pas !

Il l’entraîna alors doucement vers la rivière pour lui permettre de se rafraichir.

Sylvia se lava le bras, bien sûr. Mais son premier réflexe fut de s'asperger le visage, avant de carrément le plonger dans l'eau fraiche, espérant faire ainsi disparaître toute trace de larmes. Lorsqu'elle leva enfin les yeux vers son compagnon, avec un sourire bravache, elle avait les joues rougies par le froid, mais plus de marque de larme. Des cernes, néanmoins, trahiraient son émotion à un observateur attentif, ce que serait certainement Eärundra.
- Bon... Voyons un peu cette tunique. Je suis sûre que ça va me donner du courage, rien que de la porter. Ca vaut bien un sort d'immunité à la peur.
Son sourire devenait plus franc, et ses yeux recommençaient à pétiller légèrement.
- Mais on va dire que c'est uniquement parce que je n'avais plus rien de propre à me mettre, hein ? J'imagine déjà le regard moqueur d'Eärundra... C'est terrible cette façon qu'elle a d'être toujours supérieure en tout. Ça me hérisse. Mais je dois bien reconnaître que ses sorts de soins sont très utiles.
Elle enfila la tunique.
- Mmm... Que c'est agréable, un vêtement tout chaud. Allez, dépêche-toi de t'habiller à ton tour, sinon ils vont croire qu'on tire au flanc. On a de la route à faire...
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres, puis son regard se fit plus grave.
- Je ne pourrai pas marcher très vite ou très longtemps, je crois. Il me faudra des pauses. je suis désolée de nous retarder ainsi...

Kasumi se hâta de récupérer une tunique dans son sac avant de revenir vers Sylvia et de lui d’offrir son bras en lui adressant un sourire ravi au passage :

- On progressera à la même vitesse tous les deux et n’importe qui aurait pu être blessé par ces fichues panthères. Enfin, peut-être pas Eärundra qui a des siècles d’avance sur nous tous ! Alors même si elle est plus douée parfois, nous sommes bien plus jeunes ! Et surtout, et c'est loin d'être un détail à mes yeux, tu es mille fois plus belle et plus charmante ! Surtout quand tu souries. J'adore quand tu souries ! Voilà, juste comme ça, ne change rien surtout !

Le rôdeur ne se départit plus d'un sourire rieur et d'un regard malicieux tout en menant sa compagne vers les elfes fin près pour le départ. Kasumi en avait profité pour récupéré le chargement de sa compagne.

Le sourire de Sylvia manquait un peu de force et d'assurance, mais c'était tout de même un sourire. Elle se laissa guider sans protester en direction de leurs compagnons, et ne protesta pas quand Kasumi décida de lui porter son chargement. Ce qui prouvait, encore une fois, sa fatigue excessive...
Ils reprirent leur route, plus lentement. Avec davantage de pauses. Pas une seule fois Eärundra ne fit la moindre remarque négative à Sylvia, fixant au contraire elle-même des arrêts plus réguliers. Et pourtant, le rôdeur devinait que sa compagne souffrait de se sentir en état de faiblesse. Même Tilmandil apparaissait plus vaillant qu'elle.

Il n'y avait guère de sentier praticable, et ils étaient obligés de couper à travers bois, contournant parfois d'épais taillis infranchissables. Le forêt ici semblait ne pas être fréquentée par des êtres humains, ou alors très peu. Les seules sentes qu'ils trouvèrent avaient été tracées par des sangliers ou de grands herbivores. Ils ne pouvaient s'appuyer que sur le soleil, heureusement présent, pour déterminer la direction à suivre. Sylvia était la seule qui connaissait vaguement l'endroit où ils devaient se rendre, et elle-même doutait, parfois, de son sens de l'orientation. Heureusement, en fin de journée, ils parvinrent à une vaste clairière dans laquelle se trouvait indubitablement les traces d'un campement peu ancien, datant de moins d'une veille : petite zone d'herbes brûlées entourée de pierres là où on avait fait un feu, végétation écrasée là où on avait dormi sans doute. C'était très certainement le camp que devait rejoindre Elryndel lorsque sa compagne l'avait téléporté.

Kasumi s’approcha aussitôt de l’ancien foyer pour tenter d’y trouver des indices complémentaires éventuellement oubliés mais aussi et surtout des traces de pas qui confirmeraient dans quelle direction les derniers campeurs étaient partis. A partir d’ici et dès qu’ils l’auraient retrouvée, il serait plus avisé de suivre le même chemin qu’avaient emprunté Elryndel et ses compagnons. Le rôdeur se souvint que les elfes avaient dû employer une civière, il y aurait donc au minimum un sentier relativement praticable. Après avoir posé leurs sacs, le demi-elfe annonça cependant ses intentions plus immédiates à ses compagnons :

- Je pense que nous trouverons beaucoup de lièvres et de petit gibier peut-être par ici. Un peu de viande nous redonnera à tous des forces pour la journée de demain ! Tilmandil, tu veux que je te montre comment poser des collets ? Sauf si tu veux t'en charger, Sylvia...

Il avait l’intention de réserver le foie et les morceaux les plus riches pour Sylvia qui avait grand besoin de refaire un peu de sang après sa grave blessure mais il ne jugea pas utile de le souligner et risquer de la gêner davantage.

- Poser... des collets ? Bah, pourquoi pas après tout, ça ne doit pas être si sorcier...
- Je vais m'en occuper, dit Sylvia. Cela ne demande pas trop d'énergie. Et je peux montrer à Tilmandil aussi. Mais je ne m'éloignerai guère de la clairière je pense... Si tu veux en poser aussi plus loin, ou chasser quelque chose, il vaut mieux que ce soit toi qui y aille...
- Je vais m'occuper de faire un peu de cueillette, et du bois pour le feu, annonça Sylvia.

Ainsi s'organisèrent-ils, chacun contribuant -dans la mesure de ses moyens physiques- aux tâches de la soirée.
Kasumi, quant à lui, n'eut aucun mal à repérer les traces du passage de leurs prédécesseurs durant sa petite exploration des alentours : à défaut de trouver un sentier praticable, ils l'avaient eux-même créé, se taillant un passage au beau milieu des taillis - à la machette sans doute. Ils se dirigeaient droit vers le nord.

Rassuré sur le fait de pouvoir la suivre facilement le lendemain matin, Kasumi délaissa la piste de son père pour se concentrer sur sa tâche. Il se rendit compte qu’il avait un peu perdu l’habitude de chasser sans Première Neige et fut envahi par une bouffée de nostalgie en songeant à sa louve. Patientait-elle bien sagement dans les bois autour de Luménis en attendant son retour ou avait-elle cherché l’aventure ailleurs en son absence ? Un peu distrait pas ces pensées parasites, le demi-elfe fit chou blanc pendant les premières minutes avant de détecter une sente prometteuse. Il entreprit de la remonter en silence, une flèche encochée et prête à être décochée, espérant quelque chevreuil et craignant un peu une rencontre avec un sanglier ou un nouveau félin. Une alternative tout aussi probable.

Heureusement, la chance était avec lui : la piste explorée le conduisit tout droit à un petit étang, dans une autre clairière, où venaient s'abreuver plusieurs animaux. Une biche avec son faon, quelques chevreuils, paissaient près de l'eau, sous un magnifique saule pleureur. Une famille de sanglier déboula et fit fuir tout ce beau monde. Puis les sangliers s'en furent et un renard apparut. Puis d'autres chevreuils. De petits rongeurs auxquels il n'accorda pas d'attention. Et plusieurs volatiles, des perdrix aux poules d'eau en passant par les une cane avec ses canetons. Sans compter les multiples poissons et batraciens dont devait regorger l'étang.
Il avait été si discret qu'il n'avait que l'embarras du choix : aucune des bêtes n'avait encore détecté sa présence.

hrp : je suis gentille, je te laisse choisir le menu du soir

Kasumi délaissa les mères ayant la responsabilités de petits pour éviter de nuire à des animaux qui avaient encore leur rôle à accomplir. Mielikki enseignait l’harmonie, à ne prélever que le stict nécessaire sans nuire à l’équilibre des cycles naturels de la vie et de la mort. Il choisit donc avec application sa cible, visant un chevreuil de belle taille et à la démarche légèrement boiteuse, une gêne pour sa harde dans la lutte interminable contre les prédateurs. Les cuissot et le foie de l’animal pourvoiraient largement à leurs besoins en nourriture pour deux repas et le restant satisferait probablement Léo malgré son petit déjeune copieux. Après la privation des marais, un peu d’abondance ne lui nuirait pas. Ces pensées n’effleurèrent l’esprit du rôdeur qu’une seconde ou deux avant qu’il ne lâche son trait pour prélever son butin. Tergiverser trop longtemps était la meilleure manière de rentrer bredouille. Il n’aurait probablement pas l’opportunité de prélever davantage de nourriture avant que la faune ne s’égaille en tout sens aussi ne chercha-t-il pas à encocher un nouveau trait. Il ne fit que vérifier l’absence de prédateur susceptible de lui disputer le chevreuil avant de s’avancer dans la clairière.

Personne ne lui disputa sa proie. Il vit bien des empreintes lui évoquant celles de loups, mais elles dataient de quelques jours probablement. L'endroit était parfaitement tranquille, sans danger apparent.
- Je vais vous aider à le transporter, fit la voix d' Eärundra derrière lui. C'est une belle prise...
L'elfe était apparue silencieusement, comme à son habitude. Léo n'était pas auprès d'elle, pour une fois.
-Enfin, si vous voulez bien sûr... je ne voudrais pas que vous vous sentiez vexé d'avoir besoin de l'aide d'une femme.

Le rôdeur esquissa un sourire à l’adresse de la druidesse tout en songeant que, décidément, elle était douée pour les approches discrètes. Tout en se dirigeant vers l’animal tué pour y récupérer la flèche meurtrière et la nettoyer, il répondit d’un ton calme et sincère :

- Vous l’avez bien dit vous-même à plusieurs reprises : nous sommes une équipe et il serait stupide de me priver de votre aide pour des préjugés qui ne sont du reste pas les miens. Vous avez montré plus qu’à votre tour combien vous nous êtes utile. Et je tenais d’ailleurs une fois de plus à vous remercier pour avoir sauvé Sylvia. Sans vous, j’aurais été impuissant à faire quoique ce soit…

Sans vraiment attendre de réponse, il se pencha avec l’intention de saisir la proie par les cornes, laissant le soin à Eärundra de saisir ses pattes antérieures.

Eärundra hocha la tête.
- Votre amie Sylvia, elle, supporte mal que je prenne les choses en main...
Elle haussa les épaules.
- Je comprends qu'elle se considère sur... son territoire, en somme. Mais j'espère qu'elle arrivera à comprendre que je ne suis pas son ennemie ni sa rivale. Je ne sais pas comment la rassurer...

Kasumi était gêné que la druidesse aborde la question mais il devait bien reconnaître qu’elle était nécessaire et que le moment pouvait être plus mal choisi. Il n’avait cependant pas la moindre idée de quelle était la bonne réponse, s’il y en avait une. Mais il ne chercha pas à masquer ses doutes, espérant y voir plus clair en les verbalisant :

- Vous savez, je ne suis pas très doué pour comprendre les femmes… Tilmandil serait peut-être plus utile… Quoique c’est un elfe, tout comme vous. Ne l’interprétez pas mal : mais c’est peut-être que vous lui paraissez si jeune et pourtant si expérimentée. Vous êtes tout à fait légitime à nous guider par vos sages conseils mais je l’accepte mieux pour avoir moi-même vécu des aventures où j’ai pu tout prendre en main. Sylvia est une rôdeuse talentueuse mais elle a été frustré de ne pas pouvoir en vivre autant qu’elle aurait voulu. Et c’est en partie de ma faute… Cela dit, elle ne vous considère pas comme une ennemie. Je ne le crois pas. Une rivale sans doute, et peut-être même un modèle dans une certaine mesure. Bref, je ne sais pas trop quoi vous conseiller : c’est vous la druidesse qui êtes censée tout savoir, non ?

Ces dernières paroles étaient prononcées sur un ton plus léger pour bien lui signifier qu’elles étaient ironiques.

Eärundra rit.
- Je ne sais pas tout, loin s'en faut. Je n'ai pas l'expérience qu'avait accumulée ma mère... Mais je compte bien l'acquérir au fil des siècles.
Eärundra dénicha une longue pique de pois, en réalité le tronc d'un jeune bouleau arraché, et s'attela à y fixer la prise de Kasumi.
- C'est pour cela, aussi, que je n'hésite pas à proposer mon aide pour toutes les causes sortant un peu de l'ordinaire, surtout si elles impliquent des voyages lointains. Je forge ainsi mon expérience peu à peu, par les rencontres. Le cercle druidique de votre communauté fut une rencontre intéressante, d'ailleurs. Cewyn est un elfe plein de sagesse. Il connaissait ma mère. Mais je m'égare.... Pour en revenir à Sylvia, il y a une histoire de territoire à défendre et de capacité à prouver, je pense. Mais peut-être pas que cela. J'imagine que ça ira mieux, petit à petit, au fur et à mesure qu'elle aura davantage confiance en vous et en vos sentiments. Peut-être a-t-elle encore trop peur de vous perdre...

Le rôdeur aida la druidesse à lier les pattes de l’animal au tronc. L’animal ne devait pas peser plus de cinquante ou soixante livres et il aurait pu le porter aisément sur ses épaules jusqu’à l’autre clairière mais, maintenant qu’il avait accepté l’aide d’Eärundra, il devait reconnaître que sa technique de transport serait plus pratique. D’autant que le bois servirait également à alimenter leur feu.

Alors qu’ils achevaient de hisser l’animal sur leurs épaules, il répondit enfin d’un ton grave :

- Vous avez peut-être raison, une fois de plus. Je ne lui ai pas donné beaucoup de gages de fiabilité jusqu’ici et pourtant je l’aurais souhaité…

Ne souhaitant pas rester sur une note trop sérieuse, d’autant qu’elle faisait remonter des interrogations et des réminiscences plutôt désagréables, il ajouta d’un ton plus léger :

- Mais nous devrions rentrer et dresser le campement avant que mon frère n’ait truffé tout le terrain de pièges. Il ne s’agirait pas que nous nous retrouvions avec plus de lièvres que même Léo ne pourrait plus en avaler !

- Ne sous-estimez pas l'appétit de Léo ! répartit la druidesse avec un sourire amusé.

Ils ne furent pas long à revenir au campement, pour découvrir une tente déjà installée, et Tilmandil s'affairant à monter la sienne sous les ordres de Sylvia. Ils n'avaient pas perdu de temps. Un tas de bois et quelques fruits, dans un coin, témoignaient qu'Eärundra avait accompli sa propre part de besogne avant de rejoindre Kasumi.

Sylvia haussa un sourcil en voyant la druidesse revenir avec le rôdeur, mais ne dit rien. Elle n'en pensait certainement pas moins. Elle se contenta d'ignorer autant qu'elle put sa "rivale", tout au long de la soirée. Les cuisseaux de chevreuil furent grandement appréciés, puis Tilmandil les régala de quelques airs de flûte, mais ne conta aucune histoire cette fois-ci. Peut-être craignait-il qu'elles ne se réalisent, comme dans les marais.
Le soleil était couché depuis longtemps lorsqu'Eärundra, toujours elle, donna le signal du couchage.
- Souhaitez-vous que nous établissions un tour de garde ? Le même que d'habitude ?

Les rôdeurs avaient pris soin d’apprêter et de mettre de côté une petite partie de la viande pour le lendemain au cas où le relevé des collets ne donne pas par le résultat escompté. Kasumi avait pris soin de réserver le foie de l’animal à sa compagne bien qu’elle ne goutte pas particulièrement cette saveur. Heureusement, il n’avait pas eu à insister pour la voir le manger sinon la soirée aurait peut-être été encore plus tendue. Même les airs de flûte forts bienvenus de Tilmandil n’avait pas suffi à apaiser tout à fait la lourdeur de l’atmosphère entre les deux jeunes femmes. Le demi-elfe avait eu cent fois l’occasion de ressasser les événements de la soirée et mis sur le compte de son retour accompagné d’Eärundra ce nouveau regain de tension. Sylvia craignait-elle sérieusement avoir une rivale ou s’agissait-il simplement d’agacement devant le besoin de la druidesse de constamment veiller sur eux, y compris lui-même ? Peut-être s’en ouvrirait-elle à lui ? Il l’espérait en le craignant un peu tout à la fois. Mais il était temps de mettre fin à cette veillée et peut-être résoudre ce mystère :

- Oui, nous ne devons plus nous considérer à l’abri. J’ai repéré les traces de nombreux prédateurs et il peut y en avoir d’autres qui affectionnent ces espaces dégagés. Je prendrai le premier tour de garde et nous enchaînerons comme d’habitude si personne n’y voit d’objection.

Il chercha notamment le regard de sa compagne en espérant ne pas avoir commis de nouvel impair.

Le regard de Sylvia ne reflétait rien de particulier, sinon une certaine lassitude. Personne ne trouva rien à redire à la proposition de Kasumi, et tous se dirigèrent vers leur tente respective. A l'exception d'Eärundra...
"Je vais m'installer dans ce gros chêne, là. Mais ne vous en faites pas, Tilmandil, je me réveillerai de moi-même à l'heure où je dois vous relayer, vous n'aurez pas besoin d'y grimper."
Tilmandil acquiesça et disparut dans sa tente. Sylvia hésita devant la leur.
"Tu... tu dois pouvoir m'accompagner un petit moment, je pense, avant de revenir monter la garde au-dehors ? Juste... Parce que je n'ai pas vraiment rangé tes affaires. Tu ferais mieux d'installer tes couvertures...

Kasumi tenta de dissimuler au mieux une grimace d’angoisse en entendant l’invitation de Sylvia. Il était évident que la question du rangement n’était qu’une excuse pour avoir l’occasion de lui parler seule à seul. Mais, s’il appréciait énormément les moments où ils pouvaient effectivement se retrouver un peu tous les deux, il craignait de deviner ce qui trottait dans la tête de Sylvia. Il ne chercha pas à éviter la confrontation inévitable, bien au contraire :

- Bien sûr, nous ne risquons rien le temps que tout le monde s’installe.

Il entra le premier sous la tente en craignant ce que la rôdeuse avait suggéré avec cette histoire de couvertures : souhaitait-elle qu’il installe son couchage à l’écart du sien ?

Mais Sylvia n'avait rien de tel en tête. Elle avait simplement l'air préoccupée.... et fatiguée, aussi.
- Tout à l'heure... Earundra t'a parlé de moi, c'est ça ?
Elle soupira.
- Excuse-moi de t'ennuyer avec ça... mais je vois bien comment elle me regarde... Elle ne me fait pas confiance, elle estime sans doute que je ne fais que te distraire, que je ne devrais pas être là. Je me sens tellement... inutile, parfois. Pas à la hauteur en tout cas. Et puis, je comprends bien que tout ait été trop vite, sans doute. Tout était prévu pour que vous partiez à trois, et puis au dernier moment je me suis incrustée, sans que personne ne s'y attende, moi non plus du reste... j'ai un peu l'impression d'être une intruse. Et j'ai peur que tu regrettes de m'avoir emmenée, aussi. Tu serais certainement plus concentré, plus efficace, sans ma présence.

Kasumi ne s’était pas attendu à cette entrée en matière ni que les doutes de Sylvia soient aussi prononcés. Elle semblait tellement abattue qu’il ne trouva pas tout de suite quoi répondre et se contenta de lui prendre les mains dans les siennes le temps de rassembler ses pensées. Quand il s’estima prêt, il la regarda droit dans les yeux pour qu’elle comprenne qu’il était parfaitement sincère :

- Tu es bien trop dure envers toi-même ! Tu ne seras jamais une intruse et tu ne l’as jamais été. Si tu es ici, c’est que je te voulais à mes côtés. C’est que je considère que tu y es à ta place aussi longtemps que tu le désireras. Tu manques peut-être d’expérience de ce genre de missions périlleuses mais tu es prête et compétente. Il est dur d’admettre que l’on ne peut pas tout accomplir soi-même, qu’on n’a pas toutes les réponses, qu’il faut parfois s’en remettre aux autres. C’est même le plus difficile. Mais je n’ai pas envie de t’ennuyer avec ça. La seule chose que tu dois savoir c’est que moi non plus je ne m’attendais pas à ce que les choses tournent ainsi en revenant au campement. Jamais je n’aurais pensé que tu m’aimais et que tu m’aurais attendue. Et je ne vois vraiment aucune raison de regretter la façon dont les choses ont tourné pour nous deux. Alors tu ne m’ennuieras jamais en me confiant tes doutes, tes états d’âme ou toute chose que tu pourrais avoir sur le cœur. C’est cela être un couple. Et je voudrais que nous le soyons tous les deux. Et que tu en sois persuadée.

Sylvia hocha la tête, avec un sourire hésitant. Mais un sourire tout de même.
- Excuse-moi. Je ne voulais pas te paraître douter. C'est juste... que c'est nouveau tout ça, pour moi. Que je ne m'y attendais pas...
Elle soupira.
- En fait, je crois que j'ai été plus secouée que je ne l'aurais cru par l'incident, tout à l'heure. C'est la première fois que je me trouve en si mauvaise posture, ajouta-t-elle avec une grimace. J'ai cru que j'allais mourir... Je n'en ai pas l'habitude... Peut-être que j'ai eu de la chance jusqu'ici, en fait. Ou que je m'aventure rarement seule dans les zones dangereuses.
Elle sourit.
- Et je n'ai pas vraiment réfléchi avant de décider de t'accompagner. Je voulais juste... être avec toi, t'aider de mon mieux. Il va falloir que je m'habitue à l'idée que la vie à tes côtés est plus dangereuse que ce à quoi je suis habituée ! Et que je m'habitue à l'idée que tu veux vraiment de moi à tes côtés, surtout. Ça me fait tout drôle... Je l'avais rêvé, parfois, mais je n'y avais jamais cru. J'ai encore peur que tout ça ne soit qu'un rêve, peut-être...
Elle se pinça avec une grimace comique.
- Ah non, c'est bien réel ! Mmm... peut-être que si tu m'embrassais encore j'arriverai mieux à m'en convaincre ?
Ses doutes paraissaient envolés, cédant la place à un sourire taquin.

A peine avait-elle prononcé ses derniers mots que Kasumi posait ses lèvres sur celles de Sylvia autant pour faire taire ses doutes que pour le simple plaisir d’y gouter à nouveau, sans retenue. Il avait passé ses bras derrière elle pour la soutenir de son étreinte, passant ses mains sur sa propre tunique qu’elle portait toujours. Au bout d’un temps infini mais encore bien trop court, il détacha ses lèvres et reprit son souffle, une lueur de malice dans le regard :

[color=#9900000]- Juste un baiser alors… Je dois veiller. Et tu dois te reposer. Ou alors juste un deuxième…[/color]

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines