La Couronne de Cuivre

-J'ai dû l'apercevoir de loin une ou deux fois, c'est tout. Mais si ça se trouve, lui aussi est passé à ton bureau sans que tu le remarques...
Le paladin n'était pas ici, en tout cas. Contrairement à à peu près toutes les connaissances d'Albérich. Lesquelles étaient en train de s'installer, puisque le repas ne tarderait plus à être servi.
-Mangerons-nous à nouveau ensemble ou un repas sans... hum, presque sans travail par jour, ça te suffit ?

« J’ai un conseil juste après, j’aime autant me changer les idées… »
Il s’installa et fit signe au Sunite d’en faire de même.

***

Un peu plus tard, Hubert surgit dans la pièce. Il sortait lui aussi des thermes, où il avait vu Albérich s’engouffrer. Il était resté à l’extérieur, attendant que le Luménien ait terminé avant de s’y rendre à son tour. Il ne se sentait pas prêt, dans l’état dans lequel il était, à affronter des visions qui lui échauffaient le sang. Il avait passé tout l’après-midi dans la cour, à s’entraîner avec qui le voulait bien, puis avec ses écuyers, avant d’hésiter à aller déranger Albérich pour lui rappeler leurs projets en la matière. Quelqu’un lui avait indiqué l’endroit où le clerc s’était retranché mais quand il l’avait aperçu, plongé dans son travail, il avait renoncé. Il n’arrivait pas bien à savoir si sa démarche était naturelle ou provoquée par la présence de Thibault. Il avait d’ailleurs aperçu le Sunite plusieurs fois pendant la journée mais jamais ils ne s’étaient arrêtés pour s’adresser la parole, comme s’ils étaient deux étrangers. Ce qu’ils étaient réellement, en réalité. Hubert était conscient d’être à côté de lui-même. Il lui faudrait probablement plusieurs jours avant de reprendre pied. Jusque là, il devait se concentrer sur ses devoirs et faire bonne figure.
En arrivant dans la salle à manger, il ne fut pas surpris de repérer les deux vieux amis en grande conversation. C’était une scène qui était appelée à se répéter, il devait s’y habituer. Il chercha un autre point de chute du regard, mais Albérich l’aperçut et lui fit signe. Il hésita puis esquissa un sourire et alla dans leur direction. Il n’était pas certain que c’était une sage idée : le Sunite allait certainement l’asticoter et il n’était pas d’humeur très sereine.
« Viens donc t’installer avec nous, lui dit Albérich en désignant la place voisine de la sienne. Je sais que tu as déjà croisé Thibault, mais comme ça vous pourrez faire connaissance. »
Hubert s’assit, la mine affable, tout en se demandant ce qu’Albérich avait raconté à son ami sur son compte. Il en savait déjà beaucoup sur Thibault, de son côté...

Le Sunite, qui avait lui aussi adopté une attitude amicale, ne laissa pas le silence s'installer.
-Albérich ayant une très, très mauvaise influence sur moi, je vais brièvement parler travail, fit-il d'un ton léger, s'adressant aux deux hommes. Comme vous avez conseil tout à l'heure, et comme il est probable que vous évoquiez notre arrivée... N'hésitez pas à nous affecter des tâches dont nous nous acquitterons dès demains. Mes deux amis seraient heureux de vous épauler dans l'exploration de la cité, Hubert. C'est également mon cas, mais si vous jugez que je suis plus utile ici, je comprendrai.

Hubert acquiesça.
" Un clerc d'expérience est toujours chose utile dans l'exploration d'une cité où traînent des morts-vivants. Je pense qu'à moins qu'une autre tâche bien spécifique vous soit réservée ici..."
Il observa un instant Albérich mais celui-ci haussa les épaules avec un sourire encourageant.
" ... nous vous enverrons à l'extérieur si vous le désirez. Vous pourrez accompagner un groupe de soldats et quelques colons, quelque chose comme ça."
Il se tourna vers le Luménien.
" Cela dit, ça me fait penser que toi aussi, tu dois sortir.
— Je sais. Je n'ai pas oublié. Peut-être dans un jour ou deux, quand j'aurai lancé le chantier des apprentis."

-Le chantier des apprentis ? s'enquit le clerc, curieux. Vous entendez mettre au travail les enfants de la Communauté ?
Son expression se fit espiègle.
-L'épouillage des petits barbares, ce nouveau dossier... Je ne te savais pas si soucieux de la jeunesse, Alby. Mais c'est une preuve que, dans le fond, tu es encore plus lathandrite que tu ne le crois toi-même.

" Disons que nous entendons amener les plus âgés à commencer leur formation, dit le Luménien. Comme ils le feraient dans n'importe quel endroit. Ce qui me fait d'ailleurs penser que nous organiserons rapidement une réunion des prêtres... J'avais aussi dans l'idée de voir si certains se sentaient une vocation cléricale. Si c'était le cas, il faudrait réfléchir aux moyens de l'organiser et j'avais songé à quelque chose d’œcuménique, peut-être, dans un premier temps."
Il croisa les bras.
" Est-ce que tes amis paladins ont l'intention de s'établir durablement ici ? Nos chevaliers ont tous des écuyers, y compris Hubert.
— Les circonstances sont particulières, intervint le paladin. Nos novices sont généralement davantage... comme vos novices.
— Rien n'empêche de leur poser la question. Il n'y a pas de règles."

-A mon avis, ils s'attarderont tant qu'il y aura du travail ici, tant que la préservation de la cité et des merveilles qu'elle renferme ne sera pas assurée, voire tant qu'il restera des tumulus hantés à proximité...répondit Thibault. Après, je ne sais pas du tout s'ils ont songé à prendre des novices. Mais si c'est le cas, à trois paladins, vous pourriez commencer à jeter les bases d'une future commanderie, non ? Même si elle doit être œcuménique, elle aussi, dans un premier temps... Quant à moi, et bien, si tu lances ces fameuses classes, Albérich, je ferai mon devoir. D'autant que j'ai d'excellent souvenir de celles que nous avons fréquentées de concert... Ce sera amusant de se retrouver tous deux de l'autre côté !

Hubert parut incertain, Albérich devina qu'il n'était pas complètement convaincu à l'idée de créer une commanderie avec des Sunites comme partenaires. En même temps, il ne les avait pas encore rencontrés et sans doute avait-il une vision biaisée de leur personnalité et de leurs élans. Il ne dit cependant rien, demeurant silencieux, bras croisés, légèrement sur la défensive. Sans doute redoutait-il aussi de se trouver en minorité. L'arrivée des nouveaux paladins modifiait son statut, mine de rien, même s'il restait le plus ancien. Il faudrait voir comment ils s'intégreraient à leur organisation militaire : sans doute serait-il forcé d'en faire des officiers assez rapidement, comme Robert l'avait fait pour lui.
" Nous verrons. Je sais que les affaires religieuses crispent un rien les membres de la communauté, donc nous devrons y aller très doucement. Peut-être qu'aucun enfant ne sera tenté par la prêtrise, auquel cas nous occuperons notre temps à d'autres questions."
Pour la pérennité de la communauté, il leur faudrait des clercs, cependant, mais c'était prématuré.

-Tu trouves nos compagnons crispés sur les questions religieuses ? s'étonna son ami. Cela ne m'a pas marqué, moi... D'accord, ils ne veulent pas de religion d’État ou de prosélytisme trop flamboyant, mais de ce que j'en ai compris, c'est surtout pour éviter les tensions avec Ithilion. Ils ne veulent pas non plus de théocratie, mais toutes les cités ne peuvent pas être comme Erhedun. Pour le reste, je n'ai entendu parler d'aucune limitation quant à l'ouverture de temples, quant au recrutement de novices...
Il haussa les épaules, sourit.
-Bigre, en fait, nous allons parler boulot tout le repas. Serais-je définitivement contaminé ? Cela m'effraie...

" C'est vrai qu'Ithilion est un problème... mais nous ne pouvons pas nous leurrer : Ithilion va débarquer tôt ou tard. Dès qu'ils sauront ce que nous avons lancé, ce qui devient possible... Ils nous enverront des émissaires officiels et des espions. En plus, avec la route qui va se créer entre Solarcis et Ithilion, nous allons nous retrouver à proximité d'une nouvelle voie commerciale... Nous devrons immanquablement nous positionner. Et la présence de clercs expérimentés comme toi et moi ne va pas les réjouir.
— Thibault voulait changer de sujet." remarqua Hubert, un léger sourire aux lèvres.
Le Lathandrite grimaça.
" Je suis irrécupérable, tu as raison. Sais-tu que Thibault a rencontré Tobias Eckhart ? A Solarcis, je présume ? Il a même réussi à dompter le dragon squelette."
Hubert écarquilla des yeux stupéfaits.

Le Sunite rit de bon cœur.
-Un sacré numéro ce Tobias, pas vrai ? Bon, il a ses petits côtés agaçants, avec notamment sa manie de titiller tout le monde, mais ça n'est pas un mauvais bougre, loin s'en faut. Et il vous a à la bonne, ce qui est une excellente nouvelle pour la Communauté, dans la mesure où sa belle-famille et plus largement le clan des Dents Grises a par conséquent un préjugé favorable envers la Communauté.
Il se tourna vers Albérich.
-Pour en finir avec les sujets sérieux... Je crois au contraire que la présence de clercs expérimentés de trois obédiences différentes apaisera un peu Ithilion, là où une représentation lathandrite trop marquée l'aurait mise sur les nerfs. Peut-être cela nous accordera-t-il un répit avant que nous ne devions prendre position sur l'échiquier politique. C'est juste dommage que nous n'ayons pas pu recruter d'adepte d'Oghma...

" Hubert, tu noteras que c'est de sa faute à lui."
Il regarda Thibault.
" Je ne suis pas sûr que nos obédiences soient justement d'ordre à rassurer Ithilion. Sunie, Lathandre et Chauntéa sont des dieux alliés, dont les philosophies sont compatibles pour ne pas dire complémentaires, Lathandre formant probablement le trait d'union entre la beauté et la croissance. Oghma est un dieu sévère et conservateur. La base de sa philosophie est que les choses sont bonnes en l'état. Nous faisons exactement le contraire de ce qu'ils professent, d'un point de vue strictement théologique. D'un point de vue politique, ils vont nous surveiller, tu as raison. Tant que nous sommes cinq cents, mille, même deux mille, ils ne s'inquiéteront pas. Mais si la cité prend de l'ampleur, si les mines fonctionnent... Nous allons avoir des ennuis très rapidement. Je pense que tu connais mal le Prince d'Ithilion si tu crois qu'il va nous demander de nous positionner sur l'échiquier. Il va estimer que nous faisons partie de son territoire et il risque même d'exiger un tribut, voire le produit de nos mines. Si nous voulons demeurer libres et neutres, il est probable que nous devions le faire par la force."

-Déjà, c'est sur le plan politique que je m'exprimais : bien sûr, les aspects dogmatiques ont leur importance, mais cette rivalité luméno-ithilienne est avant tout affaire d'influence, de politique politicienne, et c'est en ce sens que j'envisageais le pluralisme religieux comme un atout, car il ne fait pas de nous, d'emblée, une Communauté trop étroitement liée à Luménis. Ensuite... Bien sûr que le Prince va nous chercher des noises ou essayer de nous inféoder. Mais si la cité se développe bien, nous aurons de quoi lui résister, surtout si nous parvenons à nouer une alliance avec les Paludiers.

" C'est pour ça que je pense que nous devons l'anticiper. Mais tu as raison : Marthe devrait revenir avec un ambassadeur des Dents Grises et nous pourrons déjà tisser des liens... Cependant, les Paludiers vivent en relative bonne entente, ou en tout cas sans conflit ouvert, avec Ithilion depuis longtemps. Si nous voulons qu'ils s'allient officiellement avec nous... Il faudra réfléchir. Pousser un peuple jusqu'ici tranquille à entrer en conflit avec un... psychopathe, pardonnez-moi le terme, comme le Prince d'Ithillion... Il faudrait que nous soyons vraiment certains de nous, de la valeur de notre indépendance... et de pouvoir offrir quelque chose aux Paludiers en retour."
Hubert paraissait un peu décontenancé par la conversation, comme s'il réalisait brusquement qu'Albérich était, plus que jamais, un homme politique avant d'être un clerc de Lathandre. Ou bien était-il désarçonné de réaliser que Thibault l'était tout autant.
" Je me demande, mais j'anticipe, si la solution ne devrait pas se chercher aussi du côté de Solarcis. Mais nous verrons... Nous devons simplement garder ça à l'esprit, dans un premier temps. Tout va dépendre des mines, après tout, et nous n'avons nulle certitude les concernant."

-C'est vrai, il faut voir s'il reste des étoiles dans les profondeurs de la terre et pas seulement à la surface du lac, une fois la nuit tombée... Il faudra que j'aille admirer ce spectacle, d'ailleurs.
Il sourit.
-Mais pour mener enfin la conversation sur des sujets plus légers... Est-ce que ça vous dirait, une fois terminée la réunion du Conseil, de participer à une petite soirée festive ? Avec toutes les tâches que vous devez mener, un peu de distraction vous ferait du bien, non ?
Il se tourna vers Hubert.
-Et ce serait pour vous l'occasion de faire connaissance avec vos collègues dans une ambiance détendue...

Le paladin s'empourpra sous le regard de Thibault tandis qu'Albérich souriait.
" Avec plaisir."
Il se tourna vers Hubert.
" Non ?
— Si, si, bien sûr, répondit celui-ci avec empressement. Pourquoi pas."

-Super ! s'exclama le clerc, joyeux. Giovanni m'a dit qu'il arrivait au bout de ses réserves de spiritueux, mais j'ai amené le nécessaire.
Il sourit à Albérich.
-Et avant que tu ne regrettes que nous bambochions pendant que le reste de nos compagnons est contraint de rester sérieux... J'ai amené quelques petites choses pour agrémenter le quotidien de la Communauté : je les ai déjà remises à Gus. Et à toi, il faut que je confie le diamant : puisqu'il n'a pas servi, augant le garder en réserve pour les cas d'urgence.

Ce fut au tour d'Albérich de changer de couleur tandis qu'Hubert les regardait l'un après l'autre, l'expression relativement illisible, comme s'il tentait maladroitement de cacher quelque chose.
" Thibault, il t'appartient et il a une valeur conséquente. Tu es capable d'en faire usage si tu le désires. Je pense qu'il serait plus correct que tu le conserves toi-même et que tu juges du moment opportun... Honnêtement, ceux que nous possédions m'ont déjà causé suffisamment de soucis comme ça. Et nous avons encore toute une série de morts... Bref. Garde-le."

-Excuse-moi, je ne voulais surtout pas te mettre mal à l'aise en revenant sur un sujet qui, je le sais pourtant bien, va à l'encontre de tes convictions... fit Thibault, embarrassé. Simplement... Tu me connais, je suis du genre impulsif, alors je me disais que ce diamant serait forcément mieux employé s'il appartenait à la Communauté, dont le Conseil prend le temps de la réflexion, pèse le pour et le contre, contrairement à moi, dans la plupart des cas... Mais d'accord, si tu préfères, je le garde, sachant bien qu'il est à votre entière disposition si le besoin s'en fait sentir.

" Le besoin s'en fait toujours sentir, Thibault. Comme je te l'ai raconté, nous avons perdu plus d'une douzaine des nôtres ces derniers jours. N'importe lequel d'entre eux serait certainement heureux de récupérer les quarante ou cinquante ans qu'il avait encore devant lui. Mais effectivement, changeons de sujet."
Il n'aimait pas ressentir cette tension en lui. Il n'était pas pressé de croiser le premier des trois hommes qu'Etienne avait fait ressusciter.
" Où étaient basés les paladins qui vous ont accompagné ?" demanda alors Hubert, sans doute pour détourner la conversation.

-Oh, ils étaient en vadrouille sur la côte : ils avaient entendu parler d'un navire qui transportait de précieuses œuvres d'art mais qui a fait naufrage en longeant la côte est d'Helonna... C'est en faisant halte au temple de Sunie de Lunaros qu'ils ont eu vent de l'appel que j'avais lancé en quittant précipitamment la Communauté. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à Albérich, je m'en voulais d'avoir planté tout le monde comme ça, alors que je m'apprêtais à signer. Par conséquent, j'ai tenté de trouver des renforts... Il n'est d'ailleurs pas impossible que d'autres éléments attendent à Grand Estuaire et rejoignent l'escouade dirigée par Louis et Frida lorsque celle-ci reprendra la direction de la cité.

D'autres paladins de Sunie ? La commanderie oecuménique qu'avait mentionné le clerc risquait de l'être très peu. Hubert n'était pas certain d'être à l'aise avec l'idée de se retrouver en minorité parmi les adeptes du Beau. Il voulait bien croire que l'ami d'Albérich échappait à sa catégorie, mais les Sunites étaient souvent des êtres superficiels pour qui l'esthétique primait sur le reste. Paladins ou clercs ou simples fidèles.
" Je trouve ça curieux que la communauté n'ait pas attiré davantage de clercs, je dois dire. De Sunie, de Lathandre, de Milil, de Tymora... Bien des cultes auraient trouvé leur expression dans cette aventure. Enfin... Sans doute faut-il l'appel d'un notable dans ton genre pour les consciences se réveillent."

-Peut-être, oui. Quoi qu'il en soit, et même si ça n'est pas très pragmatique, je ne regrette en rien que nous ne soyons que quatre : nous sommes tous de bonne composition, nous n'aurons aucun mal à nous entendre et à travailler ensemble. A l'inverse, je n'ose imaginer ce que cela aurait donné si nous avions été pléthore : sans doute y aurait-il eu davantage de conflits, chaque groupe défendant âprement ses intérêts, se chamaillant avec les autres... Or, j'ai eu ma dose de ce genre d'atmosphère quand je dirigeais le temple d'Erhedun et participais au conseil... Et même après. Et je n'ai aucune envie de connaître à nouveau cela.

Il n'était pas surprenant qu'un homme de la génération d'Albérich ait atteint le même genre de sommets que lui, bien sûr. Hubert avait l'impression d'être le soldat mal dégrossi parmi les stratèges. En même temps, il n'avait jamais cherché à gagner en influence politique : Béranger ne l'aurait jamais admis. Mais en tant que chef de culte à Eredhun, Thibault devait avoir une expérience du pouvoir bien plus étendue qu'Albérich... et il en paraissait complètement dégouté.
" Tous les groupes finissent par connaître leurs tensions... Ne te fais quand même pas d'illusions sur la communauté. Si les frictions n'émanent pas des clercs, elles viendront d'ailleurs..."

-Et où est l'optimisme, là-dedans ? protesta son ami. Souviens-toi des objectifs de la Communauté : offrir à ses membres un nouveau départ, une nouvelle vie, bâtir une société nouvelle sinon meilleure, au moins différente... Nos compagnons ont besoin d'autre chose que ce qu'ils ont déjà connu, c'est à dire, aussi, les chamaillerie stériles, les stupides querelles de chapelle... L'être humain étant ce qu'il est, il ne faut pas être naïf : des conflits, il y en aura, oui. Mais j'ai bon espoir que cette cité s'épargne les conflits qui n'ont pas de sens et ne font rien progresser....

Il y avait de la véhémence, dans la voix du clerc, et Hubert devina qu'il y avait du vécu là-derrière, encore douloureux. Il se souvint de la manière dont Albérich avait souffert, lui aussi, des tensions au sein du conseil.
" Espérer, ce n'est pas être naïf. J'ai appris, moi aussi, ce genre de choses."
La conversation menaçait à nouveau de s'alourdir. Hubert se sentit tenu d'intervenir.
" Quand on voit le conflit meurtrier qui oppose déjà gens de plume et gens d'épée, on se dit qu'on est mal partis."

-Conflit meurtrier ?
Le Sunite avait déjà retrouvé tout son allant et sourit au paladin, amical.
-La Guerre Sainte opposant Défenseurs de la Culture, des Arts et du Savoir aux Apôtres de l'Acier était meurtrière lorsque j'ai croisé le chemin de la Communauté. Mais depuis, vous êtes passé par là, les tensions se sont apaisées, la concorde règne à nouveau et j'ai même ouï dire que vous aviez été à plusieurs reprises l'hôte d'honneur de l'Académie. Ce n'est pas un mince exploit, Hubert, et si vous êtes capable de résoudre ainsi tous les conflits, nous n'aurons jamais à craindre la moindre dissension.

" L'hôte d'honneur ou l'agneau sacrificiel, selon le point de vue, dit le paladin avec un sourire.
— Hubert arrive généralement à les apitoyer. Et Giovanni tient à rester en bons termes avec lui... pour la fresque.
— Tu oublies que son dernier projet était de me représenter à moitié calciné. Même sans être paranoïaque, il y a de quoi y lire quelque chose."

-Je crains qu'il n'y ait eu un malentendu entre vous. En effet, je vois mal Giovanni vous représenter ainsi. Non, il aura au contraire à cœur de vous mettre en valeur. Enfin, si son projet se fait... Mais comme j'ai cru comprendre que c'était un sujet polémique, et comme notre conversation n'a déjà été que trop sérieuse...
Il n'acheva pas sa phrase. Autour d'eux, la Communauté mangeait, à la fois joyeuse et tranquille. Mais d'ici peu, le travail reprendrait pour certains, avec la réunion du Conseil...

" Ce que je ne comprends pas, dit Albérich sans se soucier des réticences de Thibault, c'est pourquoi Giovanni est si... entier. A partir du moment où il aime dessiner du nu, s'il a des modèles consentants, pourquoi ne se met-il pas au travail ? Rien ne l'empêche de faire une fresque plus pudique par ailleurs, si c'est ce pourquoi la communauté se prononce. En attendant, les gens qui sont d'accord de poser pour lui le restent quoi que décide le groupe."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue