La Couronne de Cuivre

Chandara ne s'était pas du tout attendue à cette réaction mais elle devait bien avouer que ces imprévus faisaient une bonne partie du sel de la relation qu'elle entretenait avec le jeune musicien. Jouant toujours son jeu, elle abonda dans le même sens en hochant la tête avec une conviction feinte :

- Tu as raison, avec cette lune pleine, nous ne devrions pas prendre de risques ! Et puis, si on veut prendre un bon bain de minuit, la moitié du travail aura déjà été faite !

Quentin afficha une mine surprise.
-Avec tout le respect que je vous dois... Je ne vois pas trop le rapport.
L'instant suivant, il se lèvait, rejoignait l'endroit où il avait posé son sac ef fouillait à l'intérieur de celui-ci.
-Ou dois-je les accrocher ?demanda-t-il en brandissant certains de ses effets de rechange.

La bouche de Chandara s'arrondit d'une façon comique et elle haussa un joli sourcil de surprise devant la réaction du jeune garçon. Elle ne s'était vraiment pas attendue à ce qu'il interprête ses paroles de cette façon mais elle n'était pas dupe : Quentin avait parfaitement compris sa plaisanterie mais il déployait de beaux efforts pour la faire tourner en bourrique. Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire qui montrerait sans erreur possible qu'il avait atteint son objectif et gagné cette manche de leurs joutes amicales.

- Tout bien réfléchi, je crois que nous n'aurons pas assez de place ! Et puis, s'il y a vraiment des loup-garous, nous les verrons mieux venir si nous n'encombrons pas le champ de vision...

Quentin fronça les sourcils et plissa le front, comme s'il s'efforçait de comprendre.
-J'avoue que je ne vous suis plus... fit-il finalement. Mais soit...
Et, l'air perplexe, il rangea ses affaires.
Si elle ne le connaissait pas, Chandara aurait vraiment cru qu'il l'avait prise au pied de la lettre depuis le début, que sa méprise était involontaire et qu'il ne s'agissait pas, de bout en bout, d'une mise en scène pour la faire gentiment tourner en bourrique.

Chandara arrêta Quentin d'un geste de la main. Elle parut soudain très inquiète et regarda dans toutes les directions. Finalement, elle parut s'apaiser mais elle chuchota comme s'ils risquaient d'être entendus :

- Je crois que je les entendus qui furetaient ! Oui, c'est bien ça : le son de leurs pattes sur le sable est inimitable. Finalement, je crois que nous aurons vraiment besoin de tous tes vêtements. Y compris ceux que tu portes sur le dos, c'est même certain !

Il fronça à nouveau les sourcils.
-Eh bien... Je crois que... Que...
Il bondit sur ses pieds.
-Je crois que j'aime autant tenter ma chance auprès des loups-garous !
L'instant suivant, il détalait en appelant à l'aide.

Chandara se prit au jeu : elle se leva vivement et s'élança à la suite du garçon tout en déclamant les bribes d'un conte librement adapté à la situation et qu'elle avait entendue dans son enfance :

- N'aie pas peur de moi ! J'ai de grandes oreilles pour mieux t'entendre. J'ai de grands yeux pour mieux te voir. J'ai une grande bouche pour mieux te parler !

Et de ponctuer sa tirade en imitant au mieux le hurlement d'un loup tout en courant à sa suite.

-De grandes oreilles, de grands yeux, une grande bouche... Seriez-vous Mère-Grand ? répliqua Quentin en courant plus vite.
Et courir vite, ça, il savait faire !
-Hum, ceci dit, vous m'inquiétez, reprit-il. Vous êtes sûre que ce n'est pas vous qui avez mangé de drôles de champignons ? Enfin moi je dis ça, je dis rien...

Quentin ne manquait ni d'endurance ni d'agilité et Chandara ne cherchait pas à tous prix à le rattraper mais elle s'offrit uen course effrené sur la plage en restant sur ses talons et en l'admonestant de représailles imaginaires et surtout très hypothétiques, l'une revenant régulièrement étant la promesse d'une confiscation de ses effets et d'un bain salvateur.

-Paroles, paroles, paroles... chantona-t-il sur un air bien connu.
Puis il dégringola agilement au bas de la butte et se mit à détaler sur la plage, à la limite des vagues. Ici, point d'obstacle susceptibles de fes faire chuter, quoi qu'ils auraient été aisément évitables, compte tenu de la luminosité dispensée par la lune.

Chandara l'avait suivi près de l'eau et riait aux éclats alors que le garçon se débrouillait toujours pour lui échapper au dernier moment par une embardée chaotique.

Encouragée par les provocations de Quentin, la paladine finit par le rattraper et entreprit de mettre ses menaces à exécution :

- Allez au bain ! Ce serait trop dommage de ne pas profiter de cette belle luminosité.

Essouflés comme ils étaient, une petite pause détente ne serait pas pour lui déplaire et elle était cette fois bien décidée à ne pas laisser Quentin l'embobiner.

Mais lui était bien décidé à lui échapper. Se débattant comme un beau diable, comme une anguille bien difficile à maîtriser, il ne cessait de crier au scandale, de rappeler Chandara à l'honneur auquel étaient tenus les paladins...
Puis, subitement, il s'immobilisa et ses yeux s'écarquillèrent.
-Euh... Bonjour ? fit-il, s'adressant à elle ne savait qui.

Etait-ce un nouvelle ruse ? Un diversion pour qu'elle détourne l'attention le temps qu'il lui file encore entre les doigts. Quentin l'y avait habituée et elle se laissait encore surprendre malgré tout... L'instinct protecteur de Chandara était de toute façon trop ancré pour qu'elle ignore la potentielle intrusion. Elle se tourna donc vers la direction où pointait le regard du garçon tout en préparant déjà une réplique de protestation bien sentie.

Mais il n'y avait rien.
Rien n'y personne.
Et Quentin, qui avait sans doute sciemment provoqué cette distraction, en profita pour tenter de lui échapper.
D'ailleurs, il y était déjà presque parvenu.

Bien que Chandara s'en était doutée, elle fut suffisamment distraite pour relâcher son étreinte sur le garçon qui lui fila entre les doigts telle une anguille. En cherchant à le rattraper tout en prenant garde à ne pas avoir de geste brusque, elle s'affala fort peu gracieusement dans le sable. Quentin eut alors toute la liberté de bondir hors de sa portée. Mais, contrairement à ce à quoi il aurait pu s'attendre, la paladine ne se lança pas à sa suite. Au lieu de quoi elle resta prostée, les mains devant les yeux et prise d'un sanglot à déchirer le coeur.

-Mais... Mais que se passe-t-il ? demanda Quentin d'un ton aussi soucieux que plein de sollicitude.
Était-il tombé dans le panneau ? Pas sûr, puisqu'il n'était pas né de la dernière pluie et s'y connaissait, en matière de comédie.
Néanmoins, sa question comme la façon dont il l'avait prononcée étaient des plus convaincantes.

Chandara demeura prostrée dans sa position sans chercher à esquisser un geste vers le garçon. Elle sanglota à nouveau avant de répondre d'une voix faible et attristée :

- Je suis une bien mauvaise paladine de Sunie. Après plusieurs jours, je n'arrive toujours pas à te convaincre de prendre un simple bain... A croire que les recruteurs de mon ordre sont bien plus persuasif que je ne le saurai jamais.

-Allons, vous vous mésestimez ! répondit-il, toujours sur le même ton à la fois chagrin et plein de sollicitudes. Moult fois vous avez proposé de se baigner, moult fois j'ai accepté ! Et les attraits du soleil d'or, du sable fin, des eaux turquoises n'y sont pour rien ! Non, insensibles à ceux-ci, je n'ai en revanche su résister à votre aura, à vos paroles convaincantes ! Je doute sincèrement que vos confrères auraient réussi pareille prouesse et, assurément, vos mrites sont grands !

Chandara fut incapable de maintenir la comédie plus longtemps – simuler n’était de toute façon pas dans les compétences les plus aiguisés des paladins, même des Sunites. Elle laissa échapper un petit éclat de rire devant cette réaction d’emphase et elle redressa la tête pour sourire au jeune garçon :

- Tu es gentil et quel beau parleur tu fais ! Je n’ai aucun mérite : tu gagnes toutes nos petites joutes. Tu as décidément tout le potentiel pour devenir un barde de renom. Et un tel potentiel se doit d’être encouragé. Aiguisé même ! Il ne faut surtout pas qu’il se perde.

La jeune femme semblait sur le point d’ajouter autre chose mais elle se ravisa et se contenta de sourire tendrement en direction de Quentin.

Quentin s'inclina.
-Vos paroles me vont droit au cœur, même si vous me faites trop d'honneur.
Il se redressa, jeta un regard à la mer toute proche.
-Mais donc, vous sembliez avoir très envie de nager un peu. Alors, quitte à être revenus sur la plage...

Le moment n'était plus aux faux semblants et aux petits jeux, même amusants. Chandara adressa un sourire sincère au garçon avant de lui répondre en manière d'ouverture :

- Oui, cela me ferait plaisir de prendre un bain dans une eau aussi translucide et par un temps aussi paisible. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut trouver un endroit aussi enchanteur que celui-ci, même quand on vit à Antelucas.

-Il est vrai que ce site ne manque pas de charme, sans compter que le clair de lune lui confère un cachet presque féérique, répondit Quentin, jouant les grands connaisseurs.
Il se frotta le menton, songeur, puis acquiesça comme pour lui-même.
-Fort bien : vous pouvez vous baigner. Vous avez mon autorisation et ma bénédiction.

Chandara parut déçue par la réponse évasive - voire provocatrice - de Quentin. Le bain était toujours aussi tentant, évidemment, mais elle tenta malgré tout une nouvelle approche pour en convaincre son jeune acolyte :

- Oh, je ne sais plus trop : prendre un bain toute seule, c'est la moitié du plaisir ! Tu es vraiment sûr que cela ne te tente pas aussi ? Je serais une bien piètre paladine si je prenais du bon temps pendant que d'autres s'ennuient.

-M'ennuyer ? Mais comment pourrais-je m'ennuyer ? s'étonna-t-il. Les reflets de la lune sur les vagues sont si merveilleux que je pourrais passer des heures à les admirer ! Et puis, surveiller vos effets réclamera beaucoup d'attention : il me faudra prendre garde à ce que les crabes ne s'en approchent pas, car ceux de la région sont réputés aussi voraces qu'ingénieux ! Non, vraiment, je n em'ennuierai pas un seul instant !
Et de se fendre d'un sourire débordant d'esplèglerie.

Chandara était tout à fait consciente que Quentin cherchait une nouvelle fois à la mener par le bout du nez avec ses arguments fallacieux. Elle lui rétorqua d'une voix sincèrement amusée :

- Si tu ne m'accompagnes pas dans l'eau, je vais vraiment finir par croire que tu crains plus les paladines Sunites que les terribles crabes... Ou pire, que tu préfères leur compagnie à la mienne ! Tu ne voudrais tout de même pas risquer de me vexer, si ?

-Allons, madame, ne vous fourvoyez point ! répondit Quentin d'un ton réconfortant. J'apprécie fort votre compagnie, et je gage que j'aurai l'honneur et le plaisir d'en profiter tout en demeurant sur la plage, tandis que vous nagerez non loin ! Et s'il y a une compagnie que je préfère à une autre, c'est seulement celle de mes confortables, chauds et doux effets personnels à celle de l'eau froide, salée et mouillée !

Chandara ne put s'empêcher de rire à nouveau : décidément, Quentin était aussi habile qu'un chat retombant sur ses pattes en toutes circonstances. Chaque jour lui démontrait un peu plus qu'elle avait eu raison de se rapprocher de lui et de tenter de le prendre sous son aile. Mais il y avait un sujet plus grave à régler dans l'immédiat. Elle adopta un ton faussement docte :

- A la Commanderie, Dame Priscilla dit toujours Les effets personnels sont un carcan dont il faut savoir se défaire pour s'assumer pleinement et pouvoir se rapprocher des autres ! J'ajouterais que si cette eau est si froide que tu le dis, il serait contraire aux règles de la bienséance que d'y laisser aller une dame toute seule.

Quentin croisa les bras et arbora un petit sourire en coin.
-Avec tout le respect que je vous dois, madame, il s'agit ici davantage de galanterie que de bienséance. Or, la galanterie est une sorte de compensation, bien dérisoire au demeurant, dont les hommes ont longtemps usé afin de tenter de faire accepter à la gent féminine leur injuste domination. Mais, dieux merci, nous vivons aujourd'hui dans un monde moderne où l'égalité des sexes a enfin été établie. Pourquoi, dès lors, s'attacher encore à un colifichet qui, sous ses doux dehors, servait de bien vils desseins ?

Le sourire Chandara s'élargit à cette réponse mais elle n'avait aucune intention de laisser le dernier mot au garçon cette fois. elle fit donc deson mieux pour prendre un ton offusqué et répondre :

- Je crois au contraire en fait que la galanterie a d'autant plus d'importance à notre époque moderne ! C'est une façon tout à fait charmante pour les hommes de tenter de nous amadouer dans l'espoir d'obtenir notre attention ou nos faveurs. C'est donc une reconnaissance intrinsèque de notre supériorité. Je partage ce secret avec toi uniquement parce que je t'apprécie alors ne le divulgue surtout pas !

Quentin ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.
-Les femmes, supérieures aux... ?!
Il éclata de rire.
-Vous avez un sacré sens de l'humour, je dois l'admettre ! Parce qu'en dehors de quelques domaines comme... heu... la couture, la broderie ou ce genre de choses, affirmer que les femmes sont supérieures aux...
Il s'interrompit puis s'écroula littéralement dans le sable, comme terrassé par un fou rire aussi irrésistible qu'inextinguible.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer