La Couronne de Cuivre

" A l'assaut !"
La brasse de Baptiste était rapide, mais le crawl de Victor l'était nettement plus.
" Sus à l'ennemi !" s'exclama Marius en talonnant Taliesin comme un cheval de course.
Victor avait rattrapé son grand frère qui, sous le poids de son cadet, but la tasse. Le barde arriva peu après, et constata que Baptiste, comme lui, avait désormais un encombrant personnage sur le dos.
" Que fait-on de lui, Maître Taliesin ?"

Il observa un instant Baptiste : s'il pensait important qu'il se dépense, il voulait que la baignade reste agréable pour lui.
-Je crois qu'il vaudrait mieux que vous en discutiez avec mon cavalier, messire, dit-il finalement.
Marius semblait à son aise comme rarement : autant lui laisser la possibilité d'en profiter au maximum.

" On fait combat ! Yahou !" s'exclama Marius en poussant Taliesin vers Baptiste.
Victor explosa de rire.
" Tu n'as aucune chance, crevette !
— Et mais tu pèses une ton- blupbloubloub..."
Baptiste disparut sous la surface, mais Victor profita de son élan (et d'un appui momentané) pour se projeter sur Marius et Taliesin et les renverser dans l'eau.

Tout en prenant soin de ne pas faire mal à Marius en chutant - c'était le risque, quand on chahutait comme ça - Taliesin s'efforça d'attraper et d'immobiliser Victor. S'il y parvenait, il l'offrirait comme prisonnier à la petite fille.
Le renversement constant des alliances, cela faisait partie du jeu !

Taliesin fut fauché dans les jambes par Baptiste, et tous quatre se retrouvèrent à égalité, dans l'eau. Les alliances retrouvèrent alors leur allure initiale. Baptiste escalada Taliesin, Marius escalada Victor, et un nouveau round d'affrontement se prépara, chaque duo jaugeant l'adversaire à bonne distance. Le soleil était radieux, la température agréable, et on entendait le chant parfois trop mélodieux des oiseaux du cru. Dans leur lac, ils auraient pu être seuls au monde.

Puisque tout le monde s'amusait - y compris Marius, pour une fois pas sur la réserve, et Baptiste, quoique d'ordinaire peu attiré par ce genre de chahut -, puisque le soleil n'était pas encore trop descendu vers l'horizon, il ne voyait pas de raison d'écourter ce moment. Mais il n'en oubliait ni Titus, qu'il s'efforçait de surveiller du regard sitôt qu'il en avait l'opportunité, ni le fait qu'il leur faudrait se sécher avant de retourner au Festival. Bref, viendrait un moment où il annoncerait la fin de la baignade, quitte à user d'une ruse pour faire sortir les enfants de l'eau.

Ce moment vint plus rapidement que prévu car, à la faveur d'un assaut particulièrement alambiqué des trois enfants contre lui, Taliesin dut se concentrer un peu plus longtemps que d'ordinaire sur la surface du lac, et quand il releva les yeux, Titus avait disparu. Il était arrivé, quelques minutes plus tôt, au bout de son tour, et Taliesin l'avait vu, sans doute possible, près des piles de vêtements. Mais à présent, il n'y était plus, et il n'avait pas non plus commencé un second tour...

Mais il pouvait être tout proche, simplement dissimulé derrière un arbre... Inutile, donc, d'imaginer d'emblée le pire. Néanmoins, par acquis de conscience, il allait quand même le chercher.
-Oh non ! dit-il subitement, écarquillant les yeux et pointant la rive du doigt. Une créature étrange se fait la malle avec vos vêtements !
Il espérait que cette diversion lui permettrait de s'éloigner... sans inquiéter les enfants outre mesure : il ne voulait pas leur gâcher ce moment.

Les enfants se tournèrent vers leurs vêtements, mais constatèrent aussitôt qu'ils n'avaient pas bougé : le lac n'était pas assez grand pour qu'ils doivent nager jusque là.
" N'importe quoi." dit Victor.
Baptiste paraissait plus tendu.
" Titus a disparu. Sans nos vêtements, mais quand même."

-Il ne peut pas être loin. Mais malgré tout, je préfère pouvoir tous vous surveiller, lui y compris.
Il se dirigea vers la berge.
-Il va bientôt falloir que vous commenciez à vous sécher. Mais vous pouvez vous baigner encore un peu, si vous voulez. Ou m'aider à le retrouver.

Baptiste sortit de l'eau à sa suite, Victor ne tarda pas à en faire de même, remorquant Marius comme un morceau de bois flotté, sous ses éclats de rire.
" Tu veux toujours me surveiller moi, mais c'est Titus que tu devrais surveiller, remarqua Victor. C'est chaque fois lui qui disparaît. A moins que ce soit une technique pour t'en débarrasser...
— Dis pas ça." dit Baptiste, sérieux.

-Je regardais régulièrement où il était. La dernière fois que je l'ai vu, il y a à peine quelques minutes, il se trouvait pile ici. A mon avis, il est simplement allé flâner entre les arbres, peut-être à la poursuite d'une libellule... Je vais aller jeter un oeil. Si m'accompagner ne vous tente pas, restez bien ici, d'accord ?
Il allait se contenter de regarder derrière les premiers arbres, dans un premier temps. Et d'appeler, bien sûr.

Titus n'était pas derrière les premiers arbres et il ne répondit pas davantage à ses appels. Derrière lui, Baptiste s'était rapidement rhabillé et cherchait dans une autre direction. Victor resta sur la berge, avec Marius, qui paraissait ne pas savoir quoi faire, exactement.
" Je vais encore devoir suivre des cailloux, tu crois ? Parce que j'en vois aucun."
Il n'y avait aucune trace du faune. Aucune marque de sabot. Aucun signe qu'il soit passé par ici plutôt que là.

Il jeta un regard en direction de la porte et serra les poings.
-Je ne pense pas que ce sera nécessaire.
Il acheva de renfiler ses frusques.
-Baptiste, ne t'embête pas à chercher : reste plutôt avec Victor et Marius. Je reviens dans un instant.
Et il s'en alla frapper à la porte de Dame Perce-Neige.

Baptiste le suivit malgré tout. Ils s'engagèrent sous l'arche de pierre puis frappèrent à la porte. Celle-ci rendit un son différent de la fois précédente, beaucoup moins sonore, beaucoup plus assourdi. Comme s'il n'y avait pas eu de vide, derrière cette porte, mais de la pierre aussi dense que celle qui la surplombait. Ils n'entendirent pas le moindre bruit à l'intérieur. Ni mouvement, ni pas, juste le silence.
Lola, perchée au-dessus d'eux, se décrocha du plafond pour venir les rejoindre. Elle ne posa cependant aucune question.

Alors c'était comme ça, hein ?
-Dame Perce-Neige, vous avez entourloupé la mauvaise personne, et vous allez vous en mordre les doigts, comme tous ceux qui, avant vous, s'en sont pris à mes enfants ! lança-t-il d'une voix forte.
Il fit volte face, jeta un regard à Baptiste.
-T'en fais pas : on va retrouver Titus. Et faire bouffer son chaudron a cette vieille bique. lui glissa-t-il d'un ton léger.
Et, d'un pas décidé, il alla rejoindre les autres.

Victor avait également la mine de quelqu'un de prêt à en découdre. Marius ne comprenait manifestement pas ce qui se passait.
" Il est où, Titus ?" demanda Victor.
Baptiste avait détalé sur la piste de Taliesin, n'osant pas demeurer trop près de la porte.
" On va faire quoi ?"

-Je n'ai pas de certitude, répondit-il à Victor. Mais j'ai ma petite idée sur la question : je pense que dame Perce-Neige a profité d'un petit moment d'inattention de ma part pour le prendre avec elle et le conduire auprès des satyres dont elle lui a parlé. Nos discussions à ce sujet avaient... capoté, disons, quand j'avais osé émettre l'idée que nous l'accompagnions, puisque je n'avais pas envie de le laisser seul. Elle a donc dû... vouloir passer en force. Elle est d'autant plus stupide que j'avais laissé le choix à Titus : s'il voulait malgré tout tenter le coup, je ne l'en aurais pas empêché.
Il se tourna vers Baptiste
-Quant à ce qu'on va faire... Je vais aller trouver le prince : il règne sur la forêt, et c'est dans la forêt que vivent les satyres. Ou les faunes, peu importe comment on les appelle. Et je vais donc lui demander son aide.

" Tu crois que le Prince va t'aider ? Il va te dire que c'était hors du Festival... Qu'il ne peut pas intervenir." dit Lola.
Baptiste regardait la porte.
" Tu crois qu'elle l'a vraiment emmené chez les Satyres ? Pourquoi elle ferait une chose pareille ? Elle connait à peine Titus.
— Moi je crois qu'elle veut le manger, dit Marius.
— NE DIS PAS DES TRUCS PAREILS ! s'exclama Victor.
— Il l'a dit... C'est trop tard."

-Vu nos échanges, je pense qu'elle souhaitait vraiment que Titus rencontre d'autres faunes.
Il jeta un nouveau regard vers la grotte.
-Je pourrais essayer de défoncer la porte mais... Vu le bruit qu'elle fait, j'ai l'impression que ce n'est désormais plus que de la roche, derrière... Bref, je vais aller m'entretenir avec le prince. Venez.

Les enfants parurent hésitants mais Baptiste fut le premier à lui emboîter le pas. Lola s'accrocha à sa main et suivit. Victor, par contre, n'était pas prêt à renoncer.
" Tu crois pas qu'elle t'a raconté ça juste pour que tu le lui donnes ? demanda-t-il. Si on s'en va, on retrouvera jamais le chemin !"
Marius paraissait tiraillé entre le petit garçon et l'elfe, hésitant sur la marche à suivre.

Il s'immobilisa.
-Le prince saura qui est cette dame et pourra nous aider à la retrouver. Sans doute me demandera-t-il quelque chose en échange, mais... c'est le maître de cette forêt, il connait donc forcément ces éminents résidents.
Courte pause.
-Mais si ma théorie est la bonne, Titus n'est pas en danger, ce qui signifie que nous ne sommes pas réellement pressés. On peut donc aller regarder cette porte de plus près, voir tenter de trouver une autre issue.

" Mais ta théorie est peut-être fausse ! s'exclama Victor. Marius a dit qu'elle voulait le manger ! Et Marius a toujours eu raison !"
Il fit volte-face jusqu'à la porte et se mit à tambouriner, des deux poings, sur la paroi de bois, jusqu'à se faire mal. Il flanqua ensuite un bon coup de pied dans le chambranle, rageur.
" Moi je reste ici." décréta-t-il.

Il posa une main sur son épaule.
-Si ma théorie est juste, elle est en train, simplement, de le conduire auprès des faunes. Auquel cas, faire quelques recherches ici ne lui portera pas préjudice. Et si ma théorie est fausse, eh bien... nos recherches ici seront utiles.
Il réfléchit.
-J'ai une mission pour toi, le bon nageur du groupe : essaie de voir si tu ne repères pas, au fond du lac, un passage qui pourrait mener dans la grotte. Si c'est le cas, ne t'y engages pas : reviens simplement me le dire.
On ne savait jamais. Et, au pire, cela le défoulerait.
-Lola, de ton côté, serais-tu d'accord pour faire un vol de reconnaissance ? Il y avait un puits de lumière : il est donc peut-être possible d'entrer par celui-ci...

" Oui !" dit la chauve-souris.
Elle se métamorphosa et s'envola vers les hauteurs de la colline. Victor avait plongé, tout habillé, sous la surface du lac. Il en émergea plusieurs fois, reprenant chaque fois son souffle, avant de replonger. Il finit par revenir vers eux.
" Je ne vois rien, lâcha-t-il, hors d'haleine. Trop de cailloux, d'algues... S'il y a un passage... Il est introuvable comme ça."
Lola revint peu après.
" Le puits est toujours là. Tu veux que j'entre et que je cherche ?"

Il hésita puis acquiesça.
-Oui, si tu es d'accord. Mais sois prudente, surtout. Je ne voudrais pas qu'elle t'attrape, toi aussi.
S'il fallait qu'ils la suivent, sans doute faudrait-il recourir à la corde que lui avait confiée le prince. Mais cela ne risquait-il pas de la priver de son pouvoir ?
Enfin : aux grands maux, les grands remèdes.

Elle repartit.
" Bon, on va ramasser des pierres et des branches et plein d'armes, alors." dit Marius.
Baptiste avait levé les yeux.
" Elle est drôlement escarpée... et drôlement boisée, cette colline... Je ne vois pas de sentier...
— Alors on a intérêt à attaquer la grimpette dans l'instant."

Il hésita.
-Oui, allons-y.
Au pire, si la caverne était vide, ils redescendraient, voilà tout.

Ils s'élancèrent donc dans l'ascension... et durent rapidement déchanter. Les broussailles étaient épaisses, épineuses, et il n'y avait vraiment aucun passage aisé. Baptiste déchira sa chemise dans les premiers mètres et Marius ses chausses un peu plus loin. Victor essaya de grimper aux arbres mais dut renoncer car le couvert des branches était trop serré. Ils se retrouvèrent aussi maculés d'égratignures, dont certaines se mirent à démanger. Après dix bonnes minutes, ils n'avaient pas progressé et le résultat de leurs efforts était pour le moins démoralisant...

Mais peut-être n'y avait-il qu'une barrière végétale difficile à franchir, avant que l'éminence ne devienne plus praticable ?
En tout cas, tous ces obstacles dressés sur leur passage semblaient confirmer la théorie de Marius selon laquelle la femme avait menti quant à ses réelles intentions concernant Titus. Et peut-être se trouvait-il toujours là, dans la grotte, en grand danger...
Alors, sans doute fallait-il insister encore un peu.

La Couronne de Cuivre

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