La Couronne de Cuivre

Mais à quoi bon, s'ils n'avaient pas de statue... Il rejoignit Hubert.
" Sans la statue, nous ne nous en sortirons pas. Je peux en réparer l'extérieur, mais pas la magie inhérente... Il faudrait en trouver une autre. Est-ce que tu sais s'il y en a une au palais ?
— Moi pas, mais Giovanni et Thibault s'y sont beaucoup promené... Ils doivent savoir."
Les Sunites, formidable, songea le Luménien.
" Je rechigne à quitter cet endroit tant qu'il n'est pas protégé, ajouta Hubert.
— J'ai encore des sortilèges à lancer, se défendit Albérich, avant de soupirer. D'accord, j'y vais."
Il retourna vers le téléporteur et Hubert lui ouvrit le passage.
" Je viens te chercher dans dix minutes. Ne tarde pas. Je vais demander à Gabriel de continuer à assainir les lieux en attendant."

Il dénicha Giovanni à la bibliothèque, où il laisait en compagnie de Marthe et de Daniel.
Les traits tirés, l'air découragé et fleurant l'alcool, le barde le suivit néanmoins à l'extérieur.
Il n'avait pas vu de statue semblable ni dans le palais, ni dans le temple de l'amour. En revanche, il savait que le sculpteur qui en était l'auteur avait officié au sein d'une école des beaux-arts qui se trouvait dans le qartier sud : il avait glané l'information dans un livre.

Albérich le remercia et le laissa tranquille. Il repartit avec cette information désolante : ils allaient devoir organiser une expédition vers un nouvel endroit. Hubert l'attendait au téléporteur.
" Tu fais mieux de rapatrier tout le monde : on a besoin d'une statue et celle-ci se trouve, si elle existe, tout à fait ailleurs. Je vais glypher l'entrée de la chapelle, mais ce n'est pas une protection qui tiendra très longtemps... Alors autant ne pas s'esquinter à nettoyer un endroit qui pourrait être à nouveau saccagé dans l'heure..."
Hubert acquiesça.
" Je pourrais laisser une garnison...
— Et défendre trois pierres pendant des heures ? Non. Il vaut mieux ramener tout le monde et y retourner quand nous aurons la pièce manquante.
— Alors allons-y tout de suite, tant que les gens sont mobilisés. Où est-ce ?
— Dans le quartier sud. Une école d'art. Je vais tâcher de regarder si je peux trouver quelque chose de plus précis."
Albérich partit donc en direction de la bibliothèque tandis qu'Hubert ramenait les travailleurs dans l'autre sens. Gabriel pourrait glypher la sortie à la place du Luménien.

Quoiqu'il s'efforçât de le dissimuler, le Lathandrite était toujours aussi maussade, ce qui constituait un contraste déroutant avec son allant habituel. Néanmoins, il s'exécuta promptement et l'escouade put regagner le palais.
De son côté, Albérich n'eut aucune recherche à mener : Giovanni s'en était chargé pour lui et avait trouvé un passage d'ouvrage stipulant que l'estimé établissement se trouvait non loin de la grande bibliothèque.

" Est-ce que ça t'intéresse de participer à l'expédition ? demanda le Luménien, d'un ton parfaitement neutre. Je ne suis pas certain que vous aurez le temps de musarder, mais c'est quand même ton sujet de prédilection et ça te permettra de faire un premier repérage."

Le réponse fut immédiate.
-C'est très gentil de proposer, Albérich, mais... Non merci. Je penserai aux loisirs quand nous aurons réglé tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Et puis, le groupe sera plus efficace sans boulet en son sein.
Il lui dédia un sourire embarrassé puis s'en retourna à ses lectures.

Le Luménien aurait pu rétorquer quelque chose pour détromper le barde, mais il savait reconnaître un combat perdu d'avance et son attitude risquait de le mettre de mauvaise humeur. Il se mit plutôt en quête de Thibault, qu'il imaginait trouver à la cuisine, ou quelque chose du genre, en train de faire exprès de participer à une activité pour laquelle il n'avait ni goût, ni don, juste pour le plaisir de montrer combien il se sacrifiait à rester parmi eux.

Il se trompait.
Thibault ne faisait pas la cuisine, pas davantage qu'il ne s'occupait de la vaisselle ou qu'il ne passait la serpillère.
Non, il profitait d'avoir les thermes rien que pour lui pour s'y prélasser tout en chanteant des chansons paillardes.
Paillardes mais... Joliment tournées.

Albérich vint se poster non loin, mais hors de portée d'un éventuel coup fourré.
" Nous montons une expédition vers une école d'art. Est-ce que ça t'intéresse de venir ?"

-Non, répondit tout net le Sunite. Enfin si, dans l'absolu, bien sûr que ça m'intéresse. Mais l'heure n'est pas aux distractions !
Il fit quelques brasses désinvoltes sans essayer de se rapprocher du Luménien.
-Après, si on m'estime nécessaire, je viendrai bien évidemment.

Albérich réprima un soupir. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement répondre à la question ? Il ne serait pas venu l'y inviter s'il n'était pas le bienvenu. Et pourquoi parlait-il de distractions alors qu'il était en train de mijoter dans les thermes ?
" Tu n'es pas nécessaire, non. Bonne journée." répondit-il cependant.
Un Tymoran, par contre, serait très utile, aussi se partit-il à la recherche de l'un ou l'autre.

Il en eut deux pour le prix d'un.
Tara et son confrère arpentaient le palais en tous sens, désireux d'en percer jusqu'au moindre mystère. Mais évidemment, ceux-ci auraient une fin et pour que cette dernière survienne le plus tard possible, histoire qu'ils ne s'ennuient pas trop... Une excursion était plus que bienvenue !
Restait à voir s'il autoriserait les deux à partir ou... s'il prendrait le risque de faire un nouveau mécontent.

Il embarqua les deux. Après tout, Thibault, Marcus et Daniel restaient au palais en cas de pépin, plus la paire de paladins sunites, Frida, des soldats par dizaines.... Il regagna le téléporteur où devaient se trouver les autres. Peut-être aurait-il pu sonder Gabriel, mais à voir sa mine, il préféra s'en abstenir. Il ne se sentait plus capable de supporter les humeurs des mécontents.

L'équipe était désormais au grand complet, prête au départ.
Restait juste un point à trancher, à savoir... quel symbole utiliser ?
L'école des beaux-arts n'était peut-être pas reliée au système des téléporteurs mais ils devraient bien pouvoir trouver un bâtiment à proximité...

Sud, avait dit Giovanni. Il leur suffisait d'opter pour un des symboles dans cette direction — Tara pouvait choisir, et d'aviser à partir de là. Hubert donna les consignes habituelles. Il passerait le premier puis, sauf consigne contraire, les Tymorans pour dénicher le panneau de retour, ensuite Guillermo, les soldats, les paladins, les clercs puis les mages pour fermer la route.

Ils débouchèrent dans un sous-sol qui s'avéra être celui de la bibliothèque : Tymora les avait aidés, ce qui n'était guère étonnant.
Non seulement l'endroit était proche de leur objectif mais, de surcroit, il y avait peu de chances d'y croiser des Ithiliens, puisque ceux-ci l'avaient visité des jours plus tôt alors qu'ils s'étaient tout juste emparé de la forteresse.
Quant à la localisation du mécanisme, ce fut l'affaire de quelques minutes seulement.

Hubert prit naturellement la direction des opérations. D'après les dires de Giovanni, l'école d'art devait être un des bâtiments voisins. Aussi le paladin demanda-t-il à Luther de rester avec les clercs et les mages, tandis qu'il sortait avec Guillermo, Letho et le reste des soldats pour effectuer un rapide repérage des alentours. Ils se divisèrent en deux groupes pour aller plus vite, l'un sous la supervision d'Hubert, l'autre de Guillermo, avec comme consigne de retourner à la bibliothèque dès qu'ils auraient localisé le bon bâtiment. Albérich contacterait alors l'autre chef d'équipe.

Albérich demeura donc en arrière, en compagnie de Tymorans et de mages qui avaient envie de parcourir la bibliothèque en tous sens et d'un Luther qui, manifestement jaloux d'avoir été laissé à l'arrière tandis que son collègue "s'amusait", piaffait déjà d'impatience - mais qui s'efforçait de le dissimuler, attention sans doute louable.
Moins d'une heure plus tard, le groupe d'Hubert était de retour : ils avaient trouvé, à deux rues de là, un édifice spendide dont la façade arborait des allégories suffisamment évidentes pour qu'on comprenne à quoi l'endroit servait.

Albérich contacta donc Guillermo pour l'en prévenir, et ils convinrent de s'y retrouver. Le Luménien suivit ensuite Hubert au dehors, tout en se demandant s'il trouverait le ciel moins sombre, à présent que treize des quatorze chapelles avaient été activées, ou si le poids de l'ombre était toujours aussi fort sur Clairétoile.

Il était plus fort que jamais.
Hormis un mince rai de clarté à l'horizon, le ciel était si noir qu'on n'y voyait goutte, dans les rues, et qu'utiliser des torches s'avéra indispensable.
Il faisait extrêmement froid, aussi, et leur souffle s'élevait, petit nuage de buée blanche, dans un air immobile.
Immobile et silencieux : hormis le bruit de leurs pas dans la neige, on n'entendait rien, absolument rien.
Après une courte marche, ils se retrouvèrent devant l'école des beaux arts, encore l'un de ces édifices aux allures de palais. L'explorer allait prendre du temps...

Une fois qu'ils eurent fait jonction avec Guillermo, Hubert rappela à tout le monde ce qu'ils cherchaient : une statue ailée, rien d'autre. La ramener allait être compliqué, mais ils étaient nombreux, ils se débrouilleraient. Ce n'est pas comme s'ils avaient le choix, de toute façon. A nouveau, les militaires passeraient devant. Ensuite, ils se sépareraient en quatre groupes, avec un paladin ou Guillermo, et un clerc, dans chacun d'entre eux, plus les mages et les soldats répartis plus ou moins également. Il ne leur resterait plus alors qu'à fouiller les lieux.

Ainsi s'organisèrent-ils.
Ainsi explorèrent-ils le bâtiment.
Ainsi purent-ils tous voir la désolation qui y régnait.
Statues démolies à la masse, bas-reliefs burinées, vitraux brisés... Le tout avec un acharnement sadique.
Pas une salle n'avait échappé aux vandales.
Pas une œuvre d'art esquissée ou terminée des siècles plus tôt, pas une des merveilles ayant résisté aux ravages du temps n'avait survécu à ceux qui avaient devancé l'expédition...

Il était clair qu'ils ne trouveraient rien d'intact dans les salles accessibles aisément : on avait tout détruit avec une méthode remarquable, pour une raison difficile à comprendre. Ils n'en avaient manifestement pas eu après un certain type de représentation, mais avaient tout ravagé. C'était très peu Oghman, pour ne pas dire complètement contraire à leur religion : ils avaient dû être contraints à ce massacre par une volonté impérieuse et étrangère. Mais pourquoi l'école d'art et pas la bibliothèque ? Cela paraissait peu compréhensible.
" Nous devrions d'urgence organiser des cérémonies dans les temples, souffla le clerc au paladin. Sinon nous allons nous retrouver devant d'autres destructions insupportables..."
Hubert acquiesça.
" Laissons une heure aux Tymorans. S'ils ne trouvent rien, nous rentrerons."
Pour les autres, c'était le début d'une longue attente...

Une attente que les plus impatients - Letho et Luther, pour ne pas les donner - entreprirent de tromper en se trouvant une petite pièce où échanger quelques passes d'armes.
Pour autant, ils avaient bien fait de s'attarder, comme le leur signala, de manière tonitruante, un "Yihaaaaaaa !" sauvage poussé, depuis l'étage, par un Tibère extatique.
Il avait découvert une salle secrète emplie de merveilles : du travail d'orfèvrerie, des éléments décoratifs, de la sculpture, de la statuaire, tout cela étant assurément l’œuvre de grands maîtres.
Et au milieu de ces trésors que l'on avait manifestement souhaité mettre à l'abri trônaient deux grandes statues, l'une d'Eladrin, l'autre d'ange.

Hubert félicita le jeune Tymoran pour sa découverte. C'était inespéré.
" On fait mieux de tout laisser ici sauf la statue dont on a besoin, dit Albérich. C'est manifestement une alcôve bien cachée.
— Je ne sais pas. C'est peut-être imprudent."
Il se tourna vers les Tymorans.
" Est-ce que vous pensez qu'on peut dissimuler notre passage ?"

Ils s'entreregardèrent.
-Vu la manière astucieuse dont sont conçus les passages secrets de cette ville, celui-ci sera, une fois que nous l'aurons refermé, aussi invisible que si nous ne l'avions jamais ouvert, dit Tara. Après, pour ce qui est des traces de pas... C'est plutôt à des rôdeurs que vous devriez vous adresser, je le crains.

Hubert regarda le sol avec une grimace. De rôdeur, ils n'avaient pas justement, et Albérich devina au pli qui barrait son front qu'il songeait à Varamyr.
" Embarquons juste l'ange. Il va déjà peser son poids, dit le paladin. A moins que quelqu'un n'ait un sortilège susceptible de l'alléger..."
Albérich secoua la tête.
" Je dois que ça m'étonnerait que quelqu'un ait songé à mémoriser ce genre de choses."
Le paladin sourit.
" Bon, dans ce cas, c'est un travail pour les plus costauds. Je veux bien porter... Il faudrait que tu ailles sélectionner les autres, mais en nous conservant une bonne escorte... On va essayer à quatre, déjà.
— Tout le monde sait se battre, ici, Hubert, dit le clerc. Je vais voir qui je trouve."

Ainsi recruta-t-il les trois membres les plus solides de leur groupe, lesquels aidèrent le paladin à sortir la statue de la pièce et à la descendre au rez-de-chaussée. L'opération s'avéra fatigante car... elle pesait son pids, c'était le moins que l'on puisse dire. Et peut-être serait-il nécessaire de faire des pauses sur le trajet ou de demander des remplaçants. Néanmoins, la distance qu'ils avaient à parcourir n'était pas immence : il était donc plus que probable qu'ils s'en tirent sans trop de mal.

Les mains occupées, Hubert céda bien logiquement le commandement de l'opération à Guillermo. Albérich se demanda ce que faisaient les gosses paludiers en son absence, s'ils avaient commencé à se promener dans le palais, s'il y avait eu de premiers contacts. Personne n'avait l'air de s'offusquer de son subit retour en tout cas, et c'était sans doute mieux. Même si le Luménien continuait à ne pas pouvoir lui faire pleinement confiance, il devait reconnaître qu'il avait sûrement été plus qu'utile lors du combat de la veille. C'était un tueur d'une efficacité redoutable, il ne l'ignorait pas.
Mais il chassa ces pensées et s'en remit à ses directives pour regagner au plus vite la bibliothèque et ensuite le palais.

Guillermo prit donc leur tête, aux aguets.
Ils progressèrent dans les rues obscures, silencieuses et glacées.
Rien ne bougeait, autour d'eux.
Mais subitement, le mercenaire leur fit signe de s'arrêtr et leva les ieux au ciel.
Bientôt, ils l'entendirent tous.
Un son.
Le son d'ailes immenses qui battaient l'air.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue