La Couronne de Cuivre

Il fallait protéger la statue, mais dans le même temps, ils devaient se protéger, eux aussi. Albérich vit qu'Hubert cherchait du regard un endroit proche pour s'abriter avec leur fardeau, sous un auvent, un porche, un endroit où ce qui descendait du ciel ne pourrait les attaquer aisément et leur dérober ce qu'ils avaient déniché. Albérich leva les yeux, cherchant l'adversaire. Il devait pouvoir les aider, couvrir leur retraite, mais d'abord il devait savoir à quoi il avait affaire. Si seulement il n'avait pas fait si sombre...

Mais il faisait plus noir que dans un four.
La créature les survola. Sans doute à bonne hauteur, ce qui ne les empêcha pas de percevoir le déplacement d'air et une aura qui semblait faite de terreur pure.
De son côté, Hubert avait repéré plusieurs entrées de bâtiments relativement proches.
Mais... Le seraient-elles assez pour qu'ils puissent les atteindre avant que le monstre ailé ne fonde sur eux ?

Albérich ne se soucia pas de ce que faisait Hubert. Campé sur ses pieds, il prit une profonde inspiration et se mit à incanter, espérant que la bête, plus intéressée par la statue que par sa petite personne, le laisserait aller au bout de son sortilège.

Albérich -> Renvoi -> Créature

Hubert, de son côté, dirigea son groupe vers l'entrée la plus proche, les encourageant. Il aurait bien aimé qu'on le relaie, pour qu'il puisse protéger leur repli, mais c'était Guillermo qui dirigeait l'équipée, à présent, et il devait compter sur sa présence d'esprit.

Que la créature soit restée focalisée sur la statue ou qu'elle ait changé d'idée pour cibler Albérich, elle n'eut pas le temps d'accomplir son objectif.
Le sortilège fut lancé en un tournemain.
Il y eut un flash lumineux puis...
Plus rien.

Albérich fut passablement stupéfait de l'efficacité de son sortilège, mais ce n'était pas le moment de lambiner, aussi rejoignit-il rapidement Hubert et son équipe.
" Tu es complètement fou, lui souffla le paladin. Tu aurais pu te faire tuer.
— Comme nous tous, rétorqua le clerc, et la voie est libre, alors tu me feras la morale plus tard."

Guillermo proposa que d'autres volontaires viennent assurer la relève pour porter la statue : il fallait aller vite et les anciens porteurs commençaient à accuser le coup.
Le transfert effectué, ils se hâtèrent en direction de la bibliothèque, qu'ils purent atteindre sans encombre.
Ce fut ensuite le trajet jusqu'au téléporteur puis l'arrivée au palais - la statue se téléportant sans difficulté aucune;

Contre toute attente, ils avaient réussi. Albérich se sentait presque euphorique, mais surtout, il avait faim. Ensuite, il faudrait repartir pour la chapelle... mais cela pouvait attendre une petite heure. Tout le monde avait besoin d'une pause, de manger, d'un peu de chaleur et de repos. Ils redescendirent donc vers les pièces communes et plus précisément la salle à manger.
" Tu as besoin de quelqu'un qui te couvre, quand tu incantes, dit Hubert, revenant à la charge. Tu étais complètement exposé. Cette chose aurait pu t'éventrer, t'emporter dans les airs...
— C'est un sort très rapide.
— Qui aurait pu ne pas fonctionner. La prochaine fois, tu auras un garde du corps attitré... si je ne peux pas m'en charger moi-même."
Il plissa les yeux.
" Tu as toujours l'anneau que je t'ai donné ?
— Bien sûr.
— Alors porte-le quand nous sortons."
Albérich sourit, Hubert parut sur la défensive.
" D'accord."
Le paladin sembla immédiatement soulagé. Il s'était manifestement attendu à des protestations.

Le repas n'était pas encore tout à fait prêt, mais ceux qui le souhaitaient purent déjà s'installer aux tables tandis que les autres allaient retrouver elurs amis, faire un passage aux thermes ou dans le jardin.
Les vestiges de la Communauté ne tardèrent toutefois pas à se rassembler pour manger, ce qu'ils firent brièvement, comme ils semblaient en prendre l'habitude. A cette occasion, Frida vient s'enquérir du résultat des opérations matinales.
Et bientôt, tout le monde se dispersa.

Il était temps de regagner la chapelle et le groupe du matin se reforma, avant de rejoindre la salle aux symboles. Hubert s'était trouvé d'autres porteurs, afin de pouvoir franchir le portail en tête, comme il avait pris l'habitude de le faire désormais. Avec un peu de chance, tout serait réglé moins d'une heure plus tard... mais le paladin était plus ou moins persuadé que l'ombre percevrait leurs intentions...

Elle avait dû les percevoir, oui.
En tout cas, la chapelle avait reçu une visite en leur absence.
Une visite qui avait laissé des traces.
Le lieu sacré avait subi une nouvelle profanation.
Bien plus horrible que la précédente.
La première chose qui frappa Hubert, ce fut l'odeur.
Celle du sang.
Celle d'un charnier.
La seconde, ce fut la vision d'horreur qui s'étendait sous ses yeux.
La chapelle était emplie de corps martyrisés, démembrés, éviscérés.
Leur fluide vital éclaboussait le dallage, les murs, l'autel...
L'autel sur lequel étaient empilé divers morceaux d'organes.

Il revint aussitôt en arrière, encore sous le choc, et demeura pâle et silencieux, les yeux écarquillés, devant le petit groupe qui attendait. Il ne trouva rien à dire. Il n'avait jamais vu une chose pareille de toute sa vie, espérait ne plus jamais devoir affronter pareille vision, et pourtant il savait qu'il devrait y retourner. Nettoyer. Brûler. Des corps qui devaient être ceux de colons prisonniers, immanquablement, dont il verrait les visages.
Il eut un haut le coeur, qu'il réprima.
Albérich paraissait alarmé.
" Que s'est-il passé ?" demanda-t-il.
Hubert eut un geste évasif.
" Je vais... juste garder Guillermo avec moi, proposa-t-il, incertain. Les autres... Ce sera pour plus tard. Je viendrai vous chercher..."

Tous leurs compagnons se mirent à murmurer entre eux.
Ils se demandaient ce qui s'était passé là-bas, évidemment. Et s'étonnaient qu'Hubert garde le secret.
Cela les inquiétait, indéniablement.
Néanmoins, en bons militaires, ils n'osèrent pas poser de questions.

Mais Hubert n'avait manifestement pas l'intention de repasser de l'autre côté dans l'immédiat. Et Albérich n'était pas un bon petit soldat et il refusa de s'écarter avec les autres, demeurant auprès de Guillermo et du paladin.
" Qu'est-ce qui se passe ? répéta-t-il, plus insistant. Tu as l'air... bouleversé.
— Il y a des cadavres en morceaux partout, répondit le paladin à voix basse. C'est tout simplement... une vision d'horreur."
Il frissonna, posa la main sur sa bouche.
" Je ne sais pas qui a les reins pour aller... s'exposer à ça... sans devenir fou. Ce sont sans doute des gens à nous, Albérich, des gens que nous n'avons pas pu sauver."

Le silence se fit, autour d'eux.
Leurs compagnons s'étaient tendus, avaient blêmi.
Horreur, peur, dégoût, colère... Tout cela, mêlé, se lisait sur leurs visages.
Seul Guillermo demeura impassible.
Toutefois, Albérich eut la nette impression que c'était une façade.

Curieusement, au travers de sa répulsion, Albérich se sentit lui aussi très calme.
" C'est ce à quoi ça ressemble, dit-il doucement. Mais ce n'est pas forcément ça."
Il leva les yeux vers Guillermo. Ils avaient besoin d'Hubert pour traverser, mais pas forcément pour travailler dans la chapelle. Il posa la main sur l'épaule du paladin, la serra doucement, puis se retourna vers le petit groupe rassemblé.
" S'il vous plait, je vous demande de retourner en bas. N'ébruitez pas ce que vous venez d'entendre... nous allons d'abord investiguer, et puis nous ferons une annonce officielle."
Il se tourna vers Guillermo.
" Nous allons y aller, vous et moi."

Le mercenaire acquiesça.
Les autres se dispersèrent sans un mot.
Bientôt, ils ne furent plus que tous les trois dans la salle des symboles.
Et si Hubert souscrivait au plan d'Albérich... Ils ne seraient plus que deux dans la chapelle aux horreurs.

Albérich se tourna à nouveau vers le paladin. Hubert avait l'air plongé dans sa vision, incapable de s'en abstraire.
" Hum. Je ne peux pas le laisser tout seul." murmura le clerc.
Il se tourna vers Guillermo.
" Je vais chercher quelqu'un pour lui tenir compagnie. Je reviens dans un instant."
Mais à qui demander ? Giovanni aurait été un bon choix... mais peut-être le barde refuserait-il... Il tenta quand même la bibliothèque.

Le Sunite, qui faisait toujours aussi grise même, ne chercha pas davantage à se défiler que la fois précédente, le suivant au contraire dans le couloir sans se faire prier.
-Besoin d'une nouvelle recherche ?
Il grimaça, remarquant sans doute l'expression d'Albérich.
-Non, tu n'es pas là pour une nouvelle recherche... Que se passe-t-il ?

Albérich pinça les lèvres.
" Giovanni, est-ce que tu pourrais veiller sur Hubert pendant que Guillermo et moi allons à l'extérieur ? Il vient d'avoir un choc émotionnel important et il est un peu... mal. Je ne peux pas m'occuper de lui dans l'immédiat, et je me dis que... tu es la personne la plus proche de lui, en dehors de moi. Ce serait vraiment gentil de ta part, si tu pouvais faire ça pour lui. Il faudrait rester dans la salle de téléportation."

Il parut sincèrement peiné pour Hubert et acquiesça aussitôt.
-Je viens, bien sûr. Bon, je ne suis pas certains d'être le mieux placé ni d'avoir... le bon état d'esprit pour lui remonter le moral mais... Oui, aucun souci. Laisse-moi juste un instant...
Le temps d'aller placer une manière de marque page dans le livre qu'il lisait et il lui emboîtait le pas.

" Tu n'as pas besoin de lui parler. Reste juste avec lui, ce sera suffisant." dit Albérich au barde, tandis qu'ils remontaient vers la salle du téléporteur.
Quand ils l'atteignirent, le paladin n'avait pas bougé, toujours debout, un peu figé, le regard fixe. Albérich s'approcha de lui.
" Hubert, il faudrait que tu rouvres le téléporteur. Guillermo et moi allons nous rendre dans la chapelle. Tu vas rester ici avec Giovanni. Viens nous chercher dans une demi-heure, d'accord ?"
Les paroles du clerc mirent un certain temps à atteindre son ami, qui secoua la tête.
" Albérich, n'y vas pas... Tu ne peux pas... voir... une chose pareille !"
Le Luménien sourit.
" Mais j'en ai vu d'autres, Hubert, tu sais."
Contrairement à toi, songea-t-il sans le prononcer.
" Fais-moi confiance, active la console. Et n'oublie pas de venir nous chercher."
Le paladin était toujours incertain mais le clerc le guida jusqu'au panneau et prit sa main pour la poser à l'endroit requis. Hubert frissonna mais ne se défendit pas et les symboles apparurent.
" A tout de suite." dit le clerc, en lui serrant le bras puis s'approchant du symbole.
Il était temps d'aller affronter le mal.

Et il l'affronta donc.
Du moins... ses conséquences.
Le spectacle était encore plus odieux que ne l'avait laissé entendre Hubert.
D'autant qu'il eut l'impression de reconnaître certains visages, aussi méconnaissables soient-ils.
A côté de lui, Guillermo était devenu blanc comme un linge.

Albérich demeura immobile, ferma une seconde les yeux, reprit le contrôle de sa respiration. Il était clerc et guérisseur, il avait vu bien des blessures, bien des entrailles, au cours de sa carrière. Des morts-vivants à demi-décomposés, des amas de chairs putrescents mais doués de vie. Et il avait aidé à vider les fosses communes, après la dictature. C'était quelque chose qu'il n'aimait pas se remémorer, mais ça avait été la tâche des clercs, de Lathandre et d'Ilmater, de descendre dans ces trous, sortir les cadavres, les identifier, les rendre à leur famille, les inhumer parfois. Pourriture et squelettes, les charognards étaient passés par là. Il avait traversé ces épreuves avec dégoût mais détermination. Quelqu'un devait le faire, et c'était son métier. C'était la même chose aujourd'hui.
Il avala sa salive, garda les yeux fermés et puis les rouvrit et se força à regarder le spectacle.
Des corps, du sang. Ils étaient morts, il n'y avait plus rien à faire pour eux. Leurs âmes étaient retournées auprès de Lathandre. Pour le reste, c'était de la chair, de la matière inerte, qu'il fallait désormais déblayer. Ils avaient besoin de cette chapelle, pour le salut de ceux qui étaient encore vivants.
Il repoussa toute autre pensée et se retroussa les manches, puis jeta un oeil vers Guillermo.
" Ça va aller ?"

-Il va bien falloir que cela aille,répondit-il d'une voix quelque peu atone.
Il toussa dans son poing.
-Comment procède-t-on ?
Il semblait lui aussi décidé à ce concentrer sur ce qu'ils devaient faire et à oublier tout le reste.

" Il va falloir qu'on sorte tout à l'extérieur. Je vais prendre le temps de glypher l'entrée, même si ça ne suffira pas pour repousser un assaut... Mais ça nous permettra de gagner du temps en cas de grabuge. Si jamais nous étions attaqués, venez jusqu'à moi et je nous téléporterai dans les souterrains."
Il jeta un oeil circulaire, s'arrêta sur une tête, la regarda sans la voir.
" Commencez par les corps, mais laissez-moi les têtes... Je veux savoir qui est mort."
Il ne s'attendait pas vraiment à se souvenir de l'identité des gens, en réalité, mais il les avait tous vu défiler, aussi espérait-il a minima distinguer un colon d'un Ithilien. Mais d'abord, le glyphe...

Albérich -> Glyphe de Garde (Lumière Brûlante)

Le mercenaire soupira.
-Vous savez, cela fait des mois que je voyage en leur compagnie : je les reconnaitrai aussi. Mais soit.
Et sans rien ajouter, il se mit au travail.
Un travail dont aucun adjectif, sans doute, n'était assez fort pour souligner l'horreur.
Au cours de celui-ci, Albérich comprit que c'était bien des membre sd ela Communauté qui avaient été massacrés ici. Il comprit également que les victimes avaient été conduites vivantes en ces lieux...

Il essaya de bloquer toute image de ce qui avait dû se passer. Cela ne ferait que lui drainer toute énergie. Les actes manqués. Nous aurions pu, nous aurions dû, pourquoi n'avons-nous pas... Inutile. Meurtrier. Les gens gronderaient à juste titre et il faudrait assumer. Mais pas maintenant. L'ombre s'était étendue, avait frappé, comme ils l'avait anticipé depuis longtemps... Mais ces visages...
Il compta les morts, essaya de se souvenir de l'un ou l'autre, puis sortit les têtes comme tout le reste : membres, torses, organes divers. Il ne pouvait pas se laisser atteindre, il devait aller de l'avant. Au fur et à mesure qu'il travaillait, il priait à mi-voix, comme un bouclier contre l'horreur. Mais ce n'étaient pas des hommes qui avaient commis ces crimes atroces, c'étaient des créatures venues d'ailleurs. Des monstres. Cela ne rendait pas le trépas des colons plus doux, mais cela rendait le combat à venir moins absurde. Ce mal-là, il était plus facile, quelque part. Il n'y avait pas de doutes à avoir, pas d'hésitations. Il fallait frapper et détruire. Vite. Même si le Luménien ne se faisait pas d'illusions : ils ne sauveraient probablement plus personne.

Le démembrement des corps les avait fait paraître plus nombreux qu'ils ne l'étaient en réalité.
Dix-sept colons avaient été massacrés ici.
Ce qui était déjà beaucoup trop.
Et Albérich, qui avait procédé à un méticuleux recensement, put mettre des noms sur la plupart d'entre eux. Sans doute Guillermo serait-il en mesure de lui donner ceux qui le manquaient.
Lorsqu'il n'y eut plus rien à transporter, le mercenaire, éprouvé mais tenant bon, le rejoignit.
-Il faudrait nettoyer la chapelle à grandes eaux, dit-il simplement.

Dix-sept de trop. La révolte lui tordit un instant les entrailles, mais en vain. Il ne servait à rien de chercher un sens dans les actes de démons. La souffrance... c'était leur énergie.
" Oui. La neige pourrait nous servir. Mais à présent que nous avons vidé les lieux... Peut-être que nous pouvons demander des renforts."
Il sentait qu'il accusait une certaine fatigue. La nuit avait été courte, la matinée déjà chargée.
" Il faudrait brûler les corps, mais... pas sans cérémonie. Sans doute ferons-nous d'une pierre deux coups lorsque nous aurons ramené la statue. Hubert ne devrait plus tarder."

Guillermo acquiesça.
-Si nous voulons utiliser de la neige, il faudra des récipients pour l'entasser et du feu pour la chauffer. Sinon, vu le froid qu'il fait...
Il haussa les épaules.
-Enfin, nous verrons bien.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue