La Couronne de Cuivre

L'air se brouilla peu après à l'endroit du téléporteur et Hubert surgit, pâle et inquiet, l'épée dégainée. Il jeta un regard circulaire sur la pièce désormais complètement vide, et rangea son arme. Il ne dit absolument rien.
" Nous rentrons, dit Albérich. Il nous faut des récipients, des brosses...
— On ne peut pas abandonner les lieux, répondit Hubert. S'ils reviennent..."
Le clerc soupira et hocha la tête.
" Très bien. Va nous chercher du matériel, alors. Et ramène-nous quelques personnes solides... des membres de la colonne de Frida, de préférence."
Le paladin parut hésitant.
" C'étaient...
— Oui. Dix-sept d'entre eux. Mais nous devons nous occuper de la chapelle, maintenant, Hubert.
— Bien sûr." murmura le paladin avant de faire demi-tour et de disparaître.
Albérich se tourna vers Guillermo et faillit lui proposer de rentrer, lui aussi. Mais il se ravisa. Le mercenaire tiendrait sans doute à être présent de bout en bout et s'offusquerait de cette prévenance. Le clerc se dirigea donc vers la sortie de la chapelle et scruta l'extérieur, l'endroit où ils avaient entreposé les corps, la façade obscure des bâtiments voisins. Il songea au temple de Sunie, au temple de Lathandre, à ce qu'ils allaient immanquablement y trouver. Puis il chassa ces pensées. D'abord gérer l'ici et maintenant. C'était la seule chose à faire.

Giovanni, silencieux, n'avait pas bougé de la salle des symboles, comme il n'en avait pas bougé tout le temps qu'Hubert y était demeuré. Il parut hésiter à suivre le paladin quand celui-ci reparut mais, finalement, n'en fit rien. Et il était toujours là quand celui-ci revint avec son équipe.
Même exempte de corps, la chapelle demeurait maculée de sang du sol au plafond, et la nettoyer, même en ignorant à qui il appartenait, était unt tâche pour le moins lugubre. Tout le monde s'efforça pourtant de s'en acquitter au mieux.
Près de la porte, Guillermo observait l'extérieur, de plus en plus tendu.

Albérich s'approcha du mercenaire.
" Vous pensez qu'ils vont revenir, n'est-ce pas ? Qu'ils vont tenter de nous empêcher de la protéger... Ce serait logique."
Il pinça les lèvres.
" Avez-vous vu quelque chose ?"

Il secoua la tête.
-Non, je n'ai rien vu pour l'instant. Mais je crains effectivement de les voir revenir. Je crains aussi de voir se relever les défunts : j'ai assisté au phénomène, déjà. Je crains enfin que si les corps ne se relèvent pas, ce soient les esprits qui les habitaient qui ne se manifestent et ce, de manière fort peu agréable pour nous...

" Vous pensez qu'ils étaient possédés, eux aussi ? S'ils deviennent des morts-vivants, j'en fais mon affaire. Ce serait beaucoup plus simple que des démons, à vrai dire."
Il pinça les lèvres. Si les colons avaient été possédés, peut-être leur trépas n'avait-il pas été aussi douloureux... A nouveau, il réprima ces pensées. Elles étaient inutiles, inutiles, inutiles.
" Je vais dire à Hubert de ramener tous les paladins, et plusieurs clercs. Marcus peut officier à ma place, si je dois défendre la chapelle. Est-ce que vous voyez autre chose ?"

Il secoua à nouveau la tête.
-Non. Et je m'inquiète peut-être pour rien. D'un autre côté, j'imagine qu'ils avaient un objectif en tête, en perpétrant ces horreurs... Et je doute fort que les victimes aient été possédées : si tel avait été le cas, ils nous les auraient renvoyées bien vivantes, pour essayer de nous piéger...
Il soupira.
-Mais je n'y connais rien, en ces matières. D'ordinaire, ce sont des hommes que je combats. Ou du moins des êtres tout ce qu'il y a de plus naturels.

" Je pense que personne n'a d'expertise sur les créatures à venir... Mais certains sont mieux armés."
Il traversa rapidement la chapelle pour trouver Hubert et lui transmettre le nécessaire : ramener les quatre paladins, Thibault et Marcus. Plus qui voudrait prier Lathandre. Si les paladins pouvaient ramener la statue, ce serait tout bénéfice.
" Et tu pourrais envisager d'aller chercher cette épée magique... pour l'armure, j'imagine que c'est un peu court.
— Et l'aube ?
— Je ne me bats pas en aube. Mais prends-la pour Marcus."

L'équipe et l'équipement souhaités par Albérich finirent par être réunis dans la chapelle qui avait quasiment retrouvé son visage d'antan.
Qui le retrouva complètement lorsque la nouvelle statue eut été placée à l'endroit qu'occupait jadis son homologue désormais brisée.
Dans on ombre, un certain barde qui n'avait pas été invité mais qui s'était invité tout seul essayait de se faire tout petit pour passer inaperçu.
Pour le reste, les gens semblaient un peu se demander ce qu'on attendait d'eux, en particulier ceux qui ne vénéraient pas Lathandre.

Albérich rassembla le petit groupe.
" Nous allons organiser l'ultime cérémonie. Les chances sont élevées qu'on essaie de nous en empêcher. Marcus va officier. Ceux qui le désirent parmi vous vont participer à l'office. Thibault, Renaud et Roland, Guillermo, vous serez en position de guet à la porte. La cérémonie doit absolument aller à terme. Hubert et moi-même resterons à l'arrière pour porter main forte aux défenseurs en cas de débordement. Letho et Luther, vous serez en troisième ligne. Marcus, tu dois aller au bout, même si ça se bat à l'arrière. Est-ce que c'est compris pour tout le monde ?"
Il aperçut Giovanni, hésita sur la conduite à suivre, ignorant si le barde voulait ou pas être vu. Il ne dit finalement rien.

Tout le monde se mit en place de bonne grâce - sauf deux jeunes paladins qui n'appréciaient visiblement guère d'être la cinquième roue du carosse en matière de défense mais qui eurent le bon goût de n'en rien dire.
Marcus, toutefois, s'approcha d'Albérich.
-Y a-t-il des choses particulières que je dois dire, ou faire ?

" Dirige un office ordinaire. Il y a quelques cantiques qu'Hubert a cru reconnaître, cependant, et je pense que c'est bien de les placer."
Il les lui cita rapidement.
" Je pense aussi que tu peux franchement t'inspirer de la situation dans laquelle nous nous trouvons pour ton prêche. Et mets l'aube que nous avons rapportée du temple. Elle est tape à l'oeil, mais elle est probablement imbue de quelque pouvoir."

Marcus jeta un regard à l'aube.
-Elle est très belle, je trouve; Bien trop pour moi, d'ailleurs. Si les circonstances étaient autres, je te signalerais que c'est toi qui devrais la porter et... célébrer. Mais puisque les choses sont ce qu'elles sont...
Il enfila le vêtement puis alla se placer derrière l'autel, prenant quelques instants de recueillement avant de commencer.
Dans la chapelle comme à l'extérieur, le silence était absolu.

Albérich se positionna à l'arrière de la chapelle, ferma les yeux et baissa la tête. Il songea aux morts au dehors, au fait qu'il avait oublié de demander à Marcus de songer à eux, de recommander leurs âmes à Lathandre. La tension lui faisait perdre l'esprit, mais il se promit de leur dédier chacune de ses propres prières, en écho à celles de son intendant. Hubert se trouvait juste à sa gauche, pale et défait, manifestement déboussolé par l'enchaînement trop rapide des événements, peut-être pris à contrepied par la manière dont son ami avait pris le relais des décisions. Albérich eut envie de lui prendre la main mais se retint, et tourna toute son attention vers Marcus. Si les choses dégénéraient derrière lui, il ne doutait pas d'en être averti au moment adéquat.

Marcus commença la cérémonie par le premier chant que lui avait indiqué Hubert.
L'assistance lathandrite était très recueillie, consciente sans doute que l'heure était grave, que des choses terribles s'étaient produites, que beaucoup dépendrait de ce rituel...
Derrière le clerc et le paladin, l'on montait une garde vigilante, aux portes...
Tout suivit son cours sans heurt pendant plusieurs minutes.
Puis, tout à coup, Albérich et Hubert ressentirent un étrange malaise.
Pourtant, rien n'avait changé et leurs guetteurs semblaient n'avoir rien remarqué de spécial...
Mais le malaise était bel et bien là.

Albérich et Hubert échangèrent un regard, puis le Luménien fit un léger signe de la tête et silencieusement, le paladin se leva pour rejoindre le groupe qui surveillait le quartier enténébré. Albérich savait qu'il verrait immanquablement la pile de corps mais il avait bon espoir que son ami tienne le coup dans l'urgence. De son côté, il retourna à ses prières, projetant toute sa ferveur dans chaque parole, chaque pensée. Il fallait qu'ils soient entendus, le plus rapidement possible. Sans quoi l'enfer allait se déverser sur eux...

Un nouveau chant, une nouvelle prière.
Tout était tranquille à l'extérieur.
Tout semblait se dérouler au mieux.
E pourtant, quelque chose n'allait pas...
Subitement, le paladin se sentit frôlé par un souffle glacé.
Il perçut un murmur indistinct.
Un mot.
"Abandonnés".

Hubert avait repris du poil de la bête, ne fut-ce que parce que la tension qui l'habitait ne lui permettait nulle autre pensée. Ou peut-être était-ce l'effet de l'épée formidable qu'il avait été prendre dans la salle au trésor. Il avait été surpris, bien sûr, qu'Albérich réagisse avec autant d'aplomb à l'horreur de ce qui se trouvait dans la chapelle. Surpris, honteux, soulagé, aussi, et il avait trouvé ce que le Luménien lui avait promis : un cadre, la voix d'un chef dans la tourmente. Mais à présent, il se sentait à la fois seul et entouré, et ce mot qui vint lui glisser à l'oreille le frit frissonner.
Abandonnés.
Ils avaient abandonné leurs frères aux mains des Ithiliens et désormais dans les griffes des démons. C'était vrai. Ils avaient tissé des plans pour intervenir et les libérer, et ils n'avaient en réalité rien fait, paralysés par la crainte d'en perdre un ou dix... Ils allaient tous les perdre. Ils les avaient abandonnés.
Mais on priait derrière lui, il entendait les paroles de Marcus, la pulsation grandissante de l'aura d'Albérich, la force qui emplirait bientôt la chapelle. Il avait foi. Quoi qu'il advienne, son rôle était de refermer ce sceau et vaincre l'ombre.
Il pria à mi-voix pour chasser cette angoisse.
Il était paladin, il combattrait quoi qu'il arrive.

"Abandonnés".
Le mot fut répété plusieurs fois, de manière de plus en plus distincte.
D'autres mots suivirent, tout aussi nets, comme si on les soufflait à son oreille.
"Lâche".
"Traître".
"Parjure".
Son malaise s'intensifia.
L'air se fit plus piquant.

Hubert demeura immobile. Il chercha sur le visage des personnes qui le jouxtaient qu'ils entendaient la même chose que lui. Ces accusations. Il finit par réaliser qu'il devait se protéger de cette voix qui tentait de saper sa détermination. Quels que soient ses crimes, ils ne pouvaient pas le hanter, pas maintenant.

Hubert -> Protection contre le mal -> Lui-même

Les voix parurent s'éloigner, se firent vague murmure.
Mais son malaise, lui, ne s'atténua pas.
Et il sentait la nervosité, insidieuse, gagner d'autres membres de l'assistance, quoiqu'ils n'aient visiblement rien de tangible à signaler.
En regardant autour de lui, il lui sembla cependant voir les flammes des cierges danser légèrement, comme agitées par un souffle d'air. En tout cas, les ombres paraissaient bouger, sur les murs, pour peu qu'on leur prête attention...

Hubert demeura vigilant. Il se savait capable de percer les ténèbres avec plus d'acuité que ses compagnons, aussi était-il particulièrement attentif à l'environnement. Albérich avait glyphé le passage, il fallait espérer que cela protège légèrement l'assemblée, même si ce qui flottait dans l'air semblait de taille à se défier de leurs sortilèges. Pendant un instant, il se demanda comment eux, une poignée de simples mortels, avaient bien pu croire qu'ils étaient de taille à repousser un envahisseur extraplanaire, certainement surpuissant. Il se souvint du pouvoir d'Ignace, déjà, qui avait failli le tuer, alors qu'il n'était probablement qu'un simple sous-fifre.
Il réprima ses pensées et songea à la nécessité de leur victoire, à ses amis, à ses collègues, à la communauté tout entière, aux villes proches, à Hélonna. Faillir était hors de question, et cela lui redonna courage.

Au dehors, un silence absolu, une immobilité complète.
Au dedans, la cérémonie qui suivait son cours, avec un officiant appliqué et une assistance recueillie.
Les flammes des torches et des chandelles s'agitaient très légèrement.
Trop légèrement, sans doute, pour justifier le mouvement de cette ombre que le paladin entrevit, sur l'un des murs.
Et celle qui, l'instant suivant, sembla se mouvoir sur le sol dallé...

" C'est à l'intérieur." souffla Hubert, stupéfait.
Il se retourna vers Albérich, se pencha sur son épaule.
" C'est à l'intérieur, Albérich, il y a quelque chose à l'intérieur..."
Le clerc se leva doucement.
" Va protéger Marcus. Il doit arriver au bout de son homélie, quoi qu'il arrive."
Le paladin acquiesça, obéissant à l'injonction de son aîné. Albérich ne se rassit pas.

Et, à présent qu'il ne priait plus, à présent qu'il se concentrait sur ce qui l'entourait, il lui sembla bien, lui aussi, voir des ombres se mouvoir étrangement. Le phénomène était toujours discret, toujours rapide, juste ce qu'il fallait pour maintenir le doute...
Tout à coup, le clerc sentit quelque chose d'humide et de chaud lui tomber sur la joue.
Levant les yeux, il vit qu'une petite tache sombre commençait à se former, au plafond.
Une petite tâche qui qui gouttait.
Et ce n'était point de l'eau, qui en tombait, mais un liquide rouge sombre, à l'odeur reconnaissable...

C'était du sang. Du sang qui allait bientôt pleuvoir sur l'assistance. Le Luménien sentit ses entrailles se révulser et il essaya de trouver une parade, n'importe laquelle, quelque chose pour empêcher ce désastre de se produire. Mais il n'avait rien à sa disposition. Il était redoutable contre les morts-vivants, mais impuissant contre ce genre d'aberrations auxquelles il ne connaissait rien. D'autant qu'il n'avait rien anticipé de tel. Il ne savait même pas ce que c'était. Il se déplaça vers Thibault, lentement.
" Il va pleuvoir du sang." dit-il, simplement, sans savoir ce qu'il attendait de son ami.

-Oh ?
Le Sunite jeta un regard au plafond, revint au Luménien...
...et haussa les épaules.
-Ben on passera aux thermes quand on sera rentrés, voilà tout.

Le détachement du Sunite laissa Albérich interdit, puis il ne put s'empêcher de sourire. C'était peut-être exactement ça, qu'il était venu chercher auprès de lui. Mais il fallait espérer que Marcus tiendrait le coup en dépit du spectacle. Cadrer la panique si elle se déclenchait. En même temps, tous connaissaient les enjeux, et tous savaient qu'ils seraient incessamment attaqués. Tout en continuant à surveiller les lieux, il recommença à prier à voix basse, des paroles surapprises, automatiques, comme les ritournelles que l'on chantonnait petit enfant.

Le sang commença à sourdre du plafond en une averse fine que nul ne put ignorer.
Tout le monde s'efforça cependant de se contenir, de garder son calme, de rester concentré sur sa mission...
Quelques minutes s'écoulèrent encore.
Puis un bourdonnement se fit entendre.
Des insectes noirs et répugnants se mirent à courir et à ramper sur les murs, sur le sol.
Des mouches énormes, des vers et des larves obèses, des araignées...
Le début d'une véritable invasion.

Albérich aurait aimé qu'il s'agisse d'une illusion, mais ce n'était manifestement pas le cas. Il savait qu'il existait des sortilèges capables de tenir la vermine à distance, mais il n'en disposait pas. Il supposait que Thibault prendrait ses propres initiatives. Il se campa au centre de la chapelle et commença par renforcer le moral de ses compagnons.

Albérich -> Bénédiction -> Alliés

Ensuite faudrait-il sans doute se poser la question de la nature de ces créatures...

Thibault avait incanté de son côté aussi. Sans doute dans un but approchant car cela n'eut aucun effet sur les insectes eux-mêmes.
Lesquels grouillaient littéralement, désormais, escaladant les bottes, tombant sur les têtes ou les épaules...
Se concentrer tenait du miracle, et même Marcus, tout à sa célébration, commença à marquer quelques hésitation.
Mais il tenait encore bon...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue