La Couronne de Cuivre

Il était donc temps de rentrer au palais, ce qu'ils firent, laissant l'ultime chapelle éveillée au milieu des ténèbres. Dès qu'ils furent de retour dans la salle de téléportation, Albérich attrapa Hubert.
" Ouvre-moi l'accès vers le Temple de Lathandre.
— Quoi ? Maintenant ?
— Autant être fixé tout de suite.
— Albérich, tu ne penses pas que... nous avons besoin de repos ?
— Tant que je ne saurai pas, je ne trouverai pas ce repos. Ouvre-moi l'accès. Je fais un aller-retour. Je peux me téléporter en cas de grabuge.
— Je crois que je vais quand même venir avec toi."
Et ils rouvrirent le passage.

Ils trouvèrent un sanctuaire intact, désert et paisible.
Ils y éprouvèrent la même impression que lors de leur précédente visite, le même sentiment d'être en sécurité, d'être chez eux. Cela pouvait se rapprocher de ce qu'ils avaient ressenti dans les chapelles après avoir célébré les cérémonies.
Serait-ce suffisant pour protéger l'édifice ? Impossible à dire...

Albérich eut du mal à revenir à des pensées pragmatiques, tant la magnificence de l'endroit l'émouvait au plus profond de lui-même. Il avait la sensation, la certitude même, qu'il y avait là une résonance intime, comme si sa foi en Lathandre, et l'énergie du dieu, communiquaient avec l'essence des lieux. Il ne pouvait l'expliquer, mais c'était une sensation à la fois formidable et déstabilisante, proche des extases d'autrefois qu'il avait eu temps de peine à canaliser.
" Tu as vu des cérémonies en ces lieux, n'est-ce pas ?
— Oui. Ici. Chez les Sunites, aussi.
— Alors nous viendrons. Mais pas aujourd'hui."
L'idée d'officier en pareil endroit le rendit subitement fébrile, et il courut pratiquement jusqu'au téléporteur pour échapper au bouleversement qui finirait par l'emporter.
En cela, le palais était beaucoup plus reposant.

Ils regagnèrent la salle des symboles, déserte, puis s'engagèrent dans les couloirs du deuxième étage.
C'est en descendant l'escalier menant au premier qu'ils commencèrent à entendre les bruits.
Des chocs métalliques, aurait-on dit, quoique la distance les rende difficilement identifiables.
Mais bientôt, il y eut un son qu'ils n'eurent aucun mal à reconnaître.
En partie, sans doute, parce qu'il fut accompagné d'une vibration.
C'était le son d'une explosion.

Albérich blêmit et courut aussitôt dans la direction du tumulte. Les Ithiliens avaient profité de leur absence pour attaquer le palais. Il se maudit intensément, de mille manières, se demandant si l'assaut avait eu lieu pendant qu'ils protégeaient la chapelle, ou ensuite, pendant qu'Hubert et lui-même perdaient stupidement leur temps au Temple de Lathandre. Il n'osa pas imaginer ce que ressentait son ami : le chef militaire absent au moment crucial... Il ne se le pardonnerait jamais.

Ils cavalèrent donc le long des couloirs, puis s'engagèrent dans le premier escalier près duquel ils passèrent.
Au rez-de-chaussée, plus aucun doute sur les bruits : une bataille en règle avait éclaté, les lames s'entrechoquaient et on usait de sortilèges puissants tandis que des ordres étaient lancés, que des cris retentissaient...
Hubert et Albérich avaient toutefois débarqué dans une zone encore préservée et il n'y avait pas âme qui vive en vue.

Hubert fila en direction du bruit, Albérich sur les talons. Le paladin avait dégainé sa lame mais sa pâleur n'augurait rien de bon. Albérich espéra qu'il serait capable de garder son sang froid sans réellement y croire. Il n'était d'ailleurs pas certain de pouvoir garder le sien. Il se coula dans l'ombre de son ami, tâchant de garder son rythme, mais Hubert était plus rapide et plus endurant, aussi le distança-t-il assez facilement. Le clerc adressa une prière à Lathandre — qui semblait trop occupé pour se soucier d'eux, à la seconde — et continua à courir.

Tout en progressant, ils se rendirent compte que les combats se déroulaient dans la zone où se trouvaient les escaliers qu'ils utilisaient ordinairement pour gagner les caves.
Avec un peu de chance, la situation était encore sous contrôle...
A la faveur d'un tournant, ils aperçurent un groupe de civils, armés, qui surveillaient manifestement un croisement.

Hubert ne s'arrêta pas et continua sa route vers les caves. Albérich rejoignit le croisement. Il y avait eu des explosions, il les avait entendues, le bruit du métal... Les choses ne pouvaient pas être à ce point circonscrites, elles n'auraient pas fait un tel tintamarre. Comment diable les Ithiliens les avaient-ils trouvés ? Sans doute via Ezéchiel ou un autre mort qu'ils avaient été contraints d'abandonner pendant le sauvetage d'Etienne.
" Quelle est la situation ?" demanda-t-il en arrivant auprès des civils.
Et il se sentit rougir de la honte d'avoir été absent au moment fatidique.

-Les Ithiliens sont entrés par les caves, lui répondit une femme. Ils ont dû trouver un moyen de franchir les portes... Quoi qu'il en soit, l'alerte a très vite été donnée et les soldats se sont déployés pour les empêcher de progresser. Mais voilà : sont nombreux, ces bougres, et ils ont des mages, des prêtres... Bref, ça ferraille dur, et on nous a finalement déployés a cas où il y en aurait pour passer entre les mailles du filet.
Hubert, de son côté, avait dépassé un autre groupe de civils et était tout proche, désormais, de la zone de l'affrontement.

Albérich repartit sur les traces d'Hubert, sans plus espérer le rejoindre avant qu'il n'arrive au point de contact. S'il y avait une bataille rangée, comme le laissaient supposer les sons qui lui parvenaient, sans doute les Ithiliens avaient-ils réussi à monter jusqu'au rez de chaussée : les couloirs des caves paraissaient trop étroits pour qu'on puisse s'y battre ou même y lancer une boule de feu sans écrouler le plafond. Mais il faudrait juger sur place...

Effectivement, qu'ils aient repoussé les défenseurs où que ceux-ci aient estimé que le rez-de-chaussée était plus facile à défendre, les Ithiliens y étaient parvenus.
Et la mêlée faisait rage.
Depuis un bon moment, comme le constata Hubert en découvrant, parmi les combattants, plusieurs cadavres jonchanc le sol.
Certains portant des uniformes.
D'autres non.

Hubert se jeta dans la mêlée en libérant toute la rage et la frustration des dernières heures. Toute pensée était abolie en lui sinon l'absolue nécessité de frapper, tuer, vaincre, repousser l'envahisseur qui leur avait déjà tant pris et qui revenait sans cesse à la charge. Il se guida sur les uniformes, tâcha de repérer les officiers, les clercs, les mages, sans vraiment y réfléchir car il n'y avait plus place en lui que pour la violence de la bataille.

Arrivé plus tard, Albérich renonça à repérer son ami dans la foule des combattants. Son destin lui avait échappé, il en était parfaitement conscient, et il ne pouvait qu'essayer, lui aussi, de juguler ce flot ennemi qui se déversait dans leurs murs, ce refuge, désormais aussi dérisoire et fragile que n'importe quel bâtiment de la cité.

-Oh, mais on se connaît, nous deux !
Une voix, sur la droite d'Albérich, jaillie du cœur de la mêlée.
-Cette fois, tu m'échapperas pas, gentil petit cureton. Non, je vais faire qu'une bouchée de toi...
Et il vit, se frayant sans difficulté un passage au sein de la cohue, Lothar qui se dirigeait droit vers lui, l'épée brandie.

Oups, songea le clerc, en voyant approcher l'imposant mercenaire.
Ce n'était pas avec l'allonge misérable de sa masse qu'il allait pouvoir contrer pareil mastodonte. S'il arrivait au contact, il le couperait en rondelles avant qu'il ait pu lever son arme.

Albérich -> Lumière brûlante -> Lothar

Le colosse, par réflexe, leva son épée pour se protéger.
Geste vain : le rayon le frappa de plein fouet.
Il poussa un hurlement de douleur, tituba...
Puis chargea le clerc, ses yeux luisant de haine pure.

Oups, se répéta Albérich.
Il avait espéré que son sortilège aurait un effet un peu plus radical, mais le mercenaire était manifestement plus solide que ce qu'il avait cru. Sa fureur ne changeait pas grand chose à sa supériorité martiale et au risque de se faire tuer. Il était trop tard pour lancer un autre sortilège, il fallait donc espérer... tenir jusqu'à ce que quelqu'un lui vienne en aide.

Sans se soucier de la masse qu'il brandissait, Lothar le percuta de plein fouet, l'envoyant rouler au sol où il le gratifia d'un violent coup de pied.
-Non, il est pour moi..
Levant les yeux, Albérich vit Lothar qui levait sa lame formidable au-dessus de lui.
Il vit, aussi, Guillermo qui s'avançait, ses rapières à la main.

Le Luménien ne devait plus tenir que quelques secondes : Guillermo allait entrer dans la danse, et Lothar ne résisterait pas au plaisir d'affronter son ancien chef. En espérant que celui-ci ait le dessus. Albérich tenta de rouler hors de la trajectoire de l'épée.

-C'est vrai, quoi : c'est bien gentil de renvoyer les démons dans leur plan et de réduire les âmes en peine en fumée, le tout en un claquement de doigt. Mais ce serait encore plus gentil, de temps en temps, d'en laisser pour les autres. Or, celui-là... Il est à moi.
Un instant plus tard, le duel débutait, et aucun des deux participants ne lui prêtait plus la moindre attention.

Albérich se releva tandis que les deux hommes se battaient. Il n'y avait pas à dire : il ne faisait pas le poids contre des soldats entraînés, d'autant qu'il n'avait pas son bouclier, accessoire indispensable du combattant à la masse. Il ne pouvait faire qu'une seule chose : s'écarter rapidement. Il passa en revue les sortilèges qu'il avait en mémoire, mais aucun ne lui parut prometteur compte tenu des circonstances. Il se sentit désoeuvré, impuissant, réduit à contempler la mêlée sans pouvoir aider personne. Si. Il pouvait faire son métier : soigner les blessés.

Il y avait des blessés un peu partout.
Des morts, aussi.
Dont certains avaient possédé des boucliers qui gisaient à côté de leurs cadavres.
Peut-être n'était-il pas cantonné à un rôle de guérisseur, après tout...

Il prit néanmoins le temps de soigner qui en avait besoin — parmi leurs alliés — avant de ramasser un bouclier et de repartir au combat. Privé de sortilèges adaptés à cette crise, il se sentait néanmoins gauche et démuni, détestant cette masse dont il se servait pour repousser l'adversaire. Combattre. A quoi en était-il réduit ? Il chercha un officier ami des yeux, quelqu'un qui pourrait le guider dans cette lutte qui lui était étrangère. Il n'était même pas certain qu'ils aient les moyens de refermer la porte s'ils parvenaient à les refouler jusqu'à l'extérieur.

Il vit bien un officier.
Du moins, un ancien officier.
Un jeune chevalier au visage mangé par une barbe qu'il ne portait pas jadis et aux traits creusés.
Un jeune chevalier qui avait l'air perdu de qui ne sait pas ce qu'il fait là mais qui se battait de son mieux.

Albérich sourit malgré lui de voir qu'Etienne reprenait du poil de la bête. L'urgence l'exigeait, bien sûr, mais le jeune chevalier se montrait à la hauteur, comme espéré. Le Luménien continua de batailler de son côté : il n'était pas suffisamment doué pour se permettre la moindre distraction.

Il avait néanmoins constaté que le chevalier n'était pas très à son aise, que ses gestes étaient moins fluides qu'attendu pour quelqu'un ayant suivi sa formation...
De son côté, Hubert faisait des ravages au cœur de la mêlée, abattant ennemi sur ennemi. Sans doute sa lame merveilleuse, qui semblait trancher métal, chair et os comme s'il ne s'agissait que de tissu, y était-elle pour quelque chose. Mais sa frustration et son entraînement avaaqient également fait leurs preuves...

Albérich finit par décider, à la faveur d'un quart de seconde de répit, de rejoindre Etienne. Il n'imaginait pas pouvoir faire grand chose si le jeune homme se retrouvait face à trop forte partie, mais peut-être pouvait-il le requinquer voire couvrir sa retraite s'il avait besoin de décrocher. Il songea alors à Giovanni et son amour-propre : il était peu probable qu'un chevalier recule, même épuisé.

Hubert, lui, était en transe. Il n'avait aucune intention de s'arrêter avant la mort du dernier Ithilien.

Il avait déjà bien clairsemé les rangs adverses.
A lui seul, il avait fait pencher le sort du combat qui se déroulait en ce point où se croisaient deux larges couloirs.
Il restait, toutefois, un cordon d'Ithiliens face à lui et, que ce soit par honneur ou désespoir, ils ne semblaient pas prêts à se débander.
Le paladin les avait rejoints et s'apprêtait à frapper le soldat qui se trouvait devant lui lorsque l'homme poussa un hurlement tandis que du sang se mettait à jaillir se sa bouche.
La pointe d'une lame sombre venait de lui sortir du ventre.

Les Ithiliens étaient irrécupérables, vissés à leur loyauté imbécile, prêts à mourir pour n'importe quoi. Hubert ne ressentait que fureur, haine peut-être, un sentiment abject mais induit par cette journée épouvantable.
Il s'apprêtait à décimer le dernier rang d'Ithilien quand sa victime désignée vomit son flot sanglant. Le paladin demeura interdit pendant un fragment de seconde et porta le regard au-dessus de son épaule, de là où était venu le coup traître qui l'avait embroché.

Son regard en croisa un autre.
Un regard rougeoyant où semblait couver un feu infernal.
L'Ithilien s'écroula, révélant un être revêtu d'une armure faite d'un métal lisse et plus noir que la nuit.
Il en avait déjà vu une.
Beaucoup, même.
Dans l'effroyable vision que lui avait causé un certain manuscrit...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue