La Couronne de Cuivre

Hubert sut qu'il aurait dû avoir peur. Pourtant, il ne ressentit rien de tel, juste une bouffée de détermination furieuse. Tout juste regretta-t-il de ne pas avoir pris le temps de revêtir l'armure de plates rapportée de la caserne. Il fixa ce regard rouge avec animosité, se gardant. Il ne réfléchit pas à ce que cela signifiait, au fait que les démons prenaient leur palais d'assaut, ce lieu que Lathandre avait prétendu sûr et qui était désormais envahi par l'ombre, sans qu'aucun feu céleste ne se déchaîne. Cela n'avait nulle importance : il avait su que la confrontation viendrait et à présent, il fallait faire face.

Plusieurs soldats s'étaient encore écroulés, révélant au moins deux autres êtres pareillement caparaçonnés.
Lesquels ne prêtèrent dans l'immédiat aucune attention à Hubert, préférant abattre tous ceux, Ithiliens ou membre de la Communauté, qui n'avaient pas fui en les apercevant.
Le démon qui faisait face au paladin se fendit d'une prime attaque qu'il parvint aisément à paré.
Une seconde puis une troisième suivirent rapidement.

Hubert se défendit du mieux qu'il le pouvait, mais il lui apparut assez rapidement que si les démons se multipliaient, il n'allait pas parvenir seul à arrêter leur progression. Il songea alors aux objets magiques qu'ils avaient rassemblés au cours de leurs explorations récentes. Il avait l'épée, mais il y avait l'attirail des clercs, celui du mage. Malheureusement, il ne voyait pas bien comment rompre le combat pour retraverser tous les couloirs à la recherche d'artefacts dont il ne pouvait rien faire. Il fallait espérer que quelqu'un d'autre ait la présence d'esprit d'aller les chercher.
" Repliez-vous !" cria-t-il, à tout hasard, espérant que certains l'entendraient et sauveraient leur peau.
Le nombre de morts était inimaginable. Il songea à la fuite, au téléporteur : l'ennemi ne pourrait en user, et le Temple de Lathandre était protégé. Mais il fallait qu'il arrive le premier jusque là, pour activer le système, ce qui semblait aussi compromis à l'instant... d'autant que les coups pleuvaient.

Son adversaire était adroit, puissant, endurant.
Mais lui-même l'était davantage.
Sans doute pouvait-il le vaincre. Lui et ses deux comparses.
Lesquels, s'ils n'étaient pas arrêtés rapidement, si ses propres compagnons ne se repliaient pas plus rapidement encore, causeraient des ravages...
Et ce serait pire encore si survenait le reste de l'armée démoniaque.
Car, Hubert le savait, ce n'était que de la piétaille qu'il était en train d'affronter...

Mais si le paladin avait une vague idée de la manière dont arrêter ces trois premiers démons, il n'avait absolument aucune idée de la manière dont empêcher les autres de les suivre. Ils s'étaient introduits bien trop loin dans le palais pour pouvoir être refoulés jusqu'aux caves, et là encore, les portes ne les retiendraient pas tant qu'ils conservaient un mage ou un clerc ithilien, capable d'invoquer des animaux célestes. Dans le même temps, Hubert ne pouvait pas imaginer abandonner cet endroit magnifique à l'ombre : il serait saccagé, tous les trésors protégés depuis des siècles par les Anciens seraient perdus, comme dans l'école d'art qu'ils avaient visitée plus tôt, et c'était une perspective qu'il refusait de contempler.
Il fallait espérer que ces chapelles, aux quatre coins de la vie, recèlent un pouvoir capable de les aider... Une intervention céleste pour les sauver.

Hubert -> Châtiment du Mal -> Piétaille #1

L'attaque réussit.
Sa lame se joua de la garde ennemie, pourtant prompte, s'enfonça sans difficultés dans l'armure et transperça son porteur de part en part.
Celui-ci poussa un hurlement désincarné, s'enflamma de la tête aux pieds puis se volatilisa, ne laissant derrière lui qu'un petit tas de braises rougeoyantes.
Cette fois, les deux autres démons portèrent leur attention sur Hubert... et se ruèrent dans sa direction.

Voilà qui avait été efficace. Hubert se prépara donc à recevoir les autres créatures, se gardant. Il devait en éliminer un premier rapidement : à deux contre un, vu leur puissance, ils pourraient prendre rapidement le dessus. Il savait qu'il disposait de sortilèges à même de l'aider, mais il rechignait à les utiliser contre ce qui n'était qu'un avant-goût de la puissance adverse. Il fallait qu'il trouve en lui de quoi les vaincre à la régulière, sans quoi il n'aurait aucun espoir de triompher de ce qui viendrait ensuite.

Tandis qu'Hubert se démenait face à ses puissants adversaires, Albérich faisait de même face à des soldats Ithiliens qui, pour être moins féroces, ne s'en avéraient pas moins dangereux. Non loin de lui, Étienne continuait à ferrailler, sans brio mais avec, au moins, une certaine détermination.
Subitement, la cohue fut parcourue d'un mouvement de reflux.
-Les démons sont entrés ! cria quelqu'un.

Albérich blêmit. Ils allaient perdre le palais. Apparemment, les lieux avaient disposé de quelque magie aux entrées, mais pas dans le coeur du bâtiment. C'était un peu paradoxal, quand on voyait ce dont les Anciens avaient été capables dans leurs chapelles. A présent, toute l'arche allait s'écrouler. Il songea à la colonne qu'ils avaient envoyée dans les Landes, en ressentit un soulagement indicible. Il lui faudrait quitter l'enceinte des lieux, cependant, pour prévenir Alaric, et Luménis, de leur déconfiture. Mais il pouvait en charger quelqu'un d'autre. Marcus par exemple. Si seulement il parvenait à retrouver l'intendant dans cette cohue.
" Nous devons nous replier, dit-il à Etienne. Nous ne sommes pas de taille."
Mais se replier où ? Si Hubert avait été présent, il aurait pu leur ouvrir le téléporteur, mais il était certainement tout à l'avant, au contact de l'ombre. S'il était seulement encore vivant.
Puisque les démons venaient du sous-sol, la chose la plus logique à faire était sans doute d'ouvrir les portes et de sortir dans les rues... où d'autres créatures les attendaient. Mais peut-être certains d'entre eux parviendraient-ils à atteindre la chapelle ou le temple le plus proche... C'était la seule chose à tenter.

-Tu as raison : repliez-vous, fit calmement Étienne.
L'instant suivant, il se fendait d'une attaque particulièrement rapide qui envoya son adversaire, déconcerté par l'annonce de l'invasion démoniaque, mordre la poussière.
Puis il se rua en avant, apparemment bien décédé à aller défier leur nouvel assaillant.

Albérich ne bougea pas, hésita, puis continua à se battre. Il n'était pas chef militaire, pas même officier. Il n'avait rien à dire en ces moments de lutte, ce n'était pas son rôle. Frida, Edgar, Rachel, n'importe qui d'autre avait les choses en main. Il n'y connaissait rien, ne savait pas ce qui était le mieux à faire, n'avait pas supervisé le plan d'évacuation pensé par les hommes d'Hubert. Il devait se plier aux ordres, comme tout un chacun, sans quoi ce serait rapidement le bordel. Ça l'était déjà, quelque part, mais il devait se fier à ceux dont c'était le champ d'expertise. Et donc se battre, si c'était la meilleure chose à faire.

La situation ne tarda guère à virer au chaos absolu.
Certains, quel que soit leur camp, semblaient hésiter à se carapater .
D'autres continuaient à se battre sans se poser de questions.
Puis quelqu'un rapporta qu'Hubert avait demandé à ceux qui l'entouraient de se replier.
Cela ne s'était-il adressé qu'à eux ? Était-ce le signal d'une retraite généralisée ?
Personne n'aurait su dire.

Mais se replier où ? Qu'avaient-ils prévu en cas d'invasion ? Albérich chercha un officier du regard, Frida idéalement, ou peut-être Guillermo, quelqu'un qui pourrait guider le groupe vers... vers quelque part. Ce qu'il restait du groupe, en réalité, peu de choses. Sans Hubert, ils ne pouvaient aller nulle part sinon à l'extérieur : se faire acculer dans les étages ne servirait à rien. Il posa la main sur l'épaule d'Etienne.
" Viens. Te faire tuer ne servira à rien."
C'était la débandade. Sauver sa peau était sans doute la seule chose à faire dans l'immédiat.

-Survivre en ayant tout perdu ne servira à rien non plus.
Le chevalier secoua la tête.
-Je ne fuirai pas. Mais je peux essayer de couvrir un minimum votre fuite.
Et de replonger dans la mêlée.

Etienne avait raison : à quoi bon courir encore et encore ? Ils avaient perdu la forteresse, ils allaient perdre le palais, à nouveau au prix de nombreuses vies. Mais lui, Albérich, pouvait encore faire quelque chose : prévenir Luménis. C'était nécessaire.
" Adieu, Etienne." dit-il simplement, avant de décrocher.
Il devait aller à l'extérieur, c'était sa seule manière de pouvoir communiquer avec Alaric. En remontant les couloirs, il passa cependant devant la salle du trésor et songea aux artefacts qu'ils avaient rassemblés ces derniers jours. Ils paraissaient dérisoires, au vu de la menace, mais sans doute fallait-il tenter quelque chose. Aussi entra-t-il dans la pièce avec l'intention d'y ramasser tout ce qui pouvait être utile, puis d'essayer, dans la mêlée, de retrouver Thibault, Marcus et un mage au hasard.

Manifestement, personne n'avait eu le temps de récupérer les artefacts. Ou même, simplement, d'y songer.
Hormis l'épée que détenait Hubert, hormis l'aube dorée qu'il avait confiée à Marcus, tout était là : les ornements découverts dans la crypte du temple du soleil, ceux dénichés dans celle du temple de l'amour, les oripeaux de magicien, l'armure étincelante...
Cela faisait beaucoup.
Beaucoup de choses que les Anciens avaient pris grand soin de cacher, de préserver après les avoir reçus des êtres célestes...

L'armure était trop lourde, mais Albérich essaya d'embarquer un maximum de ce qui restait. Ensuite, il se mit en quête de Thibault, Marcus et le mage qui serait capable d'en faire quelque chose. Evidemment, cela le força à ranger sa masse. Il fallait espérer qu'avec le chaos, il parvienne à dénicher ses cibles sans trop de mal. La première conviendrait, il ne pouvait pas faire le difficile...

Les escouades de civils tenaient tonaient toujours leurs positions.
Elles étaient nerveuses, inquiètes mais... elles tenaient bon. Et elles avaient même abattu pplusieurs Ithiliens qui, apparemment, avaient tenté de fuir dans les profondeurs du palais.
Il se rapprocha de la mêlée, plus chaotique que jamais.
Ni Marcus ni le moindre magicien n'étaient visible aux alentours : sans doute se battaient-ils ailleurs. Mais il vit bientôt jaillir un éclair et, en en cherchant l'origine, il découvrit Giovanni, un sceptre familier à la main.

Giovanni était barde, ceux-ci avaient parfois un don pour se servir des objets magiques dévolus à d'autres professions. Albérich courut donc dans sa direction et attendit qu'il soit plus ou moins libre pour lui tendre son fardeau.
" Est-ce qu'il y a des choses, là-dedans, dont tu penses pouvoir te servir ? Ça me semblerait moins hasardeux que le sceptre d'Alban."

Giovanni n'hésita pas une seule seconde.
-File-moi les trucs de magicien : comme j'ai un peu travaillé dessus, il n'est pas impossible que j'arrive à en tirer quelque chose. Et dans le cas contraire, je les refilerai au plus vite à une personne plus indiquée.
Il soupesa le bourdon.
-Je crois que je vais aller le tester... sur les démons.

Albérich s'abstint de lui conseiller la prudence et lui sourit.
" Bonne chance. Mais tu n'as pas vu Thibault, par hasard ? Ça m'éviterait de devoir le chercher dans cette cohue..."
Livreur d'objets magiques en pleine mêlée, ça avait quelque chose... de presque comique.

Giovanni secoua la tête.
-Pas vu Thibault, non. Il est peut-être aux thermes, à chanter si fort qu'il n'entend rien de totu cela...
Il haussa les épaules puis s'éloigna à grandes enjambées, prenant la direction suivie, bien plus tôt, par Hubert.

C'était peu probable, malgré tout, aussi Albérich se remit-il en chasse dans la mêlée. Marcus devait s'y trouver, lui aussi, même si Albérich n'avait pas le souvenir qu'il ait été davantage un combattant que lui. Peut-être se chargeait-il des blessés quelque part. Il ne pouvait de toute façon pas faire grand chose sinon ouvrir l'oeil et persévérer...

Il finit par dénicher Marcus.
Lequel ne soignait pas les blessés.
Pas plus qu'il ne se battait.
Du moins... Pour l'instant.
Masse brandie, entouré de quelques soldats, il faisait face à un clerc d'Oghma, lequel avait lui aussi levé son épée, lequel était lui aussi accompagné d'un groupe de combattants.
L'on s'observait, l'on se guettait... Peut-être avait-on discuté, auparavant.

Albérich s'immobilisa derrière son cadet.
" Un souci ? Impossible à raisonner, peut-être ?" demanda-t-il à mi-voix, soucieux de ne pas déconcentrer son ami.

Marcus soupira et répondit à voix haute :
-Quelqu'un a lancé l'idée d'une trève le temps que nous repoussions les démons. Mais ces envahisseurs ont refusé les conditions que je leur ai proposées pour l'après...
-De un, vous êtes les envahisseurs, de deux, vous avez refusé nos conditions, répliqua l'Oghman du tac-au-tac.

Les Oghmans avaient peur, subitement. Albérich ne put s'empêcher de ressentir une certaine satisfaction mauvaise.
" Une trêve ? Alors que la moitié de vos gens sont possédés et que vous êtes responsables de cette catastrophe ? Diable, vous êtes ambitieux." dit le Luménien.
Les conditions étaient fatalement inacceptables. Ces gens étaient des fanatiques.
" Vous n'avez rien à proposer, je suppose. Je vous suggérerais d'essayer de sauver votre peau, je doute que vous puissiez en espérer davantage."

Geste de mépris suprême, l'Oghman cracha à ses pieds.
-Fuir en abandonnant cette partie de notre territoire ? Fuir devant ce que vous avez réveillé avant notre arrivé, par vos agissements ? Ce n'est pas parce que vous êtes des lâches décadents que nous sommes de la même trempe.
Il jeta un regard à ses hommes.
-Nous allons combattre ce mal avec ou sans vous. Et tant pis si vous en profitez pour nous attaquer dans le dos. Si nous avons une chance de libérer nos frères de cette malédiction, de préserver les trésors de savoir de cette cité et de renvoyer ces abominations dans les abysses d'où vous les avez tirées, l'honneur nous impose de la saisir.

Albérich fit signe au groupe de laisser partir les Oghmans. Il ne servait à rien de tenter de discuter avec eux mais s'ils voulaient aller batailler contre les démons, pourquoi les empêcher ? C'était toujours ça de pris.
Dès qu'ils furent partis, il se tourna vers Marcus.
" Bon, nous aussi, nous avons du pain sur la planche. Je crois que je vais récupérer cette aube formidable, si tu veux bien... Je suis transbordé de bonheur à l'idée de la porter mais... il faut ce qu'il faut. Est-ce que tu sais où pourrait se trouver Thibault ?"

Marcus haussa les épaules.
-Je ne l'ai pas vu. Peut-être est-il aux thermes, à entonner à tue-tête des chansons paillardes... Ce serait bien son genre, non ?
Il ouvrit la sacoche qui battait sa hanche et en tira l'aube soigneusement repliée.
-Tiens. Et pour atténuer ta souffrance, dis-toi que notre dieu préfère ce genre de couleurs aux teintes plus ternes.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue