La Couronne de Cuivre

" Nous pouvons essayer de négocier. J'ai des doutes sur nos chances de réussite, mais il faudra essayer. Ensuite, oui... Un assaut sera sûrement nécessaire."
Il soupira, bras croisés. Les Ithiliens resteraient des ennemis, quoi qu'il advienne. Jamais ils ne pourraient leur faire confiance, même s'ils trouvaient un prétendu terrain d'entente, ce qui en soi était illusoire.
" Je ne suis pas fatigué, intervint Hubert. Je vais surveiller une issue."
Ce devait être la nuit, désormais. Albérich était tout à fait désorienté.

Frida grimaça.
-Je n'en reviens pas de dire ça, d'autant que je n'ai qu'une hâte : aller dormir. Mais je crains que nous ne puissions faire l'économie d'un conseil. Nous devons... Faire le point. Mais peut-être cela doit-il attendre jusqu'à ce que nous ayons... Dressé divers bilans, tous plus sinistres les uns que les autres.
Elle sourit.
-Mais nous avons remporté une première bataille. Cela ne rend pas les pertes moins douloureuses mais... Nous avons tenu bon et le palais demeure nôtre. Au passage, bravo pour ton intervention, Hubert : elle a été salvatrice.

Hubert s'empourpra légèrement.
" Je n'ai pas vraiment de mérite... C'est juste une question de... de sang."
Il eut une petite grimace, mais Albérich vit qu'il était tout de même fier de ce qu'il avait accompli. Sang ou pas sang, c'était son oeuvre, et le Luménien était heureux qu'il puisse s'approprier positivement son revirement d'identité.
" Reste ici un moment. Nous viendrons te chercher quand nous aurons... les informations nécessaires."
Compter les morts, déplacer les cadavres, alliés et ennemis. Une fin de journée à la mesure de tout le reste : dramatique.

Le bilan était lourd.
De leur côté : une trentaine de morts et plusieurs dizaines de blesés que clercs et paladins s'efforçaient de soigner depuis déjà un bon moment.
Du côté Ithilien, soixante trépassés et quelques blessés. Il apparut que c'était un contingent de près d'une centaine d'hommes qui avait prit d'assaut le palais. Une centaine d'hommes fatigués mais bien déterminés... à se mettre à l'abri, sans doute.
car il était probable qu'ils ignoraient être suivis par les démons... Du moins est-ce ce qui était ressorti des premiers interrogatoires.

Albérich ne ménagea pas ses efforts pour soigner tous ceux qui pouvaient l'être. D'abord tirer tous les alliés d'affaire, sans forcément les soigner complètement, mais au moins s'assurer que personne n'était plus en danger. Ensuite, les quelques prisonniers. Il supposait que les officiers d'Hubert trouveraient des pièces où les installer. Il serait temps, plus tard, de savoir si certains acceptaient de collaborer. Il ne se faisait pas d'illusions, cependant. Le Duc avait dû les trier sur le volet pour n'emporter que les plus fanatiques, les moins à même de s'offusquer de la violence de leurs actions. Oghma ne poussait pas à la cruauté. Mais Albérich avait peu d'informations sur la mouvance dominante à Ithilion, sinon qu'elle s'accommodait parfaitement des lubies d'un prince dément. Ce n'était pas encourageant.
Tout au long de ses pérégrinations, il chercha tout de même les visages connus qui s'étaient jetés dans la mêlée : Gabriel, Marcus, Guillermo, Etienne... Il supposait que Marthe était restée en sécurité, derrière les lignes de combattants, de son côté.

Mais qui sait si elle n'avait pas rejoint les civils armés ? Après tout, l'ensemble des membres de la Communauté avaient suivi, avant le départ, des entraînements martiaux...
Quoi qu'il en soit, elle ne figurait pas au nombre des victimes, pas d'avantage que les officiers d'Hubert ou les autres personnes que le clerc paraissait particulièrement bien.
Et au bout d'une bonne heure d'efforts, il n'y eut plus de soins à dispenser.

Albérich rejoignit alors Frida et ensemble, ils allèrent chercher Hubert, non sans lui avoir déniché des remplaçants pour le guet. Comme ils avaient faim, ils passèrent chercher quelque chose à l'intendance, puis se replièrent dans leur salle du conseil.
" Trente morts, dit Albérich en s'asseyant. Mais ça aurait pu être bien pire. Je dois bien avouer que j'ai cru... que c'était terminé."
Il s'autorisa un sourire incrédule.
" Je ne sais pas comment les Ithiliens ont su que notre palais était un refuge...
— Ezéchiel, sans doute, dit Hubert d'une voix morne.
— Non, pas forcément. Ils ont des informations sur cette ville. Il y a des livres qui décrivent cet endroit, son rôle... Si ça se trouve, ils ne savaient même pas que nous y étions.
— Armés comme ils étaient, j'en doute."

-J'en doute aussi. Néanmoins, ça n'est pas totalement impossible : dans cette ville, se déplacer sans être armé jusqu'aux dents serait stupide. Surtout maintenant. Ce qui parait clair, en tout cas, c'est qu'ils n'ont pas sciemment conduit les démons jusqu'à nous : ils cherchaient un refuge Qu'ils aient été suivis signifie néanmoins que... nos véritables ennemis ont des moyens d'observer les mouvements dans la cité. Cela concorde avec les attaques dont ont été victimes les chapelles.

" Nous devons trouver un moyen de... communiquer un minimum avec les Ithiliens, dit Albérich. Je sais que les chances sont maigres, mais... ils détiennent toujours des gens à nous. Des gens qu'ils massacrent allègrement, eux ou leurs maîtres démoniaques... Si la tête de leur contingent est possédée... Nous devons évaluer la possibilité de monter une opération de sauvetage. Ce qui s'est passé dans la chapelle..."
Il secoua la tête, à court de mots. Hubert avait blêmi.
" Nous devons essayer de faire quelque chose. Je sais que ce n'est pas la priorité mais c'est quand même nécessaire. Si vous m'en donnez l'autorisation, je tenterai un premier dialogue aujourd'hui. Il doit bien y avoir un homme raisonnable sur ces trente-là."

La rôdeuse haussa les épaules.
-Rien n'empêche d'essayer, effectivement. Si tu t'abstiens de leur parler de reddition ou de les traiter d'envahisseurs, tu auras peut-être une infime chance de nouer une esquisse de conversation... Mais déjà, point qui a peut-être son importance, il ne cessent de clamer leur loyauté au Prince et à Ithilion mais... Ne font pas mention du duc.

" Pourtant ce Duc ne peut pas être pire que son cousin... Enfin, avant, je suppose. Mais c'est un angle... Ils accepteront peut-être de me parler de lui."
Hubert était toujours silencieux. Albérich n'essaya pas de le faire sortir de sa réserve.
" Nous avons réussi à fermer les portes des caves, mais je pense qu'il est urgent, désormais d'essayer d'identifier l'intégralité des symboles de la cave aux gemmes. Il y a peut-être moyen de protéger le bâtiment de manière plus structurale... Je pense aux murs, aux fenêtres, aux autres issues... Hubert, tu pourrais peut-être regarder ça avec Daniel ?
— Bien sûr."

-A mon avis, le palais en lui-même est déjà très solide : puisqu'il n'y a pas de protections particulières à l'intérieur, il donne l'impression d'être une manière de coffre-fort. Néanmoins, on ne perd rien à enquêter à ce sujet et il y a des chances que nous découvrions quelque chose d'exploitables, quoi que ce puisse être.

Albérich soupira.
" Nous allons devoir... disposer des cadavres. Je pense que le mieux est de sortir les corps via le fort et d'aller les brûler dehors. Avant cela, il faut que je reprenne les listes du recensement et que je prenne note des personnes décédées."
Il hésita, s'éclaircit la gorge.
" Il reste, bien sûr, la possibilité de ramener une partie d'entre eux à la vie... Si certains... sont en bon état... Thibault et moi-même, peut-être Tara... peut-être Daniel... pouvons-nous... hum... faire quelque chose."
Il avait du mal à avancer sur cette pente, mais il lui semblait injuste que Thibault ait pu en profiter et de le refuser à d'autres.
" Il nous faudra des diamants, bien sûr. Je ne sais pas si vous en avez rapporté de Grand Estuaire."

-Trois seulement, pour pallier aux cas d'extrême urgence. Nous comptions bien en trouver d'autres dans les mines...
Elle soupira puis sourit.
-Mais je suis contente que tu abordes cette question. J'hésitais à le faire, sachant la position des Lathandrites sur le sujet... La Communauté ne s'étant jamais refusée aux insurrections, du moment que cela restait raisonnable, je pense préférable de ne pas incinérer les corps. Peut-être pourrait-on les déposer dans un lien sacré, comme l'une des chapelles... Quant à ceux qui les ramèneraient... Rien ne t'oblige à le faire : il y a Thibault, effectivement, qui pourrait s'occuper d'un personne chaque jour...

" Je te suis gré de tes réserves, murmura Albérich. Mais tu dois savoir que seuls les corps quasiment intacts pourront être ramenés. Les résurrections plus complexes... Seul Barthélémy en était capable. En tout cas, ni Thibault ni moi n'en avons le pouvoir. Peut-être Tara et Daniel sont-ils plus expérimentés, mais ils sont encore jeunes... C'est peu probable. Et nous disposons d'une dizaine de jours maximum entre le trépas et la résurrection."
Il relâcha sa respiration. Tout cela le mettait éminemment mal à l'aise. Il n'était pas question qu'il implique Marcus et Gabriel dans ce qui demeurait un tabou pour leurs croyances. Lui... Lui, il avait déjà franchi le pas. Il ne savait pas, cependant, si Lathandre permettrait qu'il transgresse ainsi l'ordre des choses à nouveau.
" Nous pouvons demander à Tara et Tibère de fouiller le palais. Il y a sans doute encore d'autres diamants à récupérer." intervint alors Hubert, sobrement.

Elle acquiesça.
-Bonne idée. Nous pourrons également garder cela à l'esprit quand nous monterons une opération pour libérer nos captifs. Les Ithiliens ont déjà extrait des choses des mines, nous le savons, si bien qu'il n'est pas impossible que nous soyons en mesure de faire d'une pierre deux coups...

Toutes ces discussions donnèrent le tournis à Albérich. Ramener à la vie des dizaines de personnes. C'était tellement contre nature que rien que d'y penser... Il frémit, demeura muet, un peu assommé, un instant.
" Nous aviserons, oui." dit finalement Hubert. Pour le reste, après bien des déboires, toutes les chapelles sont activées. Nous aimerions organiser des cérémonies dans les deux temples, encore. Ils paraissent déjà protégés mais je les ai vus dans mes visions. Ils recèlent peut-être quelque pouvoir."

-Oui. Là encore, cela ne coûtue rien d'essayer. Nous aurions même tort de ne pas le faire.
Elle réfléchit quelques instants.
-Pour le reste, nos mesures de protection ayant fait leur preuves et permis de juguler l'assaut, je propose que nous les maintenions telles quelles. Simplement, comme les combattants ont besoin de repos, il faudra sans doute mobiliser les civils. Même si, en réalité, ce ne sont que des demi-civils.

" Oui. Mobilisons tout le monde. Je pense que les événements ont prouvé que c'était nécessaire. Un maximum d'équité, c'est le mieux.
— Organisons une assemblée." lâcha alors Albérich, avant de rentrer la tête dans les épaules, craignant de se faire rembarrer par ses collègues.
Hubert pinça les lèvres, songeur.
" Je n'y suis pas opposé." dit-il finalement.

Frida paraissait incrédule.
-Une assemblée ? Mais... Pour quoi faire ? Il n'y a même pas la moitié de la Communauté, ici, ça n'aurait donc guère de sens... Pourquoi ne pas faire au plus simple ? Pourquoi ne pas nous contenter, au repas, de dire que nous avons besoin de volontaires pour monter la garde ? Nous n'en manquerons pas : personne n'a rechigné lorsqu'il a s'agit d'épauler les soldats...

" Je ne sais pas, murmura Albérich. Juste pour... continuer avec nos manières de faire. Qu'il n'y ait ici que la moitié de la communauté ne signifie pas que nos méthodes sont révolues ou abolies... Je crois que... informer les gens... Je ne sais pas. Tous ont le droit de savoir ce qui s'est produit, non ? Ne crains-tu pas que... les rumeurs courent sur ce qui s'est produit ? Ici, dans les chapelles ? Il me semblait juste... souhaitable de continuer dans notre veine de transparence. Malgré les morts, les démons et ce qui pèse sur nos épaules."

Elle haussa les épaules.
-La transparence, je ne dis pas. Mais nous pouvons très bien en faire preuve en nous contentant d'un bref exposé des faits au moment du repas : presque tout le monde sera réuni, alors... Après, si tu veux organiser une Assemblée en bonne et due forme, avec convocation puis rassemblement dans l'amphithéâtre, je ne m'y opposerai pas. Je trouve juste que c'est... beaucoup de chambard pour pas grand chose, surtout à l'heure où nous avons tous grand besoin de repos.

" Tu as raison, dit le clerc. Un mot au moment du repas sera suffisant. Il n'est pas nécessaire d'en faire davantage. Je laisserai cependant la porte ouverte à ceux qui veulent venir me faire part de doléances ou de suggestions."
Hubert acquiesça.
" Ça me parait raisonnable."

Frida parut soulagée d'échapper à une nouvelle et longue séance de palabres.
-A moins que vous ne voyiez un autre point à aborder, je propose que nous mettions un terme à la réunion. J'ai encore deux trois choses à vérifier puis... j'irai me coucher. Je vous conseille également d'en faire de même : vous aviez déjà fait énormément avant même que cette bataille ne débute.

" Je voulais juste te remercier... et te féliciter... pour la manière dont toi et les autres officiers présents avez géré cette crise en ma regrettable absence, dit alors Hubert. Vous avez géré ça de main de maître. Je ne pourrais rêver meilleur second, et meilleure équipe pour affronter cette épreuve. Je le répéterai en réunion d'état-major, demain. Vous avez été remarquables."

Frida secoua la tête.
-Tu parleras alors à beaucoup plus méritants que moi. Car, honnêtement, je n'ai pas fait grand chose : Rachel et ceux qui l'ont aidée à élaborer le plan de défense l'ont appliqué à merveille. Puis ils se sont répartis les différents secteurs avec le reste de tes officiers. De mon côté, j'ai simplement veillé à rester disponible, tandis que les éclaireurs patrouillaient les couloirs pour vérifier qu'aucun ennemi n'était passé entre les mailles du filet ou servaient de forces d'appoint là où ça chauffait le plus.

" Je pense que tu minimises ton rôle, mais j'en parlerai à tout le monde demain."
Il se leva ensuite, avec une grimace. Il passa une main sur son épaule, Albérich devina qu'il avait toujours mal au dos.
" Bon, je vais... faire un tour puis me coucher aussi, je crois. Peut-être passer voir nos deux premiers prisonniers ithiliens... s'ils ont survécu."
Albérich se leva aussi. Il n'avait pas d'idée préconçue sur ce qu'il allait faire avant d'aller dormir. Peut-être juste marcher un moment dans les couloirs, passer voir les blessés... Etienne, aussi, et Marthe, s'il la trouvait.

Leurs deux premiers prisonniers avaient survécu, oui : nul ne les avait assailli dans la salle où ils étaient gardés sous clef et ils étaient trop solidement entravés pour avoir pu tenter quoi que ce soit.
Le paladin les découvrit particulièrement moroses : sans doute avait-il vu en l'assaut mené par leurs concitoyens - ils en avaient forcément perçu les échos - un espoir de proche libération. Espoir qui avait volé en éclats...
Ce qui ne les rendait pas davantage décidés à coopérer.

Hubert s'assit près d'eux, les détacha, comme de coutume, et leur donna à manger. Il resta ensuite silencieux un moment.
" Vos confrères ont attaqué, vous avez dû les entendre. Malheureusement, ils étaient suivi par les démons et ceux-ci ont massacré tous les êtres humains qu'ils trouvaient... Les vôtres, les nôtres... Mais nous avons réussi à les repousser, donc le palais reste sûr. Ils ne nous délogeront pas."
Il soupira.
" Ce Duc, que vous servez... Qui est-il ?"

Le plus jeune soupira.
-Si les choses avaient mieux tourné, les rôles seraient inversé : c'est vous qui seriez prisonnier et nous qui poserions les questions. Y répondriez-vous ? Sans doute pas. Alors pourquoi pensez-vous que nous allons répondre aux vôtres ?
-P't'être ben qu'il répondrait. Oublie pas d'où il vient.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue