La Couronne de Cuivre

Le barde s'immobilisa, pris au dépourvu, avant de repartir d'un bon pas, souriant.
-Je dois dire que je n'ai jamais essayé, non... L'idée de me rendre invisible pour aller espionner quelque belle au bain - ou dans sa chambre - m'a parfois effleuré, plus jeune, mais faire l'amour en étant invisible, je n'y ai jamais pensé. Ceci dit, cela peut-être une expérience originale...

Martin lui jeta un regard en coin.
" Les yeux bandés, dans le noir, tout ça c'est du classique, mais avec un partenaire invisible... Non, ça doit valoir le coup, assurément. Je suis certain que ta belle y verra un certain piquant. Pour peu qu'elle ne soit pas une adepte anxieuse des positions minimalistes et des fréquences limitées à la reproduction."
Il frissonna.
" Car cela existe, malheureusement."

Il hocha la tête.
-Oui... Même si je dois avouer en avoir rencontré peu de cette tournure d'esprit : fréquentant surtout les tavernes et les auberges, les rencontres que j'ai pu y faire étaient généralement... épicées. Et puis, l'exact opposé de ce que tu décris est parfois... déroutant. Et pour le moins épuisant.
Il avait parlé d'un ton léger, mais les images qui lui vinrent à l'esprit le firent se rembrunir aussitôt. Il repensait à cette fée, dans le Val aux Mille Campanules...
Souvenir douloureux. Quoi que mâtiné de certaines réminiscences sensuelles, émoustillantes, qui ne le rendaient que plus ambigu et dérangeant.
Il n'avait pas eu le choix. Il l'avait fait pour sauver Victor. Il n'avait rien cherché, rien voulu obtenir d'autre que la fin du maléfice qui le maintenait sous forme d'ânon. Cela faisait longtemps, alors, qu'il n'avait pas partagé l'étreinte d'une femme. Mais ce n'était pas ce manque qui l'avait guidé. Galathée le saurait. Le comprendrait.

Martin rit doucement.
" C'est vrai qu'avec ton joli minois, tu as dû souvent te voir offrir sur un plateau ce que d'autres doivent payer cher de leurs deniers." fit-il amusé. " Quel dommage, cependant, que tu aies renoncé à ces manières aventureuses. Nul doute qu'avec la longévité de ta race et ton expérience, tu dois disposer d'un savoir, et d'un talent, que nous serions nombreux à vouloir découvrir."

Cette fois-ci, Taliesin éclata franchement de rire.
-Je crains que tu ne me prêtes trop de qualités en ce domaine, fit-il. Je suis relativement jeune, pour un elfe. Si je vivais parmi mes pairs, cela ne ferait qu'une poignée d'années qu'on me considérerait comme adulte... J'ai eu des aventures, oui, mais pas non plus une infinité. Et je n'ai pas eu la chance de suivre les cours d'experts... Bref, honnêtement, je doute que j'aurais pu vous apprendre quoi que ce soit.

Martin sourit alors qu'ils regagnaient leur point de départ.
" Dans ce cas, c'est toi qui y perds. Imagine les prouesses toutes neuves que tu pourrais rapporter chez toi ? Comme un bouquet de fleurs à ta belle... Mais en bien plus agréable et qui tiendrait des années..."
Il secoua la tête.
" Mais je sais, je sais, je gaspille ma salive pour rien. Valaellyn m'a prévenu que tu étais de marbre."
Il alla s'asseoir sur un rocher saillant.
" Pourtant, les prostituées ne comptent pas vraiment, si ? C'est du sexe, rien de plus."

-Elle a dit que j'étais de marbre ? ne put-il s'empêcher de s'exclamer.
Puis il secoua la tête.
-Ben ça... Pourtant, qui peut réellement se prétendre de marbre ? Même les hommes - ou les femmes - les plus fidèles, les plus bourrés de principes ont des yeux pour voir. On ne peut rester insensible face à certaines beautés... Après, pour ce qui est des prostituées, je ne dis pas. Je ne suis pas sûr d'avoir réfléchi à cet aspect des choses, d'ailleurs, Et je ne doute pas d'avoir énormément à apprendre...
Il sourit.
-Je ne suis pas du genre vieille morale, loin s'en faut ! Et je crois que dans un couple, tout est envisageable, du moment que les choses ont été discutées, posées. Mais bon, je suis barde, et à force de chanter des chansons d'amour, je dois être un peu prisonnier du modèle classique, idéal. Et puis, je n'ai pas encore eu ce genre de conversation avec ma compagne. Du coup, je préfère ne pas prendre d'initiatives sans son consentement : je risquerais de me faire tailler en pièces !
Son sourire s'élargit.
-Et Victor me tient à l'œil.
C'était vrai : le gamin le lui avait clairement dit, dans cette auberge, alors que la fille du tenancier lui faisait des ouvertures explicites... dans lesquelles il ne s'était pas engouffré, remontant seul dans sa chambre.
Et passant une fort mauvaise nuit. Il s'en souvenait.

" Victor te tient à l'oeil ?" fit Martin, avec malice.
Il regarda tout autour de lui.
" Bizarre, j'aurais juré qu'il ne nous avait pas accompagnés."
Il sourit.
" Enfin, avec la salle que nous a dégotté ton petit air paillard, plus personne ne pourra prendre l'excuse d'un besoin de chaleur humaine. Cela dit, le bassin d'eau brûlante est des plus attirants... Et je gage que le petit Mélandien est un peu plus disponible, désormais."

-Peut-être... murmura-t-il. Mais il faudra y aller doucement : il est secoué, vraiment secoué. Il ne faudrait pas qu'il craque complètement : on aura besoin de lui, tôt ou tard... Enfin, il n'est pas impossible que des... attentions chaleureuses lui soient profitables.
Il avait l'impression que le Mélandien avait eu des liens bien particuliers avec Dix-Sept. Au-delà, sans doute, des "services" qu'il lui demandait.
-En tout cas, heureusement que la présence des gosses nous contraint à la désence, fit-il en se trouvant un coin où s'assoir. Sans quoi, ç'aurait fatalement tourné à l'orgie, tôt ou tard... Sexe, lave, source d'eau chaude et fourrures douillettes. Tout un programme.

" Heureusement, quel rabat-joie." fit le courtisan en sifflant. " Moi qui avais espéré qu'ils soient tous envoyés avec Valaellyn, quelle déception. Mais je comprends Constance... Vu le tempérament de cette marmaille, je ne crois pas que la pauvre aurait réussi à leur imposer un minimum de discipline. Il faut diviser pour régner, dit l'adage."
Il se redressa comme des pas se faisaient entendre, provenant du dernier conduit.
" Cela dit, s'il s'avère que nous devons tous mourir... Quoi de plus merveilleux qu'une dernière orgie avant de s'éteindre ? Pourquoi passer notre temps à grogner et nous désespérer alors que nous pourrions partir dans une pluie de lumière ?"

-Allons, il n'est pas dit que nous soyons condamnés... fit-il.
Mensonge et hypocrisie. Du moins, le concernant : il pouvait faire semblant, parler d'un ton badin, mais...
Non, il valait mieux ne pas y penser.
-Ceci dit, s'il devenait sûr et certain que nous n'avons plus aucun espoir, je suis d'accord : à quoi bon se morfondre ? Autant s'en donner à cœur joie une dernière fois.
Il sourit à nouveau, rêveur.
-Il y a là-dedans une sorte de défi et de pied de nez au destin qui n'est pas sans me plaire. Un peu comme ces musiciens qui continuent à jouer des sérénades alors que le bateau sur lequel ils sont embarqués est en train de couler... Ou ses soldats assiégés qui chantent, boivent et s'amusent tandis que leurs murs cèdent... Il y a des chansons qui parlent de cela. Elles m'ont toujours touché.

Fred reparut quelques secondes plus tard.
" Bon, ben, c'est complètement inondé, par là..."
Martin ressortit sa carte, que Taliesin et lui n'avaient pas encore complétée, tout à leur conversation.
" Ça part comme ça..." dit le jeune Luménien. " Puis ici... ça tourne... On aurait besoin d'une carte en trois dimensions, il y a tellement de niveaux... Alors finalement, c'est inondé. Le conduit descend sous l'eau. Il y a peut-être moyen de remonter assez vite mais... vu la température, j'ai hésité puis j'étais pas trop motivé."
" Tu as bien fait. Rien ne sert d'attraper la mort pour un passage hypothétique. Belenn et moi nous sommes retrouvés dans le même tunnel, quant à nous. Autant dire que nous pouvons repartir en arrière : rien de neuf par ici."

-Non... Et il nous reste deux passages a explorer dans la salle précédente. Puis un autre, dans celle encore avant...
Il baissa les yeux sur le sol inondé.
-Je serai un peu plus tranquille quand nous aurons gagné des lieux plus secs, je dois l'admettre...
Et de se lever aussitôt pour rebrousser chemin, ses songes d'ultimes réjouissances d'avant le trépas déjà bien loin.

Leurs pérégrinations les entraînèrent encore dans de nouvelles directions, mais chaque fois qu'ils parvenaient quelque part, d'autres embranchements surgissaient et ils eurent bientôt la certitude qu'ils repassaient régulièrement dans des zones qu'ils avaient déjà visitées, mais à d'autres profondeurs. La plupart des conduits finissaient par se rétrécir à des tailles infranchissables et ils devaient rebrousser chemin. Ils trouvèrent une ouverture sur la lande, grande comme le poing, par laquelle ils n'aperçurent que le ciel et quelques brins d'herbes sauvages. Ils découvrirent aussi une fenêtre donnant sur la mer, qui servait de nid à plusieurs grands goélands. Martin pilla leurs nids sans la moindre arrière-pensée, mais déconseilla à Fred d'en estourbir l'un ou l'autre : ils avaient un goût de poisson pourri des plus désagréables. C'était d'autre part un point d'observation intéressant sur la mer au sud de l'île, on n'y voyait aucun des navires pirates. Sa situation le rendait néanmoins inutilisable comme porte de sortie : il culminait à une centaine de pieds de la surface de l'eau, des rochers accidentés s'étendaient juste en dessous, battus par les vagues sauvages.
Martin proposa qu'ils s'arrêtent pour manger dans la salle acceptable suivante. Quand ils y parvinrent, ils ne la trouvèrent pas aussi dénudée que les précédentes : il y avait là les restants d'un campement de fortune, un coffre vermoulu, quelques assiettes abandonnées, des couvertures moisies, et les murs étaient couverts de dessins et d'inscriptions.
Très enfantins, sans parler des fautes d'orthographe.

-Serais-tu déjà venu ici, autrefois ? demanda l'elfe à Martin. Les grottes étaient surtout fréquentées par les gosses, si je ne me trompe pas... Mais s'ils se sont aménagés un repaire ici, cela veut dire qu'il doit y avoir une sortie à proximité.
Pour l'heure, son casse-croûte en main, il se mit à déchiffrer les inscriptions. Il jetterait aussi un œil au coffre : on ne savait jamais.
S'il avait grandi sur Mersant, nul doute que ces galeries auraient été son terrain de jeu favori...

" Je n'étais jamais venu, non. Mais c'est bien un repaire de gosses... Sans doute Harold... Ou alors Bertille... Je n'ai pas grandi sur Mersant."
Les inscriptions étaient des mises en garde imagées du style " Intairdiction d'entré sous paine de mor" ou " Sui qui met ses salles piés ici sera décapiter". On avait dessiné des petits crânes et des serpents tout autour. Il y avait aussi un plus romantique " B ait ammoureuze de M". Le coffre avait probablement contenu des livres et peut-être un peu de nourriture, mais tout avait été renvoyé à la poussière depuis longtemps.
" Mais tu as raison... Il y a fatalement une issue proche... Nous devrions la chercher, lorsque nous serons rassasiés."

-Si on la trouve, on ne rentrera pas bredouilles, au moins ! fit-il en s'asseyant pour terminer son repas. Reste à espérer qu'elle soit discrète, bien dissimulée, qu'elle donne sur un endroit qui pourrait nous servir...
Il se tut. Comme l'avait suggéré Fred, faire un plan en trois dimensions ou, au moins, des plans des différents niveaux pourrait être une bonne idée, tant les galeries s'enchevêtraient; Malheureusement, il ne pourrait être d'aucun secours, en la matière...

" Espérons, oui. Il y a des chances qu'elle soit bien située... mais peut-être mal dissimulée. Nous verrons bien." dit Martin avec le sourire.
" D'où viens-tu, alors, si tu n'as pas grandi sur Mersant ? Et comment connais-tu si bien ces grottes ?" demanda Fred en mangeant une pomme pour terminer son repas.
" Je viens d'un petit bled sur la côte ouest de Dorrandin. Dont tu n'as jamais entendu parler, assurément. Ensuite de Mélandis. Ce n'est pas une histoire très riante. Mais je la conterai peut-être un jour, qui sait, si j'ai l'impression qu'elle peut servir à quelqu'un."
Il jeta un regard bref à Taliesin, puis revint à Fred.
" Quand je suis arrivé sur Mersant... Je ne sais pas... L'île n'est pas très grande. J'avais parfois besoin de m'isoler... de pouvoir aller me promener sans croiser personne et sans que personne ne m'observe... Puis la curiosité m'a piqué... J'ai pris l'habitude de m'enfouir pour trouver la sérénité qui me faisait défaut."
" Oh." fit Fred, un peu embarrassé.

Le barde demeura silencieux. Pourquoi le courtisan l'avait-il regardé ? Pensait-il que son histoire puisse spécifiquement lui être utile ?
Il se souvint d'un regard assez similaire, lorsque Victor avait étourdiment mentionné son nom. Se demanda si Martin l'avait déjà entendu, pour une raison ou pour une autre...
Bah, il devait s'agir de pures coïncidences. L'homme n'était pas arrivé sur Mersant depuis seulement deux ans...
-Je serais d'avis de ne pas trop nous attarder ici, finit-il par dire, après un long silence. S'il y a une entrée à proximité, et si elle est visible de l'extérieur... Nous pourrions nous faire surprendre. Ah, et... Ne laissons aucune trace de notre repas. Cela vaut mieux.

" Bien sûr." fit Martin avec un sourire en ramassant les miettes de pain qui maculaient ses genoux du bout des doigts.
Fred rassembla lui aussi ses déchets et les enfouit dans ses poches.
" L'issue doit se trouver par là." fit Martin en désignant l'un des boyaux qui quittaient la petite grotte. " Mais il n'est pas impossible que nous ayons à nouveau affaire à des tunnels capricieux, auquel cas, c'est peut-être par là... Mmm... Je propose que Belenn et moi-même allions par là, et toi, Fred, tu restes ici pour surveiller l'autre direction... S'il vient quelqu'un... Tu cours nous rejoindre ? Quelqu'un a une meilleure idée ? Je ne suis pas exactement familier de ce genre de... stratégies."

Taliesin se concentra. Penser stratégie n'était toujours pas chose évidente, même si, au fil de leurs explorations, de leurs discussions diverses, ses idées noires s'étaient quelque peu éloignées.
-C'est un bon plan, fit-il, hésitant. Le seul risque, c'est que si notre tunnel bifurque, Fred ne pourra pas nous retrouver, d'autant que nous ne pouvons laisser aucun signe... Alors, peut-être pourrions nous, chaque fois que nous trouverons un embranchement, revenir en arrière puis l'y conduire afin qu'il y fasse le guetteur... Ce sera long et fastidieux, mais... Je crois que c'est le plus prudent, que ça nous évitera de nous retrouver séparés...

" D'accord." fit Martin.
Fred acquiesça, manifestement assez content de pouvoir demeurer assis, tranquille, en arrière.
" Ne t'endors pas." lui dit cependant le courtisan comme ils allaient quitter l'ancienne cabane souterraine. " C'est toujours à ce moment-là que débarque l'ennemi."
Puis, sur un dernier geste, Taliesin et Martin s'engagèrent dans le conduit que le Mersantais avait estimé le plus prometteur. Il était relativement large et sec, et semblait décrire une volte paresseuse en montant doucement, promesse, peut-être, de surface.
Ils grimpèrent pendant quelques minutes et parvinrent à une première bifurcation. Martin proposa à Taliesin qu'ils se séparent pour explorer rapidement les deux tunnels et ils firent bien : l'un des deux se terminait en cul de sac après quelques mètres seulement. Ils continuèrent donc dans le conduit principal, pendant une dizaine de minutes encore. Deux trous de lumière, issus des hauteurs, les renseignèrent sur la proximité de la lande et ils se firent plus silencieux. De là où ils se trouvaient, on entendait que le cri des mouettes, distant, rien d'autre. Le boyau continua à monter en se rétrécissant et bientôt, ils durent progresser à quatre pattes.
" Maudits gamins..." finit par murmurer Martin. " Tu vas devoir aller en solo pour la fin du parcours... Mais vu la largeur du passage... Je ne suis même pas certain que ça ira. Ne reste pas coincé, en tout cas."

L'elfe lui sourit.
-Non non, je ferai attention. Et si nos autres explorations ne donnent rien et que ce boyau est le plus prometteur... Et bien, nous avons des gamins dans notre groupe, non ? On pourrait le leur faire remonter... Qui sait si nous ne trouverons pas un superbe point d'observation ?
Sur cet élan d'optimisme feint, il reprit l'ascension, essayant de se faire le plus silencieux possible et surveillant le rétrécissement du tunnel. Rester coincé, non, décidément, ça ne le tentait guère.

Le chemin se rétrécissait de plus en plus et Taliesin dut se contorsionner pour parvenir à passer. Mais il était svelte et leste et parvint à remonter tant bien que mal dans le tunnel. Les derniers mètres étaient à la verticale, mais des encoches avaient été taillées dans le roc pour faciliter l'ascension. Cependant, le conduit était bouché par une grosse pierre. Pour savoir où il débouchait, il faudrait assurément la soulever. Sans savoir ce qui se trouvait autour.

Il n'allait pas tenter le diable.
Bien sûr, soulever la pierre pourrait lui révéler une position idéale pour observer la situation, les mouvements ennemis. C'était fort possible.
Mais ce qui était aussi fort possible, c'est qu'en déplaçant la pierre, il fasse du bruit, provoque la dégringolade de mottes de terre, de cailloux.
Attire l'attention d'un pirate à proximité. Se trahisse, lui. Et trahisse tous les autres.
Non, il n'allait pas tenter le diable. Il ferait à Martin la description la plus précise possible de son itinéraire : peut-être le courtisan pourrait-il, alors, situer cette ouverture.
Et dans l'immédiat...
Il colla son oreille à la pierre. Essaya de percevoir des sons, des indices...

Il ne perçut rien. Les parois terreuses autour de lui indiquaient qu'il était dans un coin de nature herbeux, mais hormis les quais et la plage, cela pouvait être n'importe où, car Mersant demeurait un hameau rustique. Entre deux bâtiments ou au milieu de la lande, impossible de savoir. La pierre contre son oreille avalait toute trace du dehors.

Avec un soupir - il n'apprendrait rien de plus en continuant à écouter - il entreprit de redescendre le boyau. Il espérait que Martin serait capable, au moins de manière imprécise, de localiser cette entrée : elle pouvait être un atout dans leur guérilla à venir...
Et il fit de son mieux pour aider le courtisan lorsqu'il l'eut rejoint : il lui décrivit de son mieux les orientations successives du boyau, sa déclivité, et jusqu'à la pierre qu'il dépeignit autant que faire se peut. Évidemment, rien ne différait moins d'un caillou qu'un autre caillou, mais on ne savait jamais. Un rocher a la forme particulière pouvait détonner, sur la lande...

Martin l'écouta avec attention. Il était cependant convaincu que l'entrée du tunnel devait se situer près des habitations, probablement non loin du comptoir du père de Bertille, car il était persuadé que la gamine avait été l'occupante principale de ce repaire. Même s'il semblait abandonné depuis des lustres. Mais il expliqua à Taliesin que les derniers enfants avaient quitté l'île quelques années plus tôt, lorsque le comptoir avait changé de mains, et que Bertille s'était retrouvée toute seule et sans camarades, sinon les gosses occasionnels de passage. D'où l'état de déréliction de la cachette. Ils rejoignirent ensuite Fred et décidèrent, de commun accord, de retourner jusqu'à la caverne commune. Ils avaient bien travaillé.

Le barde ne protesta pas : il avait plus crapahuté que durant toutes les semaines précédentes réunies. Plus, peut-être, que durant une journée à la mine de Gargouille...
Bien plus, songea-t-il, soudain morose : à la mine, il ne crapahutait pas beaucoup. Il cassait des cailloux, extrayait du charbon. Rien à voir avec des escalades ardues, des contorsions à travers des passages étroits... En comparaison du travail de forçat, cette exploration avait été une vraie récréation.
Mais il n'avait rien dormi, la nuit précédente. Et se remettait péniblement de son choc de la veille. Et il était glacé, de surcroît : la chaleur n'était pas le fort de ces cavernes, si l'on exceptait leur nouveau refuge.
Tout ce à quoi il aspirait, c'était un thé bien chaud, un lit pour dormir... Voir un plongeon dans un bassin d'eau chaude.
Le pipeau n'avait pas fait les choses à moitié, pensa-t-il avec un sourire.
Peut-être ne les aurait-il pas faites à moitié non plus, s'il l'avait utilisé lors de la bataille...
Son sourire disparut.

Le chemin du retour fut en réalité bien plus court qu'ils ne l'avaient anticipé, car ils n'avaient plus à parcourir mille et un conduits avant de poursuivre : la carte de Martin leur permit de se tracer un itinéraire direct jusqu'à la caverne. Ils en sentirent la chaleur avant d'en apercevoir la lumière, puis pénétrèrent à nouveau dans son atmosphère accueillante. Martin se fendit d'un soupir ravi et abandonna son manteau sur le sol, ce qui lui valut les remontrances d'Elerinna. Tout le monde semblait être rentré et l'heure était à l'oisiveté. On jouait aux cartes d'un côté, on ronflait de l'autre. Jehan et Victor se chamaillaient dans le bain d'eau chaude. Taliesin nota même quelques livres épars à côté d'un lit. On aurait dit une auberge au coeur de l'orage.
" Alors ?" leur demanda Guéric en les voyant approcher.
Martin livrait ses oeufs à Goran et Fred s'était déjà assis sur son lit et retirait ses bottes en lorgnant le bassin avec gourmandise.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant

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