La Couronne de Cuivre

L'affreuse poupée était efficace dans son rôle, mais Christophe fut soulagé qu'elle s'en aille. Il n'était pas certain qu'elle n'avait pas envie de les attaquer, eux aussi... même si les monstres semblaient être les amis de Bellatrix, ce qui n'était pas très surprenant. En tout cas, ils l'avaient échappé belle.

"Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? On peut pas les laisser seuls là-dedans !"

Il devait se l'avouer à lui-même, il crevait d'envie de suivre les indications de Tony et de s'enfuir de cet endroit affreux à toutes jambes. Mais il ne pouvait pas le faire... ses copains étaient là-bas... quelque part.

"On devrait partir à leur recherche. Si on garde Tony avec nous, il nous montrera toujours le chemin pour sortir, non ?"

Bellatrix était plutôt partagée. Rien ne disait que leurs copains étaient dans le labyrinthe. Après tout, ils s'étaient enfuis tous les deux. Pas Piotr et Benny. Tony montrait la sortie et c'était possible qu'ils y soient, non ?

"On pourrait peut-être aller jeter un coup d'oeil à la sortie histoire de voir s'ils y sont. Et sinon, on aura qu'à revenir sur nos pas."

"Si c'est pas loin, on peut essayer..." Il n'était guère optimiste, ni rassuré. Mais que pouvaient-ils faire d'autre ? De toute manière, ils n'entendaient plus rien. Leurs copains devaient être plus loin... Néanmoins, Christophe n'était pas certain qu'il y avait plusieurs accès possibles pour arriver en bas des escaliers menant à la cave. Piotr et Benny auraient-ils simplement pu prendre un autre chemin ? Il en doutait. Mais... ils n'avaient pas le choix.

Saisissant la main de Bellatrix, tenant toujours Tony de l'autre, il se mit en marche, suivant les indications de l'ours en peluche.

Christophe et Bellatrix arrivèrent sans encombre au bas de l’imposant escalier en colimaçon. L’endroit était calme... calme et désert. Rien n’indiquait que leurs deux amis soient passés ici. En tout cas, personne n’attendait et le silence demeurait complet.

Chemin faisant, le duo avait croisé les marques que Benny avait laissées à l’allée afin de se repérer. Normalement, même sans Tony, l’autre groupe disposait d’un moyen de retrouver la sortie du labyrinthe, d’autant plus qu’ils n’avaient pas fuit, restant donc en terrain connu. Et pourtant, ils ne donnaient plus signe de vie. Fallait-il continuer sans eux, au risque de les abandonner ? Fallait-il les attendre ici, au risque de perdre un temps précieux ? Fallait-il retourner en arrière, au risque de croiser la mort ?

Ne pas séparer. Ce n'était pas une bonne idée. Pas du tout. Peut-être devaient-ils faire demi tour. Mais avant elle déchira une page de son précieux carnet de croquis et écrivit sur une feuille.

"Coucou Benny et Piotr. On ne sait pas où vous êtes. On retourne vous chercher dans le labyrinthe si vous y êtes. Si vous passez par là, venez. Au fait, si vous voyez Chucky, passez lui le bonjour de ma part et dites lui merci. Bellatrix et Cricri."

Elle posa la feuille bien en vue en s'assurant qu'aucun traitre courant d'air ne pourrait la faire bouger.

"On peut essayer de le ficher quelque part... sur une marche ? Ou trouver un petit caillou qui traîne ? Mais faut qu'on se dépêche !"

Horrifié en constatant que Piotr et Benny n'étaient pas ici, il avait failli paniquer, mais s'était fait une raison en se disant que ça n'arrangerait rien. Néanmoins, il aurait voulu les retrouver sains et saufs, remonter à la surface et s'enfuir le plus vite possible... tous ses espoirs étaient anéantis en quelques secondes. Ils devraient retourner là-dedans... il déglutit, mal à l'aise. Pour ne pas dire à deux doigts de relâcher ses sphincters.

Après avoir callé le message au pied de la première marche, à l’abri des courants d’air, les deux enfants firent demi-tour. Ne sachant trop où aller, ils suivirent les traces laissées par Benny. La marche prit plusieurs minutes dans un silence toujours aussi angoissant. La piste de la craie fut tout d’un coup interrompue. Pour une raison inconnue, les traces avaient été effacées à partir d’un certain niveau, un croisement semblable à tant d’autres. Ce fut à cet instant, après cette constatation, que Christophe réalisa avec horreur qu’un froid surnaturel et, hélas, familier, l’enveloppait, lui et Bellatrix. La mort, c’était la mort qui venait !

Pour Christophe et Bellatrix :

Juste avant que n’hurle la fillette, un autre cri raisonna, quelque peu distant. C’était un cri de monstre dont il était presque possible de déterminer la direction. Toutefois, vu l’horreur de la situation, Bellatrix, seule à avoir à peu près les idées en place, n’allait sans doute pas y faire attention. Elle s’était mise à dessiner, fébrile, pendant que son compagnon était tétanisé par sa terreur. Christophe tenait droit devant lui sa lampe-torche, le regard exorbité. Le froid funeste allait croissant, devenant désormais presque étouffant.

Mais pire que tout, elle se montra, elle, la Mort, silhouette de ténèbres, plus noir que l’obscurité du labyrinthe. Drapé de son ample habit flottant au gré d’un vent surnaturel, seule se détachait sa faux en de blafards reflets métallique. Le spectre ne marchait pas, il flottait. Il n’allait pas vite et pourtant son avancée avait quelque chose d’inéluctable.

Le guerrier de lumière, imaginé par la fillette, malgré sa peur, se matérialisa. Brandissant son épée, il se dirigea face à la Mort qui, à son approche, leva sa faux. Il n’y eut qu’un coup et le guerrier n’était plus, effacé sans laisser de trace. Tout retomba dans la pénombre. Seule restait la torche de Cricri.

La Mort était encore presque au fond du couloir mais Christophe ne pouvait fuir seul dans son état. Tout dépendait de Bellatrix...

L’initiative de Bellatrix fut aussi douloureuse qu’efficace. Il fallait bien ça pour sortir Christophe de son état de terreur avancé. Cette image de la mort venant peu à peu vers lui risquait toutefois de le hanter pendant longtemps... enfin si bien sûr il ne succombait pas avant. Car la Mort était proche, dans tous les sens du terme. Le froid qu’elle dégageait devenait intolérable. Il fallait fuir. Guidé par Tony, le duo pouvait revenir en arrière, vers la sortie du dédale, vers les escaliers. Ou bien, il pouvait se diriger vers les bruits qui provenaient d’un peu plus loin. Là-bas, on semblait se battre, mais qui contre qui ?

Christophe et Bellatrix s’étaient mis à courir dans la direction du présumé affrontement. Après quelques éclats de voix venant de cette même direction, le silence retomba. Si combat il y avait eu, il était à présent terminé. Du coup, les deux enfants n’avaient plus vraiment de repaire pour se diriger, si ce n’était leur estimation. La Mort les avait pris en chasse. Elle semblait aller plus lentement que dans le cauchemar de Cricri, mais tout de même, elle n’avançait pas comme un escargot. Mieux valait ne pas tarder, quoi qu’il arrive.

Peu après, le duo perçut des pas venant vers eux, des pas légers. Certains semblaient nus, rappelant désagréablement ceux du diablotin. Un dernier virage les séparait des inconnus en approche et, derrière eux, certes distancée, il y avait la mort...

Les pas étaient proches. Mais qui produisait ces sons ? Christophe n'en était pas certain... comment pouvaient-ils le savoir, d'ailleurs ? Avec la Mort qui leur courait après, ils n'avaient peut-être pas beaucoup de choix pour eux. Il décida tout de même de demander son avis à Bellatrix, s'il n'était pas trop tard pour prendre une décision.

"On va voir qui c'est ? Ou on retourne en bas des escaliers avec Tony ?", chuchota-t-il.

"Je pense qu'au point où on en est, on peut aller voir. Mais s'il y a personne, faudra qu'on écoute Tony".

Bellatrix avait répondu assez vite, parce qu'il fallait bien prendre une décision. Elle n'aimait pas donner son avis surtout quand sa vie pouvait en dépendre - ce qui ne lui était heureusement jamais arrivé jusque là.

Pas bête... ils pouvaient toujours courir, ensuite. Enfin. En théorie, ils pourraient toujours courir, mais peut-être qu'une fois leurs jambes et bras arrachés par une quelconque entité innommable, ce serait moins facile.

"D'acc !" Il s'avança pour passer la tête à l'angle suivant, histoire de ne pas se montrer trop franchement. Ils ne devaient pas perdre trop de temps, malgré tout...

HRP : pour Pierre et Benoît, depuis ici.

Ce que vit Christophe en passant la tête, ce fut... et bien Pierre et Benoît tout simplement. Et eux, ils virent une tête de Cricri timidement dépasser l’angle du virage. Voilà le groupe de nouveau uni mais chacun avait eu droit à quelques menus problèmes. Le bricoleur avait selon toute vraisemblance mouillé son pantalon. Quand à Benoît, il portait la veste de Piotr comme unique habit.

Si d’aventure l’idée de tout se raconter venait à l’esprit de quelqu’un, le froid surnaturel qui se répandait dans le couloir allait vite mettre en évidence l’urgence de la situation.

-Oh, c'est vous ! s'exclama Pierre, d'un ton à la fois ravi et embarrassé.

Et de rengainer son épée, penaud. En effet, lorsque la tête de Christophe avait franchi l'angle du mur, il s'en était fallu d'un cheveu qu'il ne la gratifie d'un violent coup de sa lame de bois.

-Chuis rudement content de vous revoir, reprit-il. Mais... Je me trompe où y a un truc pas hyper sympa qui vous court après ? Si c'est ça, j'crois qu'on ferait mieux de pas trainer ici...

Cependant, remarquant la mine éprouvée de son copain et l'accident dont il avait été victime, le gamin ne put s'empêcher d'ajouter, pour le réconforter :

-Au fait, Christophe, j'ai ramassé ta boîte à outils. Elle est dans mon sac. Je te la redonne quand tu veux.

Benoît aussi poussa un soupir de soulagement de constatant qu’ils étaient parvenus à retrouver leurs copains. Ou plutôt que ces derniers les avaient retrouvés eux, pour être honnête. Mais d’une façon ou d’une autre, ils étaient réunis et ce n’était pas trop tôt au vue de la situation ! Benny resserra son manteau et vérifia qu’il était bien fermé en apercevant Bellatrix puis abonda dans la direction de Piotr :

- Oui, faut filer ! Par ici, on sera protégé par mon symbole. Et maintenant on n’a plus besoin de suivre mes marques. Elles sont probablement toutes effacées en plus…

Il fut soulagé de revoir ses camarades, malgré la menace qui pesait sur eux. Son visage s'éclaira encore davantage quand Piotr lui parla de sa boîte à outils. Cependant, ils n'avaient pas vraiment le temps de s'attarder sur ce point. Il leur expliqua la situation du mieux qu'il le pouvait :

"La Mort nous suit ! Faut qu'on sorte d'ici au plus vite, et sans se séparer, cette fois..." Il brandit Tony, l'éternel petit ours en peluche, qui leur indiquerait une fois encore le chemin vers la sortie. Avec le symbole protecteur de Benny, ils pourraient peut-être gagner un peu d'avance sur leur poursuivante...

"J'ai essayé de la retenir avec un chevalier mais il a pas tenu. Elle est vachement forte. Il faut qu'on y aille vite."

Bellatrix commençait à paniquer sérieusement. Mais quelque part, elle était contente de retrouver Piotr et Benny. Ensemble, ils allaient être plus forts. Et ils avaient Tony.

"Il nous montrera le chemin.", dit-elle en montrant l'ours en peluche.

Fuir était en effet une très bonne idée. Guidée par la patte de Tony, la petite troupe retrouva sans mal les escaliers démesurés. Au grand soulagement de Christophe, il n’eut pas à revivre une seconde fois l’éprouvante ascension, poursuivit par la faucheuse. Depuis un moment déjà, les enfants semblaient l’avoir distancé. Le froid surnaturel n’était plus. Aussi fut-il possible de grimper les marches à une allure plus raisonnable. Tout de même essoufflé, le groupe gagna le couloir, puis l’intersection, toujours sans encombre. Pas le moindre signe d’un monstre jusque là...

A présent, sur leur gauche, il y avait les prisons dont la porte avait déjà été crochetée par le bricoleur de service. A droite, c’était la cave, puis les escaliers permettant d’en sortir.

A bout de souffle, Benoît se tenait les côtes, plié en deux. Toutefois il soupçonnait que ce n’était pas du tout le moment de se reposer : qu’ils ne soient apparemment pas pris en chasse ne signifiait aucunement qu’ils étaient tirés d’affaire. Loin de là même !

- On fait quoi maintenant ? On prend le risque de récupérer nos affaires dans les chambres ou on quitte la maison ? Je ne suis pas sûr de savoir comment repousser Grincevoix et ses copains si on s’aventure dehors…

Bellatrix voulait sortir d'ici, et tout de suite. Pour ce qui la concernait, elle avait tout ce qu'elle voulait emporter avec elle. Mais elle ne savait pas pour les autres.

"Est-ce qu'il y a des choses qui pourraient nous protéger en haut ? Ou est-ce qu'on a tout ?"

En même temps, elle avait encore peur des corbeaux mais par rapport à ceux qui rôdaient à tous les étages de la maison, ils lui paraissaient un moindre mal.

À part un pantalon sec, il ne pouvait pas récupérer grand-chose de vital dans sa chambre. Évidemment, il avait quelques affaires, mais... ça n'avait pas d'importance. Il avait sa boîte à outils, il était en vie... et son doudou préféré était chez ses parents, puisqu'il l'y avait oublié.

"J'ai ce qu'il me faut, mais s'il faut qu'on remonte aux chambres, je veux bien y aller." Piotr n'avait pas son doudou sur lui... il aurait sûrement envie de le reprendre.

Benoît avait envie d’insister tant il se sentait mal à l’aise, déjà à l’intérieur, d’être quasiment dépouillé de tout vêtement et surtout de chaussures. Et ce serait encore pire une fois dehors, sur le gravier de la cour et la boue des sentiers.

- J’aurais bien aimé au moins récupérer de bonnes chaussettes et peut être un pull. Diablotine m’a privé de mes chaussures et de mes vêtements. Ou alors on pourrait aller voler un déguisement mais c’est peut-être aussi risqué.

Pierre se mordilla la lèvre inférieure, indécis.

-J'ai tout ce qu'il me faut mais je comprends que tu aies envie de retourner prendre des trucs dans les chambres, Benny, commença-t-il. Après, j'ai quand même peur que ça soit très très dangereux. Peut-être qu'ils nous y attendent... Chuis presque sûr que c'est ce que va faire Diablotine, d'ailleurs, parce qu'il doit se douter que tu vas vouloir trouver des habits. Alors je préférerais te filer mes chaussettes et mon pull et même d'autres trucs, si tu veux, pour éviter qu'on doive remonter. Mais si vraiment tu veux qu'on le fasse... Je suis d'accord.

Bellatrix n'avait vraiment pas envie de remonter. C'était s'attirrer des ennuis supplémentaires. Et des ennuis, ils en avaient par dessus la tête. Toute la maison leur en voulait. Mais c'était Benny, et elle ne voulait pas qu'il ait froid. Parce que mine de rien, elle l'aimait bien.

"Si vous montez, on vient avec vous. Il faut pas se séparer."