La Couronne de Cuivre

Le petit, insouciant aux tracas intérieurs de Chance lui tendit les bras. Une jeune ilmate passant près d'elle lui sourit.

"Je vois que vous avez la connaissance d'Ulysse. Il est arrivé avec un groupe tout à l'heure. Sa famille est morte dans l'incendie de sa ferme. Il est visiblement le seul à avoir survécu."

De son coté, les enfants redemandèrent un conte au barde. Visiblement, sa prestation avait été appréciée.

Elle observa les petits bras tendus vers elle avec hésitation, un peu mal à l'aise devant ce brusque besoin d'affection. Et pourquoi elle ? N'avait-il pas aperçu ses yeux jaunes et ses cornes sous ce capuchon ? Les enfants s'effarouchaient souvent d'un rien mais ils faisaient aussi parfois preuve d'une incroyable témérité. Peut-être qu'elle l'intriguait, tout simplement. Et la réciproque est vraie, se mit-elle soudain à penser. N'y tenant plus, elle l'attrapa doucement, le posa sur ses genoux, tout contre elle, et se mit à le bercer très lentement, encore un peu mal à l'aise face à cette nouvelle proximité. Elle l'observa un long moment, se perdit dans ses yeux bleus, et faillit lui demander s'ils ne s'étaient pas déjà rencontrés auparavant avant d'oublier cette idée ; aussi familier que lui était son visage, il y avait peu de chances qu'elle soit tombée sur lui par le passé, et pourquoi ennuyer cet enfant avec des questions qui ne perturbaient qu'elle...

Elle leva les yeux vers l'ilmate lorsque celle-ci s'approcha d'eux.

- Le seul à avoir survécu, répéta t-elle lentement.

Inconsciemment, elle resserra légèrement sa prise autour du garçon et lança un regard un peu désemparée à Elzen qui semblait tout à coup bien trop loin d'elle.

Lequel ne manqua pas de s'en apercevoir. Et comme il achevait sa seconde histoire…

« Et maintenant, qu'est-ce que vous diriez d'inventer votre propre histoire ? Je vais m'éloigner un peu pour vous laisser en discuter entre vous, et quand je reviendrai, ce sera à vous de me raconter quelque chose, d'accord ? »

Ça continuerait certainement de les occuper un moment… tout en lui laissant l'opportunité de retourner aux côtés de sa compagne pour s'assurer que tout allait bien.

L'expression déboussolée de la tieffeline se mua rapidement en un sourire alors qu'il approchait d'elle.

- Je vois que tu as beaucoup d'admirateurs. Je pourrais presque être jalouse, mais il se trouve que j'en ai un moi aussi, dit-elle en désignant l'enfant sur ses genoux. Je te présente Ulysse.

Son malaise était toujours visible, elle touchait Ulysse avec l'hésitation des personnes qui n'ont guère l'habitude de côtoyer des enfants ; malgré ça, elle ne semblait plus du tout avoir peur de ces derniers.

La réaction de Chance était agréablement surprenante… et le marmot ne semblait pas méchant.

« Bonjour Ulysse. »

Elzen se pencha pour saluer l'enfant, non sans conserver une partie de son attention sur la demoiselle. Si le mioche pouvait la faire un peu penser à autre chose, tant mieux.

Le petit, visiblement en confiance mit son pouce dans sa bouche avant de fermer les yeux, fatigué par la longue journée. Réchauffé et rassuré par le contact de Chance, c'est à peine s'il fit attention à Elzen. L'ilmate repassant à coté du trio eut un nouveau sourire.

"C'est étrange. D'habitude, il se méfie de tout le monde. Apparemment, les enfants vous aiment bien."

Elle se tut pour revenir à des détails plus pratiques.

"Demain partira un convoi de réfugiés en direction de Manost. Serez-vous intéressés pour faire partie du voyage ?"

[Mille excuses pour le retard, mon déménagement m'a pris tout mon temps et mon énergie, je vous fais un bisou sur chaque joue pour la peine.]

Elle tourna la tête vers lui au même moment, l'interrogeant du regard. Des deux, Elzen était celui qui avait encore toute sa tête et que le voyage n'avait pas complètement épuisé, la tieffeline avait donc imaginé pouvoir lui laisser aveuglément les rênes, au moins pour un moment. Mais il semblait vouloir la laisser choisir, la forçant à prendre une décision à laquelle elle ne s'était pas préparé à prendre dans l'immédiat. Elle regarda autour d'elle, l'air un peu perdu, avant d'articuler lentement :

- Euh, oui, j'imagine que oui...

Elle n'avait pas particulièrement envie de bouger mais elle n'avait pas non plus envie de rester là, entassée au milieu de tous ces réfugiés. Manost semblait être une destination logique pour quelqu'un souhaitant fuir Melandis, même si ce quelqu'un en avait oublié la raison. Elle soupira à l'idée de devoir à nouveau marcher des heures durant dans des étendues sauvages mais commença à lentement s'y résigner.

L'ilmate sourit.

"C'est le meilleur choix que vous puissiez faire, croyez-moi. Vous serez facilement intégrés, surtout si vous cherchez du travail. Manost aura sûrement besoin de bras après la guerre. Toute la campagne est ravagée et il y aura sûrement des villages entiers à reconstruire. En ville aussi."

Le petit garçon se cramponna à son cou.

"Tu m'emmènes avec toi, dis ?"

Facilement intégrés... Un sourire amer apparut sur ses lèvres, comme si elle doutait de s'intégrer un jour où que ce soit, elle, une cornue en manque. Elle ne dit rien en revanche, et reporta son attention sur Ulysse qui décidément semblait trouver ses genoux à son goût. Elle lui offrit un sourire contrit, le genre de sourire que l'on fait avant d'annoncer une mauvaise nouvelle. C'était d'ailleurs ce qu'elle s'apprêtait à faire ; aussi fascinant qu'était cet enfant, sa place n'était définitivement pas près d'elle. Elle arrivait à peine à s'occuper d'elle-même, comment pourrait-elle s'occuper d'un enfant pendant le voyage ? L'ilmate lui trouverait un nouveau foyer et veillerait sur lui en attendant. Et tout serait pour le mieux, inutile d'y réfléchir plus avant.

Pourtant...

- D'accord..., s'entendit-elle répondre.

L'ilmate les regarda tous les deux avant de murmurer.

"Ma foi, c'est assez inattendu ... Mais vous êtes la seule personne à qui il semble faire confiance et il n'a plus de famille du tout. Je vais vous donner les quelques vêtements et objets qu'il transportait avec lui."

Elle s'éclipsa quelques secondes avant de revenir avec un petit baluchon et un ours en peluche.

"Voila, c'est tout ce qu'il transportait avec lui. Je ..."

Elle sembla hésiter sur les mots.

"Je ne sais pas comment vous remercier de prendre soin de lui."

Mentalement, elle préparait déjà une justification ; le pauvre Ulysse n'avait plus de famille, plus rien, n'importe qui aurait répondu la même chose qu'elle, non ? Mais cette justification semblait inutile, et toutes les autres également. Elzen n'était pas surpris ou n'en montrait rien, et l'ilmate avait l'air soulagé d'entendre que quelqu'un était prêt à prendre soin d'un orphelin. Eh bien... elle était dans de beaux draps, maintenant. En quelques minutes, elle se retrouva avec toutes ses affaires dans les mains, comme si elle venait de signer un contrat dont elle ne pourrait plus ou difficilement se défaire. Les bras du garçon autour de son cou lui parurent soudain plus lourds, et un noeud se forma dans sa gorge. Et quel ours en peluche effrayant ! Elle avait l'impression qu'il l'observait constamment...

Elle secoua la tête, comme pour se remettre les idées en place.

- Tu es fatigué ? demanda t-elle à Ulysse. Viens par là.

Elle se redressa, attrapa l'enfant sous les bras et le porta jusqu'à sa paillasse, un exercice plus péniblement qu'elle ne l'aurait cru. Elle s'installa à côté de lui et lui tendit son ours.

Elzen suivit Chance et le gamin. Un bref instant, il fut tenté de l'aider à le porter – force était de constater que sa compagne n'était, malheureusement, pas taillée pour ce genre d'efforts, même si un enfant de cette taille ne pesait heureusement pas bien lourd. Il la laissa faire, cependant : elle semblait s'en sortir, et son intervention n'aurait pas forcément été très appréciée.

« Reposez-vous. On a une longue route, demain…et je ne pourrai pas vous porter tous les deux. »

Sourire amusé, il se pencha pour déposer un baiser sur la joue de sa belle, jetant sur l'enfant un regard attendri.

Elle ferma les yeux lorsque le tieffelin se pencha sur sa joue pour l'embrasser et eut toutes les peines du monde à les rouvrir ; elle avait l'impression d'être encore plus fatiguée que lorsqu'elle était arrivée ici. Une fois assurée que le gamin dormait, elle leva les yeux vers Elzen.

- Je crois que je suis devenue folle. Je ne sais pas où est la place d'un enfant qui n'a plus rien mais elle n'est certainement pas près de nous...

« Je me disais, aussi. »

Sans se départir de son sourire, Elzen s'assit aux côtés de la demoiselle.

« Honnêtement, je ne pense pas qu'il y soit pire qu'ailleurs… Si ça te plaît de le garder avec toi, ton “petit admirateur”, on va se débrouiller pour que ça se passe bien. C'est peut-être ce qu'il te faut pour te changer les idées. »

Il prit la main de Chance dans la sienne.

« Mais si tu penses que c'était une bêtise, eh bien… on avisera. Il y aura sûrement des tas de gens à qui le confier, à Manost, si les choses ne se passent pas bien. On peut considérer le voyage de demain comme un test… »

Bien sûr, pour que ça ait une chance de bien se passer, il serait probablement nécessaire que le gamin l'accepte, lui. Ne serait-ce que parce qu'il ne serait pas une bonne idée de laisser sa compagne devoir le porter trop souvent, compte tenu de sa corpulence. Mais de part son métier, le barde avait quelques raisons d'avoir bon espoir à ce sujet.

« Dans tout les cas, je serai à tes côtés, ne t'en fais pas. Et je suis sûr qu'au final, ta décision sera la bonne. À condition que tu te reposes suffisamment. »

Par l'attitude accompagnant la dernière phrase, il laissait clairement entendre que, si elle souhaitait dormir, il était tout à fait prêt à la laisser faire.

Elzen ne semblait pas partager son appréhension et c'était sans doute mieux ainsi. Il ne manquerait plus que son état d'esprit déteigne sur son compagnon de voyage, le seul encore capable de dédramatiser lorsque cela était nécessaire. Machinalement, elle entrelaça ses doigts avec les siens, appréciant toujours autant la proximité du tieffelin.

- Oui, tu as sûrement raison, répondit-elle à mi voix. C'est juste que... je pense à cette famille qui nous a hébergés, je pense à Arthemis aussi, et je me suis dit que ce serait mieux si, à l'avenir, on évitait d'impliquer qui qui ce soit dans nos histoires.

Elle soupira et posa les yeux sur Ulysse, endormi près d'eux.

- Tu sais, il me rappelle quelqu'un. A chaque fois que je le regarde, j'ai cette impression de déjà-vu, et ma gorge se serre. Je n'ai vraiment pas envie qu'il lui arrive du mal par ma faute, mais je n'ai pas non plus envie de le laisser ici tout seul. Je ne crois pas avoir pris la meilleure décision, mais je crois que je n'avais pas le choix. C'est inexplicable...

Ses yeux restèrent posés sur l'enfant un long moment avant de revenir à Elzen, à qui elle adressa soudain un sourire attendri -et à sa façon de le regarder, ce n'était pas Ulysse qui en avait été la cause. Elle planta à son tour un baiser sur sa joue, une façon sans doute de le remercier pour ses paroles qui, une fois de plus, avaient réussi à l'apaiser.

- Je vais me reposer un peu, une longue nous attend demain.

Trouver une position confortable aux côtés d'Ulysse ne fut pas un problème ; le gamin ne prenait pas vraiment de place et Chance ne tarda pas à se rendormir, un bras protecteur posé sur lui.

Elzen ne répondit pas aux premières paroles de Chance. Il y avait, sans doute, quelques points à réfléchir là-dedans ; mais cela attendrait plus tard. Ça ne lui semblait pas particulièrement le bon moment. Après son baiser, lui ne put s'empêcher de sourire.

« Dors bien. »

Puis il lui fallut bien se redresser. D'autant que son petit public devait commencer à s'impatienter…

Il faut l'avouer, le voyage vers Manost fut long, fatiguant et peu passionnant. La caravane de réfugiés escortée par quelques gardes et des prêtres ilmates ne rencontra ni soldats en maraude ni bandits de grand chemin. En revanche, Elzen et Chance, tout comme le reste du groupe eut tout le loisir d'observer les fermes dévastées et les champs entièrement brûlés. Le blé vert trop vite réduit en cendres. Certains bestiaux qui n'avaient pu être emmenés avec les fuyards avaient été tués sur place et se décomposaient dans leur enclos. L'air empestait la charogne et la fumée.

Mais durant l'interminable voyage, Ulysse sembla inatteignable, marchant inexorablement dans l'ombre de Chance puis d'Elzen avec lequel il se familiarisa peu à peu. Et puis, un jour, en fin d'après midi, ils arrivèrent devant les hauts murs de la cité du vigilant.

hrp : vous pouvez poster aux portes de Manost et raconter les impressions de votre voyage si vous le voulez.