La Couronne de Cuivre

Si Arthur avait un instant cru qu’il parviendrait à tenter quelque chose une fois Brus et Chandara en sécurité, il en fut pour ses frais. Bien sûr, ce n’était pas parce que les Mélandiens étaient vils qu’ils étaient forcément stupides. Pourquoi auraient-ils sous-estimé un paladin de Lathandre, certes encore très jeune, mais doté de son genre de gabarit ? Autant dire qu’au moment où le roublard et son charmant fardeau se trouvèrent enfin à bonne distance, le Luménien était déjà complètement incapable de se mouvoir.

Il essaya de ne pas trop songer à l’indignité de la situation, ni, pour une fois, aux lendemains. La panique qui l’envahissait peu à peu l’en empêchait, de toute façon, focalisant ses pensées sur l’instant présent. Il était attaché, bâillonné, impuissant, et… qu’est-ce qu’ils comptaient faire de lui, au juste ?

Puis on l’entraîna jusqu’à Filu et il se sentit instantanément soulagé. Déjà, de voir le cheval vivant — un petit miracle en soi —, ensuite, de pouvoir le toucher, même imparfaitement. Il avait toujours ressenti un bien-être formidable quand il était en selle, et il savait que la sérénité de l’animal ne lui ferait pas défaut. Evidemment, si Filu avait été un réel destrier de paladin, il aurait arraché ses rênes aux mains du Mélandien, l’aurait piétiné dans la boue, et aurait filé en emportant son cavalier vers d’autres aventures, un rien plus glorieuses. Mais Filu n’était qu’un simple cheval, brave et merveilleux à plein d’égards, mais pas tellement télépathe. Arthur n’avait rien à perdre, aussi tenta-t-il néanmoins de communiquer, d’une manière ou d’une autre, avec son animal. Les rôdeurs y parvenaient bien ! Mais il n’avait aucune idée de comment ils s’y prenaient. Il n’obtint rien, sinon un léger mouvement d’oreilles de la part de sa monture, peut-être dérangée par une mouche. Et c’est à ce moment-là, alors qu'il soupirait de son échec pourtant prévisible, que l’ignoble nécromancien revint pour l’ergoter.

Il essaya de conserver un peu de sang-froid et une expression indifférente. Certes, il était en mauvaise posture, mais il constituait un otage précieux (ou du moins le croyaient-ils) tant qu’il était vivant. Et plus ou moins entier. Il craignait cependant que les Mélandiens aient une notion du respect de l’intégrité physique un peu floue... Quelque chose se contracta dans son ventre. Une petite boule de terreur noire qui entendait se nicher là pour un bon moment. Et ce malgré l’apparition d’une escouade manostienne manifestement prête à en découdre, commandée par un espèce de monstre bardé de fer canalisant l’énergie de son dieu. Arthur se demanda ce qui lui avait pris de se laisser capturer aussi facilement. Ah oui, il y avait eu Brus, et l’honneur, et le sens du sacrifice. Bien sûr.

Le mage venait de dire quelque chose, et le sol se mit à trembler autour d’eux. Stupéfait, puis horrifié, le jeune paladin vit les squelettes s’extirper de leur gangue de terre et, sans pouvoir s’en empêcher, il se mit à lutter contre ses liens. En vain, évidemment. De toute façon, à quoi cela aurait-il servi de prévenir les Manostiens ? Ils réaliseraient bien assez tôt contre qui ils se battaient. Chandara et Brus, s’ils étaient vivants, l’avaient vu à l’œuvre. Et le Mélandien avait le grimoire maudit. L’un dans l’autre, le soleil se lèverait, assurément, car c’est ce que promet Lathandre, et Arthur avait foi en lui. Mais il commençait à se dire que la nuit serait peut-être plus longue que prévu…

Un archer déboula tout à coup.
-Chef ! La rouquine est r'venue ! Et j'crois que son pote aussi : quelqu'un de rudement bien planqué m'a tiré d'sus à l'arbalète. Et m'semble qu'il a buté Albert...
Le mage haussa les épaules puis se tourna vers Arthur.
-En bon petit paladin, tu connais l'importance des serments. Tu comprendras donc que je n'aurai d'autre choix que de tuer cet idiot dès qu'il pointera le bout de son nez...
Il refit face à l'archer.
-Dis aux gars de se replier comme prévu : ils se sont bien assez amusé comme ça. A présent, les maigrichons vont prendre la relève.
L'homme s'exécuta.
Les squelettes formaient déjà les rangs.

L'archer revint, se mit à observer les environs, tout comme les deux gardes du corps. En quête d'un certain arbalétrier invisible, sans doute.
Le bataillon de squelette s'éloigna, rejoignit les combattants mélandiens en train de se replier, lesquels leur cédèrent volontiers le passage avant de rejoindre leur chef. Ils n'étaient plus guère qu'une dizaine.
-On s'en va, dit le mage.
-Déjà ? s'étonna le solide gaillard qui s'était battu en duel avec le clerc de Tempus.
-Nous avons accompli notre mission et nous sommes accordé une petite récréation. Alors il est temps, oui.
On fit pivoter Filu, empêchant Arthur de voir comment tournait l'affrontement.
Et l'on entreprit de contourner le moulin.

Arthur gigota par principe mais il n’ignorait pas qu’il était complètement impuissant à infléchir le cours des choses. Il espérait que le clerc de Tempus qu’il avait vu combattre pourrait faire des ravages dans les rangs des non-morts, que Brus ne tenterait rien d’inconsidéré, qu’il n’arriverait rien de fâcheux à Chandara. Il pria Lathandre de veiller sur eux, essaya de se contorsionner pour pouvoir suivre le premier choc entre squelettes et manostiens, mais dut renoncer sans rien en voir.

Rien n’était perdu, cependant… Les Manostiens pouvaient encore l’emporter, suivre leur piste et l’arracher aux griffes mélandiennes. Le livre, bien sûr. Et de son côté, peut-être parviendrait-il à leur fausser compagnie s’il attendait le moment propice... Beaucoup de possibles. Aucun pour tout de suite. Mais rien n’était perdu, non. C’était une pensée réconfortante sur laquelle il devait absolument se focaliser… plutôt que sur les douleurs qu’il ressentait aux épaules, au front et aux poignets, ou sur la question inquiétante de sa destination… Avaient-ils l’intention de l’emmener jusqu’à Mélandis ? Ou bien se retrouverait-il dans un camp de prisonniers quelque part derrière les lignes ? Comment réagirait le général en apprenant qu’il s’était fait prendre ? Il avait peur de pouvoir percevoir la colère et le mépris de son père même à distance… A moins qu’il ne s’en fiche royalement.

Il songea malgré lui à la commanderie et à l’interdiction formelle que Sire Armand avait mise à son départ à la guerre. Arthur avait enfreint les ordres de son aîné et il était désormais cruellement puni pour sa désobéissance. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

Ses geôliers avaient dépassé le moulin et traversé la prairie. A présent, ils s'apprêtaient à s'engager sur un étroit sentier à flanc de falaise.
L'homme qui avait affronter le prêtre, un officier apparemment, se porta aux côtés du mage.
-Vous croyez que les maigrichons vont les exterminer ?
-Ce n'est pas impossible, mais j'en doute.
-Tant mieux. Parce que ça veut dire que les survivants se lanceront probablement sur nos traces... et donc qu'on aura une autre occasion de se frotter à eux.
-Et de les éliminer, oui... Mais je te demanderai peut-être d'épargner le clerc.
-Quoi ?! Mais, chef...
-Il pourrait constituer un bon otage.
-Mais on en a déjà toute une collection...
-Une collection qui ne demande qu'à s'enrichir...
-Est-ce que je pourrai l'amocher, au moins ?
-Bien sûr. Et plusieurs fois, même. Rien de tel que de remettre sur pied quelqu'un pour l'écraser à nouveau...
-Merci, chef ! lança l'officier, ravi.

Bon, elle avait encore quelques progrès à faire pour ce qui était de dispenser des soins indolores. Mais au moins son patient resta-t-il conscient et l'hémorragie semblait jugulée : c'était un premier succès encourageant et la paladine s'empressa de nouer une pièce de tissu autour du flanc blessé du soldat. Mais alors qu'elle allait pouvoir se réjouir d'avoir aidé l'un des hommes et passer à l'un de ses autres infortunés compagnons d'arme, la bataille et ses mauvaises nouvelles parvinrent à nouveau jusqu'à elle. Avait-elle agi en pure perte en aidant la manostien ? Etait-elle condamnée à le voir mourir ainsi que les autres entre les os pourrissants de la troupe squelettique ? Une nouvelle vague d'accablement s'abattit sur elle à cette triste perspective mais elle ne se laissa pas submerger, pas cette fois : des vies étaient en jeu et dépendaient de ses prochaines actions. Alors elle interpela le lieutenant en se souciant peu de risquer de contester son autorité de façon illégitime. Elle pouvait certainement aider l'homme dont elle avait pris soin en l'aidant à se traîner jusqu'à l'abri mais les autres étaient condamnés si une partie de leurs camarades valides ne les aidait pas pendant que les autres ralentiraient la menace. Au moins mettrait-elle les formes pour solliciter l'aide du lieutenant en espérant qu'il n'en prendrait pas ombrage :

- Lieutenant, certains de vos hommes peuvent être encore sauvés. Pouvez-vous m'assigner deux ou trois d'entre eux pour les mettre à l'abri ?

La décision en revenait au lieutenant seul apte à juger si l'opération n'était pas trop risquée au point de coûter peut-être plus de vies qu'il y en avait à sauver.

Bon sang ! C’était tout un régiment de squelettes qui les assaillait ! Et pendant qu’ils devaient faire face à cette menace impie, l’escouade Melandienne se repliait tranquillement. Gaspard fulminait. Sa hache s’abattait dans cette masse monstrueuse, heurtant ou brisant les os animés de magie noire. A ses côtés, ses hommes faisaient de leur mieux pour tenir cette position de plus en plus intenable.

« Lieutenant, ils vont nous déborder ! » fit la voix distante de Rocrive.

Elle était à demi couverte par le fracas des lames. L’instant d’après, c’était Chandara qui s’exprimait. Le colosse d’acier tourna hâtivement la tête de gauche, de droite, essayant d’évaluer la situation de ses propres yeux. Sa grande taille aidait un peu. Il hésita. Il fallait reculer où ce serait la catastrophe. Cela ne faisait plus aucun doute. Sauver les blessés n’allait-il pas coûter plus de vie ? Tant pis, il devait essayer, juste essayer, leur donner cette chance. C’était une question de respect, de devoir.

« Je veux deux arbalétriers, un de ma gauche, un de ma droite, pour aider la femme à tirer nos blessés ! Tirez-les jusqu’aux chemins et vite ! Les autres, à mon signal, on commence à reculer ! »

Le prêtre se débarrassa du squelette qui lui faisait face puis brandit de nouveau son symbole religieux. A trois reprises, il allait repousser les morts-vivants, laissant passer entre chaque intervalle quelques secondes. Cela devrait leur permettre de tenir le choc pendant un petit moment supplémentaire. Au terme de la troisième tentative, le clerc aurait épuisé son pouvoir. Alors, il donnerait le signal. Alors la ligne Manostienne allait reculer pas à pas jusqu’à atteindre le goulot d’étranglement.

Le sentier était très sinueux et, au hasard de ses nombreux méandres, il arrivait que les Mélandiens disparaissent à sa vue. Ils réapparaissaient toujours rapidement, cependant.
Au bout d'une dizaine de minutes, la piste s'élargit. Elle n'était plus à flanc de falaise mais seulement bordée d'une pente qui se faisait de moins en moins abrupte au fil de la progression.
Cinq minutes supplémentaires, et Brus vit l'ennemi atteindre une étendue herbeuse où étaient massés des chevaux. Beaucoup de chevaux. Ainsi que la poignée de soldats qui les avaient surveillés.
Tout autour, la luminosité décroissait rapidement. La nuit n'allait pas tarder à tomber.

Ils progressaient désormais sur l'étroit sentier. D'un côté, une falaise tombant à pic. De l'autre, une paroi rocheuse montant presque à la verticale. Bref, l'itinéraire qu'ils suivaient n'était guère rassurant. Toutefois, les choses finirent par s'améliorer : la sente s'élargit, se faisant véritable chemin ; la falaise devint pente sans cesse plus douce. Enfin, un quart d'heure peut-être après avoir quitté la prairie où trônait le moulin, ils atteignirent un modeste pré. Là, des chevaux, vingt-cinq ou trente, dont un quatuor de soldats mélandiens avaient jusqu'ici assuré la surveillance.
-Mission accomplie, et de belle manière ! lança le mage, joyeux. Si nous partons sans tarder, nous arriverons à la base longtemps avant que l'aube ne soit levée.
-Ah, de la bonne viande, du bon vin, de bonnes manostiennes à chevaucher joyeusement...
-Tu vas finir par semer des bâtards, toi.
-Bah, ça leur fera un p'tit dédommagement, aux donzelles ! Vous me connaissez, chef, vous savez que j'ai le cœur généreux...

Chandara avait grand peine à retrouver son souffle et à calmer les battements erratiques de son cœur bien trop éprouvé par la faiblesse provoquée par l'ombre, par la perte de sang et par les efforts consentis en dépit du bon sens. La jeune femme avait beau tenter de cligner des yeux, elle voyait toujours autant d'étoiles qui n'auraient pas dû se trouver là. Et elle dut s'asseoir fort peu élégamment aux côtés de son patient pour apaiser un peu la nausée qui lui faisait chavirer l'esprit. Alors seulement elle put prendre conscience qu'ils avaient retrouvé un abri. Précaire certes, mais un abri tout de même. Et l'arrivée des deux soldats l'ayant aidé lui confirma qu'ils n'avaient laissé personne derrière. Personne qui puisse être secouru en tous cas. Personne en dehors d'Arthur... C'est à cet instant seulement, alors qu'elle n'était plus dans la réaction immédiate, que les conséquences de leur retraite lui apparurent dans ce qu'elles avaient de plus accablant : ils avaient été repoussés, tout proche de la défaite à nouveau. Et les mélandiens avaient les coudées franches pour s'en prendre à Arthur, pour le lui arracher, pour l'emmener hors de portée peut-être. Cette pensée lui redonna un regain d'énergie mais son corps refusait toujours de lui obéir. Alors, elle vérifia l'état du manostien qu'elle avait soigné était toujours conscient et, rassurée sur ce point, elle tenta de peser sur la lutte acharnée dont faisait toujours preuve ses alliés mieux portants de la seule façon dont elle était présentement capable. D'une voix douce et musicale qui était presque déplacée si près d'un champ de bataille, elle s'essaya à une remarque pleine de son humour si particulier :

- Ma parole, votre lieutenant vous donne des cailloux à manger pour que vous soyez aussi lourd ? En tous cas j'espère que je n'aurais pas à le porter sur mon dos lui aussi. En tous cas pas avant d'avoir soufflé cinq minutes.

Arthur avait plus d’une fois songé que le grand plongeon serait sans doute préférable à ce qui lui tomberait sur le paletot si les Manostiens échouaient à rattraper et vaincre les Mélandiens. Dire qu’il avait failli se jeter dans le vide une nuit plus tôt. Tout compte fait, ça n’avait pas été une si mauvaise idée… mais voilà, Chandara lui avait sauvé la vie, et maintenant il était aux mains de l’ennemi. On ne mesure pas toujours la portée de ses actes, il ne pouvait pas lui en vouloir.

Il commençait à trouver le temps long et à se sentir un peu étourdi, aussi accueillit-il le changement de décor avec un vague soulagement, bien que sa vue soit devenue trouble. Il entendit les éructations vulgaires du soldat sans réellement s’en soucier : ce n’était pas vraiment surprenant de la part de pareille engeance. La bonne nouvelle, c’était qu’il y avait d’autres prisonniers là où ils se rendaient, et donc des alliés potentiels. Pas de quoi se décourager en somme. Et avec un peu de chance, on allait le remettre à l’endroit bientôt. Sans quoi Maelwedd, après avoir capitulé et payé une rançon formidable, allait récupérer un fils débile profond. Ce qu’il estimait sans doute déjà avoir, en fait. Mais le nécromancien n'était pas censé le savoir...

« Retournez au néant, misérables ! »

Gaspard faisait partie de ceux qui combattaient, les autres étant en sûreté derrière eux. Frustré d’avoir été forcé au repli, et sachant pertinemment que chaque seconde qui s’écoulait donnait un peu plus d’avance à leurs ennemis, il déversait sa frustration à grand coups de hache. Il les briserait, il les briserait tous ! Et les Melandiens ne perdaient rien pour attendre, par Tempus ! Au moins avait-il la satisfaction que les blessés en ait réchappés. Cette Chandara y était pour quelque chose. Elle avait su se rendre utile, malgré son état. Si tout le monde était comme cela, les guerres seraient plus simples à remporter.

A l’arrière, un arbalétrier sans arbalète répondit à la remarque de la paladine. Il s’agissait de Martin et son arme était en possession de la femme.

« Ho, n’ayez crainte. Notre lieutenant n’est pas prêt d’avoir besoin qu’on le porte. Il est increvable. Je l’ai même vu tenir tête à un loup garou sans flancher ! »

Il faisait référence à ce qui s’était passé quelques jours plus tôt, quand la troupe, alors au complet, avait croisée la route de cette diablesse rousse, Louve. Après cette remarque, Chandara devrait être en mesure de comprendre d’où venaient les marques de griffes sur le casque de Gaspard.

Chandara avait jeté un coup d'œil en direction du colosse non sans une certaine pointe d'admiration pour sa technique sans faille quoique peu académique : presque une technique naine en fait. Mais dès que Martin s'adressa à elle, elle reporta son attention sur l'arbalétrier et lui tendit son bien avec un sourire désarmant avant de répondre d'un ton amusé :

- Un loup-garou, vraiment ? C'est impressionnant : vous pouvez être fier de votre officier. Mais tenez plutôt, vous allez en avoir plus besoin que moi dans les minutes à venir. Elle m'a bien servi et j'espère ne pas vous l'avoir abîmée. Je crains de devoir souffler quelques secondes avant d'aller aider vos amis. Je parie que vous pouvez abattre au moins une demi-douzaine de ces squelettes dans l'intervalle ! J'ai confiance en vous, Martin.

Et c'est ce qu'elle avait l'intention de faire : dès qu'elle se sentirait en état de se redresser, elle irait au chevet des blessés et tenterait de leur prodiguer les premiers soins. Il n'y avait pas de temps à perdre, elle se ferait violence au besoin. Il fallait juste qu'elle évite de s'évanouir peut-être...

Autour de lui, les préparatifs du départ allaient bon train : on se hissait à cheval, on distribuait des consignes quant à l'ordre de marche, le tout pendant que plusieurs soldats montaient une garde vigilante. Un homme avait entrepris d'attacher la longe de Filu à la selle d'un grand et bel étalon noir. La monture du mage, à n'en pas douter...
-Et lui ? s'enquit l'officier en désignant Arthur.On aura le droit de le titiller un peu ? J'aurais bien aimé voir ce qu'il valait au combat. Mais bien sûr, il a préféré s'en prendre au livre. Moins de risques de prendre un coup d'épée !
-Il est certain que sur un plan strictement martial, il a choisi l'ennemi le moins redoutable. Pour le reste... Je te le laisserai peut-être un peu, oui. Du moment que tu ne lui causes pas de blessure irrémédiable... Mais je compte également en profiter. C'est tellement amusant de tourmenter un paladin, de lui faire faire ou voir des choses allant à l'encontre de sa si chère morale !
Ils rirent.
Le mage donna l'ordre de se mettre en route.
Une avant-garde de quatre cavaliers prit les devants. Le reste de l'escouade les suivit, à un trot soutenu.
L'inconfortable position du Luménien n'avait pas changé. Et elle se faisait déjà plus désagréable encore, vu le nouveau rythme de déplacement..

Gaspard prit quelques secondes pour souffler. Il avait beau être fort comme quatre, sa hache était lourde et les coups qu’il avait dû donner, nombreux. Son regard erra sur les monceaux d’ossements brisés. Amère victoire... Il ne pouvait s’en contenter. Déjà il refaisait face à ses hommes pour donner ses ordres.

« Allez, on y va ! On a assez été retardé comme ça ! On ré adopte une formation classique et surtout, on reste groupé ! »
« Lieutenant ! » intervint le caporal.
« Quoi ? » rugit le géant, qui ne s’attendait pas à ce qu’on brise son élan.
« On a deux hommes salement amochés. Peut-être que... »

Le clerc aurait bien été tenté de dire que cela pouvait attendre, néanmoins tout empressé qu’il soit, la vie de ses soldats avaient de la valeur.

« Où ça ? Ecartez-vous ! »

Brutal, il se fraya un passage jusqu’à l’arrière pour y dispenser ses soins. Au moins était-ce rapide. Et voilà que ses yeux tombèrent sur Chandara, apparemment éprouvée par les efforts qu’elle avait fournie. Elle était vaillante, elle l’avait prouvée et il avait besoin de ce genre d’éléments, surtout dans une situation comme celle-ci.

« Vous, je vous veux avec moi », déclara-t-il en la guérissant pour la seconde fois.


HRP : j’ai utilisé des sorts de niveau 1 pour soigner les deux soldats et un sort de niveau 2 pour soigner Chandara.

Chandara avait dû lutter contre le temps, contre sa faiblesse en n’ayant quasiment aucun matériel à disposition. Mais elle avait été parfaitement secondée par deux manostiens qui furent les premiers destinataires d’un sourire reconnaissant et soulagé de la paladine. Cette dernière était copieusement maculée du sang de ses patients et ses vêtements portaient les marques des combats et de la boue du chemin. Son visage était aussi marqué par la perte de sang, la perte d’énergie, la fatigue totale qui s’était emparée d’elle dès que son esprit ne fut plus guidé par l’urgence de sauver des vies, de lutter pied à pied contre la mort. Et pourtant, malgré tout, il se dégageait toujours de la jeune femme comme un magnétisme bienveillant qui incitait à la confiance sinon à l’admiration. Après s’être assurée que les deux blessés les plus graves étaient soigneusement surveillés par ses « acolytes » et avoir dispensé quelques paroles d’encouragement aux trois autres, la paladine dirigea son regard vers Gaspard et se mit tenta de se relever avec vaillance et détermination malgré le vertige qu’elle ressentit aussitôt qu’elle fut sur pied. Après un coup d’œil au champ d’ossements, vestige de la bataille acharnée et un regard plus insistant vers le moulin et ce qu’elle n’y voyait pas, la paladine tourna un visage las vers le commandant des forces en présence et s'apprêtait à faire appel à son aide quand elle fut devancée par les ordres de l'officier puis par l'appel d'un de ses hommes. Celui-ci réagit avec promptitude et efficacité pout tenter de sauver ses hommes et il monta d'un cran dans son estime. Mais on ne pouvait pas attendre moins d'un officier apparemment si proche de ses hommes qu'il suscitait leur admiration. Elle fut davantage surprise par ce qui suivit : que Gaspard la juge digne de sa troupe et surtout qu'il prenne le temps de la soigner. Après avoir constaté les bienfaits de sa magie curative, elle s'adressa d'un ton reconnaissant au colosse :

- Toutes mes félicitations, lieutenant. Merci pour vos soins. Et surtout pour ceux dispensés aux autres blessés : nous n'aurions rien pu faire sans le soutien d'un homme de l'art. Mais vos hommes sont tous sauvés grâce aux hommes que vous avez dépêchés et votre vaillante défense. Je suis à vos ordres évidemment : il en reste encore un homme à sauver.

Elle brûlait de lui demander ce qu’il envisageait de faire pour la suite mais la priorité absolue était de ne pas retarder inutilement la troupe. Gaspard semblait connaître son affaire et elle était encline à lui faire confiance, surtout après ses bonnes actions. Elle se sentait épuisée mais c'était aussi le cas des hommes qui l'entouraient. Malgré les pertes, malgré l'âpreté des premières mêlées, Gaspard semblait encore bien décidé à donner la chasse aux infâmes mélandiens. Et à libérer Arthur. Elle espérait que c'était bien là son objectif. Elle espérait que c'était encore possible.