La Couronne de Cuivre

La druidesse hocha la tête. Elle paraissait un peu essoufflée, sans doute d'avoir couru tout au long du chemin.
- Ça a été long, ils se sont arrêtés plus tard et plus loin que prévu, j'ai dû m'approcher en catimini. Mais ils ont eu le message... Et ont bien sûr cherché à s'emparer de l'envoyeur... mais une panthère noire dans la nuit noire, c'est discret, même pour eux qui sont sensibles aux vibrations. Bref, ils m'ont pas eue. Mais au cas où ils aient deviné la direction que j'ai prise, on ferait mieux de filer, ils pourraient être là dans relativement peu de temps...
Elle s'approchait déjà des aigles.
- Tu n'as pas dormi, au fait ?

Le rôdeur lui adressa un sourire en guise de remerciement pour ses efforts ou peut-être d'encouragement à continuer malgré sa fatigue manifeste. Tout en lui emboîtant le pas, il répondit sans tergiverser :

- Non, je n'aurais pas pu fermer un œil : je m'inquiétais, après tout ! Et maintenant on est trop pressé pour ça. Bref, je dormirai après la rencontre. Enfin, j'espère que j'en aurai l'occasion.

- La rencontre ne sera pas avant demain en fin d'après-midi... tu comptes réellement passer une nuit blanche ? Alors que si ça tourne mal demain, il faut que tu sois au mieux de ta forme, et surtout que tu aies les idées claires si une négociation est possible ? Ça n'est pas raisonnable...
Elle secoua la tête.
- Mais dormir peut effectivement être problématique pour toi... Écoute, faisons comme l'autre nuit. Tu as fait une bonne sieste, tu es bien reposé alors que je suis vannée, je vais donc prendre quatre heures de transe pendant que tu veilleras. Et ensuite, tu pourras dormir tranquille, je veillerai sur ton sommeil et je te réveillerai au moindre signe de cauchemar.
Elle se hissa en selle.
- Réfléchis-y... et donne-moi ta réponse quand nous serons au campement. Filons vite avant qu'il fasse trop sombre pour les aigles.
La lune, heureusement, bien que décroissante, éclairait nettement les environs. Mais elle était déjà basse sur l'horizon...

Une fois de plus, la druidesse était la voie de la sagesse dans leur duo mais le rôdeur prit le temps de leur bref vol pour y réfléchir. Dans son état de stress, il ne doutait pas rester éveillé pendant que la druidesse se reposerait. Quelle reconnaisse combien elle était épuisée était édifiant et il était tout à fait prêt à lui laisser bénéficier du hamac la première. Au moins avait-il la satisfaction de pouvoir en profiter ensuite. Mais ils n'en étaient pas encore là et il se reconcentra pour guider Rubis, désormais attentif à tout ce qui était susceptible de perturber leur plan.

Il lui sembla distinguer du mouvement, au loin dans le chaos rocheux, dans la direction où étaient sensés se trouver les asabis, mais ça pouvait très bien être un simple effet de son imagination. Quoiqu'il en soit, rien ne vint perturber leur avancée et ils trouvèrent leur campement dans l'état exact où ils l'avaient laissé. Il leur restait largement de quoi manger un bout s'ils le souhaitaient, et la druidesse se prépara rapidement un petit en-cas à base de fruits et de viande - il faut dire qu'ils n'avaient pas grand-chose d'autre à leur disposition.
- Je rêve d'huile, d'oeufs et de farine pour préparer des galettes, marmonna-t-elle en engloutissant sa portion. Et de miel pour les garnir. Ou de fromage... Heureusement qu'on a trouvé quelques haricots, parce qu'on manquerait sérieusement de féculents.
Elle lui sourit.
- Excuse-moi pour ces considérations si triviales. Ça doit être une façon d'oublier la pression. Mais donc... mon organisation pour la nuit te va ?

Kasumi s'assit en tailleur en piochant à son tour dans leurs réserves de nourriture. Il répondit d'un ton presque rêveur :

- Cela me va tout à fait : je veillerai les quatre premières heures puis ce sera mon tour de me reposer sous bonne garde ! Et je comprends que tu penses à ce genre de sujets triviaux. Je me dis que je serais vraiment ravi de manger les biscuits que sait préparer Sylvia. Tu dois me prendre pour un jeune homme tout enamouré parce qu'elle me manque après seulement quelques jours mais c'est ainsi. Peut-être suis-je plus humain qu'elfe pour ce genre de choses...

- C'est certain ! C'est sans doute pour ça que tu es plus attiré par les humaines que par les elfes. Elles doivent être plus... passionnées. Nous autres elfes sommes peut-être plus légers, plus frivoles. Certainement moins impatients ou moins intenses dans nos sentiments... Bien sûr, ça dépend des personnes. Je tiens plutôt de ma mère, et elle était du genre passionnée lorsque ça lui prenait. Elle a d'ailleurs eu une vie bien remplie... Y compris au niveau amoureux ! Et elle avait bien raison !
Sur ces dernières paroles, elle se hissa sur son hamac.
- Mais je ne vais pas tarder davantage... Il vaut mieux que je dorme rapidement si je veux pouvoir te relayer. Essaie de ne pas t'endormir avant que je sois là, surtout... Il vaut mieux ne pas prendre de risque...

Le rôdeur ne manqua pas de rougir à l'écoute des révélations enthousiastes de l'elfe et il était heureux qu'elle se soit décidée à se hisser dans son hamac pour s'y reposer. Il lui murmura un "bonne nuit" sincère avant de s'asseoir en tailleur, adossé à un rocher. Son regard se tourna rapidement vers le ciel et il y observa les étoiles. Il s'étonna de les trouver si bien à leur place. Cette nuit où il avait confié que le ciel lui était quelque peu étrange lui paraissait bien lointaine désormais. En fait, à défaut de se sentir vraiment chez lui en ces contrées, il s'y sentait de plus en plus à sa place. Cela signifiait-il qu'il ne rentrerait pas à Luménis ? C'était peu probable : il devait y récupérer Première Neige et Ombrage. Et aussi se mettre en règle avec son passé. Mais une fois que ce serait fait, ne se sentirait-il pas poussé à revenir ici ? Après tout, c'est là que vivait sa famille, c'est là qu'il avait grandi ainsi que sa compagne. Et qu'est-ce qui le retenait si loin à l'ouest à bien y réfléchir : l'histoire avec Astrée serait bientôt de l'histoire ancienne et ses amis avaient tous ou presque disparus sans laisser de trace. Non, plus il y réfléchissait et plus il lui semblait peu probable qu'il y demeure bien longtemps...

Rien ne vint perturber sa veille et Eärundra se réveilla quelques heures plus tard, au beau milieu de la nuit, comme elle l'avait prévu.
- Je viens te relayer, lui souffla-t-elle après être descendue si silencieusement qu'il faillit se laisser surprendre. Je te laisse mon hamac, tout doux, tout chaud !
Elle s'étira avec des gestes souples de félin, puis s'assit au pied d'un gros rocher.
- je te conseille de reprendre une dernière dose d'infusion pour guérir complètement, puis essaie de dormir un peu, d'avoir un vrai sommeil reposant. Bien sûr, je sais qu'il y a le risque que tu sois à nouveau entraîné dans le monde des esprits, mais tu as besoin de repos. J'interviendrai uniquement en cas de cauchemar étrange et trop inquiétant... Je pense que te secouer l'épaule suffira à te tirer de là... certainement...

Le rôdeur s'exécuta et but l'infusion bien qu'elle soit froide depuis bien longtemps. Il se hissa ensuite dans le hamac et en apprécia immédiatement la chaleur après s'y être étendu. Alors seulement il répondit d'une voix en partie ensommeillée :

- Bonne veille, je suppose. Tu as raison : le hamac est très confortable et c'est agréable de pouvoir en profiter. Je pense que je vais bien dormir en te sachant prête à me réveiller si ces maudits asabis se manifestent d'une façon ou d'une autre/

Ce faisant, il ferma les yeux et essaya de chasser toutes ses pensées, n'évoquant que la perspective agréable d'un retour prochain. Sylvia serait probablement fâchée qu'il ne s'en soit pas tenu à son accord de la ramener au plus tôt auprès de lui mais elle comprendrait. Ou il trouverait un moyen de se faire pardonner. Il sourit à cette idée avant de se sentir sombrer.

Il se réveilla dans un monde d'un blanc presque immaculé. Avec quelques touches de gris ou de noir. Aucune ombre, mais pas de chaleur non plus. Du sable sous ses pieds, un ciel blanc au-dessus de sa tête. des dunes, quelques rochers.
Quoiqu'en y regardant de plus près, ça n'était pas des rochers. C'était des asabis. Allongés, immobiles, morts, comme la veille... et qui se relevaient pourtant, un à un, fixant sur lui des yeux vides.

Et flûte ! Kasumi s'était peut-être attendu à ce que les asabis fassent encore des leurs mais ne pouvaient-ils le laisser un peu dormir en paix ? En voyant les cadavres se relever tout autour de lui, le premier réflexe du rôdeur fut de porter la main à son épée mais quelque-chose lui disait qu'elle ne l'avait pas suivi dans le monde des rêves. A moins que... A moins qu'il soit possible de le modeler selon sa volonté, comme l'avait suggéré Eärundra, comme il avait pu le constater lorsqu'il était parti chercher son père. Il se tourna vers l'asabi le plus proche et l'interpela d'un ton qu'il voulait neutre, tentant de masquer la colère qui brûlait ses sangs :

- Que me voulez-vous, fantôme ?

L'asabi ne lui répondit pas, se contentant de le fixer. Il restait immobile, sans expression. Il recula d'un pas et peu à peu, les autres se rapprochèrent jusqu'à former un cercle autour du rôdeur, un cercle compact par-delà lequel il ne pouvait plus rien apercevoir. Ils ne prononçèrent pas une parole.
Son épée ne l'avait pas suivi, et il se trouvait dans le tenue exacte dans laquelle il s'était endormi. Et il eût beau tenter de se concentrer, rien n'apparut dans sa main. Sa volonté, apparemment, n'avait cette fois-ci pas de prise sur ce monde.
Une voix finit par intervenir. Grave, puissante, autoritaire, et totalement inconnue de lui.
- Je suis le maître de ces lieux. Que fais-tu ici, demi-elfe ?

Le souvenir de sa dernière expérience impertinente et des sévices qu'il avait alors subies était encore bien ancré en lui aussi se garda-t-il de répondre ce qui lui passa alors par la tête. Au lieu de cela, il répliqua d'un ton neutre, sans quitter des yeux le cercle des asabis morts :

- Je ne le sais pas, maître de ces lieux... Je n'y suis pas par ma volonté propre.

Voilà qui devait satisfaire l'ego de cet esprit à défaut de sa curiosité. Du moins il l'espérait. Peut-être que s'il arrivait à le faire parler un peu, il pourrait en apprendre davantage sur ces désagréables expériences extra-corporelles.

La voix ne répondit pas immédiatement.
- Seul les gardiens de ce monde peuvent y inviter des étrangers. Sais-tu qui t'a amené ici ?
Mais avant que Kasumi n'ait pu répondre, il y eut du mouvement parmi les asabis qui l'entouraient.
- Inutile de me répondre, dit finalement la voix. Je le sais...
Certains des asabis s'écartèrent, livrant passage à l'un d'entre eux. Dans ce monde monochrome, il dénotait par sa couleur, d'un vert étincelant. C'était Huasasth.

Huasasth... Pourquoi n'était-il pas étonné ? Le rôdeur se tourna vers le nouveau venu et esquissa une grimace qui pouvait tout exprimer, de la résignation à l'indifférence en passant par la neutralité. Son ton se fit néanmoins quelque peu caustique :

- Vous ne m'avez même pas envoyé un petit mot d'invitation... Je suis assez déçu. Mais j'imagine que le mien aura suffi. Dois-je demander pourquoi vous m'avez appelé ici ?

- Tu le sais très bien... Ou tu dois t'en douter...
Le shaman s'approcha tandis que ses congénères monochromes s'écartaient respectueusement. Il s'arrêta à un mètre à peine du rôdeur, le dominant de toute sa hauteur. il croisa les bras et le jaugea du regard.
- Pourquoi ce message, tout à l'heure ? Qu'espères-tu ?

Le rôdeur hésitait sur l'interprétation à faire de la remarque de Huasasth : avait-il été amené ici pour être à la merci du shaman qui assouvirait sa vengeance ou simplement pour discuter et par curiosité. Sa question semblait au moins abonder dans ce sens et il répondit, sincère cette fois :

- J'avais dans l'idée de m'expliquer avec vous. Et aussi de vous ramener à la raison peut-être. Non, ne vous méprenez pas : je suis là pour négocier. Pour savoir ce que vous exigeriez de moi pour libérer mon père du mal dont il souffre. Pour lever la malédiction dont vous êtes à l'origine. Mais vous êtes intelligent : vous aussi deviez vous en douter.

Le shaman hocha la tête.
- Ici, tu ne peux pas mentir sans que je le sache... Et tes paroles, là, semblent sincères. Mais je n'ai pas confiance dans ce rendez-vous. Tu pourrais très bien décider de me tendre un piège, toi ou ton amie druide. Non... Il vaut mieux, de loin, se rencontrer ici. J'y suis chez moi, parfaitement en sécurité.
Il leva la main, et les autres asabis s'écartèrent, formant cependant toujours un cercle autour d'eux.
- Ceux-ci sont les ombres de ceux que tu as tués... Pourquoi devrais-je épargner ton père alors que tu as tué le mien, ainsi que mon frère ?

Kasumi regarda les asabis qui formaient le cercle. Mais il avait beau se concentrer, tout cela avait eu lieu il y a bien trop longtemps pour qu'il se souvienne des détails. Il revint finalement à l'asabi qui lui faisait face et répondit, toujours aussi sincère quoique plus direct :

- Pourquoi ? Je pourrais tenter de me justifier : ton père, ton frère, leurs compagnons. Ce sont eux qui ont envahi nos forêts, provoquant la mort de ma mère et de tant des miens. C'est pourquoi je les ai traqués y compris sur vos terres. Mais tous les asabis que j'ai tué ou blessé étaient en arme, ils avaient les moyens de se défendre contre moi. Contrairement à mon père pourrais-je dire. Mais non, ce serait cacher la vérité. La seule vraie raison à prendre en compte est celle-ci : si tu persistes, si tu décides que pas assez de sang n'a coulé, il en coulera encore bien davantage. Tu t'es rendu à Everaska, tu as pu voir les forces de mon clan. Les elfes répugnent à se mêler des affaires des autres régions mais ils sont vindicatifs quand on touche aux leurs. Je te demande de mettre fin à la malédiction sinon il y aura bien d'autres pères et d'autres frères à mourir. Il y aura bien d'autres orphelins. Pas que chez les asabis bien sûr : vous avez des guerriers habiles, vous serez sur vos terres. Mais combien devront tomber avant que tout cela ne cesse ?

- Tu me menaces... d'une guerre ?
Huasasth éclata d'un rire sifflant.
- Je crois que tu surestimes beaucoup ton influence ! Et que ton peuple a bien d'autres choses en tête que la mort de l'un des leurs, âgé de surcroît. D'autant que tu ne pourras jamais apporter la moindre preuve de ma culpabilité, et tu le sais très bien.
Il recula d'un pas.
- Mais soit... je voulais voir de quel bois tu était fait, j'ai ma réponse...
Il lui tourna le dos et s'éloigna d'un pas tranquille.

Avait-il été trop loin ? Peut-être... Mais d'un autre côté, les asabis étaient un peuple guerrier, un peuple qui comprenait ce type d'arguments. Il tenta à nouveau sa chance avant que le shaman ne soit hors de portée :

- Et de quel bois me crois-tu fait ? Il m'aurait suffi de te tuer l'autre soir. Et en des dizaines d'occasion depuis. Mais je ne l'ai pas fait. Et toi non plus. Maintenant réfléchis à ceci : si j'ai pu abattre tant des tiens sans difficulté, combien de guerriers elfes seront nécessaires à ton avis pour faire couler le sang de tout un clan asabi ?. Ce ne serait même pas une guerre... Est-ce vraiment ce que tu souhaites ? Ce n'est pas mon cas. Cela ne l'est plus. Et maintenant je suis ici.

Le shaman s'arrêta et tourna sa grosse tête reptilienne vers lui.
- Sais-tu de quel bois tu es fait ? De celui des humains davantage que des elfes... Tu es trop arrogant, beaucoup trop sûr de ta supériorité. L'arrogance est des deux races, le sentiment de supériorité et d'invincibilité n'est qu'humain... Et tu es parfaitement incapable d'entendre autre chose que ce que tu imagines être juste. Je te rappelle pourtant que c'est toi qui a besoin de me voir. Mais moi, je ne vois rien, dans ton attitude, qui m'encourage à vouloir négocier avec toi. Tu mérites ce qui t'arrive.

Le rôdeur fit un effort pour juguler la colère qui menaçait de le faire réagir. Il dut se mordre la lèvre et serrer les poings pour parvenir à répondre d'un ton maîtrisé :

- Peut-être que je le mérite... Et si je ne m'en rendais pas compte, je ne serai pas venu ici dans l'intention de te parler, pas vrai ? J'avais décidé de laisser mon passé violent derrière moi en revenant dans ce désert. Tu m'as peut-être donné à réfléchir. Donner à penser que tous les asabis ne sont pas seulement les guerriers bruts et sanglants que j'étais venu traquer autrefois. Mais si nous ne parvenons pas à mettre un terme à ce conflit sans verser le sang, tout cela aura été vain. Nous aurons tous les deux raisons : toi de t'être vengé, moi de mes convictions concernant ton peuple. Tous les deux raison mais tous les deux perdants aussi. Ce n'est peut-être pas une bonne raison pour négocier avec moi mais c'est la meilleure que je puisse te donner. Je ne cherche plus à avoir raison : je cherche à être juste.

- C'est toi qui parle de justice ? Après avoir tué tout un clan asabi par vengeance ? La justice, pour moi, c'est de tuer mon père comme tu as tué le mien. Les armes ne sont pas les mêmes, certes... mais à chacun les siennes ! Il n'est pas un guerrier et moi non plus.
Il le toisa d'un oeil sévère.
- Tout ce que tu trouves comme argument, c'est menacer de massacrer mon clan comme tu as tué celui de mon père... Et tu appelles cela négocier ? Ça ne ramènera pas ton père et tu auras perdu, en cela tu as raison.

Le rôdeur soutint le regard sévère et clairement méprisant de l'asabi bien qu'il aurait été plus humble de se contenter de baisser les yeux.

- Et qu'est-ce qui le ramènerait alors ? C'est l'unique raison de ma présence ici. Est-ce que tu prendrais ma vie plutôt que la sienne. C'est moi qui suis coupable de ce dont tu m'accuses non ? Et les elfes d'Everaska ne lèveraient pas le petit doigt pour venger un sang-mêlé, qui plus est. N'as-tu pas là une merveilleuse occasion de te faire justice ?

Il eût l'impression de discerner un vague sourire dans les traits froids de l'asabi.
- Voilà des paroles déjà plus intéressantes... Tu offrirais ta vie ? En es-tu certain ? Ça n'est pas un sacrifice anodin. Et peu de gens sont capables d'aller au-delà des mots... Je te conseille de bien y réfléchir...
Kasumi eût l'impression que tout se mettait à tourner autour de lui.
- A demain...
Avant d'avoir eu le temps d'ajouter quoi que ce soit, il vit l'asabi faire volte face et s'éloigner tandis que tout devenait de plus en plus flou.

S'il fit d'autres rêves, il n'en eût aucun souvenir. Le soleil était haut dans le ciel quand il s'éveilla le lendemain matin. Eärundra n'était pas visible, mais il l'entendait s'affairer un peu plus loin, probablement près des aigles.

S'il ne se souvint pas des autres rêves qu'il avait pu faire, chaque détail de celui-ci lui restèrent en mémoire quand il s'éveilla. Un coup d'œil au soleil déjà bien haut dans le ciel acheva de lui donner une humeur sombre : il avait encore une fois veillé bien tard, laissant Eärundra tout faire. Plus grave encore, il avait en tête la question que l'asabi lui avait asséné : était-il prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle de son père ? Le shaman serait au rendez-vous mais cela signifiait-il que ce serait alors sa dernière journée en tant que vivant ? Si loin de ses proches... Avait-il le droit de prendre cette décision, de disposer ainsi de son existence et de sa fin ? Ne penserait-il pas à tous ceux qu'il laisserait alors derrière lui ? En aurait-il tout simplement le cran ? Ne souhaitant pas poursuivre ces réflexions seul, il ne tarda pas à se lever et à rejoindre la druidesse.

- J'ai fait un autre rêve...

Il n'avait pas tergiversé et son ton lugubre en disait plus long que lui-même.

- A voir ta tête, il n'avait rien d'agréable...
La druidesse, occupée à cuire la viande chassée la veille par les aigles, se leva et posa sur lui un regard soucieux.
- Pourtant, tu n'étais pas aussi agité qu'hier. Je n'ai pas eu l'impression que tu faisais un cauchemar... Il y avait quoi, dans ce rêve ?

Kasumi vint s'asseoir à nouveau en tailleur au coin du feu avant de répondre :

- Suis-je donc si transparent que ça ? Non, ne réponds pas, ça vaut mieux !

Il était évident que son ton léger était bien trop forcé, signe qu'il cherchait une contenance avant de répondre bien plus sérieusement cette fois :

- Il y avait les asabis que j'ai tué autrefois mais surtout Huasasth. Il voulait savoir pourquoi je l'invitais à négocier. Nous avons parlé... Je crois qu'une seule chose pourrait le faire réfléchir et l'amener à libérer mon père...

Il ne sentait pas la nécessité de le verbaliser : Eärundra était bien assez sage pour comprendre ce qui le troublait tant.

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines