La Couronne de Cuivre

Elle l'embrassa à nouveau, bien sûr. Puis une troisième fois, sans se lasser. C'était un peu comme si elle puisait dans ces baisers la force de croire en leur amour, comme si chaque baiser la réconfortait, faisait reculer ses doutes.
Mais elle résista, pour une fois, à l'envie d'aller plus loin. Sans doute craignait-elle que ce genre de... dérive... lui vaille un regard narquois de la druidesse. Et puis, elle était réellement épuisée après leur mésaventure de milieu de journée. Elle laissa donc -et même encouragea- Kasumi à repartir, après l'avoir mis à contribution pour préparer un couchage confortable.

Au-dehors, tout était calme. La nuit s'annonçait paisible, peuplée des mille et un petits bruits habituels des bois. Au nord, plus loin, Kasumi devinait une colline. Peut-être était-ce là où se trouvait le bosquet où s'était rendu son père. Il ne devait être qu'à trois jours de marche environ. Pourquoi donc n'était-il pas encore de retour ?

Kasumi avait fini par quitter la tente pour prendre son tour de garde mais pas sans prendre soigneusement le temps de border Sylvia comme par jeu mais pas seulement. Après avoir remonté la couverture jusqu’à son menton, il avait ajouté d’un ton espiègle qu’il tenait à ce qu’elle est bien chaud jusqu’à son retour.

Dehors, il se laissa un moment absorber par la contemplation de leur destination probable et tout ce qu’elle évoquait : les retrouvailles avec son père. Son impuissance à l’aider peut-être ou la possibilité de trouver des réponses, voire de nouvelles questions. Ne parvenant décidément pas à fixer ses pensées, le rôdeur s’empara d’un morceau de bois prometteur et entreprit de transmettre une partie de ses émotions dans le bois tout en restant ouvert à son environnement immédiat.

Il ne se passa rien cette nuit-là. Du moins rien de particulièrement inquiétant. Le seul événement notoire fut la visite d'un groupe de sanglier venant fureter près des tentes, qui prirent la fuite dès que le rôdeur fit mine de se lever.
Il réveilla Tilmandil lorsqu'il fut temps pour lui de passer le relais, et retrouva une Sylvia profondément endormie, paisiblement allongée sur le dos. Elle avait gardé sa tunique -son odeur- pour la nuit...

Ce fut elle qui l'éveilla le lendemain matin, à l'issue de son propre tour de garde, alors que le soleil venait d'apparaître à l'horizon.
- Bonjour mon amour... As-tu passé une bonne nuit ?
Elle était penchée au-dessus de lui, et dès l'instant où il ouvrit les yeux, elle déposa un tendre baiser sur ses lèvres.

Avant même que ses yeux se soient accoutumés à la lumière, le rôdeur passa ses mains derrière la nuque de la jeune femme penchée au-dessus de lui pour la retenir et prolonger le baiser avant de répondre d’un ton ravi :

- Bien sûr mais pas aussi bonne que mon début de matinée ! Mais je devrais peut-être affirmer le contraire pour avoir une bonne excuse à rester sous la tente quelques minutes de plus.

Il ponctua sa remarque en attirant Sylvia plus près encore pour la déséquilibrer tout en prenant soin d’amortir sa chute sur lui. Il posa sa main sans façon sur ses fesses avant d’ajouter d’un ton joyeux :

- Tu as l’air d’aller un peu mieux. Je devrais peut-être récupérer ma tunique sinon je n’aurai plus rien à me mettre. D’autant que tu as même retrouvé ton si joli teint. A moins que tu ne sois en train de rougir pour me tromper ?

Sylvia poussa un soupir un rien exagéré.
- C'est de la triche ! Chez moi ça se voit tout de suite quand je rougis, alors que toi, avec ton teint de demi-elfe... c'est bien plus dur à deviner !
Elle rit.
- Et puis, tu devrais pourtant savoir que tu n'as besoin d'aucun prétexte pour me demander d'ôter mes vêtements... Alors l'excuse comme quoi tu n'as plus rien à te mettre, ce n'est pas crédible... Mais puisque tu insistes...
Elle se redressa, et d'un geste vif, elle fit passer sa tunique par-dessus tête. Le rôdeur put constater qu'elle était entièrement nue au-dessous.... et qu'elle affichait un sourire scandaleusement provoquant, en approchant à nouveau, très lentement, ses lèvres des siennes.

Kasumi s’était laissé prendre à son propre jeu et ne put que s’absorber dans la contemplation de la nudité de Sylvia. Son trouble devait être manifeste alors que ses yeux hésitaient entre ses seins et ses hanches. Il s’émerveillait comme à chaque fois de chaque petit détail formant un ensemble parfait. Mais alors que son regard s’était perdu dans le vague, Sylvia s’allongeait sur lui sans montrer la moindre pitié, sans lui accorder le moindre répit. Il rechercha le contact de ses lèvres dès qu’elles arrivèrent à portée et l’embrassa avec fougue et passion. Quand elle lui laissa reprendre son souffle quelques secondes, il ne relâcha pas son étreinte et murmura tout en la regardant dans les yeux :

- C’est toi qui triche ! Avec un corps aussi divin qui me rend complètement fou que tu sois vêtue ou non, avec le goût parfumé de tes lèvres, avec des yeux qui me font tourner la tête quand j’ose les regarder. Comment veux-tu que je ne rougisse pas ? Tu es si merveilleusement belle.

Et du reste, il sentait une chaleur à fleur de peau qui devait très certainement transformer son teint de peau. Pour se détourner un peu de la passion qui menacer de le submerger, il s’empara de la tunique et l’approcha de son visage avant de sourire et d’ajouter :

- C’est moi qui porterai ton odeur aujourd’hui. Et je ne laverai plus cette tunique à moins que tu ne promettes de la porter à nouveau.

-Hum... Voyons... j'accepte, mais à une condition... Que tu me fasses l'amour tout de suite, là, maintenant, comme tu sais si bien le faire...
Et elle ne lui laissa pas la possibilité de refuser ou même de manifester une quelconque hésitation, si jamais l'idée l'en avait effleuré.

Ils sortirent donc de la tente un peu plus tard que prévu. Il n'était pas si tard, tout de même. Mais les deux elfes étaient levés, ils avaient ranimé le feu et une odeur de thé embaumait l'atmosphère. Eärundra ne leur fit pas le moindre commentaire, et leur épargna même son petit regard entendu. Tilmandil, lui, ne put s'empêcher de leur faire remarquer en levant les yeux au ciel qu'ils avaient, encore une fois, manqué toutes les tâches matinales...

Comblé, Kasumi avait passé un bras derrière les reins de la rôdeuse avant de sortir de la tente juste pour le plaisir de sentir encore un peu la chaleur de son corps contre le sien. Et il se fichait éperdument que l’un des elfes puisse remarquer qu’il portait exactement la même tunique que Sylvia la veille. Sentir l’odeur de la jeune femme sur le vêtement suffisait à le griser de bonheur et lui donnait amplement assez d’énergie pour affronter leurs moqueries. C’est donc avec un sourire radieux qu’il s’approcha du feu et du petit déjeuner. Il avait en outre une réponse à offrir à Tilmandil et espérait bien l’intriguer suffisamment pour qu’il n’émette plus de commentaires sur la répartition des tâches.

- Sylvia avait besoin de se reposer encore un peu pour être tout à fait d’attaque. Quant à moi, je travaillais à un projet te concernant. Mais puisque tu t’intéresses plus aux corvées, nous en reparlerons ce soir… Peut-être.

Cela lui valut, bien sûr, un regard qui réussissait à être à la fois noir, intrigué et terriblement frustré. Mais le barde, bien décidé à ne pas laisser son demi-frère prendre l'avantage, préféra finalement feindre d'ignorer complètement la remarque, et se concentra sur la préparation du petit déjeuner. Eärundra paraissait s'amuser grandement, quant à elle. Mais ce fut elle -encore- qui décida d'autorité de la répartition des tâches après le petit déjeuner, et les deux rôdeurs écopèrent de la vaisselle et du rangement des tentes. Au moins les avait-elle désignés tous les deux pour les mêmes corvées...
Il serait bientôt l'heure de partir, de suivre le sentier taillé par leurs prédecesseurs. La forêt devant eux était dense, difficilement pénétrable à part ce chemin taillé à la serpe, et il était probable que nul autre humain n'y ait jamais pénétré... ou en tout cas pas depuis fort longtemps. Kasumi savait, en outre, qu'il y trouverait probablement des prédateurs, puisqu'il en avait relevé les traces la veille. Et pour une fois, la druidesse paraissait vouloir -enfin- lui laisser l'initiative de l'organisation de leur équipée du jour.

Visiblement, Eärundra avait tiré parti de leur discussion de la veille et entendait tester une autre approche pour moins frustrer sa compagne. Et peut-être cherchait-elle à le ménager lui-même ou à s’en remettre à sa responsabilité alors qu’ils approchaient d’une partie du dénouement de l’affaire personnelle concernant son père. Il avait été déçu mais pas tellement surpris et même un peu fier de la réaction pleine d’astuce de son demi-frère mais il se promit d’obtenir sa revanche en l’asticotant au cours de la journée. Et il avait déjà une idée en tête pour cela ! Toutefois, il était temps de se mettre en route et tout le monde semblait attendre son discours.

- Je propose de laisser passer Léo devant tant que la piste est clairement reconnaissable. Son odorat saura nous avertir de l’approche d’un éventuel prédateur et Sylvia et moi pourrons aisément le couvrir avec nos arcs. Eärundra, si cela ne vous gêne pas de vous éloigner un peu de lui, j’aimerais que vous fermiez la marche. Nous aviserons à changer les rôles si la forêt se fait moins touffue. Mais j’ignore si ce sera le cas avant que nous n’atteignons le bosquet.

Eundra acquiesça à sa proposition d'organisation, et précisa :
- Cewyn m'a dit que la forêt était particulièrement dense entre le marécage et le bosquet. Nous risquons donc de garder cette organisation un certain temps. Mais Léo sera ravi de prendre la tête. Il faut juste que je le convainque de nous attendre...
Le lion bailla ostensiblement, et fixa son regard jaune sur Eärundra, puis sur Kasumi. Il y subsistait peut-être un rien de méfiance envers le rôdeur, mais nulle animosité. Sylvia avait approuvé de la tête lorsque la druidesse avait mentionné les explications données par Cewyn.

Leur petit groupe s'engagea donc ainsi dans la forêt. Les bagages de Sylvia avaient été un peu allégés, malgré ses protestations, chacun se répartissant un peu de son chargement. Léo fila en tête, trop vite, trop loin, et la druidesse dut le rappeler à l'ordre. Il consentit finalement à rester à peu près en vue du petit groupe. Kasumi et Sylvia le suivaient à quelques dizaines de mètres, Tilmandil sur leurs talons, Eärundra juste derrière, son arc à la main. Pour le moment, tout semblait parfaitement calme. Les prédateurs, s'il y en avait, évitaient peut-être un bois aussi touffu ?

L’absence de la moindre alerte incitait au relâchement mais Kasumi faisait l’effort de rester vigilant, scrutant attentivement un des côtés du chemin tandis que Sylvia fixait l’autre. De temps à autre il prenait également la peine d’observer les réactions de Léo et s’assurer qu’il ne s’éloignait pas hors de portée.

Au fil des minutes, Kasumi ne put néanmoins pas s’empêcher de laisser dériver le cours de ses pensées. Elles passèrent naturellement du chemin qu’ils suivaient à l’état de son père. Serait-il vraiment ravi de le revoir après toutes ces années sans donner la moindre nouvelle ? Il avait de bonnes raisons de lui en vouloir en dehors même de sa santé vacillante incitant à la dépression. Les pensées du rôdeur poursuivirent alors leur cours pour arriver à Tilmandil et son silence inhabituel plutôt déprimant. Sans se retourner, il s’adressa au barde d’un ton taquin, espérant détourner son attention de sujets autrement plus graves :

- As-tu réessayé la flûte, Tilmandil ? De nouveaux morceaux peut-être ? La mère de la sirène que nous avons sauvée m’a confié que le cadeau qu’elle nous ferait pouvait faire apparaître la plus belle représentante de leur espèce si on jouait l’air approprié. Mais elle ne m’a malheureusement pas révélé lequel. Mmmh… Peut-être faut-il jouer l’autre à l’envers, ou dans un ordre différent.

Il adressa un clin d’œil taquin à Sylvia pour lui montrer qu'il plaisantait sans toutefois que Tilmandil qui marchait un peu trop en retrait puisse le surprendre.

La réaction de Tilmandil ne se fit pas attendre, même si Kasumi devina un bref instant d'hésitation.
- Je n'en crois pas un mot, petit frère, fit-il d'un ton aussi calme que s'il s'était agi de parler de la météo.
Était-ce une impression ou bien avait-il sciemment accentué le mot "petit" ? Sans compter que malgré la calme détaché de la réponse, Kasumi croyait entendre un fond de curiosité. Le barde était un éternel curieux après tout... Et une réponse si courte ne lui ressemblait pas... et semblait plutôt un encouragement à le faire parler davantage...
Sylvia, bien entendu, se contenta d'un sourire complice. Et Eärundra ne dit rien non plus. Peut-être était-elle trop loin pour entendre, du reste.

Kasumi ne s’était pas attendu à ce que son frère retourne habilement la conversation pour lui donner l’initiative de se découvrir davantage alors qu’il avait souhaité l’inverse. Dans ce contexte, l’emploi du « petit » était parfaitement justifié car en matière de duel de mots, il lui restait à apprendre énormément de son barde de frère. Toutefois, il se targuait lui aussi d’avoir quelque talent pour la repartie aussi se fit-il un devoir d’improviser une pirouette pour s’en sortir :

- Oh, moi non plus je ne sais pas si cette sirène était très fiable ! De toute façon, je n’ai pas cherché à vraiment en savoir plus. Ce genre de récompense m’a paru futile puisque je n’ai pas besoin de jouer une quelconque ritournelle pour que la plus belle des personnes apparaisse à mes côtés chaque matin.

Il tourna alors un regard brillant de malice vers Sylvia en espérant être parvenu à la faire rougir.

Sylvia regardait ostensiblement dans une autre direction... Mais quand elle se tourna vers lui, sans doute pour vérifier furtivement qu'il regardait ailleurs, il put vérifier que son teint avait pris une jolie teinte pivoine.
Tilmandil, quant à lui, parut réfléchir un instant, et finit par lancer :
- Y'en a qui ont de la chance... mais de toute façon, je n'ai aucun goût pour les sirènes. Trop... humides à mon goût.
Son ton était narquois, signifiant qu'il avait vu clair dans le jeu de son demi-frère.
- Et puis pourquoi se contenter de sirènes quand on peut avoir des elfes ou des humaines à vos pieds à volonté...
- Comme... Amish ? intervint Sylvia, subitement incisive.
- Mais je... non, qu'est-ce que tu vas imaginer ? Bon, j'ai bien vu comme elle me regardait, ta cousine, mais je t'assure... Je n'y suis pour rien, et puis elle est trop jeune !
Le ton de Tilmandil se faisait suppliant.

Le rôdeur n’était pas peu fier du résultat qu’il avait réussi à obtenir par son compliment mais voilà déjà que la conversation prenait un nouveau tour imprévu et plutôt sensible. Il ne put cependant pas se retenir d’intervenir spontanément :

- Ah ! J’avais remarqué moi aussi ! Je me disais bien que ce n’était pas pour mon charisme naturel qu’elle tenait tant à nous accompagner.

Puis, il ajouta précipitamment d’un ton un peu contrit mais pas tout à fait sérieux :

- Mais méfies-toi, petit-frère : on ne plaisante pas avec ses choses-là ! Et bien qu’étant encore jeune, Amish sait déjà très bien manier les lames. Gare si tu lui fais de la peine ! En plus c’est maintenant ma sœur de sang donc je ne pourrai pas te défendre contre elle.

- Mais... C'est un complot ma parole ! Et tu ne défendrais pas ton propre frère ? Enfin, demi-frère ?
Tilmandil rit, signe que lui non plus ne prenait rien de tout ça au sérieux.
- Espèce de traitre, va ! Et je suis sûr que c'est un coup monté tout ça, que vous vous faites des idées... Ou alors vous essayez déjà de me caser ? Je te rappelle, frangin, que je tiens à ma liberté dans ce domaine !
- Ce n'est pas un coup monté, intervint Sylvia d'une voix plus douce. Elle a vraiment un gros faible pour toi. Mais c'est de son âge, va... Et puis, il y a si peu d'adolescents au campement... C'est normal qu'elle s'intéresse aux étrangers qui passent...
Kasumi la vit subitement rougir, et détourner le regard. Comme si cette phrase la renvoyait à quelque chose d'autre. Elle se reprit très vite.
- Mais ne t'en fais pas, ça lui passera ! Enfin, je te conseille de l'éviter, à notre retour, si tu ne veux pas te retrouver à gérer une grande déclaration d'amour enflammée...
- J'adore les grandes déclarations enflammées... Mais non, ajouta-t-il précipitamment, pas quand elles viennent d'adolescentes, je vous promets... pour qui me prenez-vous enfin ? Mais d'accord, je me ferai discret, c'est promis !

Kasumi se doutait bien que Sylvia avait dû passer par les mêmes affres de la solitude qu’Amish et Joris aujourd’hui. C’était bien là le principal défaut de la communauté, une de ses plus grandes faiblesses aussi. Si son isolement la protéger de beaucoup de choses, elle expliquait aussi la difficulté à trouver de nouvelles recrues et surtout à faire rester les plus jeunes dans des années où ils avaient assurément besoin de s’épanouir dans d’autres domaines que ceux des armes ou du pistage. Le rôdeur saisit discrètement la main de sa compagne quand il la vit rougir et lui adressa un sourire avant de s’intéresser à nouveau à son demi-frère en fâcheuse posture :

- Mmhhh , non, ça ne marchera pas… On te remarque au premier coup d’œil ! Et comment détourner le regard devant un elfe avec un tel magnétisme… Ah moins que… Oui, peut-être qu’avec Sylvia on pourrait te confectionner un costume. Voyons, tu es trop petit pour figurer un ours… Et trop grand pour un loup…Tu crois qu’un léopard, ça irait ? On doit pouvoir récupérer une peau si on se fait attaquer. Tu en penses quoi ma chérie ?

Sylvia éclata d'un rire joyeux, et Tilmandil parut, un bref instant, sur le point de se vexer, avant de rire à son tour. Il répliqua, sans se démonter :
- D'accord, j'accepte, mais à la condition expresse que tu te déguises aussi, en... je ne sais pas moi... en pauvre petit chevreuil sur le point de se faire dévorer ? Non, ça ne marcherait pas, tu es trop grand. Bon, et bien tu seras ma léoparde d'amouuuuuur ! Tu ne m'en voudras pas trop Sylvia, si je te l'emprunte ? Je te promets d'être sage et de ne pas lui faire de petits léopardeaux tout de suite...
La rôdeuse se tenait les côtes, incapable de s'arrêter de rire. Ils avaient insensiblement ralenti l'allure et Eärundra les rejoignait peu à peu. Kasumi lut l'interrogation dans son regard. Heureusement, elle n'avait pas entendu...

Kasumi écarquilla les yeux puis ouvrit et ferma la bouche à plusieurs reprises sans trouver quoi répondre tant la réplique de l’elfe l’avait déstabilisé. Mais, en désespoir de cause et parce que l’hilarité de ses compagnons était décidément contagieux, il ne tarda pas à les imiter et se laissé aller à rire franchement. Malgré les possibles conséquences terribles, le rôdeur se retourna pour prendre Eärundra à témoin en affectant un ton vexé :

- Ah voilà une spécialiste impartiale qui pourra trancher la question : qui de moi ou de mon frère a le plus de chance de figurer une panthère crédible à votre avis ?

Eärundra haussa un sourcil, mais ne posa aucune question et entra dans le jeu.
- Vous, sans la moindre hésitation, répondit-elle calmement, un sourire amusé aux lèvres.
- Parfait ! enchaîna Tilmandil. Prévenez-nous juste si Léo, d'aventure, parvient à en tuer une, qu'on puisse récupérer la peau pour en faire un costume. Sylvia, je suis sûre que tu sauras le confectionner.
Pour le coup, la rôdeuse se mit à rougir.
- Moi ? Et bien, heu... Disons que Kasumi est certainement bien meilleur que moi à ce genre de tâche...
Il était clair qu'elle n'osait pas laisser la plaisanterie tourner aux dépens du rôdeur.
- Oh, je saurais moi aussi, intervint Eärundra d'un ton innocent. Mais je doute fort que nous ayons l'occasion de le faire : Elles sentent l'odeur de Léo à bonne distance, et généralement évitent les prédateurs plus gros qu'elles. A part hier bien sûr... Non, je crois que vous avez de bonnes chances d'échapper à un costume de félin.
Elle eut un sourire légèrement carnassier.
- Et... je suggère que nous reprenions la route... A moins que vous ne vouliez me raconter l'origine de cette étrange idée ?

La teinte des joues de Kasumi tourna lui aussi au rouge pivoine en comprenant que sa plaisanterie destinée à Tilmandil s’était retournée contre lui et que l’elfe avait réussi à se trouver une complice de poids bien qu’en partie involontaire. Mais il se rassura et échangea même un sourire avec Sylvia en songeant qu’il avait atteint son objectif initial qui était de dérider son demi-frère, au moins pour quelques instants. Il profita de la suggestion de la druidesse pour emprunter une porte de sortie honorable suite à sa défaite à plate couture plutôt que de fournir de nouvelles armes à ses adversaires :

- Oh, il est inutile de vous ennuyer avec ces détails et vous avez raison : remettons-nous en route !

Il s’empressa aussitôt d’appliquer sa propre consigne.

Il surprit le regard amusé de la druidesse, celui, narquois, de Tilmandil, et heureusement le sourire amical de Sylvia. Et ils se remirent en route. Léo avait pris de l'avance, mais il daigna les attendre un peu plus loin. Tout était tranquille. La piste avait été tracée avec une sorte de serpe ou de machette, et était suffisamment large pour y transporter éventuellement quelqu'un dans un brancard. Faire cela avait dû leur prendre un certain temps. Ainsi, même si Kasumi et ses compagnons pouvaient parvenir à destination en trois jours au maximum, il paraissait certain que leurs prédécesseurs avaient mis au moins le double ou le triple de temps. Peut-être huit ou neuf jours, alors qu'ils en avaient onze d'avance sur eux... Il était presque étrange qu'ils ne se soient pas téléportés plus près de leur objectif...
Quoiqu'il en soit, une piste si large était pour eux une bénédiction. Ils avançaient d'un bon train, et parvinrent au soir sans qu'aucun incident notable soit à signaler. Ils ne pouvaient évaluer avec certitude où ils se trouvaient, bien sûr. Mais ils étaient sur la bonne route...

Ils avaient bien entamé leurs restes de viande de la veille et du matin au repas de midi aussi devraient-ils songer à chasser s’ils ne voulaient pas se contenter de quelques maigres fruits pour la soirée. Cependant, le terrain et la prudence ne se prêtait pas tout à fait à ce genre d’activités. Kasumi aurait espéré parvenir à un endroit un peu plus dégagé mais il semblait que le groupe d’Elryndel avait choisi la voie la plus directe vers le bosquet sans se soucier de couper au travers de la forêt la plus touffue : leur progression avait certainement due être des plus laborieuses à moins qu’ils se soient contenté de rafraichir une voie plus ancienne. Kasumi tenta de le déterminer confusément en se fiant à l’âge de la végétation qui bordait immédiatement le sentier ou l’encombrait là où il avait été plus grossièrement dégagé. En attendant, il était plus urgent de déterminer si l’on pouvait facilement trouver à manger dans les environs. Quant à savoir qui se proposerait de l’accompagner, la question était toujours épineuse sachant qu’il n’était pas prudent que l’un ou l’autre d’entre eux se retrouve seul :

- Je pense que les environs sont propices aux champignons : cela varierait un peu le menu. Mais nous ne pourrons pas beaucoup nous éloigner. Tu veux m’accompagner, Sylvia ?

Le rôdeur avait bien entendu l'intention d'emporter son arc au cas où quelque-chose de plus agressif ou comestible qu'un champignon croise leur chemin.

Sylvia acquiesça.
- Oui... et on trouvera peut-être un peu de petit gibier. Pas du gros vu la densité de végétation... mais il nous reste deux lièvres piégés par Tilmandil encore, il n'y a pas urgence pour ce soir. Mais si la végétation continue à être aussi dense, ce qui est probable, il faudra bien se contenter de petites proies.
- Léo ne va guère apprécier, remarqua Eärundra avec une grimace.
L'examen attentif de la végétation avait confirmé à Kasumi que l'essentiel du chemin était taillé "ex-nihilo", à l'exception de rares passages où il suivait, sans doute, une sente d'herbivores. Il avait vu, à deux reprises, les restes d'un feu ancien, dans un espace plus dégagé, confirmant qu'on avait campé dans les parages.
L'endroit où ils se trouvaient était malheureusement en plein coeur de taillis impénétrables. Ils pouvaient cependant monter les tentes au beau milieu du sentier.
- Allez-y, on va se charger des tentes et du bois...

Kasumi ne se fit pas prier pour s’enfoncer aussitôt sous le couvert des arbres. C’est avec le sourire aux lèvres qu’il avait pris les devants, sentant la présence de Sylvia non loin derrière lui. Qu’il était un peu étrange et surtout très agréable de repartir à la chasse avec elle, après toutes ces années où ils n’avaient plus eu l’occasion de le faire. Si la végétation continuait de présenter la même densité que près du sentier, le demi-elfe avait l’intention de se hisser dans les branches basses des arbres pour prendre un peu plus la mesure des lieux et repérer plus facilement d’éventuelles sentes ou trouées plus propices à l’utilisation de leurs arcs et au développement des champignons.

Grimper dans les arbres ne leur apporta rien : ils ne voyaient que des feuillages à perte de vue, et les branches les plus hautes, d'où ils auraient eu une vue d'ensemble, étaient trop frêles pour supporter leur poids.
Heureusement, au bout de quelques dizaines de minutes infructueuses, le murmure de l'eau leur parvint, et ils finirent par trouver une rivière, qui formait même, un peu en aval, un petit bassin poissonneux. De nombreuses traces, à proximité, indiquaient le passage d'animaux venant sans doute s'abreuver.
Sylvia paraissait enthousiaste de se retrouver à nouveau en chasse avec lui. Et si elle demeurait silencieuse et discrète, comme l'exigeait leur activité, elle n'en affichait pas moins un sourire resplendissant.

A chaque fois qu’il surprenait l’air heureux de Sylvia, Kasumi sentait son cœur s’accélérer légèrement et ressentait une euphorie qui le grisait. Il lui adressa un sourire victorieux en découvrant avec elle le trou d’eau. Ne restait qu’à s’embusquer dans l’attente d’une ou deux proies pour récompenser leur traque. Kasumi fit silencieusement signe à la rôdeuse de s’installer derrière un buisson. Il en avait repéré un autre pour fournir un second angle de tir protégé pour lui-même mais, avant de quitter sa compagne, il entreprit avec tendresse de soigneusement réunir ses cheveux entre ses doigts pour les dissimuler sous sa capuche. Il s’émerveillait encore une fois de leur douceur et faillit s’abandonner à sa tâche mais se retint d’aller plus loin. Il dispensa un baiser dans la nuque de Sylvia avant de s’esquiver et de gagner la position qu’il avait repérée, aussi silencieux qu’un loup.

La sourire de Sylvia parut s'élargir encore, si c'était possible. Elle ne le quitta pas des yeux alors qu'il s'éloignait, et mit quelques minutes à se souvenir qu'elle était sensée guetter un gibier et non le sourire de son amant.
La première proie qui se présenta à eux était une biche et son faon, et aucun d'eux ne tira. La seconde fut une famille de lapins, la mère et ses petits, suivis par un sanglier. Au même moment ou presque, un couple de canards s'aventura sur l'eau. Sylvia visa calmement et tira, faisant aussitôt mouche : le second canard s'envola à tire d'ailes. Et le sanglier, affolé par la flèche passée tout près, chargea... droit dans la direction où se trouvait Kasumi.

Kasumi ne se laissa pas démonter par la charge du sanglier, visant soigneusement le groin vulnérable de l’animal avant de décocher son trait. L’instant suivant, il incantait déjà, visant la trajectoire de l’animal :

Kasumi -> Enchevêtrement -> sol devant le sanglier

Si le sort avait l’effet escompté et si le sanglier, il tirerait encore une fois sur la cible immobile pour lui apporter le repos du trépas. Inutile de se montrer trop cruel envers un don de la nature même à l'aspect aussi rebutant et dangereux que ne l'était un sanglier enragé. Du moins si rien ne venait compliquer la situation.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines