La Couronne de Cuivre

Baptiste n'avait pas l'air convaincu, mais il se garda bien de revenir sur le sujet. Il se tourna plutôt vers les ruines, justement.
" Bon, j'ai décidé de faire un tracé plus précis, alors je compte les pas... A mon avis, il y a des sortes de chiffres magiques... mais je sais pas c'est quoi l'unité de mesure à la base... J'ai essayé le pied, mais ça tombe pas juste... et il me faudrait une sorte d'étalon pour être plus précis. Tu connais peut-être des unités de mesure elfiques ?"

-Oui. Du moins les plus récentes et les plus généralement employées, et il n'ait pas impossible qu'elles aient été adoptées bien après l'édification de ce lieu. Néanmoins, rien ne coûte d'essayer.
Tout en parlant, il se rendit compte que les fouilles avaient, dans l'immédiat du moins, perdu tout intérêt pour lui. Il ne cessait de s'inquiéter pour Cordélia, de se reprocher de ne pas avoir assez insisté auprès du serveur, de se morigéner pour ne pas avoir pensé à poser des questions la veille aux employés de l'auberge et, plus encore, à l'intéressée lors de leur dernière rencontre.
Trop de choses en tête, trop de dossiers à gérer... Il était en train de se laisser déborder.

Baptiste était conscient de son trouble, il le manifesta à des petits coups d'oeil furtifs, en coin, tandis qu'il explorait la ruine en fonction des mesures elfiques que connaissait Taliesin. Il s'efforça de lui changer les idées en bavardant sur ce qu'il avait repéré, sur ce que lui évoquait la couleur des murs, en parlant de plantes, en effectuant ses calculs à voix haute. Aucune des mesures essayées ne donna un chiffre probant, cependant...

-Il nous faudrait du matériel d'arpenteur ou, au moins, de quoi faire des mesures précises. Peut-être y a-t-il, dans les documents qu'on m'a transmis, des indications auxquelles nous pourrions les comparer. Sinon, les collègues de Tim, à Eredhun, sauront toujours en faire bon usage.
Il regarda autour de lui.
-Peut-être le moment est-il venu de chercher les autres pour le repas ?

Les autres en question s'étaient enfoncés profondément dans le bois et il leur fallut un certain temps avant de les dénicher. La cabane était toujours à l'ordre du jour mais... un peu moins que l'exploration. Autant dire que Victor et Titus étaient passablement crottés. Mais ravis. Victor se montra cependant très déçu que Cordélia n'ait pas refait surface.
" D'ici, c'est plus si loin, si ? Baptiste pourrait rester avec Titus, et nous deux, on irait à la recherche de Cordélia cet après-midi. Minuit peut nous porter tous les deux, ou alors on prend le mulet."
Le plus âgé des garçons n'avait pas l'air enchanté, mais dans le même temps, il ne protesta pas.

Les choses auraient été beaucoup plus simples si Titus avait pu sans risques entrer à Champsdor : il les aurait embarqués tous les trois.
-Songe quand même que si tu vas au bourg avec moi, il te faudrait sacrément te décrasser, sans quoi ma réputation serait à jamais ruinée, dit-il, espérant sans vraiment y croire le décourager.
Mais s'il ne changeait pas d'avis, peut-être serait-il possible de rendre la chose moins injuste en proposant à Baptiste de consulter les documents sur les ruines ?
-Quoi qu'il en soit, commençons par manger.

" Je vais me frotter dans le ruisseau, proposa Victor. Je ne voudrais pas te faire honte. Mais je peux marcher loin de toi, si tu veux... On peut se partager le travail, ou bien...
— Vous devez juste interroger un serveur, intervint Baptiste. Pas besoin de transformer ça en aventure épique.
— Oh t'es rabat-joie, toi !"

-De toute façon, il y a des gardes au portes de Champsdor, et je doute qu'ils te laissent entrer si tu es tout seul.
Il les ramenait vers les ruines : comme ils avaient dégagé l'endroit, se serait l'idéal pour manger. Et il en profiterait pour examiner les affaires de Cordélia : qui sait s'il ne trouvait pas un indice ?
On povuait toujours rêver.

Les enfants s'installèrent pour manger tout en discutant de ce qu'ils avaient découvert dans les bois, pendant la matinée. De son côté, Taliesin fouilla les affaires de Cordélia mais, comme l'avait dit l'aubergiste, il n'y avait presque rien : quelques morceaux de cornaline, une tenue de rechange incomplète, pas davantage : la jeune femme avait tout perdu dans l'attaque des gobelins et n'avait pas pu se racheter grand chose. La seule information réelle qu'il en tira est quelle avait emporté ses vêtements les plus solides et ses armes : c'était donc qu'elle ne s'attendait pas à cueillir des fleurs dans la vallée.

Et cela rendait sa disparition d'autant plus inquiétante même si, au moins, elle avait eu de quoi se défendre...
Il rangea soigneusement les affaires de la jeune femme puis termina rapidement son repas.
Oui, il retournerait à Champsdor dès l'après-midi :de toute façon, son inquiétude était désormais telle qu'il aurait du mal à se concentrer sur quo que ce soit.
-Allez, direction lui ruisseau, dit-il finalement.
En laissant Victor venir avec lui, il s'épargnerait une dispute et, qui sait, des actes inconsidérés de la part du gamin. Resterait à trouver une compensation pour Baptiste...

Victor se débarbouilla consciencieusement, tandis que Baptiste venait vers lui.
" On restera peut-être plus très longtemps ici. On se retrouve chez Mona, alors ?"

-Oui, c'est le mieux.
Il soupira.
-Je suis désolé, Baptiste : j'aurais aimé que tu viennes aussi mais il faut quelqu'un pour veiller sur Titus. Je te promets cependant que si je dois à nouveau me lancer dans quelque chose où vous ne pouvez tous m'accompagner, c'est toi qui viendras. Quant à cet après-midi... Si cela te tente, n'hésite pas à aller consulter les documents qui se trouvent dans ma chambre. Tu devrais pouvoir y trouver la signification des symboles que nous avons recopiés. Ceci dit, il n'y a aucune obligation : c'est seulement si ça te fait envie.

Il sourit. La perspective semblait réellement lui plaire.
" T'en fais pas. De toute façon, je serais pas monté sur le cheval..."
Il haussa les épaules.
" Vous irez plus vite à vous deux et Victor... Victor sait comment y faire, pour ce genre de choses."

Taliesin sourit.
-Tu t'en serais très bien tiré, toi aussi.
Il lui serra affectueusement l'épaule.
-En tout cas... Merci d'être à ce point conciliant.

Baptiste haussa les épaules, embarrassé.
" C'est normal. C'est nécessaire."
Son sourire revint.
" Et je te promets de ne pas fouiller dans tes affaires !"

-Je l'espère, car elles contiennent des secrets qui ne doivent pas être exhumés... répondit-il d'un ton mystérieux.
Puis il se tourna pour jeter un regard à Victor, afin de voir où celui-ci en était.

Victor était prêt, aussi débarbouillé que possible. Ses vêtements étaient un peu humides aux endroits où il les avait frottés, mais sans doute cela sécherait-il pendant le trajet. Il lui décocha un sourire triomphant.
" On y va ? On a une fille à délivrer !"
Baptiste leva les yeux au ciel, mais se garda bien de dire quoi que ce soit. Il ne tarda d'ailleurs pas à détaler entre les arbres, pour retrouver Titus.

-On y va, répondit-il.
Et, sans tarder, il se dirigea vers l'endroit où il avait attaché Minuit.
Ensuite, ce serait une nouvelle chevauchée jusqu'à Champsdor, un nouveau débarquement à la Corne d'Abondance... Mais cette fois, il était bien décidé à pousser plus loin son enquête.

Ils n'eurent aucun problème pour traverser la campagne, les mêmes champs, les mêmes prairies, les quelques bâtiments qui précédaient la muraille de Champsdor. Là, Victor eut à remplir quelques papiers, comme le barde la veille, puis ils gagnèrent la petite cité. Le gosse l'observa avec curiosité mais sans réel enthousiasme : il devait trouver les lieux bien provinciaux, comparés à la grande ville dont il était originaire.
Une fois rendus à la Corne d'Abondance, ils durent patienter un moment : il y avait davantage de monde que le matin, et le patron n'était pas tout de suite disponible. Il ne savait pas où vivait le dénommé Rinaldo, mais la serveuse, Sabine, devait pouvoir les renseigner.
Dès que Taliesin lui posa la question, il la sentit cependant sur la défensive.
" Pourquoi vous demandez ça ?" fit-elle, suspicieuse.

Il lui dédia un sourire qu'il espérait rassurant.
-Je dois lui parler. Cordélia, une de mes amis s'étant installée dans votre auberge, s'est absentée avant-hier pour un travail qui devait ne prendre qu'une journée. Sauf qu'elle n'est pas revenue depuis, ce qui ne manque pas de m'inquiéter. Or, d'après l'un de vos collègues que j'ai interrogé ce matin, Rinaldo a discuté avec elle : il est possible qu'elle lui ait parlé dudit travail, voire qu'elle lui ait donné le nom de son employeur.

La jeune femme avait paru sur la défensive, mais le charme de Taliesin, sa conviction, le ton de sa voir, opérèrent, et elle se détendit.
" Ah... C'est la jolie brune, n'est-ce pas ?"
Une moue un peu boudeuse apparut sur ses lèvres, le barde devina une jalousie ténue.
" Oui, il lui a parlé une ou deux fois depuis qu'elle est arrivée... mais je ne sais pas ce qu'ils se sont dit. L'adresse de Rinaldo, par contre, je peux vous la donner. Il habite dans l'appartement au-dessus de la cordonnerie des frères Vulcain. C'est de l'autre côté de la Halle aux Blés, dans le quartier des tailleurs."

-Merci beaucoup.
Il la gratifia d'un sourire, la salua poliment puis il ressortit sans tarder de l'établissement.
-Le quartier des tailleurs... Si on en profitait pour étoffer nos gardes-robes ? souffla-t-il à Victor.
Il plaisantait, évidemment. Mais il était nerveux et avait besoin de détendre l'atmosphère.

Ils trouvèrent le quartier des tailleurs assez aisément, en suivant les directives de la jeune femme, puis en interrogeant quelques passants. Des boutiques s'échelonnaient le long d'une rue colorée, offrant tous les items vestimentaires dont aurait pu avoir besoin un villageois ou un citadin aux moeurs tranquilles. Ils localisèrent la cordonnerie et il leur fallut entrer. L'artisan, le premier halfelin qu'ils voyaient dans Champsdor, les dévisagea avec une grimace.
" Je n'ai pas l'habitude de laisser des inconnus monter dans ma maison."

-Je comprnds bien, dit-il, affable. Mais, dans ce cas, pourriez-vous demander à Rinaldo de descendre ? Je dois lui parler d'une affaire importante. Ce ne sera pas long mais... je ne pouvais pas attendre qu'il ait pris son service à la Corne d'Abondance, ce soir.
Et de croiser les doigts pour que le halfelin soit conciliant.

Le halfelin accepta et envoya son aide chercher le dénommé Rinaldo. Il fallut à Taliesin et Victor une certaine dose de patience : le jeune serveur n'avait manifestement pas envie de se lever. Il survint cependant une dizaine de minutes plus tard, mal réveillé, les cheveux ébouriffés, mais élégamment vêtu. Il était lui-même bien de sa personne et si son regard passa sans s'arrêter sur Victor, il parut surpris, et impressionné, quand il aperçut le barde.
" Il parait que vous voulez me voir ?"

-Oui. Mais tout d'abord, je vous prie de bien vouloir m'excuser pour vous avoir réveillé : croyez bien que je ne me le serais pas permis s'il n'avait s'agit d'une affaire importante.
Bon, autant ne pas tourner autour du pot.
-L'une de mes amies, Cordélia, s'est récemment installée à la Corne d'Abondance. Avant hier, elle s'est absentée pour un travail qui, d'après elle, ne durerait pas plus d'une journée. Aussi ai-je été surpris, hier, en découvrant qu'elle n'était pas rentrée. Et inquiet, aujourd'hui, en constatant que ce n'était toujours pas le cas. J'ai donc commencé à mener mon enquête et l'un de vos collègues m'a dit que vous aviez un peu discuté avec elle. J'aurais donc voulu savoir si elle vous avait donné des informations quant à ce fameux travail ou à son employeur.

Rinaldo parut surpris.
" Oui, elle m'en a parlé un peu... Enfin, pas dans les détails... Elle m'a juste demandé où on pouvait trouver du travail, ici à Champsdor, et je lui ai dit que souvent, y'avait des petites annonces à la guilde des marchands..."
Il haussa les épaules, embarrassé.
" Après, le soir, quand je lui ai reposé la question, elle m'a dit qu'elle avait trouvé quelque chose de simple, pas loin, que c'était bien payé... mais je lui ai pas demandé plus. C'est le coup de feu, le soir, vous voyez... Et puis... On venait juste de faire connaissance, je n'aurais pas voulu me montrer indiscret."

-Je comprends tout à fait.
Il sourit.
-Merci beaucoup pour les renseignements : grâce à vous, j'ai une piste à suivre et je vais le faire sans tarder. Pourriez-vous simplement m'indiquer où se trouve la guilde ?

Le jeune homme leur indiqua une grande bâtisse grise et rouge, sur le bord de la rivière qui traversait Champsdor, à l'architecture somptueuse comparée aux autres constructions de la ville. Une fois rendus, Victor se montra cependant très critique.
" Mouais. C'est plutôt tape à l'oeil de mauvais goût, si tu veux mon avis."
Il était certain que les lieux affichaient leur opulence sans arrière pensée.
Deux gardes en livrée pourpre flanquaient l'entrée et ils suivirent Taliesin et Victor du regard tandis qu'ils grimpaient les marches du perron. Il était clair qu'ils ne rentreraient pas comme ça...

-Salutations, dit-il, à la fois courtois et respectueux. Je sollicite la permission d'entrer dans les locaux de la guilde. Il y a quelques jours, une de mes amis en quête de travail est venue ici consulter les petites annonces : elle a trouvé un emploi d'une journée mais n'a pas reparu depuis, ce qui m'inquiète. J'espère donc obtenir des renseignements sur ledit emploi et la personne qui le proposait...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile