La Couronne de Cuivre

Victor finit par utiliser un grand bâton pour faucher les buissons, frappant le plus fort possible pour les aplatir. Mais ils semblaient presque montés sur ressort et se redressaient avant même qu'il ait pu faire un pas. Puis Marius poussa un cri perçant accusa les arbres de l'avoir attaqué. Baptiste lui hurla d'arrêter de raconter ces horreurs qui finissaient par se produire, et Taliesin vit, très nettement, une branche descendre et frapper sèchement le gamin, qui culbuta dans un taillis épineux. Victor battit en retraite, Marius sur les talons. Quand Baptiste les rejoignit, il avait le visage couvert de pustules écarlates et les larmes aux yeux.

Il y aurait des plaies à panser et des vêtements à raccomoder, lorsqu'ils seraient de retour à l'auberge... songea-t-il en serrant l'épaule du garçon pour le réconforter.
-Bien bien bien : aux grands maux, les grands remèdes, finit-il par dire, toujours déterminé.
Et il tenta d'invoquer un élémentaire de feu.

Taliesin --> Convocation de Monstres III

Il y eut un petit craquement et... les trois enfants disparurent.
" TALIESIN ! T'ES OU ?! hurla Baptiste.
— Héééé ! Mes oreilles ! Barbare !" lui répondit Victor.
Marius ne dit rien.
" On est invisibles. Trop cool."

En d'autres circonstances, cela aurait pu être très utile.
Mais, en l'occurrence, cela ne leur servait absolument à rien.
-On va se rassembler près de la porte, leur dit-il. Marius, je suis sûr que tu pourrais nous raconter une histoire à son sujet. Une histoire... très positive, par exemple.

" Mais c'est la porte de la sorcière !" s'exclama Marius.
Il poussa ensuite un cri puis un léger juron.
" Raconte autre chose ! lui dit Baptiste.
— Tu m'as fait mal !
— Parce que tu racontes que des horreurs !
— Vous croyez que ça marche à ce point-là, ce truc ? Que s'il dit qu'il y a des tas de gâteaux de l'autre côté de la porte, ça va marcher ?
— Taliesin a raison d'essayer. Marius. Elle s'ouvre comment cette porte ? Un truc facile. Grouille.
— Heu... On doit taper trois fois dessus et dire... j'ai grand faim !"
Ce qui, ils le constatèrent une seconde plus tard, fonctionna parfaitement bien.

Le barde rit.
-Eh bien voilà, ce n'était pas plus compliqué que ça ! Bravo, Marius. Oh, et je te lance un défi : maintenant, tu ne dois raconter et imaginer que des choses positives !
Il s'avança.
-Restez derrière-moi. Et tenez-vous par la main, pour ne pas être séparés.

Il leur fallut un certain temps pour trouver chacun la main d'un autre, et, lorsqu'ils y parvinrent enfin, ils redevinrent brusquement visibles. Au même moment, à quelques pas d'eux, apparurent quatre étranges créatures grosses comme des chats, des sortes de méduses qui flottaient dans l'air, leurs yeux d'escargot s'élevant au-dessus de leur tête arrondie. Toutes en même temps, elles ouvrirent une énorme bouche, poussèrent un cri perçant, et s'enfuirent dans les bois environnants. Les trois enfants étaient stupéfaits.
" Qu'est-ce que c'était que ça ?" demanda Victor.
Baptiste mit les deux mains devant la bouche de Marius.
" On s'en fiche."

Le barde observa quelques instant la petite fille puis s'accroupit pour la regarder bien en face.
-Marius, il semble décidément qu'ici, en Féérie, tu aies un grand pouvoir : tu le vois bien, les choses que tu annonces ont tendance à se réaliser. Alors... Essaie d'en profiter ! Imagines des choses qui te font envie, qui te font plaisir ! Et si d'aventure tu parles de choses négatives... Pas de souci, tu es sans doute en mesure d'y remédier en quelques mots !

Des larmes lui montèrent aux yeux.
" Mais je peux pas, dit-il. Ça marche pas comme ça. Si je dis des mensonges, ça fonctionne pas. Si je sais ce que je sais, c'est parce que... je le sais. Tu comprends ?"
Victor avait franchi le seuil de la grotte et regardait à l'intérieur.
" C'est sûrement un piège, dit Baptiste.
—*Mais non. Elle se doute simplement pas qu'on a un ouvreur de portes."

Il posa une main sur l'épaule de Marius.
-Mais pour la porte, tu as bien inventé quelque chose, non ?
Il lui sourit.
-Mais si je me trompe... Alors ne te mets pas martel en tête. Ce que tu sais, cela pourra toujours nous aider à éviter les mauvaises surprises ou a en avoir de bonnes. Donc, ça nous sera très utile.
Il se releva.
-Restez bien derrière moi.
Il avait l'intention d'explorer les lieux... et de récupérer tout ce qui pourrait leur être utile pour un éventuel futur affrontement.

Ils se retrouvèrent dans le petit hall puis, comme auparavant, dans la grande salle à manger. L'âtre était éteint. Quelque chose voletait dans le noir et se matérialisa devant eux : c'était Lola.
" On dirait qu'ils sont partis. Mais y'a une porte. Elle est trop grosse pour moi. Et peut-être fermée. J'ai essayé de regarder par le trou de la serrure, mais j'ai rien vu... J'ai l'impression qu'on entend quelqu'un qui pleure."
Taliesin pouvait prendre avec lui louches, couteaux, casseroles et chaises, mais fouiller l'immense salle à manger prendrait peut-être un temps qu'ils n'avaient pas...

Il récupéra le premier couteau à peu près imposant qu'il trouva : ce serait toujours mieux que rien.
-Merci pour ces indications, Lola. Peux-tu nous conduire à cette porte ? On va bien voir de quoi il retourne.
Les pleurs, de l'autre côté, pouvaient constituer un piège destiné à les attirer. Mais de toute façon, il fallait en avoir le coeur net.

Taliesin sentit alors comme un léger frisson et il lui sembla que la température avait fortement baissé. Les enfants, autour de lui, le regardaient étrangement.
" Ah ben bouse." lâcha Victor.
Il tendit une main vers Taliesin et celle-ci passa au travers de sa manche.
" Tu es devenu un fantôme, souffla Marius, stupéfait.
— Ça va passer, comme l'invisibilité, dit Baptiste d'une voix semi-assurée. C'est sûrement encore un des effets de ce sortilège qui a raté..."
Le barde avait effectivement perdu toute consistance. Il était toujours là, voyait les enfants, les entendait, mais son corps semblait... juste à côté de ce monde. Autant dire qu'aussi belle soit la porte, il lui serait impossible d'en saisir la poignée.

Ne pas paniquer : il ne devait rien y avoir là d'irrémédiable.
-Voyons le bon côté des choses : peut-être que je suis en mesure, à présent, de franchir cette fameuse porte sans même avoir à l'ouvrir.
Et il entendait joindre le geste à la parole sans perdre de temps : moins ils s'attarderaient ici, mieux ce serait.

C'était le cas, comme il s'en rendit compte dès qu'il eut avancé la main. Cependant, il n'était pas invisible et il ne savait rien de ce qui se trouvait de l'autre côté. Il n'y avait aucun bruit, cependant, et quand il eut passé le visage au travers du bois, il découvrit un couloir creusé dans la roche, de chaque côté duquel s'échelonnaient des portes closes. Il constata aussi que le verrou était tiré, mais que s'il parvenait à retrouver son corps, il pourrait sans nul doute l'ouvrir et laisser passer les enfants. Il pouvait aussi décider de n'en rien faire et de continuer sa route. Lola n'avait pas menti : quelqu'un pleurait un peu plus loin. Mais c'étaient assurément les sanglots d'un adulte, pas d'un enfant.

Sachant que la porte était fermée de l'intérieur et qu'il était sous forme éthérée, sans doute ne risquait-il rien à aller voir de quoi il retournait. Il aurait bien ouvert le passage aux enfants mais, malheureusement, il n'en avait pas encore les moyens.
-Je vais aller jeter un oeil, leur dit-il. De votre côté, soyez vigilants et au moindre doute, appelez-moi : je reviendrai sans tarder.
Il avait l'intention de découvrir, discrètement, ce que contenaient ces salles et, surtout, qui pleurait.

Les salles étaient nombreuses. Taliesin avait la possibilité de juste y passer la tête, ou d'y entrer chaque fois tout entier, avec le risque de se rematérialiser au travers d'une porte, ce qui serait sans nul doute très douloureux (ou probablement pire). La première pièce contenait des chaussures. Une myriade de chaussures. Des chaussures minuscules, en feutre ou en cuir, des bottes de belle taille, des godillots encore crottés, des pantoufles, toutes sortes de mules, de godasses, de sabots, en une pile qui faisait bien deux mètres de haut, en équilibre plus ou moins stable, pyramide de pompes abandonnées. Toutes n'appartenaient pas à des enfants... ou alors à des enfants de nombreuses races différentes.

Taliesin s'abstint de regarder ce que contenaient les autres salles.
Il pensait savoir ce qu'il y trouverait : dans l'une, un monceau de tuniques ou de chemises ; dans une autre, un amoncellement de chausses, de pantalons...
Cette femme était bel et bien une sorcière et pour quelque obscure raison, non contente de dépouiller ses victimes, elle conservait et classait leurs effets personnels.
Et il était évidemment hors de question que les affaires des enfants aillent rejoindre ces sinistres entassements. Hors de question, surtout, que cette Dame Blanche pose la main sur eux.
Il allait donc rapidement vérifier qui pleurait - peut-être le malheureux Fyribod, qu'il n'avait pas vu sortir de la grotte, se rendait-il compte - puis il rebrousserait chemin jusqu'à la porte au verrou, pour s'assurer que, de l'autre côté, tout allait bien.

Il finit par localiser la porte derrière laquelle on pleurait, elle était plus loin dans le couloir, plus massive que les autres, renforcée de métal. Quand Taliesin y passa la tête, celui qui s'y trouvait ne s'en rendit pas compte, le visage entre les mains, gémissant. C'était effectivement Fyribod. Il était assis sur un lit de fortune, dans une pièce nue, illuminée d'une seule lampe dont la flamme vacillait. Il était enchaîné au mur par la cheville, et la chaîne qui le retenait était aussi blanche que la Dame à l'origine de leurs malheurs.

Au moins n'y avait-il plus le moindre doute quant à la nature de Dame Perce-Neige : elle était tout sauf bienveillante.
Taliesin ne s'attarda pas à contempler le triste spectacle, par peur d'une brusque - et catastrophique - matérialisation. Et, une fois totalement dans le couloir, il hésita mais décida finalement de ne pas se manifester : certes, il espérait pouvoir aider le captif, mais le lui dire dès à présent, sachant qu'il serait peut-être contraint de se replier... Ce serait assez cruel.
Il retourna plutôt en direction de la porte qui le séparait des enfants, pour vérifier si, de leur côté, tout allait bien.

C'est à ce moment-là, à mi-couloir, qu'il se rematérialisa. Cette fois, rien de bizarre ne se produisit au moment où le sortilège prenait fin. Sans doute était-il enfin arrivé au bout des répercussions entropiques de sa tentative d'invocation. Difficile de savoir si c'était l'effet de Féérie, ou l'effet des étranges phénomènes qui avaient présidé à leur passage en ce Plan.
Le résultat, c'est qu'il avait la possibilité d'ouvrir le verrou et de laisser les enfants le suivre... ou il pouvait se contenter de les laisser, "à l'abri", de l'autre côté de la porte (ce qui plairait immensément à Victor, sans nul doute permis).

Mais il préféra les laisser le suivre. Si Dame Perce-Neige revenait inopinément, mieux valait qu'ils soient réunis, sans compter qu'ils pourraient fermer et verrouiller la porte du couloir, mettant entre eux et elle un obstacle bienvenu.
A présent, il allait reprendre l'exploration des lieux : il espérait dénicher les clefs permettant de libérer Fyribod de sa cellule et de ses chaînes. Et s'il voyait des objets potentiellement utiles, il ne se priverait pas pour les récupérer. Quant à Titus... Il doutait de trouver ici des indices susceptibles de l'aider à le retrouver. Mais qui sait, peut-être se trompait-il.

Aucune des portes n'était fermée, à l'exception de celle de la cellule de Fyribod. Comme Taliesin l'avait deviné, elles contenaient toutes des effets personnels : vêtements, chaussures, mais aussi menus objets qui avaient du garnir des poches et des sacs à dos: boutons, cailloux, fleurs séchées, quignons de pain sec et autres piécettes. Il n'y avait pas d'armes en revanche, hormis deux frondes enfantines sur lesquelles Marius et Victor jetèrent leur dévolu. Le couloir se terminait en cul de sac et, à première vue, il semblait n'y avoir aucune autre issue.

Il se décida alors à toquer à la porte de la cellule.
-Messire Fyribod ? C'est Taliesin, dit-il d'un ton calme. J'aimerais bien vous tirer de là mais, pour ce faire, j'aurais besoin des clefs... Sauriez-vous où les range la sinistre maîtresse des lieux ?
Sinon, il faudrait fouiller la grande salle.

Il y eut du mouvement à l'intérieur.
" Quoi ? Oh non ! Qu'est-ce que vous faites là ? Fuyez tant qu'il est encore temps ! Elle avait peur de vous ! Il faut partir ! Si elle revient, elle va vous tuer tous ! Partez, je vous en conjure !" s'exclama-t-il, plein d'angoisse.

Voilà qui était tout sauf rassurant...
-Je vais cependant devoir la retrouver, car elle a enlevé Titus. Vous savez, le petit faune... Peut-être avez-vosu une idée de l'endroit où elle l'a conduit ? Et si c'est relativement loin d'ici, nous avons sans doute le temps de vous libérer...
Pour peu qu'il sache où étaient les clefs.

" Vous ne pourrez pas me libérer. Elle me tient dans ses chaînes."
Il se tut un instant.
" Elle l'a emmené plus bas, là où elle... là où elle... les prépare... Il n'est pas bien gros, elle ne le tuera pas tout de suite... Peut-être pas... Elle va d'abord l'engraisser avant de le servir. Sans doute, je ne sais pas..."

Comme quoi, il avait eu raison de se méfier d'elle. Mais moins raison de goûter à ses plats - pensée qu'il s'efforça, toutefois, de bannir de son esprit.
-Savez-vous comment l'on descend ? Je ne vais pas la laisser faire du mal à Titus et s'il m'est possible de l'empêcher de faire du mal à qui que ce soit d'autre, je ne vais pas m'en priver.
Restait à savoir s'il attaquerait tout de suite où s'il prendrait le temps - et le risque - de retourner s'équiper au festival.

" Il y a une trappe, dans la pièce aux chaussures. Sous le tas."
Il se tut puis se mit à gémir.
" Pourquoi je vous ai dit ça ! Je ne devrais pas vous dire ça ! Elle va me punir..."
Ses sanglots reprirent, douloureux.

-Pas si je parviens à me débarrasser d'elle. Auquel cas, vous serez libre.
Il garda le silence quelques instants, songeur.
-Sauriez-vous si elle conserve des armes, ou des artefacts que je pourrais retourner contre elle ? Bien sûr, il me reste l'option d'aller acheter des choses au Festival, mais... J'ai peur que cela me fasse perdre beaucoup de temps.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie