[Lieu] Route d'Erhedun à Rohan

[Taliesin]

Il ne s'attarda pas pour les observer.
Il ne s'attarderait pour observer aucune d'entre elles : le conseil de Sonia n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd et, même sans cela, ce monde était déjà suffisamment sinistre pour ne pas en rajouter. Mieux valait, et de loin, faire abstraction de ce genre de détails et se concentrer sur sa mission.
Le voilà donc qui s'avançait sur la passerelle, faisant bien attention à là où il mettait les pieds, serrant précautionneusement contre lui cette âme maléfique qui était une manière de sauf-conduit. Il n'était pas exactement rassuré mais, au moins, il n'avait pas à se poser de questions quant à la marche à suivre.

[Galathée]

Il progressa vite, les yeux fixés sur son objectif, comme s'il avait le vertige. La passerelle n'était pas large et il était obligé de frôler les têtes en passant, même s'il n'en vit rien. Il fut frappé par l'odeur de putréfaction de certaines, par le bruit des mouches, et heurta par mégarde d'une d'entre elles, qui penchait en travers du passage, et l'envoya valdinguer en contrebas de la passerelle. Il n'entendit jamais de son signalant qu'elle était arrivée au fond du gouffre. Sans doute n'y en avait-il pas, de fond, juste le néant.
L'extrémité de la passerelle semblait ne pas se rapprocher, et même s'éloigner par moments, mais il hâta le pas, resta concentré, et d'un seul coup, il fut au bout, sur un dallage qui*— petit miracle — était jaune orangé. En fait, toute la palette de couleurs avait glissé, du noir et blanc, au brun et jaune. Il était sur une sorte de palier et devant lui, deux colonnes marquaient l'entrée d'un nouveau couloir. Elles étaient garnies de têtes, bien sûr, au moins une quinzaine, et lorsqu'il les franchit, il eut la nette impression que quelque chose de visqueux avait coulé des hauteurs et frappé sur le sommet du crâne. Il ne tenait qu'à lui d'y passer la main pour constater les dégâts. Le nouveau couloir, quant à lui, semblait constitué de têtes, intégralement, et cette fois-ci, il lui fut difficile d'avancer sans les voir. Elles étaient empilées les unes sur les autres et formaient l'arche du plafond. Si certaines étaient réduites à l'état de crâne ou en voie de momification, d'autres grouillaient de vers ou étaient vertes et boursouflées. L'odeur était épouvantable, peut-être pire que le spectacle. Il sembla à Taliesin, même s'il s'efforçait de ne point les voir, que certains des regards étaient encore vivants, et reflétaient souffrance ou stupéfaction. D'autres semblaient tout juste touchés par le voile de la mort et devenaient vitreux.
Là encore, il eut l'impression que mille gouttes et filaments de substances organiques pleuvaient sur sa tête et ses vêtements au fur et à mesure de son avancée. Des os se brisaient sous ses pas quand il ne dérapait pas sur quelque chose de visqueux. Il accéléra la cadence, il y avait de la lumière au fond de cet enfer et, brusquement, il déboucha dans un petit salon cossu, presque ordinaire s'il n'avait pas été si sombre et si poussiéreux. En son centre se tenait un homme en livrée, droit, un plateau sur la main, un serviteur prêt à le recevoir. Seul détail, il n'avait pas de tête. Bien entendu.

[Taliesin]

Il y avait de quoi en être malade.
Physiquement mais... pas seulement.
Oui, face à une horreur à ce point démesurée, il y avait de quoi devenir fou. Même quand on en avait déjà vu beaucoup.
Peut-être - sans doute, même - subirait-il le contrecoup de cet abominable périple. Dans l'immédiat, toutefois, il essayait de demeurer détaché et focalisé sur le but qui l'avait amené à endurer tout cela.
Ce qui fonctionnait plus ou moins bien : il tenait bon sans pour autant être vraiment dans son assiette...
-Bonjour, dit-il au serviteur, d'une voix courtoise mais un peu trop blanche. J'apporte une dîme au maître des lieux.

[Galathée]

La créature sans tête fit volte-face et le précéda jusqu'à la porte. A droite de celle-ci, sur une petite console, se trouvaient trois têtes. Un homme, une femme, un elfe de sexe indéterminé. Le serviteur prit la tête de l'homme et la posa sur son cou.
" Le Maître vous attend." annonça-t-il d'une voix qui ne sortait pas exactement du bon endroit.
Il ouvrit ensuite la porte et invita Taliesin à progresser dans le couloir. Il ne l'accompagna pas, le laissant remonter un corridor taillé à même la pierre, heureusement sans têtes, puis gravir un escalier humide, glissant, mais là aussi reposant après les visions difficiles des minutes précédentes. Le barde atteignit le sommet et déboucha, contre toute attente, au milieu d'une grande fête. De longues tables avaient été installées dans une salle gigantesque, aussi grande que la nef du Temple de Lathandre à Luménis, et on y festoyait joyeusement. Des musiciens et des acrobates se produisaient devant la table d'honneur, sur son estrade. Les convives — au moins une centaine — étaient tous morts, à divers degrés. Mais ça n'avait pas l'air de les empêcher de prendre du bon temps. Il y avait des vampires, des goules, des squelettes, des cadavres dans des états de putréfaction plus ou moins avancés, des monstres de brume, des horreurs indéfinissables qu'il était difficile de regarder. Taliesin eut l'impression que, parmi tous ces morts, il y avait cependant quelques vivants. Un mage, assis dans un coin, en grande discussion avec un diable qui paraissait de boue, par exemple, ou une jeune femme pâle vêtue de blanc, qu'on aurait dit sortie d'un lac. Kiazalle était présente également, assise entre deux imposants guerriers en armure, mais dont on ne voyait pas le visage sous leurs casques cornus. Elle ne semblait pas l'avoir remarqué. La place d'honneur, à la table principale, était vide.

[Taliesin]

Que sa guide soit ici était une bonne nouvelle : il n'était plus vraiment seul, pourrait théoriquement compter sur des conseils quant à ce qu'il convenait de faire.
Il ne chercha cependant pas à attirer son attention. Pas tout de suite.
De toute façon, quelque chose lui disait qu'elle ne tarderait pas à le remarquer.
Et qu'elle ne serait pas la seule.
En attendant, il se mit à observer les lieux avec encore plus d'attention, guettant l'arrivée d'un éventuel serviteur venu l'accueillir ou l'orienter.

[Galathée]

Kiazalle finit par le remarque mais elle se contenta de lui adresser un petit signe de la main, assorti d'une grimace. Le mastodonte en armure situé à sa droite avait passé un bras possessif autour de ses épaules et elle s'engagea dans une conversation serrée avec lui, mais il n'était pas clair si cela allait déboucher sur quelque chose. Taliesin n'eut pas à se poser longtemps la question, cependant, car un nouvel homme en livrée surgit. Celui-là avait sa tête, mais elle était inclinée à un angle improbable, suggérant que la nuque sur laquelle elle reposait avait été brisée et le demeurait. Il avait le teint verdâtre, les lèvres noires mouillées d'écume et un regard vide.
" Ah ! Enfin ! On se demandait si vous alliez encore arriver ! Vous avez besoin d'un rafraîchissement avant le récital ? Vous êtes drôlement en retard, alors parlez vite, sans quoi nous allons tous avoir des ennuis !"

[Taliesin]

Y avait-il méprise ? Kiazalle avait-elle au contraire tout organisé ?
Il devait en avoir le cœur net.
-Mon périple a été quelque peu mouvementé et j'avoue ne plus avoir les idées très claires, répondit-il. J'ai pris soin, bien entendu, d'apporter ma dîme pour le maître des lieux. Mais concernant le récital, pourriez-vous me rafraichir la mémoire quant à ce qu'on attend de moi, exactement ?

[Galathée]

Le serviteur eut l'air surpris, une impression encore renforcée par l'inclinaison de sa tête.
" Mais... vous êtes barde, non ? Les bardes, ça fait un récital ? C'est ce que j'avais cru comprendre."
Il tenta de jeter un coup d'oeil au paquet que transportait Taliesin, ce qui déséquilibra sa tête et la fit retomber sur sa poitrine. Il essaya de dire quelque chose, mais seul un gargouillis sortit de sa gorge. Il utilisa finalement ses mains pour replacer sa tête sur une de ses épaules et retrouver sa voix.
" L'âme, ce sera pour plus tard. Il faut d'abord que le maître accepte de vous recevoir. Pour ça, il faut ce récital. Essayez de ne pas ennuyer l'auditoire : ils peuvent devenir violents et après, c'est le staff qui doit nettoyer."
Il lui désigna une petite estrade, juste à droite de la table d'honneur.
" Vous avez besoin d'un instrument ?"

[Taliesin]

-S'il vous était effectivement possible de me prêter une harpe, un luth, une lyre ou quelque chose d'approchant, je vous en saurais gré.
Était-ce une manière de tradition ? Tous les bardes arrivant ici devaient-ils se fendre d'un récital ? Attendait-on autre chose des visiteurs exerçant une autre profession ? Ou, au contraire, fallait-il y voir la marque de sa compagne d'aventure ? Il se souvenait qu'elle lui avait touché un mot à ce sujet, arguant que ses compétences pourraient servir, à condition de piocher dans le bon répertoir. D'ailleurs, il y avait un peu songé, dans les moments de creux, histoire de s'occuper l'esprit.

[Galathée]

" Je vous apporte ça, dit le serviteur à la tête penchée. Allez vous installer. Le Maître ne va pas tarder à arriver et si vous n'êtes pas en place... Je n'ose l'imaginer."
Puis il s'en fut en trottant, maintenant sa tête en place d'une main.
Taliesin n'eut pas grand mal à se frayer un passage jusqu'à la petite estrade qui lui était dédiée. Il s'attira quelques regards, quelques commentaires dans une langue abyssale qu'il ne reconnut pas, des sourires sanglants ou édentés. Sa prestation était manifestement attendue.
Sur l'estrade, il trouva un tabouret en bois noir, dont les pieds avaient la forme de pattes griffues, qu'il eut l'impression de voir bouger. Le serviteur arriva bientôt avec une lyre en os, aux cordes curieusement rouges. Il valait mieux ne pas trop se demander de quoi, exactement, elle était composée.
" Jouez un peu de musique, le maître saura que vous êtes arrivé... Ne lui adressez pas la parole quand il apparaît, contentez-vous de vous lancer..."

[Taliesin]

L'elfe acquiesça.
-Quelques conseils quant à ses goûts et à ceux du reste des convives ?
Il avait beau y avoir déjà réfléchi suite à sa conversation avec Kiazalle, un petit coup de main ne serait pas de refus pour cerner précisément ce qu'aimaient cette assemblée et, plus encore, celui qui la présiderait bientôt. Sans cela, tant pis, il ferait au jugé et adapterait en fonction des réactions : ce n'était pas infaisable, quoique cela réclame une grande attention.

[Galathée]

Le serviteur parut surpris.
" Ben... Vous les avez vus, non ? Vous êtes en Gisombre. Je suppose que vous n'aviez pas l'intention de chanter une balade elfique mièvre ou une épopée de hauts faits chevaleresques... Ils aiment... les choses sinistres, cruelles et qui finissent mal... J'espère que vous avez prévu le coup, parce que si c'est pas assez glauque... ils pourraient exiger que vous compensiez en nature."

[Taliesin]

-Oh, ne vous en faites pas : je sais faire dans le glauque quand c'est nécessaire. Je posais simplement la question parce qu'en ce registre, il y a autant de nuances que dans les autres : ainsi le maître des lieux a-t-il peut-être une préférence pour un thème particulier... Mais je vais me débrouiller : merci pour vos réponses.
Bon eh bien, ça allait lui rappeler ses séances auprès des drows, dans les profondeurs de Mersant. Sauf qu'ici, il serait question de musique et non d'histoires.
Mais ce n'était pas comme si cela changeait grand chose.

[Galathée]

Le Maître des Lieux en question arriva pendant le premier morceau du barde. L'auditoire s'était plus ou moins tu pour l'écouter jouer (Taliesin devinait qu'il ne fallait pas en attendre une attention et un silence parfaits, mais il avait l'habitude des tavernes agitées) et il déployait ses notes avec la nonchalance d'un habitué qui en a vu d'autres, lorsqu'une imposante silhouette apparut sur l'estrade d'honneur. Difficile de savoir par où il était arrivé car il se mouvait sans bruits. Par ailleurs, il était difficile de l'observer sans perdre les cordes de la lyre de vue ou se montrer inconvenant. Il était en tout cas très grand, engoncé dans des vêtements (ou une armure ?) sombre et le visage dissimulé par un capuchon (ou un casque) muni de cornes. Plus que ça, c'était difficile à dire... d'autant qu'il était simplement malaisé de l'observer. Comme si le regard refusait de s'y poser.

HRP : si tu as envie d'écrire une balade macabre, c'est le moment c'est l'instant... Ce n'est en rien obligatoire, cela dit.

[Taliesin]

HRP : C'est une bonne idée mais, à la réflexion et pour éviter que ma réponse ne tarde trop, je préfère y songer à posteriori.

Il ne chercha pas à l'y contraindre : il en avait vu assez et ne souhaitait en aucune façon s'infliger de nouveaux spectacles horrifiques à moins d'y être contraint. Non, il préférait, et de loin, se concentrer sur sa prestation : c'était même crucial.
Les chansons sinistres ou macabres, ça n'était pas son rayon, loin s'en faisait. Il en connaissait cependant, car elles n'étaient pas si rares, même parmi les êtres civilisés et pas foncièrement mauvais : certaines commémoraient d'amères défaites, d'autres de terribles drames, d'autres encore d'horribles méfaits ou d'affreuses catastrophes. Il entreprit donc de piocher dans ce répertoire, se permettant quelques libertés avec les œuvres originales lorsque celles-ci étaient trop allusives, donnaient trop peu de détails quant aux aspects les plus susceptibles de plaire à son si particulier public.
Ce n'était pas particulièrement agréable ; cela n'avait toutefois rien d'insurmontable.
Il se contentait de faire son boulot, en quelque sorte.

[Galathée]

Au bout d'une troisième complainte, le Maître des Lieux se leva et Taliesin devina à quelque chose d'indéterminé qu'il devait s'arrêter. Peut-être juste à la température de l'air et à un léger frisson qui lui hérissa les cheveux de la nuque. Son hôte ne dit rien, cependant, se tourna vers lui et frappa trois fois, lentement, dans les mains. Le reste de l'assemblée se permit des applaudissements plus nourris, bien que curieusement discordants, comme si par défaut, chacun d'entre eux s'efforçait de ne pas reproduire le rythme de son voisin. Il y eut aussi des grincements de dents, des cris et des insultes, mais c'était sans doute inhérent à l'assemblée.
Ensuite, le Gurthal se retira et Kiazalle surgit à côté du barde.
" Est-ce que ça va ?"

[Taliesin]

-Oui oui, acquiesça-t-il. J'ai reçu l'aide dont vous m'aviez parlé et jusqu'ici, je crois ne pas m'en être trop mal tiré.
Il déposa précautionneusement la sinistre lyre qu'on lui avait prêtée et récupéra la dîme durement acquise.
-Et vous ? Tout va bien ?

[Galathée]

" Pas plus mal que d'habitude. Désolée de vous avoir largué, mais vous vous êtes bien sorti... et ça aurait été pire en restant avec moi. Vous ne vous en seriez peut-être pas sorti du tout."
Elle eut un sourire sinistre.
" Vous êtes prêt ? C'est le moment d'aller voir le Gurthal. Nous avons déjà passé beaucoup trop de temps en Gisombre. Je ne voudrais pas que ma pauvre doublure et vos enfants s'inquiètent."

[Taliesin]

-Je préfère également éviter que cela n'advienne.
Dans l'idéal, il souhaitait même que Baptiste et Victor ne se rendent compte de rien.
-Par contre, pourriez-vous m'expliquer ce que nous allons faire ? Je sais quel est le but de notre expédition, mais j'ignore totalement les moyens dont nous allons user pour l'atteindre. Demanderons-nous une faveur au maître des lieux ? L'échangerons-nous contre cette âme ?

[Galathée]

" Oui, nous allons lui demander une faveur. Tu as une âme, tu viens de lui démontrer ton talent, il nous écoutera... Je ne crois pas que nous devrons en faire davantage. Mais tu vas devoir plaider ta cause. Ne le prends pas par les sentiments du genre que ton fils venait de rencontrer son père pour la première fois... Il n'en aura rien à cirer. La mort est cruelle, elle fauche toujours aux endroits qui font mal. Mais tu peux plaider ton désir de vengeance envers ceux qui ont cru lui voler son bien... quelque chose comme ça. Et... bon... Je suppose que Sonia t'a prévenu, pour les têtes ? Parce que... il y aura probablement la tête de Maurin. De ce que je sais... Il y a des chances que ce soit le Gurthal lui-même qui soit venu le prendre."

[Taliesin]

-Je me suis préparé à cette éventualité : à l'origine, je pensais que nous le rencontrerions sous forme de fantôme mais plus le temps à passé, plus j'ai compris à quoi je devais m'attendre. Quant à ce que je dirai au Gurthal... Oui, j'ai bien conscience que c'est sur ce genre de levier qu'il faut tenter de jouer et je m'y efforcerai. J'espère simplement qu'il ne pensera pas que je cherche à l'entourlouper, point sur lequel Sonia m'a mis en garde. Car si je suis en colère par rapport à ce qui s'est passé, c'est la justice que je recherche, non la vengeance.

[Galathée]

" Mm... La justice, je ne suis pas sûre que ce sera très porteur... mais il y a une différence subtile entre arnaquer le Gurthal et légèrement nuancer ton propos..."
Elle secoua la tête.
" Je n'en sais rien. Fais comme bon te semble. C'est vrai qu'il vaut mieux que tu sois à l'aise avec ta requête."
Le serviteur à la tête penchée était revenu près de l'estrade.
" Dame, Messire, si vous voulez bien me suivre..."

[Taliesin]

L'elfe acquiesça, s'exécuta.
Cette fois, ils y étaient : ils approchaient de la conclusion de toute cette histoire, du moment où se jouerait ce pour quoi ils étaient venus jusqu'ici. Restait à espérer qu'ils n'auraient pas fait tout cela pour rien ou, pire encore, que cela n'aboutirait pas à une catastrophe empirant encore la situation.
Enfin ! S'il suivait les règles, tenait compte des mises en garde, ili devrait au moins pouvoir éviter les écueils.
Pour le reste... On verrait bien.

[Galathée]

Le serviteur les entraîna au bas de l'estrade, puis le long de la table d'honneur et ils quittèrent la salle du festin par une arche gravée de crânes (en pierre, cette fois). Kiazalle avait pris la main du barde et il la sentait nerveuse, mais elle lui adressa un sourire encourageant quand elle croisa son regard. Elle lâcha cependant sa main alors qu'ils remontaient le couloir et prit la tête de leur tandem, se redressant, reprenant sans doute son rôle de femme drow. Le serviteur, qui tenait toujours sa tête d'une main, s'immobilisa devant une porte bardée de fer, à la mesure du maître des lieux. Un visage grimaçant y était incrusté, bouche ouverte, crocs menaçants. Il y avait tout juste la place d'y glisser une âme.

[Taliesin]

Et c'est ce qu'il s'efforça de faire, tout en prenant grand soin de ne la point toucher - savoir a qui appartenait cette âme, quels crimes avaient été commis, il n'en avait absolument aucune envie.
Aurait-il pu en trouver une plus appropriée ? Une qui aurait davantage mérité ce sort moins pire que d'autres ? Peut-être. Sans doute, même. Mais ce qui était fait était fait et il n'éprouvait guère de remords à ce sujet.
Ce qui comptait, maintenant, c'était de rendre justice à Maurin ou, à défaut, de faire en sorte que les responsables de sa mort ne l'emportent pas au paradis.

[Galathée]

Quand Taliesin eut inséré l'âme dans la bouche de la créature, celle-ci la referma lentement, et la boule rougeoyante disparut à l'intérieur de la porte. Pendant un moment, il ne se passa rien : ni mouvement, ni son. Puis la porte commença à s'ouvrir, lentement, dans le silence le plus total, bien qu'elle ait l'air lourde et ancienne. A l'intérieur, tout était absolument noir, à l'exception d'un cercle de lumière dorée — de la couleur, à nouveau — au centre duquel se trouvait un trône tarabiscoté. On aurait pu le craindre constitué de têtes mais il n'en était rien : il s'agissait d'une sorte de pierre granuleuse, figée, comme les scories d'un ancien volcan. Le Gurthal était assis, immense, cornu, et pourtant impossible à discerner. Il était vêtu de noir, encapuchonné ou casqué ou simplement absent. Seuls ses yeux, brillant d'un éclat rouge, paraissaient tangibles. Il fixait le barde et l'écrivaine. Taliesin sut, juste en le regardant, que le Maître des Lieux avait tout pouvoir sur cet endroit, et que rien, ni personne, ne pourrait l'y combattre ou l'y vaincre. Il était dans son antre, peut-être à l'intérieur d'un Plan inclus dans Gisombre. Il fit un geste de la main droite et les deux elfes avancèrent, sans même réellement y réfléchir.
Taliesin sut qu'il devait désormais exposer ses doléances.

[Taliesin]

Ce qui ne l'arrangeait guère, lui qui avait imaginé que Kiazalle, autrement plus experte en ces domaines, prendrait les choses en main, au moins au début.
D'un autre côté, cette affaire le concernait, pas elle : il était donc logique que la tâche lui incombe.
Le voilà en tout cas au pied du trône, s'inclinant respectueusement. Il savait se comporter devant les personnages de haut rang et sentait qu'ici, les ronds de jambes seraient malvenus : de la déférence sans fard inutile, voilà qui semblait plus approprié.
-Merci de nous recevoir, dit-il en guise de préambule. Je me présente devant vous suite à la mort de Maurin d'Averlande, dont nous avons tout lieu de croire qu'elle a été orchestrée par des individus cherchant à s'approprier ses biens plutôt que de les voir hérités par son fils naturel. La seule idée de les voir parvenir à leurs fins m'étant insupportable, je cherche un moyen pour faire échouer leur machination, pour qu'ils aient à subir les conséquences de leur crime et pour que l'héritage leur échappe.
Peut-être un tantinet trop doux, comme formulation. Mais au moins ne mentait-il en aucune façon.

[Galathée]

Le Gurthal écouta le récit du barde sans réagir puis se redressa légèrement.
" J'ai tué Maurin d'Averlande et j'ai tué celui qui m'a demandé de le tuer, comme le veut le pacte." dit-il d'une voix caverneuse, pas du tout humaine, mais pourtant en commun.
Il posa la main sur le pommeau d'une hache gigantesque, qui était appuyée contre son trône, peut-être apparue soudainement.
" Qu'attends-tu d'autre, au juste ?"

[Taliesin]

Voilà qui n'arrangeait pas ses affaires...
-J'ignorais que le commanditaire était mort, avoua-t-il. Cependant, peut-être travaillait-il pour le compte de quelqu'un d'autre, peut-être messire Maurin disposait-il de preuves concernant le danger qui le menaçait... Avoir accès à pareilles informations serait pour moi des plus utiles.
Ce qui impliquerait d'éprouvants entretiens. Mais il s'y était préparé.

[Galathée]

Le Gurthal demeura silencieux.
" En somme, tu veux leur parler. Je peux consentir à cela. Mais l'un et l'autre m'appartiennent. Tu ne les sortiras pas d'ici. Leur âme est mienne et le restera jusqu'à la fin de leur temps."