La Couronne de Cuivre

" Ils nous guettaient, répondit Jolien. Ils ont dû repérer de la bouse de yack ou de mule dans la montagne. Ils ont un sacré odorat. Ils savent que la grotte sert de refuge. Ils attendaient l'aube pour voir ce qu'il allait en sortir. On aurait pu les attaquer à la lumière, mais nous n'aurions pas bénéficié de l'effet de surprise et ils auraient probablement tenté de fuir pour aller chercher du renfort."

" D'accord, je comprends", acquiesça Astrée.
Dimitri et les jumeaux connaissaient leur affaire. C'était leur métier, après tout.
Elle n'ajouta rien, se contentant d'attendre le retour des deux mercenaires. Elle n'avait pas la chance d'avoir les capacités de vision d'Eyri, et il ne lui servait à rien de scruter en vain l'obscurité sous leurs pieds.

" Vous pouvez retourner dormir, dit Jolien. Ils vont en avoir pour un moment, à inspecter les cadavres et à vérifier qu'il n'y en avait pas un troisième."
Eyri s'était assis contre la paroi et paraissait dormir. Sans doute était-il retourné dans son monde de rêveries. La nuit avait retrouvé son impénétrable noirceur.

" N'hésitez pas si vous avez à nouveau besoin de moi", répondit Astrée en se dirigeant vers le rebord de la plateforme.
Redescendre la paroi dans l'obscurité était encore plus risqué que de grimper, dans l'absolu. Mais elle venait tout juste d'en pratiquer l'escalade et elle devrait réussir à se souvenir des prises, surtout maintenant que ses yeux étaient davantage habitués à l'obscurité.
Elle progressa avec précautions, lentement, se fiant à son*sens du toucher davantage qu'à sa vue. Il y avait douze toises à descendre, en se décalant à droite... puis à retrouver sa couverture sans réveiller personne.

Elle glissa une fois, presque au bout, car la pierre était détrempée par les éclaboussures de la cascade, mais se rétablit sans difficultés grâce aux prises de ses mains. Ensuite, elle retrouva les ténèbres profondes de la grotte, pesantes après la relative clarté du dehors, et enfin, pas à pas, son lit (elle heurta un dormeur du bout du pied, sans doute Kalju à entendre son murmure, mais il ne s'éveilla pas).

Le matin survint ensuite très rapidement, ou du moins ce fut son impression. Une odeur de thé fraîchement infusé se répandit dans la grotte et lorsqu'elle ouvrit l'oeil, elle nota que Mathieu, Dimitri et Eyri étaient déjà levés. Jolien était invisible. Jeroen et Kalju émergeaient en maugréant. Félicie, bien sûr, dormait à poings fermés.

Astrée émergea sans trop de difficulté de son sommeil interrompu. Elle se sentait plutôt bien reposée compte tenu des circonstances, même si elle enviait Dimitri et les jumeaux qui semblaient s’accommoder aisément de nuits écourtées : elle se demandait combien d'heures ils avaient réussi à dormir.
Elle enfila ses chaussures rapidement -elle avait dormi habillée-, boucla son sac, et se rapprocha du petit groupe déjà éveillé, les saluant d'un sourire. La journée s'annonçait longue et potentiellement mouvementée, et peut-être Dimitri avait-il des consignes ou des informations complémentaires à leur transmettre suite à l'attaque nocturne. Et surtout, elle avait grand besoin d'un bon thé.

Mathieu le lui tendit.
" Alors, il parait qu'on a chassé le troll aux petites heures ? Je n'ai rien entendu. Je suis un peu dépité, d'ailleurs. Je pensais que j'avais un sommeil plus léger que ça.
— C'est tout bénéfice pour toi, intervint Dimitri.
— C'est sans doute pratique mais pas très rassurant."

Astrée accepta le thé avec un sourire de remerciement.
" Ça prouve surtout que je sais être très discrète ! Mais rassure-toi, si un troll était entré dans la grotte, je suis sûre que tu l'aurais entendu... et senti, aussi, si leur réputation est justifiée. Et puis, comme tu as bien dormi, tu seras en pleine forme pour la prochaine attaque."
Elle se tourna vers Dimitri.
" Et vous, vous avez réussi à dormir un peu quand même ? Et... ils n'étaient que deux, c'est sûr ? "

" On ne peut jamais être sûr, répondit-il sobrement, mais c'est généralement leur manière de travailler, donc j'ai bon espoir. Evidemment, leurs comparses vont s'étonner de ne pas les voir revenir... et en tirer les conclusions qui s'imposent, mais nous les aurons devancés. Nous allons prendre un chemin détourné, aujourd'hui, et exposé. Le parcours ne sera pas fortement rallongé mais ça nous permettra de les voir venir de loin. C'est notre meilleure chance. Nous ne sommes pas gros : nous resterons peu visibles en dépit du terrain."

" D'accord", acquiesça Astrée.
Elle avait confiance en son professionnalisme, et engrangeait au passage toutes les informations qu'il lui donnait pour le cas où elle doive à nouveau, dans le futur, affronter des trolls.
Elle resta silencieuse quelques instants, buvant quelques gorgées de thé avec délectation : les matinées étaient fraîches en montagne.
" Est-ce que vous aurez besoin des services de mon compagnon écureuil ? Avant de sortir d'ici notamment ?"

" Jolien surveille les environs. Nous aurons besoin de l'écureuil à l'approche du chantier, mais ce ne sera que demain soir, si tout va bien."
Il la dévisagea une seconde.
" C'est un choix curieux de familier... Pas très... utile."

Astrée eut un sourire joyeux. Prince des Frelons était le plus utile, le plus merveilleux des familiers, mais Dimitri n'avait pas besoin d'en savoir davantage.
" On ne choisit pas vraiment son compagnon animal, c'est un peu le destin, le hasard... alors, je ne sais pas, peut-être que je devais avoir besoin de douceur à ce moment-là ! En tout cas, c'est un compagnon adorable, et un espion plutôt discret. Je n'en changerais pour rien au monde."
Tout en bavardant, elle chercha du regard un peu de nourriture solide, du pain, des fruits, du fromage, tout ce qui était nécessaire pour prendre des forces avant une journée de marche.

" Si vous êtes satisfaite, c'est le principal." dit-il sobrement.
Quelqu'un avait déjà préparé un gruau aux fruits frais, agrémenté de noix et de miel, au goût de friandise sans être écoeurant. Mathieu avait l'air de beaucoup apprécier et il la servit généreusement. Kalju et Jeroen s'étaient approchés, la mine chiffonnée, et ils acceptèrent une tasse de thé. Il faisait toujours un peu sombre, mais le rideau d'eau avalait une bonne part de la lumière. Il faudrait que quelqu'un se dévoue pour aller réveiller Félicie.

Astrée se dévouerait, bien sûr... dès qu'elle aurait avalé quelque chose. Le gruau était délicieux, le thé également, ou peut-être était-ce simplement l'air pur des montagnes qui la mettait en appétit.
Elle avala la moitié de son gruau avant de se décider à aller secouer doucement la halfeline, devinant qu'il valait mieux partir aussi tôt que possible. Félicie pourrait finir sa nuit en selle, après tout, contrairement à eux tous.

Félicie émergea avec difficulté mais bonne humeur, s'étonna qu'il soit déjà le matin, d'avoir si bien dormi, et refusa de croire qu'Astrée ait pu tuer des trolls en pleine nuit. Mathieu entra dans son jeu en taquinant la druidesse, mais Dimitri remit de l'ordre dans leur petit délire matinal en sonnant l'heure du départ. Ils nettoyèrent les traces de leur passage en un éclair, puis émergèrent de l'autre côté de la cascade. Il faisait gris et obscur, le soleil, s'il était levé, était complètement étouffé par les nuages. Prince se réfugia dans le capuchon d'Astrée avec la nette intention de ne plus jamais en ressortir. A nouveau, les animaux passèrent par le lac, Félicie, juchée sur Kimik, les guidant vers la berge selon les instructions du chef mercenaire.
Tout le reste du groupe passa, vaille que vaille, par la paroi. Il faisait beaucoup trop froid pour tenter le plongeon.
Une fois dans la rocaille, ils se réorganisèrent. Jeroen et Mathieu prirent la tête du groupe, suivis par Astrée et Kalju, puis Jolien et Félicie, enfin Dimitri et Eyri. Ils grimpèrent directement dans un sentier abrupt, comme un escalier mal taillé de roche, qu'un cheval ordinaire n'aurait jamais pu emprunter. Le cerf d'Eyri était beaucoup plus calme que la veille et, bon dernier, parvenait à suivre. Cette ascension périlleuse et épuisante dura plus d'une heure, avant qu'ils ne débouchent dans une petite vallée encaissée entre deux pics presque noirs. Jeroen leur désigna une passe loin vers l'est et ils repartirent. Il ne pleuvait pas, mais l'air s'était chargé de cristaux de glace et le vent soufflait dans la mauvaise direction.

L'automne arrivait tôt en montagne, et Astrée n'était pas surprise de voir le temps se dégrader. Avec un peu de chance, le ciel pourrait se dégager plus tard dans la journée, mais les choses étaient mal engagées. Elle s'attendait plutôt à de la pluie... ou du brouillard s'ils étaient suffisamment haut. Ce qui serait une très mauvaise nouvelle.
Elle ne lança pas de sortilège pour en savoir davantage : le temps variait énormément d'une vallée à l'autre, et, lorsque le temps était menaçant, connaître le climat du lieu ne permettait pas de deviner celui qu'ils rencontreraient plus loin. Elle se contenta de s’emmitoufler dans sa cape, d'enfiler un bonnet sur le crâne, et avança d'un pas régulier, se retournant parfois pour vérifier l'avancée des autres, et surtout du cerf d'Eyri. Elle songea que Mathieu tenait étonnamment bien le coup, et vérifia d'un coup d'oeil qu'Eyri avait des vêtements chauds -lui n'afficherait jamais sa fatigue, par fierté. La mieux lotie était décidément Félicie. Et Prince...
Quant à elle, elle ressentait la fatigue dans ses membres, mais elle avait l'habitude des longues marches en montagne, même dans des secteurs escarpés, et se savait capable de progresser ainsi toute la journée. Il fallait juste espérer que les trolls ne soient pas déjà à leur recherche : elle profita de leur arrivée au col pour observer attentivement les alentours, avant de reprendre, comme les autres, leur marche interminable.

Juste après le col, ils reprirent leur ascension, cette fois à flanc de montagne. Le cerf peinait en queue de groupe, Eyri demeurait à ses côtés, Dimitri les précédait de quelques pas, sans afficher d'inquiétude particulière. Le reste du groupe progressait sans faillir : il était encore tôt et même les moins endurants d'entre eux ne fatigueraient sans doute que dans l'après-midi. Au bout de leur escalade, ils débouchèrent sur un vaste plateau, immense, qui paraissait circulaire.
" Ancien volcan, remarqua Kalju, d'une voix marquée par l'essouflement.
— Nous allons faire une pause pour manger, intervint Dimitri. Tout le monde en a besoin."
Prince, lui, avait férocement envie de se métamorphoser en abeille car, sur ce plateau, il y avait des fleurs...

Astrée acquiesça d'un signe de tête, sans parler, occupée à reprendre son souffle. Ils montaient depuis des jours et des jours, gagnant chaque fois un peu plus en altitude, mais depuis la veille leur progression s'accélérait, et l'air frais, chargé de glace, lui rappelait qu'ils s'approchaient des glaciers. Et cela l'enthousiasmait, au fond, l'empêchant de ressentir la fatigue tandis qu'elle dévorait des yeux les paysages magnifiques.
Elle reconnaissait néanmoins la nécessité d'une pause, et posa son sac au sol avec soulagement, avant de se diriger vers le yack pour aider Félicie à en descendre et fouiller dans leurs provisions.

Comme Astrée s'occupait du yack, Prince en profita pour filer dans l'herbe et elle devina qu'il s'était métamorphosé en abeille. C'était sans doute mieux qu'en cheval — le plateau l'aurait permis — et personne ne cria, signe que personne, sans doute, ne l'avait remarqué. Félicie n'avait pas besoin d'aide et tout le monde s'installa un moment dans l'herbe pour manger un morceau, fruit ou quignon de pain ou restant de gruau froid. Seuls Dimitri et Eyri restèrent debout, s'écartant un moment pour parler à mi-voix. Jeroen, de son côté, se servit rapidement puis monta la garde. La mule et le yack broutèrent tranquillement tandis que le cerf se coucha.
" Je ne suis pas sûre que j'adore ce genre d'endroits, commenta Félicie. Immense et désolé et terriblement vide.
— Ce n'est pas mon genre non plus, dit Mathieu. Ça manque de gens. On pourrait se faire dévorer par une bestiole, et personne n'en saurait jamais rien.
— Ça arrive souvent." lâcha Jolien, acide.

" Ça ne m'étonne pas, répliqua Astrée d'un ton tranquille. C'est un peu la même chose qu'en Lorien, au fond, ou dans toutes les régions sauvages... Mais le problème supplémentaire, en montagne, c'est qu'on peut facilement faire une mauvaise chute. Entre le froid et les quelques prédateurs, on a peu de chance de s'en sortir si on est seul."
Paradoxalement, cela ne lui faisait pas vraiment peur. Pas autant qu'elle aurait dû. Peut-être parce qu'elle avait trop confiance en ses capacités de guérisseuse en cas de mésaventure. Et parce qu'elle aimait la solitude. Mais en y réfléchissant... elle n'avait pas d'attache, personne pour s'inquiéter de son sort si elle ne rentrait pas : elle pouvait crever dans les immensités glacées sans que quiconque s'en émeuve. Était-ce important, était-ce regrettable ? La mort, après tout, faisait partie de l'ordre naturel des choses...
Elle réalisa qu'y réfléchir la mettait mal à l'aise, et préféra ne pas creuser la question. Mieux valait revenir sur des notes plus positives.
" Moi je les trouve magnifiques, ces paysages. On se sent tout petit, insignifiant face à la Nature, ça nous remet à notre place... et ce silence... Et l'air est tellement pur ! C'est quelque chose qu'on ne ressent jamais en plaine."
Bien sûr, elle comprenait que Mathieu et Félicie, plus citadins qu'elle, ne partagent pas cet enthousiasme.

" Je n'ai pas dit que je me sentais davantage en sécurité en ville, dit Mathieu avec un léger rire. Mais au moins, je maîtrise l'environnement. Et je suis plus ou moins sûr que je peux convaincre n'importe quel coupe-jarret que ma bourse suffit et que trancher ma gorge ne lui apportera rien de plus, sinon des taches sur sa tunique. J'ai moins confiance en mes capacités à en convaincre un troll...
— Je te déconseille d'essayer, murmura Jolien.
Astrée va nous protéger des trolls, fit Félicie. En les caressant dans le sens du poil.
— Les trolls ne sont pas des animaux. Ils tueront tout le monde, s'ils en ont l'opportunité.
— Et puis ils n'ont pas de poils."

Astrée rit de la dernière remarque, et répondit à Félicie avec un haussement d'épaules amusé.
" Je ne saurais pas négocier avec un troll. J'ai bien compris que ça ne servait à rien d'essayer de leur faire les yeux doux !"
Elle poursuivit, plus sérieusement.
" Il faut juste les éviter, et sinon, leur faire suffisamment peur pour qu'ils préfèrent aller chercher très loin une proie plus coopérative. Tout est dans les apparences, finalement : c'est un peu comme des mâles qui essaient d'impressionner leur concurrent en jouant à qui à la plus grosse... hum, pardon pour tes chastes oreilles Félicie... mais là le gagnant est le prédateur qui fait le plus peur à l'autre. Et on sait faire !"

" C'est moins simple que ça, malheureusement, d'après ce que m'en a dit Jeroen, dit Mathieu. Les trolls du coin sont sédentaires. Ils connaissent bien les gens de la carrière, les gens du chantier, et les mercenaires qui les convoient. Il y a autre chose que juste leur estomac, il y a aussi une sorte de... amour-propre, quelque chose comme ça ?"
Jolien acquiesça.
" Disons qu'avant, il fallait un groupe de dix ou douze hommes armés, pour traverser la zone, et généralement, ils parvenaient toujours à prélever une ou deux proies... Aujourd'hui, nous avons une certaine expertise. Du coup, on peut traverser à trois ou quatre... Des prédateurs ordinaires auraient déplacé leur territoire. Mais les trolls ne sont pas comme ça."

Astrée haussa les épaules.
" Bah, ils sont chez eux, pourquoi devraient-ils se déplacer juste parce qu'on est là ? Ce sont des créatures qui tiennent à leur territoire, apparemment. Ils ont d'autres proies que nous, j'imagine. Nous on est juste de passage, des proies tentantes qui traversent leur terrain, mais suffisamment dangereuses pour qu'ils se méfient... enfin, j'espère pour eux et pour nous. Mais ça n'empêche pas qu'ils vont tenter, encore et encore, de s'en prendre aux humais qui traversent, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé une faille dans notre mode de défense. C'est logique qu'ils réagissent comme ça : ce sont des créatures intelligentes, capables de s'adapter et donc de relever des défis. Faut juste espérer qu'ils n'y arrivent pas trop vite, qu'on ait le temps d'être loin... mais on est plus intelligents qu'eux, on devrait réussir à avoir toujours une certaine avance stratégique. J'ai confiance."

A voir la mine de Jolien, il n'était pas difficile de deviner ce qu'elle pensait de ce genre de discours. Mais elle n'ajouta rien. Kalju s'était éloigné pour rejoindre Eyri et Dimitri. Félicie s'étira comme un chat.
" Moi j'ai confiance en nos gardes du corps. En ce qui me concerne, si un troll me trouve, j'espère juste qu'il m'avalera toute ronde comme ça, il suffira de lui ouvrir le ventre pour me sauver. Comme dans les contes de fées.
— Il y a des contes célèbres avec des halfelins qui vainquent des trolls.
—*Ah bon ? Je ne les connais pas ! Comment est-ce possible ?
— Je te les raconterai, si tu veux... mais une fois qu'on sera ailleurs qu'au milieu de rien."

Astrée rit.
" Aurais-tu peur qu'ils t'entendent ? Ou... peur du vide, peut-être ? Je serais curieuse de les connaître, moi, ces contes. Ça donnerait plein d'idées à Félicie, si jamais on les croise de trop près..."
Elle fit un clin d’œil à la halfeline.
" Ce qui n'arrivera pas, bien sûr. On a la meilleure escorte du monde !"
Un petit compliment à Jolien et ses comparse ne pouvait pas être néfaste... et puis, elle pensait sincèrement ce qu'elle disait.

" Je vais surtout économiser mon souffle, dit Mathieu. Et surveiller les environs."
Dimitri s'était rapproché.
" Félicie, vous allez voyager avec le cerf d'Eyri. Il ne tient plus le coup et Kalju est d'avis que Kimik peut le porter sans difficultés. Eyri va lui expliquer la situation mais, Astrée, si vous connaissez des plantes susceptibles de le calmer, cela peut valoir le coup. Sans l'assommer complètement. Si nous avons des ennuis, il aura besoin de ses pattes pour filer."

" Pauvre bête", fit Astrée avec une grimace.
Elle observa le cerf, couché sur le sol. Ils savaient que le voyage serait rude pour lui... Elle fouilla dans sa mémoire, mais ne trouva aucun sortilège susceptible d'aider l'animal. Elle pouvait, au mieux, augmenter sa vitesse de course, si elle mémorisait le sort correspondant, mais c'était peu utile face à l'épuisement.
" J'ai des herbes pour le calmer, oui. Enfin, je suppose que ça fonctionne aussi sur un cerf. Je vais un peu improviser le dosage... Il a l'air un peu plus lourd qu'un humain... Et ça ne va pas être simple de réussir à l'installer confortablement. "
Elle fouilla dans sa sacoche, en sortit quelques feuilles, fleurs et racines en poudre... hésita un peu... puis trancha : deux fleurs de valériane, associée au tilleul et à la passiflore : Il lui fallait avoir la main légère sur la valériane si elle ne voulait pas qu'il soit dans le cirage pendant les heures à venir. Et bien sûr, pour un humain, elle aurait fait infusé le tout.
" Je suppose qu'il peut les avaler comme ça, crues. Ça devrait suffire... Et j'essaierai de trouver en route d'autres plantes utiles, mais à cette altitude, il y en a peu."
Elle se dirigea vers Eyri : le cerf accepterait mieux le remède s'il venait de son maître.

L'elfe la regarda approcher avec une inquiétude manifeste, mâtinée de répulsion, mais Dimitri s'interposa en lui parlant rapidement en elfique et Eyri parut contrit puis accepta les feuilles sans regarder Astrée.
" Ne lui en veuillez pas trop, dit le mercenaire tandis que l'elfe allait vers son cerf. La réputation des femmes humaines est manifestement très négative dans sa tribu. Et c'est souvent quand nos certitudes sont le plus ébranlées qu'on s'y raccroche le plus fermement. Il finira par lâcher."
Il poussa un bref soupir.
" Mais nous perdons du temps."
Il se tourna vers Kalju.
" Venez, il faut charger le cerf dès que possible."

Cette réputation des femmes humaines semblait bien spécifique à la tribu d'Eyri. Jusque-là, Astrée avait plutôt été mieux accueillie que les hommes. Mais elle n'y pouvait pas grand-chose, et, contrite, s'efforça de se montrer simplement douce et souriante, sans faire de geste brusque ou inquiétant. Evidemment, ça ne changerait rien... elle pouvait juste ne pas aggraver les choses. Il en faudrait bien plus pour qu'Eyri lui fasse confiance après plusieurs décennies de méfiance acquise.
Elle s'approcha du yack, prête à donner un coup de main pour installer le cerfsi cela était utile, mais n'osant pas s'imposer. Elle n'interviendrait qu'avec la permission expresse de l'elfe.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon