La Couronne de Cuivre

Il ne pouvait rien cacher à Sylvia, il s'en rendait compte une fois encore. Mais loin de lui déplaire, cette pensée était réconfortante. Sans un mot, il l'embrassa dans le cou avant de poser ses mains sur ses épaules pour la masser tendrement : à force de rester immobile, il la sentait tendue et courbaturée et c'était un juste retour des choses après tout le soutien qu'elle lui apportait.

- Je déteste les ennemis qui se cachent : d'autant quand ils ont le temps pour eux. Je ne suis même pas certain de savoir contre quoi je lutte : un groupe de Malarite, la forêt elle-même, autre chose que je n'envisage même pas encore... C'est frustrant.

" Peut-être un peu tout ça à la fois ! Martha m'a raconté quelques légendes sur cette forêt maudite, c'est à frémir... Elle dit qu'il y a des morts-vivants par centaines sur certains secteurs, des zones dominées par le mal, des ruines hantées... Au point que j'en suis venue à me demander si c'était une bonne idée de venir vivre par ici."
Elle avait fermé les yeux et se laisser masser les épaules, se détendant peu à peu.
" Mais même en faisant abstraction de ça... C'est sans doute normal, aussi, que tu ne puisses pas en quelques jours réparer le mal qui a mis des décennies à s'installer..."

Tout en s'appliquant avec douceur pour détendre les muscles les plus endoloris, le demi-elfe réfléchit à ce qu'exprimait sa compagne. Il mit une minute avant de répondre d'un ton un peu plus assuré :

- Ces légendes ont un fondement pour la plupart mais la majorité de la lisière de la forêt est normalement sûre. Ce qui se passe ici est loin d'être une généralité et je comprendrais que tu préfères que nous nous installions ailleurs. Mais j'ai bon espoir que le Bosquet rendrait cet endroit magnifique : je dois me montrer patient, tu as raison : les arbres ne poussent pas en un jour et il faut attendre avant qu'ils ne donnent leurs premiers fruits.

Il laissa ses mains glisser le long de ses omoplates, devinant que tout son dos était crispé.

" C'est bien agréable, ton massage. Mes muscles ont tendance à forcer un peu différemment de ce à quoi ils sont habitués. Le bébé se fait lourd, peu à peu..."
Complètement alanguie, elle se laissait faire, profitant simplement du bonheur présent.
" Et ne t'en fais pas trop pour les loups. Aie confiance en ta louve : elle saura sûrement mieux que toi leur parler. C'est une chance que tu l'aies, en l'occurrence..."

Il laissa ses mains glisser un peu plus bas, descendant la colonne vertébrale pour arriver jusqu'au niveau de ses reins qu'il devinait encore plus tendus que le haut de son dos. Il chuchota d'une voix douce :

- Oui, j'ai énormément de chance : je suis le demi-elfe le mieux entouré de Toril avec elle et surtout toi !

" Si elle t'entendait, elle serait jalouse, méfie-toi !"
Sylvia se tut un moment, tandis que les mains expertes du rôdeur lui dénouaient doucement les muscles. Kasumi sentit qu'elle se détendait, s'alanguissait, glissant peu à peu vers un état de somnolence qui ne tarderait pas à l'amener aux portes du sommeil. Lui-même sentait la fatigue de la journée lui tomber sur les épaules, ses yeux se fermer. Il n'y avait plus le moindre bruit dans la maison si au-dehors. La nuit était paisible.

Kasumi poursuivit son massage jusqu'à ce qu'il sente que Sylvia était véritablement sur le point de s'endormir puis il l'embrassa à nouveau dans le cou et la serra contre lui avant de remonter les draps. Il ne mit que quelques minutes de plus à oublier ses soucis de la journée et à la rejoindre dans le monde du sommeil. Ces journées actives lui garantissaient au moins un endormissement rapide !

Il se réveilla un peu plus tard que de coutume et eut quelques difficultés à s'extraire du lit. Les journées trop longues et les nuits trop courtes commençaient à lui peser. A la cuisine, Martha s'affairait déjà, et elle lui fournit comme d'habitude un petit sac de toile contenant un casse-croûte -toujours le même, à l'exception notable du pâté confectionné à partir du chevreuil qu'ils lui avaient ramené quelques jours plus tôt.
Sylvia, cette fois-ci, fit l'effort de se lever pour lui dire au revoir, signe qu'il devait commencer à lui manquer grandement durant ces longues journées. Ou peut-être, simplement, avait-il fait plus de bruit que d'habitude et l'avait-il réveillé. Elle le serra fort contre elle avant qu'il ne quitte la maison, cherchant à lui transmettre force et optimisme.

Il se rendit compte qu'il en avait eu bien besoin : il avait eu toutes les peines du monde à se lever et les résultats en demi-teinte de la veille n'y étaient pas pour rien. Une nouvelle fois, Sylvia avait su, d'un geste, lui rendre son sourire et une part de son allant. C'est donc plus décidé que jamais que le rôdeur quitta la maison de Martha avec l'intention de retourner aussitôt vers les bois : il se devait de prendre contact avec Première Neige dès qu'il serait à sa portée.

Le contact avec Première Neige ne lui apprit pas grand-chose. Elle était repue, ayant eu sa part du gibier chassé la veille avec la meute. Elle avait mal, aussi, la blessure de son flanc s'étant réveillée, peut-être même rouverte, mais elle se sentait en forme et ne paraissait pas le moins du monde inquiète. Il apprit que la meute se trouvait toujours là où il l'avait laissée. Repus, il était peu probable que les loups décident de chasser aujourd'hui.

Le demi-elfe décida de faire un détour pour arriver à proximité de l'endroit où se reposait la meute. Tout en cherchant à éviter d'approcher de la tanière pour ne pas déranger les loups. Son intention était simplement de retrouver Première Neige seul à seule sans qu'elle ait à parcourir beaucoup de terrain : ainsi il pourrait la soigner puis la laisser retourner auprès de ses congénères.

Première Neige vint le retrouver lorsqu'il le lui demanda. Sa blessure, effectivement, s'était rouverte,et avait sans doute saigné. La plaie n'avait pas très bon aspect, rouge et un peu purulente : mieux valait la désinfecter complètement une fois nettoyée -chose désagréable au possible qu'il eut quelque peine à faire admettre à la louve. Un bandage neuf n'était pas superflu pour la protéger quelques temps. Maintenant qu'elle vivait à nouveau en forêt, les risques de blessure et d'infection étaient plus élevés.
Si on exceptait la douleur qu'elle ressentait encore, la louve semblait en pleine forme. Kasumi la sentit sereine, heureuse d'avoir retrouvé la compagnie de ses congénères. Elle se montra cependant plus affectueuse que de coutume, craignant peut-être qu'il prenne ombrage de ces nouvelles amitiés qu'elle nouait.

Kasumi prit grand soin de désinfecter entièrement la plaie puis d'appliquer un baume pour soulager sa louve : il ne voulait prendre aucun risque la concernant et ces moments passés ensemble contribuaient à renforcer leur complicité. Il pouvait en outre se permettre ce délai puisque Première Neige l'assistait dans la résolution du problème avec la meute de loups. Une mission qu'il lui rappela, l'encourageant à rester près du chef de meute et à le prévenir s'il se mettait en tête de retourner vers le village. Pendant ce temps et faute de piste plus probante, il retournerait chercher des signes de présences hostiles ou des indices à l'endroit où il avait abandonné la veille.

Il ne trouva d'abord pas grand-chose. Des traces de présence humaine, à nouveau, qui semblaient relativement récentes. Le reste d'un feu, deux pointes de flèche, un morceau de tissu accroché à des ronces; Mais les humains qui semblaient fréquenter ces lieux étaient d'une discrétion remarquable et ne laissaient quasiment aucune trace. Il trouva une piste, quelques empreintes sur le sol boueux, qu'il dut abandonner très vite : leur propriétaire semblait s'être volatilisé en franchissant un ruisseau.
Le gibier était nombreux, mais peut-être pas auta,t qu'il l'aurait escompté à proximité d'une rivière. C'était suffisant, pourtant, pour nourrir la meute si elle acceptait de revenir chasser par là.
Alors que le découragement menaçait de l'envahir, il finit par tomber sur de nouvelles traces d'occupation humaines, presque en bordure du fleuve : un cercle de pierre ressemblant, en beaucoup plus petit, à celui qu'ils avaient découvert sur la petite éminence surplombant la forêt.

Kasumi approcha prudemment du cercle de pierre, vérifiant en premier lieu les endroits où un archer aurait pu s'embusquer. Et s'il ne détectait rien de tel, il s'approcherait pour tenter de déterminer si le cercle de pierre était récent. Si c'était le cas, cela confirmerait que la cellule qu'il combattait était toujours active mais bien moins importante que celle qui s'en était prise au Bosquet à l'époque où il existait encore.

En s'approchant, Kasumi eût une sensation fugitive, mais nette, de malveillance, comme si quelque chose de néfaste imbibait l'atmosphère. Cependant nul ne semblait l'observer : l'endroit était désert.
Les pierres étaient plus petites que celles qu'il avait trouvé sur la petite colline. Le rôdeur fut frappé par l'absence quasi totale de mousse à leur surface. Cela pouvait signifier qu'elles avaient été installé récemment, ou que quelqu'un "entretenait" les lieux, ou simplement qu'elles étaient protégées magiquement contre les dégradations naturelles. En tout cas, il fut rapidement certain qu'une magie sombre régnait ici. Il le ressentait au plus profond de lui, comme si le cercle de pierre tentait de le repousser.

Kasumi doutait un peu que ce cercle de pierre ait pu être à l'origine du malaise des loups : il avait dû s'en approcher au plus près pour ressentir son effet après tout. Mais, dans tous les cas, il y avait ici une présence maléfique à l'œuvre et il ne pouvait pas passer à côté sans tenter de la défaire. Peut-être que ce ne serait pas suffisant pour régler le problème avec la meute mais c'était toujours un pas dans la bonne direction pour contrer le mal profond hantant la forêt environnante. Il se mit donc à prier sa déesse en marge du cercle tout en versant quelques-unes de dernières gouttes d'eau bénite qu'il avait acquise auprès d'Aïdan.

La prière, fervente, semblait agir un peu comme un talisman : il ressentait moins la souillure du lieu, comme s'il en était protégé. L'eau bénite, quant à elle, eût un comportement étrange : elle semblait se transformer en vapeur avant d'atteindre les pierres ou le sol, avec une sorte de sifflement évoquant presque celui d'une bouilloire. Mais elle avait un effet, indéniablement : Kasumi sentait que la répulsion exercée par le cercle de pierres diminuait. Il était certain que ce n'était pas seulement l'effet de sa prière. L'endroit retrouvait un peu de pureté. Ce ne serait peut-être pas suffisant : il lui restait trop peu d'eau bénite. Mais c'était un premier pas...

Le rôdeur enchaîna par d'autres prières et bénédiction qu'il connaissait avant de se redresser avec l'intention d'aller chercher un peu d'eau fraîche de la rivière pour achever de laver les pierres : ça n'aurait très certainement pas l'effet de l'eau bénite mais peut-être que cela contribuerait encore davantage à lutter contre la souillure qui imprégnait ce lieu maudit.

L'eau de la rivière, si elle ne fit pas vraiment de bien, ne pouvait être néfaste. Son nettoyage l'obligea à rester un moment sur le site, et il put constater que la sensation de souillure avait réellement décru. Nul ne vint le déranger. Les alentours semblaient complètement déserts. Si l'endroit était parfois utilisé pour de sombres pratiques, il n'en vit pas les auteurs.
Il devait être le milieu de l'après-midi, et il avait encore du temps devant lui.

Kasumi n'était pas mécontent d'avoir passé tout ce temps à nettoyer ce lieu de souillure : la tâche l'avait bien occupé et il avait le sentiment d'avoir accompli une action approuvée par sa déesse comme lorsqu'il avait nettoyé le ruisseau.

Mais quand il se redressa enfin, il prit conscience du temps qui avait passé et ne put s'empêcher de songer qu'il n'avait pas vraiment progressé dans la recherche de nouvelles traces de son ennemi ni même dans le problème posé par les loups. Il était peut-être encore temps de rattraper le temps écoulé en reprenant immédiatement ses recherches : c'est donc ce qu'il entreprit en cherchant de nouvelles traces de passage en partant du cercle de pierre et en commençant ses investigations par une zone qu'il n'avait pas encore explorée jusque-là.

Il poursuivit donc son exploration, examinant tout ce qui pouvait paraitre inhabituel ou suspect. Il trouva à nouveau quelques traces de présence humaine, sans jamais rencontrer quiconque : peut-être le ou les inconnus n'étaient-ils plus dans les parages, peut-être n'y venaient-ils que de temps en temps. Ou alors, s'ils étaient là, ils étaient particulièrement doués pour la discrétion... Mais la présence d'animaux sauvages fréquentant les lieux sans réelle crainte le faisait pencher pour l'absence totale d'humains à proximité.
Il détecta également la présence d'un foyer de morts-vivants, un peu plus au nord : une petite bande de goules et de blêmes, peut-être d'autres types de créatures également, qu'il put les observer quelques instants sans être remarqué. Ils étaient loin du village, cependant. Mais pas si loin, à la réflexion, du bosquet qu'il tentait de ranimer.

Sa haine viscérale de cette engeance le fit s'attarder un peu après son premier repérage : les goules et les blêmes étaient lents et n'étaient dangereux qu'en grand groupe et le terrain lui semblait favorable. De plus, éliminer ce foyer ne pourrait que contribuer à pacifier encore davantage de coin de forêt. Il prit donc soigneusement le temps de compter ses flèches avant de se décider à approcher pour en attaquer une à distance, espérant attirer l'attention d'un petit groupe pour ensuite l'éliminer s'il cherchait à le suivre comme il l'anticipait.

Vu son adresse et la lenteur des créatures qu'il affrontait, son plan d'action était tout à fait réaliste. Il put abattre sans difficulté une première goule, et, comme il l'escomptait, les autres se dirigèrent vers lui de leur pas lent et maladroit. Il avait le temps de s'éloigner pour se mettre à l'abri et tirer à nouveau, et ainsi de suite.
La seule difficulté, imprévue, provint du fait qu'une fois son attention ainsi focalisée sur les morts-vivants, il ne prêta pas assez attention à ce qui l'entourait. Il évita du justesse l'attaque d'un gros félin, bondissant d'un arbre juste au-dessus de lui, alors qu'il avait déjà éliminé la moitié des morts-vivants -il en restait trois.

Décidément, cette forêt regorgeait littéralement de félins hostiles ! L'idée qu'il puisse s'agir d'un animal lié d'une façon ou d'une autre à celui qu'il avait abattu quelques jours plus tôt lui vint même en tête. Mais il n'avait certainement pas le temps de laisser ainsi divaguer son esprit : il réagit par réflexe à cette attaque surprise avant même de parvenir à focaliser son attention sur ce nouvel ennemi. S'il évitait les premiers coups, il serait probablement à même d'analyser un peu mieux sa situation mais pour l'heure, seul comptait de sauver sa peau en évitant les griffes et les dents du fauve du mieux qu'il pouvait.

Le fauve ne devait pas s'attendre à une résistance aussi forte. Comptant sans doute sur l'effet de surprise, il comprit très vite qu'il ne ferait pas le poids face au rôdeur : il était de plus petite taille que la panthère qu'il avait abattue l'autre jour, et le combat était équilibré -trop au goût du félin qui, après une ou deux tentatives, préféra s'enfuir sans demander son reste. A moins que ce ne soit las présence d'un blème, arrivé tout près, qui ne l'ait fait fuir.

Cette fois, le rôdeur était bien décidé à ne pas se laisser surprendre une deuxième fois et il s’écarta de cette menace pour prendre le temps - durant quelques secondes – de fouiller les environs du regard pour voir si le blême était bel et bien le seul à le menacer directement. Si c’était bien le cas, il le frapperait à la tête ou au cou pour l’éliminer promptement. Sinon, il chercherait à se mettre hors d’atteinte pour n’avoir qu’un seul ennemi à affronter à la fois : il avait promis à Sylvia de prendre le minimum de risques après tout !

Le blème n'était pas seul : il y avait deux goules juste derrière lui. Mais vu leur lenteur, Kasumi n'aurait aucun mal à les distancer et à appliquer la stratégie qu'il avait suivie jusque-là. Il lui avait semblé apercecoir également un squelette dans le groupe initial, mais il ne semblait pas avoir suivi le mouvement -et n'était certainement pas assez intelligent pour tenter une manoeuvre quelconque de contournement.

HRP : vas-y, achève-les...

Le rôdeur ne chercha à pas presser son avantage et préféra au contraire prendre toutes les précautions pour ne pas risquer de prendre un mauvais coup stupide. Il recula donc de quelques mètres pour séparer ses différents adversaires et les attaqua ensuite à l'épée, se servant de son épée courte pour parer ou tenir à distance les bras crochus des mort-vivants et d'Etincelles pour trancher dans le vif. Ce genre d'engeance n'était pas très résistant et il put donc les abattre en quelques minutes à peine avant de prendre une profonde respiration et enfin de vérifier qu'aucune autre créature ne se trouvait à proximité.

Cette fois-ci, il semblait ne plus y avoir la moindre menace à l'horizon. La forêt était calme, paisible, sans paraître se soucier de la disparition de quelques-unes des aberrations mort-vivantes qu'elle abritait.
Il lui restait un peu de temps encore avant la nuit. Ses explorations l'avaient conduit au nord de la zone de gibier qu'il avait repérée. il pouvait poursuivre dans cette direction pour rejoindre, en moins de deux heurs, l'ancien bosquet. Ou faire demi-tour et rejoindre les loups qui devaient être à la même distance, mais vers le sud - sud-ouest. Oui, tout simplement, obliquer vers le nord-ouest et rentrer au village.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde