La Couronne de Cuivre

-L'avenir le dira...
Il observa son interlocuteur, un instant.
-Mais, et à moins bien sûr que vous n'ayez un homonyme, vous sous-estimez votre héritage. Votre nom est célèbre, en Féérie, et tous les êtres à qui vous avez permis de s'y réfugier vous vouent une reocnnaissance éternelle.

" Ah."
Il sourit.
" Je n'ai pas ouvert ce passage seul, mais j'imagine que c'est plus facile de s'en souvenir comme ça. C'est la charge et l'avantage de ceux qui dirigent : nous sommes associés aux choses que nous avons désirées, sans forcément les avoir réalisées nous-mêmes, en mal comme en bien. Féérie. C'est à peine si j'y ai jamais mis le pied moi-même, pour te dire la vérité."

-Je viens d'y passer quelques jours, et je m'y serais volontiers attardé davantage si le temps ne s'y écoulait pas d'une manière si différente, ce qui m'aurait fait courir le risque d'être absent des décennies de Toril... Mais ce qui est certain, c'est que si j'y ai été si bien accueilli, c'est grâce au souvenir que votre décision y a laissé. Au point qu'une jeune chauve-souris qui s'était attachée à nous m'a conseillé de me faire passer pour l'un de vos proches, afin d'obtenir gratuitement le gîte et le couvert. Je n'ai pas suivi son idée mais cela montre à quel point votre nom demeure important.

Le fantôme rit, un son caverneux qui semblait émaner à la fois de sa bouche et de sa gorge blessée.
" Tant mieux. Tes paroles sont réconfortantes. Je suis heureux que mon nom soit resté, pour certains, associé à une bonne action."
Il pinça les lèvres, parut ailleurs une seconde, puis sourit.
" Mais tu parlais du feu. Je peux t'enseigner un sortilège rapide qui te permettra d'en user pour te défendre. Il te permettra de lancer un trait de feu sur une cible... Plus tu gagneras en puissance, et plus ce sera efficace... et dangereux... et fais attention, car si tu boutes le feu à quelque chose, ce n'est pas toujours facile de l'éteindre ensuite."
Il ferma les yeux.
" Voici le geste à faire, et les paroles du sortilège disent ceci :"
S'ensuivit une mélopée arcanique classique. Une fois que Taliesin l'aurait apprise, il n'aurait plus qu'à chercher la Toile, comme les fois précédentes.

Et il entreprit de mémoriser tant le geste que les paroles.
Si le prince souhaitait qu'il s'exerce aussitôt à l'intérioriser, pour voir comment il procédait, il s'exécuterait. Mais vu le temps que prenait le processus, il était plus probable qu'il lui demande de s'exercer chez lui.
Dans tous les cas, bénéficier d'un tel sortilège serait un atout considérable : plus jamais il ne serait désarmé.

Urthemiel s'assura que les mots étaient justes — Taliesin avait une excellente oreille, il ne lui fallut que quelques répétitions — et que le geste était fluide puis, comme le barde s'en était douté, il les ramena vers la rotonde pour prendre congé.
" Travaille ce sortilège, celui du parchemin, les autres que tu connais déjà. Il faut qu'ils soient fluides, tous, avant de passer à la prochaine étape. Si tu as un doute, parle m'en la prochaine fois. Nous avons un long chemin à parcourir, mais tu es sur la bonne voie."

Il assura le prince qu'il suivrait scrupuleusement ses consignes, le remercia puis, l'ayant amicalement salué, il prit congé.
Le voyage allait reprendre avec, pour lui, plus d'exercices que jamais. Heureusement qu'il maitrisait mieux la rêverie, car cela lui permettait d'en caser une bonne partie durant la nuit. Pour l'entraînement magique, du moins, car pour le martial... Ce serait forcément en journée, sauf à rencontrer un autre noctambule.

Taliesin dut se reposer pour le restant de la nuit, puis un nouveau jour se leva et il fut sensiblement identique au précédent. Kelvim proposa à Taliesin de l'accompagner à la chasse, ce qui lui permit de dérouiller Minuit, qui était resté sagement attaché à l'arrière du convoi depuis leur départ. Le second de la caravane n'était pas mauvais archer, Taliesin, bien sûr, se défendait, et ils ramenèrent plusieurs faisans pour le souper.
Les enfants se montrèrent enchantés à l'idée de dévorer les oiseaux rôtissant sur la broche (sauf Titus qui paraissait bien plus intéressés par les lentilles à la ciboulette et aux petits oignons de Baptiste) et ils firent un festin un peu grassouillet mais amplement satisfaisant.

Au cours de la hcasse, il avait demandé à Kelvim si lui ou certains de ses compagnons maniaient l'épée et s'ils seraient susceptibles d'accepter, à l'occasion, de lui servir de partenaires lors d'une séance d'entraînement. Certes, le repas du soir faisait que caser ensuite des exercices physiques paraissait peu approprié, mais qui sait, cela pourrait toujours se mettre les jours suivants.
Pour le reste, le programme de la soirée et de la nuit serait identique aux précédents : histoire narrée aux enfants, travaux magiques, rêverie...

Plusieurs des gardes de la caravane étaient capables de se battre aussi Taliesin eut-il droit à sa première séance d'exercices le lendemain matin, juste après le petit déjeuner, tandis que les autres membres de l'expédition abreuvaient les boeufs et les attelaient et que les derniers vestiges de la nuit étaient rangés. Les enfants s'installèrent en rang d'oignon, assis, et contemplèrent les passes d'armes en les commentant comme des experts, ce qui ne facilita pas la concentration du barde. Son adversaire était un homme encore jeune, au style de combat assez grossier, mais qui était sans doute très efficace contre les loups ou les brigands. Ce fut instructif et sportif à défaut d'être très académique, puis le signal du départ fut donné et il fallut remiser les exercices à plus tard.
La journée se déroula à nouveau sans événement majeur. Les boeufs cheminaient tranquillement, les enfants vaquaient à leurs diverses occupations, Taliesin avait le loisir de procéder à son entraînement magique.
Les trois jours suivants furent semblables, les nuits également et Urthemiel l'aida à parfaire sa maîtrise de ces incantations simples jusqu'à ce que, comme prévu, il puisse les évoquer sans effort.

HRP : Taliesin dispose désormais de ses six sorts mineurs, mais ne peut plus avoir accès aux tours de magie de son ancienne version.

Tout compte fait, les choses s'étaient déroulées au mieux.
Contrairement à ce qu'il avait pu imaginer au départ, le voyage s'était révélé particulièrement propice à son entraînement : son abondant temps libre avait pu être exploité pour la magie et il s'était même trouvé des partenaires pour les passes d'armes. Autant de choses qu'il ne pourrait plus faire durant la deuxième partie du voyage, alors qu'ils ne pourraient plus compter sur la vigilance de proches sentinelles ou sur un vaste chariot...
Bref, il y avait de quio être satisfait !

A la mi-journée, le lendemain, un incident se produisit. Ils avaient, peu après leur départ, atteint l'endroit où leur route rejoignait celle qui descendait de Solarcis, une des voies principales d'Hélonna, beaucoup plus fréquentée que celle sur laquelle ils circulaient depuis quelques jours. Cela se manifesta par davantage de bruits, le passage de cavaliers, le bruit des essieux des chariots, parfois des voix, des chants, des rires.
Taliesin était en train de s'entraîner à créer des odeurs et des sons lorsque Titus, resté dehors jusque là, bondit à l'intérieur du chariot et alla se cacher sous les couvertures.

Le barde suspendit aussitôt ses exercices pour se rapprocher du petit faune.
-Tout va bien, Titus ? s'enquit-il doucement, en sylvestre. Quelqu'un t'a-t-il causé des ennuis ?
Ce qui était certain, c'est que quelque chose l'avait effrayé.

Titus resta sous les couvertures. Seul son arrière-train en dépassait, frissonnant. Il répondit quelque chose au barde mais sa voix se perdit dans les couches de laine qui le recouvraient. Puis le barde entendit des éclats de voix à l'extérieur. Le chariot s'immobilisa.
" Vous feriez peut-être bien de v'nir à la rescousse, m'sire !" s'exclama Gloria.

Bigre, mais qu'est-ce qui pouvait bien se passer ?
S'il avait s'agit d'une attaque de brigands, le chariot se serait arrêté plus tôt. Et puis, sur une route aussi fréquentée, la chose paraissait très improbable.
Quoi, alors ? Les enfants se seraient-ils attirés l'ire d'autres voyageurs ?
Enfin, le mieux pour le savoir, c'était d'aller voir.
-J'arrive, répondit-il.
Et il sortit. L'épée au côté, évidemment.

Il ne fut pas difficile de trouver la source du problème. Baptiste était debout, au bord de la route, et jeta à Taliesin un regard dépité sans être vraiment catastrophé. En contrebas du talus, à quelques mètres, Victor et Marius se battaient avec deux autres enfants. L'un des deux étaient sans doute âgée de 12 ou 13 ans, l'autre était plus jeune, et ils s'étaient empoignés avec férocité, roulant dans l'herbe et se distribuant, d'un côté comme de l'autre, coups de pied, coups de poing, tirages de cheveux et autres morsures (surtout Marius, pour ces dernières). A côté d'eux, une femme d'une quarantaine d'années ainsi qu'un vieil homme et une jeune fille, poussaient des cris sans oser pour autant se lancer dans la masse vociférante des belligérants. La première femme avait cependant ramassé un bâton qu'elle essayait désormais de glisser dans la rixe et qu'elle risquait, tôt ou tard, d'utiliser comme un gourdin.
Ce spectacle avait attiré les regards de nombreux voyageurs qui, s'ils ne s'arrêtaient pas pour autant, commentaient à mi-voix sur la jeunesse d'aujourd'hui.

Bon, ce n'était pas aussi grave qu'il l'avait craint.
Mais ç'aurait pu l'être, si Victor était entré en transe...
Tout en se faisant cette réflexion, il gagna à grandes enjambées le théâtre du pugilat.
-Stop ! tonna-t-il, aussi autoritaire que possible.
S'il ne parvenait pas à capter l'attention des combattants, tant pis : il s'efforcerait d'en arracher l'un ou l'autre à la mêlée - les siens, de préférence. Et peu importe les coups dont il écoperait peut-être au passage : il avait vu pire.

" Un elfe, vous avez vu, c'est un elfe... souffla quelqu'un.
— Ceci explique cela." dit une autre.
Taliesin fut contraint d'entrer dans le cercle des combattants, car personne ne se soucia de ses appels au calme. Il ne lui fut pas très difficile de saisir Victor pour l'arracher à la rixe. Marius était plus petit mais paraissait drôlement plus dangereux, crachant comme un chat, toutes griffes dehors. Victor se débattit une seconde mais parvint à ne pas toucher Taliesin. La femme en profita pour s'agenouiller près de l'autre gamin, qui saignait du nez, la chemise déchirée.
" Mon chéri, mon chéri..." murmura-t-elle.
Marius, réalisant qu'il avait perdu son acolyte, rompit son affrontement et rejoignit Victor et Taliesin.
" Ils ont dit qu'il fallait le mettre en cage ! s'exclama Marius, scandalisé.
— Ou le tenir en laisse !" ajouta Victor, hors de lui.
La femme s'était approchée.
" C'est à vous, ces petites racailles ?"

-En effet, répondit-il calmement.
Le terme employé l'avait fait tiquer, évidemment. Mais s'en formaliser n'était certainement pas une bonne idée, s'il voulait que l'échange ne dégénère pas.
-J'ai quelques sorts de soins en réserve : si vous voulez, je peux m'en servir pour faire disparaître les bobos de tout le monde, proposa-t-il, conciliant.

" Des sorts ! s'exclama quelqu'un.
— Des sorts, il a dit des sorts." reprit une voix.
La femme parut subitement effrayée.
" Surtout pas ! Contentez-vous de surveiller vos... vos... vos..."
Apparemment, la différence d'apparence entre Taliesin et les enfants troublait la mégère.
" Contentez-vous de les surveiller !"
Remorquant son gamin, elle regagna son groupe, qui regardait toujours Taliesin avec des yeux ronds.

-A votre guise, avait-il aimablement répondu à la femme. Je vous souhaite une bonne suite de voyage.
Aux spectateurs dont il s'expliqua mal l'ahurissement, il dédia un sourire et un salut amical. Puis il se tourna vers ses pugilistes.
-Venez, sinon Gloria risque de repartir sans nous.
C'était faux, mais il aimait autant mettre un terme à la scène.

Victor avait aussi une tunique déchirée, quelque chose qui deviendrait un oeil au beurre noir et Taliesin vit qu'il boitait en remontant vers le chariot. Marius gratifia leurs adversaires d'une kyrielle de gestes plus ou moins acceptables avant de regagner le chariot. Il était plus hirsute que jamais mais paraissait moins touché que Victor.
Les deux gosses ne protestèrent pas et grimpèrent dans le véhicule, qui se remit aussitôt en marche. Baptiste s'était déjà réfugié à l'intérieur.

Taliesin sourit aux deux combattants.
-C'était gentil à vous de prendre la défense de Titus. Mais la prochaine fois, évitez de vous bagarrer, d'accord ? Répliquez plutôt par la parole : les bêtises qu'ils ont dites ne méritaient pas davantage.
Il se rassit à sa place.
-Allez, venez, que je voie s'il est nécessaire de vous soigner...

" Ils le méritaient ! protesta Marius. Ça comprend rien d'autre, ce genre de p'tits merdeux !
— Marius ! s'exclama Baptiste.
— Je ne l'aurais pas mis comme ça, mais il a raison." dit Victor en riant.
Les soigner n'était sûrement pas nécessaire : ils avaient des plaies et des bosses qui guériraient en quelques jours, et les faire disparaître leur enverrait par contre un message peut-être contre-productif à moyen terme... Par contre, leurs vêtements étaient en piètre état et si le sort de prestidigitation pourrait les nettoyer, il ne pourrait rien pour les trous et les déchirures...

Heureusement, cette fois, il avait son matériel de couture.
-Il faudra que vous me donniez vos affaires, pour que je les raccommode. A vous de voir si vous préférez que je m'en charge maintenant ou ce soit, quand nous ferons halte.
Il les observa, l'un et l'autre.
-Et pour conclure... Si on vous frappe, vous avez évidemment le droit de vous défendre. Mais j'insiste : essayez de ne pas donner le premier coup, même quand vous avez affaire à des interlocuteurs insupportables. Sinon... Cela pourrait vous valoir des ennuis. Et à moi aussi, d'ailleurs. Et puis... Une tirade bien sentie fait parfois plus mal qu'on bon coup de poing.

" Sauf quand l'adversaire comprend rien, dit Victor.
— Puis si on les laisse taper en premier, on perd l'avantage." ajouta Marius.
Il sourit joyeusement.
" Tandis que là, ils vont se souvenir de nous un bon moment."
Titus, de son côté, n'avait pas réémergé de sous ses couvertures.
" On se déshabille maintenant ou ce soir ?
— On peut ressortir ?"

-Pas tout de suite. Vu le peu de cas que vous faites de mes paroles, j'aurais trop peur de devoir à nouveau intervenir pour mettre un terme à un pugilat.
Il n'avait pas eu l'intention de faire tout un fromage de cette affaire, mais leur surdité totale à ses arguments commençait à l'agacer. D'autant que c'était bien eux qui avaient frappé en premier : ils l'avouaient sans honte.
Leur intention était bonne mais la méthode... laissait à désirer.
Et il ne savait pas comment le leur faire comprendre.

" Ils se moquaient de lui ! s'exclama Victor, outré. Ils disaient qu'il puait le bouc ! Qu'il fallait l'enfermer !
— Ils lui ont lancé des cailloux, je l'ai vu, ajouta Marius.
— Et même les adultes disaient que c'était honteux de laisser des animaux sauvages en liberté !
— On pouvait rien faire. Qu'est-ce que ça aurait changé de faire les... les... les gens qui parlent ?"

Il soupira.
-En règle générale, un observateur extérieur aura tendance à donner tort aux premiers qui s'énervent, aux premiers qui frappent. En l'occurrence, pour tous ceux qui ignoraient le fin mot de l'histoire, vous êtes passés pour des gosses violents et mal élevés. Si vous aviez utilisé la parole, si vous vous étiez fendus de remarques bien senties, vous auriez pu mettre les raisonnables et les rieurs de votre côté. Même si cela avait malgré tout dégénéré : car ce serait vos adversaires qui, à court d'arguments, vous seraient tombés dessus, tandis que vous n'auriez fait que vous défendre.
Il leur sourit.
-Il n'empêche que je sais que vous vouliez bien faire, et que ça me fait plaisir que vous ayez tenu à défendre Titus. Mais la prochaine fois, songez quand même à ma méthode ! Si un gosse dit qu'il sent le bouc, répliquez-lui que c'est sa propre haleine qu'il respire ; s'il dit qu'il faut le mettre en cage, répondez que vu sa tête, il aurait sa place dans un cirque ; s'il dit qu'il faut enfermer les animaux, exclamez-vous que c'est ce que disent bien des races à propos des humains... Vous voyez l'idée ? Bien sûr, l'idéal est d'ignorer ce genre de bêtises qui ne valent pas la peine d'être relevées. Mais si vous ne pouvez vous en empêcher... Usez d'abord de paroles.
Il se fit plus sérieux.
-Après, si des pierres sont lancées, si des adultes s'en mêlent, venez me chercher, car ce sera alors à moi de régler le problème.

" Et tu leur mettras une bonne dérouillée ! s'exclama Victor, avant de se fendre d'un sourire. Je rigole. Excuse-nous. On n'aurait pas dû se battre."
Marius paraissait beaucoup plus incertain et dévisagea son partenaire de pugilat avec une expression interdite, avant de se fendre d'un haussement d'épaules.
" D'accord." dit-il laconiquement.
Baptiste avait soulevé les couvertures et s'était glissé en dessous, sans doute pour aller parler avec Titus. Victor retira sa chemise maculée de sang et de poussière, puis tâta son oeil qui bleuissait. Il ne dit rien mais son léger sourire trahissait quand même une certaine satisfaction.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...