[Lieu] Route d'Erhedun à Rohan

[Taliesin]

-J'en ai pleinement conscience, répondit-il en s'inclinant à nouveau.
Cela ne le réjouissait pas - c'était même tout le contraire - mais, d'après Sonia, il n'avait pas le choix, ne pouvait lutter contre cet état de fait. Quant à l'accord qui se dessinait, c'était sans doute le mieux qu'il pouvait obtenir.
Il jeta cependant un bref regard à Kiazalle, au cas où il fasse fausse route...

[Galathée]

L'elfe noire se contenta de lui sourire, indécise, avec un petit haussement d'épaules.
" Très bien, dit le Gurthal en se levant. Sache qu'ils seront dans la mort comme ils étaient dans la vie : pas plus honnêtes, plus futés, ni meilleurs, ni pires."
Il prit sa hache massive et se dirigea vers la gauche de son trône. Il asséna ensuite un puissant coup sur le sol, qui se fendit dans un craquement. Il désigna le trou ainsi formé de la main. On n'y voyait rien, sinon des ténèbres un peu fumantes.
" Décide et descends, tu rencontreras celui que tu cherches."

[Taliesin]

Ah...
Serait-ce l'un ou l'autre ?
L'un après l'autre ?
Il n'en savait rien et se voyait mal demander...
-Je vais commencer par Maurin d'Averlande, dit-il en s'avançant.
C'était le plus important : même si, d'aventure, il ne pouvait lui fournir de quoi faire éclater la vérité quant à son assassinat, il aurait assurément des choses à dire concernant Baptiste, peut-être un message à lui transmettre.

[Galathée]

Taliesin s'enfonça dans le trou comme dans une fissure au creux du monde. Il faisait noir et brumeux, un peu chaud, puis rouge, mais il ne perçut pas de réelles flammes. Il se faufila dans ce conduit, précautionneusement, trouvant des prises pour ses bottes, et finit par arriver dans une petite grotte ronde, aux parois oranges veinées de sombre, qui semblaient palpiter. Dans ce petit globe souterrain, il découvrit la silhouette fantomatique de Maurin d'Averlande, bien heureusement entier. Il était difficile de le discerner précisément car les parois de sa cellule diffusaient une lumière qui en brouillait les contours. Il ne parut pas se rendre compte qu'il avait de la visite. Il marchait de long en large, comme en prise avec une profonde réflexion. Son pas, cependant, ne faisait pas le moindre bruit.

[Taliesin]

Le barde réprima un soupir.
Mieux valait qu'il ne songe pas trop au sinistre sort du sieur d'Averlande, aux siècles de purgatoire auxquels son assassin l'avait condamné. Sinon, il risquait d'être trop furieux, trop révolté et... cela n'amènerait rien de bon.
Les choses étaient ce qu'elles étaient : il devait se concentrer sur celles où il avait encore prise et faire abstraction des autres.
-Messire Maurin ? appela-t-il doucement, après s'être raclé la gorge.

[Galathée]

Le spectre cessa son va-et-viens et se tourna vers le barde.
" Ah enfin ! s'exclama-t-il. Des nouvelles des vivants ! Dites-moi que Baptiste va bien ! Personne ne veut rien me dire, ça me rend fou. Je sais que... qu'on doit laisser aller, et je n'ai pas de place, ni de mémoire, et je ne sais même pas depuis combien de temps je suis ici, mais... mais vous pouvez me le dire, n'est-ce pas ? S'il va bien ? Dites-moi la vérité. Il n'est pas mort, lui ? Il n'a pas été... frappé ?"

[Taliesin]

-Il est en vie et il va bien, du moins physiquement, répondit l'elfe. Pour le reste, c'est difficile à dire : tout ceci est arrivé il n'y a que quelques jours et il a parfois tendance à cacher ce qu'il ressent plutôt qu'à le montrer. Mais il a l'air de tenir bon et... nous veillerons au grain, de toute façon.
Il faillit enchaîner avec une question mais préféra s'abstenir : mieux valait, de son point de vue, commencer par laisser Maurin s'exprimer.

[Galathée]

Le spectre parut sincèrement soulagé et, sans faire de manière, il s'assit par terre, la tête entre les mains. Cela ne dura que quelques secondes et Taliesin n'eut pas le temps de l'imiter ou de faire le moindre commentaire, car il se releva.
" Je suppose qu'il ne sert à rien de se lamenter."
Il eut un semblant de sourire.
" C'est une chance que vous soyez là pour lui. J'avais... des envies et des espoirs... mais somme toute, il est entre de bonnes mains, c'est le principal. Le reste... Ce sont des regrets, et j'en ai eu ma part, dans l'existence. Ils vont s'estomper bientôt. J'espère pour lui aussi. Je ne peux de toute façon plus rien y faire."

[Taliesin]

-Si : par mon entremise, vous pouvez lui apporter des réponses, lui dire ce que vous vouliez lui dire avant que ce drame ne se produise, fit-il doucement. Vous pouvez aussi m'aider à comprendre ce qui s'est passé et qui en est responsable, afin que la vérité éclate au grand jour et que Baptiste ne soit pas spolié par le ou les coupables.

[Galathée]

" Je ne sais pas qui est responsable, dit Maurin en secouant la tête. J'ai juste... été emmené ici et tué. Le Gurthal m'a pris. Cela signifie que quelqu'un l'a invoqué, quelqu'un qui me haïssait assez pour signer sa propre perte. Je ne sais pas qui. Je ne savais pas ma vie menacée."
Son regard transparent parut légèrement se brouiller.
" Quant à Baptiste, j'aurais voulu lui dire mille choses... Lui parler des circonstances... de sa conception... de ce qui nous a empêchés, sa mère et moi, de former une famille... des raisons de mon silence toutes ces années... mais c'était peut-être la recherche égoïste d'une absolution que je ne mérite pas. Je me contente de savoir que vous l'aimez. Au final, ma présence, dans sa vie, n'aura été qu'une erreur. Un caprice de ma part. Je suis désolé de lui avoir imposé cette expérience, alors qu'il vous avait, et qu'il n'avait pas besoin de moi."

[Taliesin]

-Je pense au contraire que votre rencontre était nécessaire. C'est horrible que les choses aient tourné ainsi, sans que vous puissiez vraiment parler ensemble. Mais Baptiste s'interrogeait tellement à propos de son père... C'est important, vraiment, de savoir d'où l'on vient et s'il y a moyen d'apporter des réponses aux questions qu'il se pose, il faut le faire. Je peux jouer les messagers, bien sûr, à moins que vous n'ayez laissé des écrits qu'il porurait lire, le moment venu...

[Galathée]

" Ah... Non. J'avais pensé... qu'il viendrait me voir de temps en temps, que je pourrais lui faire visiter le domaine, lui raconter ce que je sais, sur les lieux, sur ma famille, sur... sur le reste. Le mettre par écrit, en revanche... J'ai des lettres que j'ai échangées avec Filippa, il pourrait sûrement les lire, mais il est sans doute un peu jeune, c'est quelque chose de très intime... Bien sûr, la bibliothèque renferme des tas de livres sur la région et quelques uns sur les d'Averlande... Pas très bons, je le crains."
Il eut un léger haussement d'épaules.
" Je ne suis pas sûr d'être très intéressant. Mais j'imaginais juste que nous pourrions tisser quelque chose... en nous côtoyant."

[Taliesin]

-Je comprends et je regrette sincèrement que cela n'ait pu se produire. J'ai donc sollicité vos amis pour qu'ils acceptent de parler de vous à Baptiste, le moment venu, ou d'écrire à votre sujet. C'est une solution imparfaite, mais je n'ai pas trouvé mieux. Du moins, jusqu'à ce qu'on m'offre la possibilité de venir ici.
Il soupira.
-Je vais voir s'il est possible de récupérer vos papiers et certains de vos livres. Mais je n'ai aucune certitude puisque Baptiste n'héritera de rien. D'ailleurs, j'ai tendance à penser que c'est pour s'approprier vos biens qu'on a provoqué ce drame.

[Galathée]

" J'avais l'intention de tout lui léguer, murmura Maurin. Enfin... Je voulais le rencontrer, d'abord. A posteriori, c'est stupide, bien sûr... Qu'aurais-je pu deviner d'un garçon en lui parlant une heure ou deux ? Mais je voulais juste le voir... Je n'ai jamais douté qu'il soit celui qu'il prétendait être. Les paladins de Luménis ne m'auraient pas menti, je le sais, même si le commandant de l'époque était furieux de cette histoire... Mais... j'étais romantique, je suppose. "
Son expression se mâtina de colère.
" C'est la famille de mon épouse qui va hériter du domaine, à présent, puisque je n'ai pas pu signer les papiers qui lui transféraient mes biens avant de mourir..."
Il soupira.
" Peut-être est- ce un bien... Le Domaine d'Averlande est un cadeau empoisonné. Il a besoin de réparations, son entretien nécessite des fonds importants et son prestige en lui-même ne rapporte rien... C'est ce qui a causé ma perte dès le début. Baptiste aurait été forcé de le revendre, de toute façon... Mais c'est vrai que cela lui aurait apporté un pécule certain..."

[Taliesin]

-Je vais faire mon possible pour contester cet héritage. Ce n'est pas pour l'argent, car nous avons ce qu'il faut, mais c'est une question de principe : je suis convaincu que ceux qui ont provoqué votre mort sont les mêmes que ceux qui vont en tirer profit matériellement, et cette seule idée me révolte. Dans l'absolu, j'aimerais que la vérité éclate et que l'identité des coupables soit dévoilée au grand jour. D'ailleurs, j'espérais que vous pourriez m'apporter des preuves... Mais si je n'y parviens pas, il restera le champ judiciaire : les autorités luméniennes sont très protectrices des enfants, pour les héritages comme pour le reste, et comme les paladins pourront témoigner que Baptiste est bien votre fille... Bref, vos assassins ne l'emporteront pas au paradis. Malheureusement, cela risque d'être long...

[Galathée]

" Je pourrais témoigner de mes intentions, dit Maurin. Si vous avez vraiment envie de récupérer le domaine. Cela ne changera rien au destin de mes assassins, mais cela leur ravira le domaine. La tradition de la région veut que le témoignage des morts soit recevable devant un juge. Si vous contestez l'héritage, je pourrais me manifester... Enfin... si le Gurthal donne son accord, et ce n'est pas garanti. Son prix est souvent très élevé."

[Taliesin]

-On m'a parlé de cette possibilité, je m'en souviens à présent, et rien n'empêche de sonder le Gurthal à ce sujet. Je songeais également à interroger votre assassin, pour essayer de lui tirer les vers du nez... Par contre, je ne voudrais pas que vous vous mépreniez quant à mes motivations. Si je me suis engagé sur cette voie, c'est d'une part parce que j'ai toujours haï les injustices, d'autre part parce que j'aimerais que Baptiste ait pour une fois le choix. Jusqu'ici, il n'a guère pu que subir les événements : ce qui vient de se produire en est une nouvelle illustration. Alors si au moins je pouvais faire en sorte que vos biens luis revienne et qu'il puisse décider ce qu'il veut en faire... C'est peut-être futile ou illusoire, mais j'aurais l'impression d'avoir pu sauver un petit quelque chose, malgré ce drame.

[Galathée]

Maurin sourit.
" Je comprends vos motivations et elles sont tout à votre honneur. Mais c'est un petit garçon, et il ne pourra pas prendre une décision et l'assumer sans votre soutien et votre aide. Si le Gurthal y consent, je témoignerai. Ce ne sera qu'un reflet mais ce devrait être suffisant. Ne faites pas croire à Baptiste que je le verrai, ni que je l'entendrai ou que je serai capable d'échanger, d'une manière ou d'une autre, avec lui. Je suis mort. Je ne sais même pas si c'est vraiment avec moi que vous parlez."

[Taliesin]

-Merci pour ces précisions : je veillerai à bien le mettre en garde s'il s'avère nécessaire qu'il soit présent à ce moment-là. Pour le reste, et dans l'hypothèse où cette démarche réussisse, je ne lui demanderai pas de prendre de décision dans l'immédiat : mon rôle se limitera à préserver l'intégrité du domaine jusqu'à ce qu'il soit en âge de s'en occuper lui-même et de choisir ce qu'il veut en faire.

[Galathée]

" Très bien. Dans ce cas... Je ne peux que me réjouir que vous soyez là pour lui. Je me manifesterai et je lèguerai le manoir à Baptiste..."
Il fronça ses sourcils éthérés.
" J'ai toute foi en mon personnel... Je ne peux pas vous obliger à les garder... Le coût du manoir, déjà... mais Elstephann pourra sûrement vous aider ! Il ne manque pas de fonds et il pourrait peut-être... Il m'a déjà proposé de m'aider financièrement et... j'ai refusé par arrogance stupide mais maintenant..."
Il secoua la tête.
" Ceci ne me concerne plus. Veillez sur mon fils. Sur le vôtre. Je suis certain qu'il est promis à de belles choses... si seulement les nuages pouvaient se dissiper."

[Taliesin]

-J'espère qu'ils finiront par le faire. En tout cas, mon épouse et moi mettront tout en œuvre afin que Baptiste soit heureux. Quant aux personnes qui travaillaient pour vous, je compte bien ne pas les abandonner et m'efforcer de trouver des solutions convenables pour elles. C'est la moindre des choses. Vous pouvez donc être tranquille de ce côté-là.
Apaiser ses craintes à ce niveau et concernant Baptiste, c'était tout ce qu'il pouvait faire pour atténuer la dureté de son sort.

[Galathée]

Maurin eut une petite grimace.
" Je ne crois pas qu'il me sera donné d'être tranquille avant un certain temps..."
Il esquissa ensuite un sourire.
" Mais j'y trouverai du réconfort, oui. Priez pour mon âme, si vous le pouvez. Peut-être un dieu me prendra-t-il en pitié et abrégera-t-il mon temps de purgatoire."
Taliesin perçut une modification de l'environnement, un glissement des pierres rougeoyantes autour d'eux. Il devina que s'il le désirait, l'entretien prendrait fin et il serait ramené au Gurthal.

[Taliesin]

-Je n'y manquerai pas. Et je ne serai pas le seul.
Il recula d'un pas. Il ne savait quoi ajouter, ne savait comment conclure : face à une personne dans la situation du sieur d'Averlande, rien ne semblait convenir.
-Nous ne vous oublierons pas, ajouta-t-il finalement.

[Galathée]

" Que Lathandre vous garde." murmura simplement Maurin, avec un geste de la main.
Taliesin vit sa silhouette se brouiller puis s'évaporer en fumée, et il ne resta plus que l'ombre rougeoyante. Le sol vibra légèrement, le plafond creva, et l'elfe fut ramené en surface, sans qu'il n'ait rien à dire ou à faire. Une seconde plus tard, il était devant le trône du Gurthal. Kiazalle lui adressa un sourire encourageant. Le maître des lieux était assis, mains sur les accoudoirs, même s'il restait impossible à réellement regarder. Il était sombre, grand, indiscernable.
" Désires-tu voir l'artisan de sa perte, ou cela te suffit-il ?"

[Taliesin]

Déjà, presque par réflexe, il avait adopté l'attitude respectueuse de circonstance.
-Dans l'absolu, j'aimerais lui parler pour connaître tant son identité que ses motivations. J'hésite toutefois car j'ai désormais une autre demande à vous soumettre. Or, je ne voudrais point abuser de votre patiente et de votre générosité.
L'idéal serait que le Gurthal le laisse discuter avec l'assassin avant qu'ils ne débattent de ladite demande. Cependant, il n'y croyait guère.

[Galathée]

Le Gurthal haussa les épaules.
" Peu me chaut, elfe. Tu as gagné le droit de leur parler, mais pour l'heure pas davantage."
Il désigna une ouverture dans le sol.
" Mais ne t'attends pas à ce que l'assassin soit d'humeur bavarde... Qu'y gagnerait-il ?"

[Taliesin]

-Je ne nourris effectivement que peu d'espoirs quant à cette discussion. Mais puisque je suis ici, autant faire les choses jusqu'au bout.
Il s'inclina puis se dirigea vers l'ouverture.
Pourquoi s'infligeait-il cela ? Pour connaître l'identité de l'assassin ? Il aurait pu l'apprendre par d'autres moyens : après tout, sa mort n'était sans doute pas passée inaperçue. Mais on ne savait jamais : il pouvait regretter son geste, avoir mésestimé la rudesse de la contrepartie dont il devrait s'acquitter en échange de l'intervention du Gurthal... ou, tout simplement, ressentir le besoin de se justifier : cela arrivait, parfois.
Et s'il se terrait au contraire dans le mutisme... Bah, tant pis.

[Galathée]

Taliesin déboucha dans un cocon similaire à celui qui avait abrité Maurin. Une nouvelle silhouette translucide s'y trouvait, peut-être un peu plus ombreuse que celle du jeune noble assassiné, mais cela pouvait être une simple impression. L'homme était large d'épaules, un peu ventripotent, et âgé d'une soixantaine d'années, peut-être plus. Le reflet mort de sa mise révélait qu'il ne manquait pas d'argent. Il regarda l'elfe approcher sans s'émouvoir, haussant tout au plus un sourcil broussailleux. Il ne s'attendait sans doute pas à recevoir de la visite. Il n'avait en tout cas l'air ni repentant, ni effrayé.

[Taliesin]

Le barde hésita quelques instants, passant en revue les différentes manières d'aborder l'assassin.
Finalement, il opta pour un approche diplomate : ainsi, lorsqu'il parla, ce fut avec froideur mais courtoisie.
-Salutations. Je suis Taliesin, le tuteur du fils naturel du sieur d'Averlande.
Au moins le décor était-il planté. Et, avec un peu de chance, l'autre se présenterait aussi, par la force de l'habitude.

[Galathée]

L'autre haussa les sourcils.
" Le soi-disant fils naturel, répondit l'homme sans cacher son scepticisme. On est jamais sûr de l'identité du père d'un enfant. Jamais. Vous êtes son tuteur, d'ailleurs, ce qui signifie bien que ce n'est pas vraiment son fils. Quel âge a-t-il ce gosse ? Dix ans ? Quinze ?"
Il haussa les épaules.
" Dommage qu'il ait fait tout ce chemin pour rien. Mais la région a ses attraits."