La Couronne de Cuivre

Il devait bien reconnaître qu'il ne s'était pas encore tout à fait intégré à la communauté étant donné le temps qu'il passait dans les bois depuis son arrivée. Mais il avait bien l'intention de corriger cet état de fait avant longtemps et, il l'espérait, avec l'aide de Sylvia qui ne manquait pas de prendre plaisir à ces rencontres. Le second verre semblait être sa limite et il commençait à ressentir un léger vertige aussi avait-il l'intention de refuser une éventuelle nouvelle tournée. Au lieu de quoi il préféra se servir un grand verre d'eau, précaution qu'il savait utile d'expérience après avoir mangé un dîner salé et alcoolisé.

La soirée ne s'éternisa guère : Aïdan devait être debout avant l'aube le lendemain, ce qui signifiait se lever fort tôt en cette saison. Il lui demanda simplement, avant de le laisser pour la nuit, de bien lui rappeler de lui fournir de l'eau bénite le lendemain : sa mémoire avait tendance à lui jouer des tours. Quant au message à faire passer à Luménis, il suffisait qu'il le rédige et lui remette le lendemain. Il le transmettrait à la première occasion.

Il souhaita donc la bonne nuit à son hôte et entreprit de rédiger le court message qu'il comptait adresser à Flèche-Sombre : mieux valait battre le fer tant qu'il était chaud et ne pas retarder son départ du lendemain malgré la difficulté de trouver ses mots après deux verres de cet alcool local.

De toute façon, la missive était sans surprise et il n'entra pas vraiment dans les détails de peur d'emmêler un peu les faits : le rôdeur se contentait donc de se rappeler au bon souvenir du commandant avant de lui signifiait qu'il s'était temporairement installé du côté de Peyregorde et avait l'intention d'enquêter sur des activités suspectes, abordant brièvement les attaques de bêtes sauvages mais aussi les constatations faites par sa louve sur les suspects et la présence de plusieurs lieux de cultes ou souillés par des rituels.

Il se réveilla le lendemain à l'aube. Aïdan s'était levé discrètement, sans doute pour prier. Il l'entendit peu après dans la salle principale du temple, en train de déplacer des chaises, peut-être pour accueillir quelques fidèles à la cérémonie du matin.
Il lui avait laissé de quoi déjeuner copieusement sur la table. Mais il lui faudrait attendre la fin de la cérémonie pour lui transmettre la lettre et demander la fiole promise.

Kasumi entama à peine son petit déjeuner en se servant à boire avant de rejoindre la petite chapelle pour assister à l'office. Après tout, même s'il n'était pas un fidèle assidu du dieu de l'aube, il ne voulait pas manquer cette occasion qui était une façon polie de remercier Aïdan pour son accueil indéfectible. Il aurait bien le temps de manger un morceau ou de l'emporter pour la route après l'office.

La cérémonie fut toute simple, lumineuse et sereine. Aïdan utilisait des mots simples, et émaillait ses discours de symboles -la terre, le grain, l'eau- que tous comprenaient. Il ne fit pas de long sermon, préférant louer l'aube et la promesse d'avenir radieux qui l'accompagnait, répétant la confiance qu'il plaçait en Lathandre.
Il n'y avait qu'une dizaine de personnes dans la salle : le village était petit, tous ne révéraient pas Lathandre, et ceux qui le faisaient ne se déplaçaient pas forcément tous les matins pour prier. On pouvait même considérer qu'il y avait une bonne audience ce jour-là.

" Kasumi, je vous présente Lucinda, fit le clerc à la fin de la cérémonie, en se rapprochant du rôdeur en trainant dans son sillage une petite femme âgée. Lucinda, voici Kasumi, qui aurait un message à faire passer à Luménis. Je me disais que ta fille... ou ton gendre, ou l'une de tes petites-filles, pourraient être intéressés par le voyage.
- Ou bien moi, peut-être ? Non ? Hey, je ne suis pas complètement gâteuse !
- Ce n'est pas ce que je voulais dire !"
Elle semblait en tout cas très énergique.

Kasumi tendit sa main et sourit en la saluant, appréciant d’emblée la vieille dame encore très verte d’esprit.

- En effet, j’ai un pli à transmettre et cela m’arrangerait que quelqu’un puisse s’en occuper. Contre un juste dédommagement, cela va de soi.

Il savait que dans un village comme celui-ci, cela pouvait passer par une prise en charge des frais de voyage comme par un service en retour ou même un peu de troc. En tous cas, il tenait à rétribuer celui qui lui rendrait ce service, quel que soit les modalités.

HRP : punaise, je m'embrouille dans les prénoms de mes anciens PNJ... Lucia c'était la jeune... la grand-mère c'est lucinda

" Un dédommagement ?"
Lucinda eut l'air passablement surprise.
" Ma foi, je n'en vois pas l'utilité ! Si moi ou l'une des filles va à Luménis, on n'en est pas à une course près, vous savez !
- Et bien... Je dirais que... rien ne vous oblige à garder le dédommagement pour vous...
- Oulà, ne dites surtout pas ça à ma fille ! Parce que vous pensez à Asna, c'est ça ? Lucia prendrait ça comme une sorte d'assistanat, je parie !
- Mais elle le ferait tout de même...
- Bah, je ne sais pas. Je ne sais même pas si elle voudra aller à Luménis à vrai dire. Ca pourrait finir en crise entre elles deux. Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille moi-même... Eventuellement avec Maria..."
Aïdan se tourna vers kasumi, un peu ennuyé.
" Excusez-nous, des histoires de famille...
- Rien de grave, assura la vieille femme. Mais donc, oui, je veux bien me charger de convoyer votre message. mais pour ce qui est du dédommagement, franchement... je ne sais pas... je n'ai pas idée de ce que ça peut coûter. Une pièce d'or? Ou plutôt cinq d'argent ?"

C’est plutôt Kasumi qui se sentait un peu gêné d’avoir réveillé ces histoires de tension familiales et surtout d’être mis dans la confidence de ces affaires privées. Cependant, il ne s’attarda pas sur cette impression et préféra proposer une solution qui, de son point de vue, satisferait toutes les parties.

- Je vais vous confier une pièce d’or et c’est loin d’être à la mesure que vous me rendez peut-être. De votre côté, si vous jugez finalement que c’est plus que les frais que vous occasionneront cette course, rien ne vous empêchera d’en faire don à l’église : après tout, c’est grâce à Aïdan que nous avons été mis en contact.

" Ah, je ne dirais pas non !, s'exclama joyeusement Aïdan. Mais ce n'est nullement une obligation, et puis je sais que vous saurez en faire bon usage dans la famille...
- Bah, je verrai bien, oui, ce que j'en ferais. Bon, et à qui faut-il transmettre cette missive exactement ? A quel endroit ? Je ne connais pas bien Luménis, vous savez..."

Kasumi esquissa un sourire amusé à la remarque d'Aïdan mais entreprit aussitôt de rassurer la dénommée Lucia - à moins qu'il ne s'agisse de Lucinda, il avait tendance à se perdre dans ces noms qui s'apparentaient tous - sur la facilité à trouver le destinataire de sa missive :

- J'ai pris soin d'inscrire le nom du destinataire sur le pli : il s'agit du commandant de la garde, Darren Flèche-Sombre. Mais vous n'aurez qu'à le confier à l'un des gardes à l'entrée du Grand Fort.

" Ah oui, le fort... c'est... au nord, c'est ça ?
- C'est ça, confirma obligeamment Aïdan. Près des murailles.
- Bon... Et... Heu... Est-ce que c'est loin de l'auberge de l'Ombre de l'Arbre ?
- Assez, oui... Si c'est l'adresse que tu m'avais donnée, elle se trouve dans la zone portuaire... Mais le fort est facile à trouver, le chemin est direct, vous ne pourrez pas vous perdre ! Et puis, Asna doit commencer à connaître...
- Encore faut-il qu'on la trouve, grommela l'aïeule avant de se tourner vers Kasumi avec amabilité. Mais ne vous en faites pas, quoiqu'il advienne, j'emmènerai votre message à bon port. Un fort, ça doit se trouver ! Et... est-ce que je dois attendre une réponse ?"

Kasumi était tout à fait confiant dans la capacité de la vieille dame de porter son pli à bon port. Il répondit à sa dernière question avec amabilité :

- Oh non, ne vous donnez pas cette peine : je n'attends pas de réponse immédiate et j'ai de toute façon laissé l'adresse de ma logeuse de Peyregorde dans la missive : le commandant saura me répondre s'il le désire et c'est déjà bien aimable à vous d'accepter de vous déranger pour porter mon message.

" Mais ça ne me dérange pas, au contraire : ça me donne un bon prétexte pour sortir un peu d'ici !
- Si tu arrives à convaincre Lucia de te laisser y aller...
- Non mais tu imagines quoi ? Je suis adulte, quand même, je fais ce que je veux ! Et je dirai que tu as appuyé la demande...
- Je n'ai jamais prétendu vouloir être mêlé à vos histoires...
- Bon, d'accord... mais j'irai, et si elle s'inquiète, elle viendra elle-même... ou m'adjoindra l'une des filles, c'est plus probable."
Elle sourit à Kasumi.
" Allez donc me chercher votre lettre. Je partirai certainement demain !"

Une nouvelle fois, le rôdeur arbora un sourire - malicieux cette fois - en sortant de sa poche le pli qu'il avait pris soin d'emporter juste au cas où :

- Comme vous le voyez, elle est déjà prête ! Et demain sera vraiment parfait !

Il sortit également de sa poche la pièce promise en échange de ce service et la tendit à Lucinda en même temps que la missive. Il se détourna ensuite vers Aïdan pour la dissuader de remettre en cause cet accord :

- J'ai aussi apporté de quoi vous dédommager pour l'eau bénite si vous pouviez avoir l'amitié de m'en chercher.

Le clerc sourit à son tour et fouilla un petit tiroir, derrière l'autel.
" Tenez, en voici un peu. N'en gaspillez pas, songez à l'énergie divine qu'il a fallu pour la produire ! Mais je sais que vous l'utiliserez à bon escient..."
Ce disant, il lui tendit une petite fiole, peut-être un peu plus petite que celle qu'il lui avait donnée la fois précédente.
" Je serai à Respelm dans cinq ou six jours, et j'en aurai avec moi, en cas de besoin..."

Kasumi remercia chaleureusement le clerc avant de lui remettre quelques pièces de sa bourse. Non, il n'avait pas l'intention de gaspiller cette eau, la réservant désormais pour une occasion où il serait assuré de ne pas agir en pure perte. Mais sans doute que les prochaines veilles lui donneraient bien des occasions d'utiliser le liquide sanctifié à bon escient.

- Dans ce cas, nous nous reverrons très bientôt ! Et même si je ne suis pas au village, je me déplacerai si je le peux. D'autant que je compte bien vous présenter à ma fiancée !

Une façon douce de faire accepter à Sylvia de consulter un clerc mais il ne doutait pas qu'elle en comprendrait tout l'intérêt, ne serait-ce que pour apaiser ses légitimes inquiétudes.

" J'y compte bien, rétorqua le clerc avec bonhomie. Je rendrai certainement visite à Martha, de toute façon."
Les derniers fidèles avaient quitté l'église. Lucinda, à son tour, salua le clerc et le rôdeur pour rejoindre sa famille -elle habitait juste à côté du temple.
" Je vais vous laisser vaquer à vos occupations... et je vous dit à dans une demi-veille, à peu près ! D'ici là, prenez soin de vous. Et ne commettez pas d'imprudence : même pour un habitué des bois comme vous, cette forêt-ci n'est pas toujours amicale..."

Il était lui aussi bien placé pour savoir que la Forêt Maudite n’avait absolument pas usurpé son nom. Mais il restait néanmoins confiant en l’avenir et en sa capacité à surmonter les difficultés pour accomplir sa mission.

Le demi-elfe rendit donc son salut au prêtre avant de regagner l’intérieur pour manger rapidement un morceau et emporter quelques fruits qu’il terminerait en cours de route. C’est en tous cas avec une certaine impatience qu’il récupéré Ombrage et se remit en route, quittant Respelm plus tôt que prévu. Il espérait faire ainsi une bonne surprise à Sylvia.

Le ciel était nuageux, annonciateur de pluie avant la fin de la journée selon son intuition. Mais pour l'heure, il faisait sec. Quelques villageois le saluèrent, le reconnaissant peut-être. il y avait déjà du monde au champ, les paysans profitant de la température agréable du petit matin, loin de la touffeur de la veille.
Il put rapidement mettre son cheval au trot, rejoignit le petit chemin qui menait au hameau où vivait Hortense, et, le laissant sur la gauche, mit le cap sur Peyregorde.

Il dut ralentir l'allure bien avant d'arriver à Respelm : les charrettes des paysans devenaient plus nombreuses, des enfants couraient sur la route pour se rendre d'un champ à un autre. Puis, quand vint midi, l'agitation alentours se calma.
Le hameau où vivait Hortense se trouvait plus d'une lieue avant le village, et il reconnut l'endroit sans peine, bifurquant en direction du minuscule groupe de maisons blotties contre les bois. Le soleil avait dépassé son zénith depuis deux heures environ, et il faisait terriblement chaud. Il n'y avait personne dehors : fuyant la chaleur harassante, il était probable que les gens du cru soient en pleine sieste.

Kasumi s’approcha de la maison d’Hortense après avoir laissé Ombrage à l’ombre d’un arbre. Il n’avait pas l’intention de réveiller la vieille femme à une heure aussi chaude aussi se dirigea-t-il vers son jardin. Se souvenant de ses problèmes de limaces, il avait emporté un petit sac de cendre de l’incendie. S’il avait le temps, il le verserait autour de son potager : c'était bien le moindre des services qu'il pouvait rendre à Hortense en échange des conseils qu'il allait lui demander.

Le potager était bien entretenu, et il n'y avait plus trace des fameuses limaces. Quoiqu'il en soit, quelques cendres ne pouvaient pas porter préjudice, au contraire.
Nul ne l'interrompit pendant sa tâche. Le temps semblait s'être arrêté, et la chaleur était difficilement supportable. Heureusement, quelques arbres fruitiers, au fond du jardin, apportaient un peu d'ombre bienvenue.
Le premier à sortir affronter la chaleur des rayons enfin déclinants du soleil fut le voisin, un homme d'un certain âge, qui eut une réaction de surprise en apercevant Kasumi. Il vint à sa rencontre avec un sourire intrigué, puis affable en le reconnaissant.
" Mais vous êtes le jeune gars qu'est passé l'aut jour!"

L’expression employée pour le désigner le fit sourire et Kasumi salua le villageois avec affabilité avant de déclarer :

- C’est exact : j’avais promis à Hortense de la tenir informée de mes progrès et c’est ce que je suis venu faire. Je ne voulais toutefois pas la déranger alors qu’elle fait certainement sa sieste… Est-ce qu’elle se porte bien ?

" Comme un cha'me ! A vrai dire, y'a longtemps que j'l'ai pas vue aussi dynamique ! A croire qu'elle a retrouvé une seconde jeunesse.... 'fin, façon d'parler, pacqu'l'est toujou' aussi aveugle, quand même... Mais elle chante en jardinant, fait des gâteaux pour les marmots d'à côté. En pleine forme, j'vous dis !"
Il sourit, dévoilant une mâchoire édentée.
" Elle s'ra contente de vous voir. Mais vous devriez aller frapper. A c't'heure, elle a dû finir sa sieste depuis longtemps, elle doit être occupée à l'intérieur. Si vous attendez qu'elle sorte, ça risque d'être le soir...."

Ces nouvelles réjouirent Kasumi au plus haut point : quand il avait fait la connaissance d’Hortense, il n’avait trouvé qu’une vieille femme pleine de désespoir et prête à renoncer au peu de vie qui lui restait. Avoir pu contribuer à ranimer la flamme de l’espérance était presque aussi gratifiant qu’avoir fait renaître l’ancien bosquet. Il remercia le villageois pour ces nouvelles puis se dirigea vers la maison pour frapper à la porte, attendant toutefois une réponse pour entrer.

" Entrez !"
La voix était éraillée et un peu faible, ce qui était normal vu l'âge de sa propriétaire, mais c'est avec un grand sourire qu'elle accueillit Kasumi lorsqu'elle reconnut le son de sa voix.
" J'espérais bien votre visite un de ces jours ! Vous venez me donner des bonnes nouvelles du bosquet ? J'en entendu dire que vous y passiez beaucoup de temps... Mais entrez, entrez vous mettre au frais ! Je dois avoir de la citronnade..."

Kasumi ne se fit pas prier et referma vite la porte derrière lui pour éviter que la chaleur étouffante ne pénètre dans le logis frais et ombragé. Il accepta la citronnade avec enthousiasme et prit place à table avant de répondre :

- J’imagine que vous avez eu des nouvelles par Aïdan ? Mais avant de parler du bosquet, je me réjouis de vous trouver en si bonne forme !

Il prit sur lui de leur servir un grand verre à chacun avant de poursuivre avec entrain :

- J’ai de bonnes nouvelles : le chêne a beaucoup grandi, la clairière est devenue magnifique. Et une dryade est en train de naître : je l’ai aperçue deux fois et elle reviendra à la pleine lune.

Il ne doutait pas que l’ancienne prêtresse saurait en déduire les informations qu’il ne disait pas. Et de toute façon, mieux valait y aller par petites touches pour ménager la vieille dame.

" Une dryade ! C'est merveilleux... vous vous rendez compte ? Il y avait bien trente ans que ce bosquet n'avait pas accueilli un tel être ! Cela signifie qu'il est vraiment redevenu ce qu'il était auparavant..."
Elle laissa passer quelques instants de silence, réfléchissant à la nouvelle qu'il venait de lui annoncer, puis marmonna, pour elle-même, d'un ton tourmenté :
" Peut-être... peut-être que Mielikki souhaite que je m'en occupe à nouveau... Mais je ne peux pas, je suis trop vieille et quasiment aveugle. Ce n'est plus de mon âge. Elle doit le comprendre, elle ne peut pas attendre cela de moi... Il y a un temps pour tout et le mien est celui du repos..."

Kasumi lui adressa aussitôt un sourire apaisant et entreprit de lever ses doutes et ses inquiétudes en sortant le symbole qu’avait confectionné la dryade pour lui.

- Cette responsabilité, je l’ai acceptée. Mais j’ai besoin de votre aide. Et je crois que Mielikki l’apprécierait aussi. Je ne sais rien ou presque de ce que je devrais savoir et vous pourriez peut-être m’enseigner ce que vous pourrez…

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Respelm