La Couronne de Cuivre

Ce ne fut pas nécessaire. Eyri mena le cerf qui trébuchait au yack, puis Dimitri et Kalju se chargèrent de le hisser sur Kimik. Celle-ci resta placide tout au long de l'opération, tout comme son nouveau fardeau. Une partie de ce que portait Kimik fut cependant réparti entre les humains et sur le mulet. Le yack avait beau être costaud, il finirait par se fatiguer, lui aussi. Dès que le transfert fut terminé, ils repartirent. Félicie décida de marcher un moment : le rythme n'était de toute façon pas très élevé. A nouveau, le groupe se divisa en quatre binômes, Jeroen et Mathieu devant, Dimitri et Eyri derrière, dans le pas de Félicie et Jolien. Jeroen et Mathieu prenaient rapidement de l'avance puis s'arrêtaient pour laisser les autres les rattraper : Astrée et Kalju d'abord, jamais bien loin, puis le quatuor qui fermait la marche, un peu plus tard. La plateau était immense, balayé par un vent parfois violent, qui soulevait une poussière aveuglante. Il apparut clairement à Astrée qu'ils ne l'auraient pas traversé pour la tombée de la nuit.

Astrée, en reprenant la marche, avait rapidement rappelé à Prince de ne pas s'éloigner -ce qui excluait tout changement en cheval : elle lui faisait confiance pour rester discret, comme il l'était toujours, malgré ce vent cinglant qui risquait de l'emporter. Si on faisait abstraction des rafales, le cheminement sur ce plateau était moins éprouvant que la montée, mais leur rythme était clairement trop lent pour espérer en sortir avant la nuit.
Voyant la journée avancer, elle chercha du regard s'il se trouvait des abris, des rochers, un dénivelé quelconque, derrière lesquels ils pourraient s'abriter pour la nuit. Bien sûr, ce n'était pas son rôle, et elle faisait confiance à Dimitri, mais elle ne pouvait s'empêcher d'examiner les environs, par habitude. Elle se souvenait que leur guide avait dit qu'ils prendraient une voie exposée pour ne pas risquer d'être surpris, et c'était peut-être ce qu'il avait voulu dire : en dormant au beau milieu du plateau, ils verraient arriver les trolls de loin... mais eux aussi les verraient de loin. Il était hors de question d'allumer un feu, et il faudrait monter la garde.
Ou peut-être y avait-il une cachette quelque part... Cependant, elle commençait à en douter.
Elle ne posa aucune question, ne fit aucune remarque, ne voulant pas afficher ce qui pouvait être interprété comme un manque de confiance. La nuit n'allait pas être très reposante...

Le soleil déclinait déjà lorsqu'Astrée repéra une petite éminence sur le plateau, comme une colline assez escarpée, qui jaillissait au milieu de la plaine. Elle était grise et difficile à distinguer clairement dans le soir naissant, mais ils avaient incurvé leur parcours dans sa direction et ils se rapprochèrent peu à peu, marchant à travers l'herbe sèche et les cailloux. La jeune femme put alors en discerner davantage les contours : c'était un promontoire relativement haut, mais les pentes étaient probablement praticables et il semblait y avoir des vestiges au sommet, peut-être des ruines. Ils s'immobilisèrent alors que la colline n'était plus qu'à une courte distance, l'affaire d'une demi-heure de marche maximum, et Jeroen partit seul, les laissant en arrière. Dimitri fit circuler les outres, Eyri alla prendre des nouvelles de son cerf. Quelques étoiles piquetaient déjà le ciel, tout à l'est, à la base des plus grands sommets.

Astrée but quelques gorgées en observant le promontoire. C'était un point d'observation idéal, parfait pour y dormir tout en surveillant les environs. Mais bien sûr, il fallait vérifier que les trolls n'y avaient pas eux-mêmes élu domicile, auquel cas leur survie immédiate était compromise. Elle ne pouvait pas s'empêcher de suivre des yeux la progression de Jeroen, espérant qu'il ne se ferait pas attaquer.
Une fois désaltérée, elle s'approcha de Dimitri pour donner libre court à sa curiosité, tout en continuant à surveiller le promontoire.
" Il y a des ruines, là-haut, non ? C'est quoi ?"

" Je ne suis pas certain de leur origine. Ce sont des ruines, oui, mais très anciennes. Pas elfiques, ni drows, ni naines. Sans doute proviennent-elles du peuple qui vivait sur Hélonna avant l'arrivée des races actuelles. Mais vous verrez, on n'en distingue plus que des formes usées. Le vent souffle violemment, par ici. Sans doute auront-elles complètement disparu dans quelques siècles."
Il leva les yeux sur la voûte qui grisait.
" Il va pleuvoir cette nuit. Espérons que la brume ne se lève pas. Je vais demander aux Tymorans de prier... Ce sera toujours utile."

Astrée était curieuse de voir des ruines appartenant à une civilisation si ancienne. Comme la plupart des gens, elle ne s'était jamais intéressée à la question, comme si elfes et humains avaient été là de tout temps, comme s'il n'y avait pas eu un "avant". Mais puisqu'elle avait l'occasion de voir de ses yeux la preuve du contraire, elle comptait bien observer les lieux de plus près. Même si elle n'avait rien d'une archéologue, elle était intéressée par le fait que des civilisations émergent, puis disparaissent, au fil du temps.

Elle acquiesça à la remarque de leur guide.
" Prier Tymora, c'est toujours utile dans ces circonstances. Mais pour le temps qu'il fera, si vous voulez, je peux utiliser un sortilège pour le prévoir avec plus de certitude."
C'était un sortilège mineur qu'elle pouvait utiliser à volonté, aussi se prépara-t-elle à le lancer aussitôt.

" Ça ne sert à rien de le lancer avant les prières, sauf si vous estimez qu'elles n'auront aucune influence sur ce qui nous attend..." remarqua le mercenaire avec un léger haussement de sourcils.
Il haussa les épaules.
" Mais faites. Ça me permettra de savoir si je dois aller déranger Félicie et Mathieu."
La réponse fut sans appel : il allait indéniablement pleuvoir une bonne partie de la nuit et la brume finirait par se lever.
" Je m'en doutais." dit laconiquement Dimitri avant de rejoindre le yack

Des prières pouvaient-elles vraiment changer le temps qu'il ferait ? Astrée avait coutume de ne pas trop compter sur les dieux pour intervenir dans son quotidien. Mais elle savait, pourtant, qu'il leur arrivait d'agir. Seulement... qu'en serait-il du temps prévu par un druide si, dans les environs, quelqu'un obtenait ultérieurement des dieux un changement propice ? Peut-être que la prière était déjà prévue par les dieux, et que son effet entrait en compte dans les prévisions du druide... Ou alors, les prévisions s'avéreraient fausses, ce qui était tout de même très rare... Mais pas impossible. La divination n'est pas une science exacte.

La druidesse en arriva à la conclusion que si la brume ne venait pas gâcher leur voyage, si ses prévisions s'avéraient fausses, alors elle jurait de croire désormais en l'intervention des dieux au quotidien. Mais pour l'heure, elle préférait ne pas trop y compter, quels que soient les efforts et les prières de Félicie et Mathieu. Elle garda bien sûr ses pensées pour elle, ne voulant pas être accusée de saboter leur voyage par manque de foi.

Elle resta sur place, gardant les yeux fixés sur Jeroen aussi longtemps qu'elle le put, en espérant de tout son coeur que les trolls n'avaient pas élu domicile la-haut. Après quelques minutes , elle se fendit même d'une petite prière à Tymora -demandant à orienter leurs adversaires le plus loin possible d'ici, ou, à défaut, de leur assurer une victoire sans pertes si un combat avait lieu.

HRP: je commençais à m'inquiéter de ton absence... contente de te recroiser !

HRP : j'étais repartie quelques jours... oublié de le signaler. Trop de choses à faire, trop peu de temps

Jeroen avait entamé l'escalade du promontoire et, quelques minutes plus tard, Astrée le vit reparaître. Dimitri donna le signal du départ, en recommandant à chacun de rester prudent et vigilant. Lui-même resta à l'arrière du groupe avec Eyri, scrutant les environs à chaque pas supplémentaire. Mathieu s'était rangé aux côtés de Félicie et de Jolien, privé de son compagnon désigné. Il leur fallut encore un bon quart d'heure avant d'atteindre la base du promontoire, et un quart d'heure de plus pour le gravir. Le sommet n'était pas beaucoup plus vaste que la salle d'une petite auberge, encadré par d'anciens murs, ou peut-être étaient-ce des colonnes, effrités par endroits, complètement lisses à d'autres, et il était clair qu'il manquait une bonne partie de la structure qui s'était tenue là auparavant. Dès qu'ils furent tous au sommet, Jolien et Jeroen se postèrent en sentinelles. Kalju déchargea Kimik avec l'aide d'Eyri. Dimitri indiqua à Mathieu où déposer le matériel de couchage. Et, bien sûr, il se mit à pleuvoir.

Donc tu avais encore quelques vacances : cool ! Profite !

Astrée commença par faire le tour du promontoire, balayant du regard le plateau désert, et observant au passage les murs en ruine. Ils étaient trop dégradés pour qu'elle y trouve quoi que ce soit de passionnant, inscriptions, gravures, traces de vie ou de magie, et elle se demandait quelle civilisation avait bien pu monter ce poste d'observation -c'était le seul usage qu'elle imaginait.
Mais la météo l'arracha bien vite à sa contemplation et elle rejoignit Mathieu. Ils avaient prévu des tentes, bien sûr, puisqu'ils avaient Kimik pour les transporter. Elle s'attela donc au montage des toiles, avec l'aide de ses compagnons se trouvant à proximité, s'efforçant d'être efficace pour qu'ils puissent dormir au sec.
Ils ne feraient pas de feu, évidemment : ils seraient visibles de trop loin. Et il leur faudrait monter la garde, mais elle faisait confiance à Dimitri pour organiser tout cela. Elle se contentait d'obéir aux ordres, ce qui, au fond, était plutôt reposant.

Les tentes furent rapidement montées mais trop tard pour ceux qui espéraient s'y réfugier : la pluie était fine et glaciale, serrée, et sans le secours de leurs manteaux, ils auraient tous été trempés jusqu'aux os. Mais même la bonne toile cirée avait ses limites et il n'était pas garanti que les tentes garderaient leurs imperméabilité toute la nuit si l'averse ne faiblissait pas. Mathieu en paraissait chagriné, tout comme Félicie, mais pour les autres, c'était la routine. Eyri maugréa en elfique, ce qui fit rire Dimitri. Le cerf avait retrouvé le plancher des vaches, toujours calme, et maintenant misérable. Le vent chassa les gouttes en grandes vagues ondoyantes, mais les ruines usées se révélèrent, cette fois, bien utiles pour les en protéger.
Dimitri leur proposa de tendre une des bâches entre plusieurs des colonnes pour leur offrir un semblant d'endroit sec — du moins un temps.

Astrée aida à installer la toile, puis se rapprocha un peu du cerf pour l'observer -en gardant ses distances pour ne pas inquiéter son maître. La bête devait avoir froid, et elle voulait s'assurer qu'il allait bien.
Elle finit par retourner près de Dimitri.
" Si le cerf a froid, on devrait le mettre à l'abri de la bâche... et une fois au sec, je peux lui prêter une couverture chaude pour un moment, si Eyri le veut. En peau de naurruin. Est-ce que vous pouvez lui proposer ?"
Elle gardait à l'esprit qu'elle devait absolument passer par Kalju ou Dimitri pour suggérer quoi que ce soit à Eyri.

" Ne vous inquiétez pas pour le cerf : le mulet a davantage besoin d'être bouchonné et Eyri communique suffisamment bien avec sa bête pour savoir ce qu'il doit faire. Il a pu se reposer, de surcroît, ce qui n'est le cas d'aucun d'entre nous."
Il eut un sourire.
" Vous devriez profiter vous-même de la peau de naurruin. Et dans le cas contraire, je suis sûr que Félicie ou Mathieu seront intéressés."

Astrée n'insista pas davantage et alla s'occuper un moment du mulet. Il était certainement davantage habitué aux expéditions en montagne, et donc au froid, que le cerf qui n'avait pas pu se réchauffer en marchant. Mais le refroidissement après l'effort pouvait effectivement être néfaste. Elle prit donc le temps de le bouchonner et de le nourrir, avant de rejoindre Félicie sous la bâche.
Elle-même ne souffrait pas encore trop du froid, ayant des vêtements adaptés, mais elle savait que la température baisserait et que la peau de naurruin ne serait pas un luxe pendant la nuit. En attendant, elle pouvait la prêter pendant la soirée à ceux de ses compagnons qui semblaient les plus frigorifiés.
Bien sûr, ils ne feraient pas de feu, et elle chassa de son esprit les images de thé fumant qui le traversaient : ils devraient se contenter de manger froid et de reprendre quelques forces. L'autre mauvaise nouvelle était que même s'ils dormaient à l'abri, leurs manteaux seraient toujours trempés et glacés le lendemain. Il y avait là de quoi plomber le moral du groupe, mais n'ayant guère de talent de boute-en-train, elle se contenta de s'asseoir silencieusement aux côtés de Félicie et de fouiller dans leurs provisions.
Il restait à espérer que le mauvais temps gêne aussi les trolls qui les pistaient.

Félicie, contre toute attente, avait retrouvé sa bonne humeur et aida Astrée à dénicher ce qui était mangeable cru, tandis que Mathieu nettement moins impressionné par le contexte présent, grommelait sous la bâche.
" Je ne sais pas ce qui m'a pris de vous accompagner, grogna-t-il. J'aurais dû payer l'un d'entre vous pour me ramener ce dont j'avais besoin. Il est des expériences qu'on n'a vraiment pas besoin de faire dans une vie... à moins d'être masochiste. Ce que je ne suis pas."
Félicie rit en lui tendant un morceau de pain.
" Dis-toi que c'est un étalon pour le reste de ta vie !"

Astrée haussa les épaules, amusée.
" Elle a raison... et en plus, ça fortifie le corps et la santé. Si si, je t'assure ! Les druides dorment toujours à la dure et ont une santé de fer ! Et puis, dis-toi que tu auras plein de choses passionnantes à raconter à ton retour. Je te fais confiance pour les effets dramatiques. Non, vraiment... tu aurais regretté de tout manquer."
Elle savait qu'il n'en était rien, bien sûr, et le taquinait gentiment.
Elle sortit des sacs la volaille froide qu'ils avaient cuite la veille, un peu de fromage, quelques fruits, qu'elle distribua à chacun avant d'attaquer sa part avec appétit.

Mathieu n'avait pas l'énergie de polémiquer mais à sa mine, il paraissait peu probable qu'il garde un souvenir positif de l'aventure. Félicie s'était emballée dans une houppelande qui paraissait chaude et imperméable et elle sortit sous l'averse pour porter à manger à Dimitri, Jeroen et Jolien qui étaient restés en sentinelle à l'extérieur. Kalju et Eyri avaient rejoint l'abri, de leur côté. L'elfe paraissait très mécontent de la situation et le genasi plutôt... interloqué, ce qui n'était pas habituel.
" Je n'ai jamais vu autant de pluie de toute ma vie, dit-il. Il ne pleut jamais comme ça sur mon plateau. Ce qui me frappe le plus... c'est le bruit. Et c'est encore pire sous cette toile."
Il faisait désormais très très sombre et Astrée, sans l'aide d'une lampe, y voyait de moins en moins.

La réaction de Kalju, inhabituelle, provoqua chez Astrée un léger froncement de sourcils. La pluie était effectivement forte, le ciel trop sombre. Elle songea qu'une tempête en haute mer devait ressembler à ça. En montagne, la brume était plus fréquente... mais les orages aussi, et, dans certaines régions, ils pouvaient être violents.
" Le climat est peut-être différent ici", hasarda-t-elle.
Il lui semblait cependant que l'inquiétude de Kalju ne devait pas être prise à la légère. Et puis, il pouvait y avoir une autre explication, songea-t-elle en se rappelant les phénomènes inexpliqués du début de l'été.
" Dimitri et les jumeaux connaissent bien la région. Ils nous diront si c'est inhabituel, fit-elle d'un ton paisible. Mais c'est sûr que la nuit ne va pas être confortable..."

" A mon avis, le plus dangereux, c'est qu'avec ce raffut, et le rideau d'eau de pluie, ils ne verront rien approcher, dit Mathieu. Même avec des yeux elfiques, je suppose qu'on n'y voit rien.
— En tout cas, avec des yeux halfelins, je ne m'y risquerais pas."
Kalju croisa les bras.
" Astrée a raison, ils savent ce qu'ils font.
— Mais c'est pas sûr qu'ils nous préviendraient, s'il y avait un souci. Histoire qu'on reste calme.
— Voyons, Félicie, on est toujours calmes !"

Calme n'était certes pas l'adjectif qu'elle aurait employé pour caractériser Mathieu. Impulsif, plutôt.
" On va positiver : ce temps pourri doit gêner les trolls aussi. C'est plus dur de suivre une piste sur un sol trempé."
Mais l'endroit où ils se trouvaient était tellement unique en son genre que les trolls pouvaient deviner qu'ils s'y étaient réfugiés sans avoir besoin de les pister.

En réalité, elle cherchait à rassurer ses compagnons, mais ils n'avaient pas tort : ils n'entendraient rien, Kalju ne percevrait rien à travers la roche, et ils ne verraient rien approcher. Les trolls seraient dans des conditions idéales pour les attaquer par surprise.
Elle haussa les épaules
" De toute façon, le temps est ce qu'il est, et on fera avec. Tout à l'heure, on avait une bonne visibilité et on n'apercevait aucun troll à l'horizon, donc on est tranquilles pour un petit moment. La pluie ne durera pas éternellement, il faut croiser les doigts, ou prier Tymora, pour qu'elle cesse vite... et de toute façon, on sait qu'on doit se tenir prêts."
Elle s'adossa à la roche, se promettant d'aller discuter avec Dimitri dans un petit moment. En leur apportant des fruits dans quelques minutes, par exemple. S'ils montaient la garde à trois, au lieu de se relayer, c'est qu'ils jugeaient la situation dangereuse.

La fatigue sapait peu à peu leur énergie, en dépit du froid, de l'humidité et des conditions globalement inhospitalières. Les sacs avaient cependant protégé leurs couvertures et ils purent s'emmitoufler. Mathieu fut le premier à se coucher, suivi par Kalju. Félicie ne paraissait pas particulièrement pressée, mais elle n'était pas d'humeur bavarde non plus et, une fois son repas terminé, elle sortit un livre chiffonné de ses affaires et s'installa au mieux — à moitié contre Mathieu, à moitié contre une pierre — pour lire. La nuit était complètement tombée et Astrée n'y voyait, elle, plus grand chose. Elle n'avait pas la chance d'être dotée des facultés utiles des êtres aux oreilles pointues.

Astrée finit par s'emmitoufler dans son manteau et sortir de leur abri de fortune. Elle avait besoin de se rendre compte par elle-même de la situation. Elle n'y voyait pas grand-chose, et se fia à sa mémoire des lieux pour ne rien heurter.
Elle chercha du regard la silhouette de Dimitri, jaugeant au passage le vacarme et la densité de la pluie, qui devait effectivement grandement gêner ses compagnons. S'ils devaient se battre, elle serait parmi les plus handicapés, incapable de lutter efficacement. Tout ça n'augurait rien de bon.
Après réflexion, elle s'était dit que la seule chose qu'elle pouvait faire pour aider le groupe, c'était de placer une ou deux alarmes, à des endroits bien choisis, en espérant que les trolls y passent... Ce qui était pour le moins hasardeux. Dimitri jugerait certainement, comme elle, que c'était inutile vu la configuration des lieux... Mais ça ne coûtait rien de lui proposer.

Elle eut du mal à le trouver et tomba d'abord sur Jeroen qui se moqua gentiment d'elle, avant de la renvoyer dans la bonne direction. Quand elle surgit d'entre les pierres, manquant heurter le mercenaire, il la rattrapa d'une main pour l'aider à trouver un appui.
" Faites attention. Si vous glissez, vous risquez de vous rompre le cou, et avec ces torrents, remonter jusqu'ici n'aura rien d'aisé."
Il écouta ensuite sa proposition.
" Il faudrait redescendre pour que ce soit utile, et ça me semble compromis dans l'immédiat. Comme je vous le disais, je pense que les trolls sont encore du côté du champ de fouilles, je ne pense pas que nous risquions de les croiser cette nuit."

Voilà qui était plutôt rassurant. Mais Astrée souvenait qu'il avait aussi évoqué la possibilité qu'ils soient pistés par leurs adversaires, lorsque ceux-ci auraient trouvé les corps de ceux qu'ils avaient affronté la veille.
" Espérons que vous ayez raison. Parce que s'ils viennent par ici, on ne pourra pas les voir ni les entendre avant qu'ils soient tout proches...."
C'était un simple constat : elle était consciente qu'ils ne pouvaient de toute façon rien faire pour remédier au problème.
" Je ne sais pas comment vous faites pour réussir à surveiller... Mais je crains de ne guère vous êtes utile. J'espère que vous réussirez à prendre tout de même un peu de repos."

" C'est une question d'habitude, répondit le mercenaire. Mais vous avez raison : avec la pluie, je suis très limité. Elle ne devrait pas durer, cependant : les averses sont furieuses mais brèves, en général, sur ce plateau. Essayez de vous reposer. Il n'est pas dit que la nuit sera tranquille : les trolls ne sont pas les seules créatures sanguinaires à arpenter ces monts, et pour les éviter, nous avons dû prendre un autre risque. Si quoi que ce soit devait se produire, rappelez-vous : votre priorité, c'est le genasi."

Astrée acquiesça. Elle veillerait sur Kalju, qui n'en avait guère besoin, et leur laisserait la responsabilité de ses autres compagnons -la seconde partie de cette résolution étant peut-être la plus difficile à tenir.
" D'accord. Je garde ça en tête. Mais... vous pensez à quel genre de créature en particulier ? Vous dites qu'on a pris un autre risque..."
Le mercenaire en avait trop dit, ou pas assez. Et elle préférait savoir à quoi s'attendre, d'autant qu'elle connaissait bon nombre de créatures des montagnes.

Il haussa les épaules.
" Je parle de prédateurs plus ordinaires... Tigres des neiges, loups, un ours ou un griffon éventuellement... Certaines créatures des cavernes peuvent aussi sortir, à l'occasion, si elles ont flairé quelque chose ou perçu la vibration de nos pas. Il y a parfois des drakes, mais c'est rare, et je ne pense pas que nous risquions grand chose de ce côté en cette saison."

" Des drakes ?"
Astrée avait déjà croisé la route de tigres ou d'ours, bien sûr, et vu une fois des traces de griffons. Mais jamais de telles créatures.
" Je n'en ai encore jamais vu... Est-ce que ce sont eux qui ont donné leur nom aux montagnes ? Ou bien y a-t-il de véritables dragons dans les parages ? Ou plutôt un dragon unique, d'après le nom... "

" Il y a des légendes sur un dragon d'argent, qui vivrait dans les montagnes. Mais je ne l'ai jamais vu et je n'ai jamais rencontré personne qui l'avait déjà vu."
Il eut un léger sourire.
" Mais je ne suis pas dans ces montagnes depuis assez longtemps pour me permettre d'en juger pour autant. Il y a certainement eu des dragons ici, autrefois. A ma connaissance, il y en avait absolument partout sur Toril. C'est sans doute eux, davantage que de vulgaires drakes, qui ont donné leur nom à la région... ou alors simplement l'imagination des hommes. Je ne sais pas comment les elfes appellent cet endroit. Peut-être tout autre chose."

" Il faudra que je leur demande, à l'occasion..."
Astrée songea qu'apercevoir un dragon devait être une expérience extraordinaire. Même juste une fois, même de loin. Si vraiment il y avait un dragon d'argent qui vivait dans ces montagnes... et bien elle serait sûrement tentée d'y revenir régulièrement pour tenter de l'apercevoir. Certes, elle devinait que d'autres avaient dû s'y essayer sans succès, et que c'était probablement une quête vouée à l'échec. Mais tout de même... ça faisait rêver.
Elle sourit au mercenaire.
" Mais je vais vous laisser. J'espère que vous réussirez à dormir un peu, les uns et les autres... et qu'il n'y aura pas d'alerte."
Il était temps pour elle de prendre du repos. Tant que c'était encore possible... et si elle y parvenait avec le vacarme de la pluie.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon