[Lieu] Mersant

[Taliesin]

L'elfe se mordit la lèvre inférieure.
-Sans doute ne suis-je pas très légitime pour dire ce que je vais dire, commença-t-il, et vous ne devez donc pas hésiter à me remettre à ma place si vous trouvez que c'est le cas, mais... Je crois que les plans sur la comète sont indispensables. Vitaux, même. Si nous n'envisageons pas les lendemains, l'après, si nous ne faisons pas, à chaque instant, comme si nous allions nous en sortir... Nous risquons de nous laisser gagner par le découragement, par le fatalisme ; nous risquons, sans nous en rendre compte, d'amenuiser encore nos chances de survie. Bien sûr, se raccrocher à tout crin à l'espoir, à l'optimisme, envisager ce que nous ferons quand les pirates seront terrassés, c'est un peu... artificiel. Il le faut pourtant. Je sais, d'expérience, ce que peut provoquer le désespoir, l'impression que tout est perdu.

[Galathée]

Elerinna acquiesça, souriante.
" A vrai dire, je ne suis pas désespéré non plus." fit Ruyven. " Je ne me pose pas tellement la question."
Il haussa les épaules. Martin avait le regard dans le vague. Bellyra croisa les bras.
" Mais dis-nous, toi, le grand voyageur... Où devrions-nous donc nous rendre, désormais ? Connais-tu des cités dont les habitants sont prodigues en nuits chapardées à la bienséance ? Que vaut Luménis ? Que valent les cités héloniennes ? Peut-on y gagner sa croûte correctement ?"

[Taliesin]

-Sur Hélonna, le seul endroit où je me suis assez attardé pour donner un avis quelconque, c'est Luménis, fit-il. Et encore, je suis loin, très loin de connaître vraiment la cité... Mais je dirais que oui, il y a de quoi faire. Les dieux qu'on y vénère, et au premier chef Lathandre, sont plutôt... favorables aux bonheurs de ce bas-monde. Et il y a beaucoup d'artistes, d'étudiants, de nobles hédonistes... Du coup, sans tourner à la franche débauche affichée, les mœurs ne sont ni austères, ni pudibondes. Et si les séquelles de la guerre civile sont encore bien présentes, nul doute que peu à peu, la ville retrouvera complètement sa joie de vivre d'antan.

[Galathée]

" On va s'ouvrir notre petite maison close à Luménis, voilà un programme intéressant !" s'exclama Bellyra.
" Dire que je me suis installée sur ce caillou dans l'espoir qu'un marin fortuné m'emporterait sur son navire pour m'épouser... Retour à la case départ. Si je croise ce Squale, je m'en vais te lui envoyer un bon coup de pied... à un endroit particulièrement sensible de son anatomie."
" Il y en a plusieurs."
" Et toi, Ruy ? Tu crois que tu vas rester dans le métier ?"
" Je voudrais te dire que non, et puis une fois que je serai dans une grande ville inconnue, ma foi... Entre me faire suer sang et eau à nettoyer des écuries ou à décharger des navires... et cette vie... Je suis devenu trop paresseux."
" Tu peux toujours attendre ton prince charmant dans notre bordel luménien, Rinna."
" Certes. Mais c'est peut-être vous qui portez la poisse."

[Taliesin]

Le barde n'intervint pas. Il avait eu une nouvelle impulsion, celle de dire qu'aucun d'entre eux ne pouvait porter plus la poisse que lui, ni même autant, mais, encore une fois, il était demeuré coi. Sa situation au sein du groupe, même si elle s'était améliorée en apparence, demeurait précaire. Et il avait assez fait d'erreurs pour ne pas, en plus, évoquer sa malchance.
Il se contenta donc de boire son thé à petites gorgées -il était brûlant -, savourant ses arômes prononcées. C'était un fait indéniable : Elerinna avait la main pour ce genre de préparations.

[Galathée]

Les courtisans ne le laissèrent pourtant pas se retirer en lui-même bien longtemps. Ils n'avaient apparemment pas l'intention de décider du nom de leur futur établissement ni de la couleur de sa façade dans l'immédiat.
" Et toi, Belenn, que vas-tu faire, si tu t'en sors ? Quand même pousser jusqu'à Dorrandin ? Retourner à Luménis ?" demanda Bellyra, curieuse.

[Taliesin]

Il parvint de justesse à dissimuler son embarras. Lequel lui semblait d'ailleurs dérisoire : leurs chances d'en réchapper étaient maigres, maintenir le secret sur ce qui l'avait poussé à embarquer se révélait, par conséquent, assez futile. D'autant que les courtisans, à l'instar de Katja, devaient en savoir beaucoup sur l'objectif des personnes embarqués par Constance et ses confrères de la Réunion.
Mais... Tant que tout ne serait pas perdu, il ne se dévoilerait pas. Pas complètement, en tout cas.
-En premier lieu, j'enverrai les enfants quelque part où ils seront en sûreté. Et les y conduirai moi-même, au besoin, dit-il finalement.
Ce qui n'était pas un mensonge. Bien qu'evidemment, il ne pouvait savoir ce qu'il ferait exactement, s'il y aurait quelqu'un pour les ramener sur Hélonna, si l'expédition vers Mélandis serait toujours d'actualité...

[Galathée]

" Tu n'en tireras rien." dit Ruyven en gloussant. " Pour obtenir des confidences, il faut un oreiller... Or je n'en vois pas..."
" Arrête donc." intervint Elerinna. " Il n'est pas obligé de se montrer aussi bavard que nous."
" Certes. Bon, je vais me coucher." dit Bellyra en se levant.
" Je vais réveiller George. Ruyven, si tu es toujours partant..."
" Plutôt deux fois qu'une."
" Je vais vous préparer un pique-nique..."
" Merci Rinna."
Et une seconde plus tard, ils étaient tous debout.

[Taliesin]

Par réflexe, le barde s'était également levé.
Il dévisagea Martin et Ruyven avec curiosité, presque inquiétude : il ne savait pas ce qu'ils avaient en tête, ce pour quoi ils voulaient réveiller George. Il se pouvait toujours que ce soit quelque chose... d'intime, mais, étrangement, il en doutait.
Il faillit leur poser franchement la question. Se retint : cela ne le regardait pas. Et, de toute façon... Ils n'iraient pas faire quelque chose de totalement fou.
Il secoua la tête.
-De mon côté...
Qu'allait-il faire, de son côté ? Dormir ? Dans l'immédiat, il n'avait plus sommeil. Cela reviendrait, probablement, mais pas tout de suite.
Toutefois, la perspective de rester seul, sans parler à qui que ce soit, ne lui plaisait qu'à moitié.
Alors, il eut une idée. Avoir repensé, la veille, à son sinistre passé, à ses échecs répétés, n'avait pas eu que du mauvais : certaines stratégies autrefois utilisées pouvaient s'avérer... utiles. Quoi qu'il les réemploierait, le cas échéant, avec moins d'extrémisme.
-Je n'ai pas vraiment envie d'aller dormir... fit-il. Et... Si l'un d'entre vous... connaissait des histoires, des légendes propres à Mersant ou à cette partie du détroit, et serait prêt à me les narrer... J'aimerais les entendre.

[Galathée]

Martin, Ruyven et bientôt un George ensommeillé furent rapidement sur le départ. Taliesin comprit qu'il s'était inquiété pour rien : armés de lanternes, d'une carte, de leur casse-croûte, ils s'en allaient simplement compléter le tracé, comme Taliesin et Fred l'avaient fait la veille. Ils saluèrent leurs compagnons éveillés puis s'engagèrent dans les tunnels. Le son de leur pas décrut rapidement, avalé par la roche et les ténèbres. Elerinna s'était assise à nouveau près du barde et lui sourit en les resservant de thé.
" Des légendes de Mersant ?"
Elle haussa les épaules et repoussa une mèche de cheveux blonds derrière son épaule.
" Je n'en connais aucune. L'île n'est habitée que depuis une trentaine d'années, je pense... Avant, c'était juste un morceau de caillou au milieu de l'océan. Avec des mouettes. Je ne crois pas qu'il y ait des légendes de Mersant. Mais on pourrait en inventer, ce n'est pas votre métier ?"

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Pas vraiment. Enfin, pas de mon point de vue. Je pense que les bardes peuvent contribuer à diffuser des légendes, voir... aider à ce qu'un événement en devienne une. Mais tout inventer, de toutes pièces... Ce serait mensonge autant qu'imposture. Si on a un peu de déontologie... On se contente de recueillir les récits existants. On consigne ces histoires. Peut-être, ainsi, préserve-t-on une partie de celles vouées à disparaître, et non pas à rejoindre l'imaginaire collectif d'une région, d'un village. Mais on n'invente pas.
Il grimaça.
-Il est évident, toutefois, que certains le font. Et... Il arrive que ces légendes artificielles connaissent un grand succès. Il faut cependant, pour se faire, qu'elles se basent... Sur une pratique, un monument, un élément du paysage remarquable... Bref : qu'elle ait une base réelle autour de laquelle broder.
Pourtant, à Luménis, lorsqu'il avait endossé le costume du Monstre, rien, dans le folklore local, ne semblait indiquer l'existence d'une telle créature. Néanmoins, il n'avait pas vraiment eu le temps de l'étudier. Et il était foisonnant : les villes bruissaient de centaines de rumeurs, de centaines d'histoires plus ou moins oubliées... Peut-être avait-il collé, sans le savoir, à une certaine réalité...
Mais, alors, les conditions étaient particulières, propices à l'émergence de spectres vengeurs...
Justement : n'était-ce pas, aussi, le cas sur Mersant ?

[Galathée]

" J'ai toujours pensé que les histoires surgissaient un peu au petit bonheur la chance... Pour inspirer les gens, ou leur faire peur, pour les faire rêver ou les endormir... Je ne pensais pas qu'il y avait une déontologie, sinon la même que celle des courtisans : faire plaisir. Le public est roi. Il entendra ce qu'il veut, du moment qu'il paie. Ce genre de choses." fit-elle.
" Mais sans doute les bardes qui fréquentent les maisons de joie sont-ils d'une espèce moins noble que la vôtre... Je les ai toujours trouvé prompts à embobiner le chaland, pour ma part. Et une bonne prostituée est toujours un peu barde, comme vous avez dû le deviner..."
Elle soupira.
" Sans doute le volcan qui a créé Mersant était-il connu des peuplades archaïques des îles... Peut-être les gobelins de Dorrandin ont-ils encore quelques récits à ce sujet... Mais les colons ? Hum. La lave est froide depuis des siècles."

[Taliesin]

Il opina du chef.
-Oui... Mais peu importe : mon idée était de toute façon peu réalisable, aurait pu receler plus d'inconvénients que d'avantages, et il aurait fallu l'appliquer dans des circonstances bien précises.
Il sourit, désireux de passer à autre chose, d'oublier cette inspiration sans doute malheureuse.
-Pour en revenir à la déontologie des bardes, ne te méprends pas : je parlais vraiment des légendes locales, ou, de manière générale, des récits plus ou moins historiques. En la matière, et aussi roublarde soient-elle, la majorité d'entre nous est réellement avide de savoir, de connaissance, et ne fait, au final, que recueillir des récits déjà existants. Nous en créons aussi, évidemment. Parfois à partir de conversations entendues, parfois d'histoires déjà colportées, parfois, seulement avec notre imagination. Mais, dans ces cas-là, nous les situons souvent loin, dans des lieux assez vastes pour empêcher l'identification précise, avec des personnages génériques... Il est aussi possible de les adapter aux lieux où nous résidons temporairement, pour plaire davantage au public, pour donner un côté local à une trame au ressort assez universel, qu'elle soit humoristique, tragique, sentimentale... Il est alors davantage question de contes que de légendes, et l'auditoire ne s'y trompe pas : il sait que nous ne racontons pas la vérité, et nous ne le prétendons pas non plus. L'objectif est de faire rire ou sourire, d'émouvoir ou d'enflammer... Pas de narrer la vérité.
Il reposa sa tasse.
-Il arrive également que certains d'entre nous aient un autre rôle à jouer : celui de faire entrer dans la légende des événements auxquels ils ont assisté, ou dont ils ont entendu parler en discutant avec des témoins. Alors, ils rapportent ce qui s'est produit, ce qu'ils ont vu, ce qu'on leur a dit, en y mettant plus ou moins d'eux-mêmes, en transformant plus ou moins la réalité... Tout dépend de leur honnêteté, de ce qu'ils ont ressenti, de l'orientation qu'ils veulent donner au récit... On pourrait parler de falsification, mais les bardes ne sont pas des historiens. Et ce qu'ils font, la mémoire collective l'aurait fait elle aussi. Avec encore plus de transformations, probablement...
Il sourit à nouveau.
-Si nous survivons... Peut-être notre résistance donnera-t-elle lieu à des chansons... Ce serait approprié, en tout cas.

[Galathée]

Jusque là légère, l'expression d'Elerinna se fit soudain plus sérieuse et son sourire était emprunt de gravité.
" Tu sais, c'est peut-être exactement de ce genre de coup de pouce qu'ont besoin certains d'entre nous... Les invisibles. Ceux qui donnent, auxquels on prend sans cesse, qui ne sont jamais dans aucune histoire, sauf quand on les assassine ou qu'ils se font eux-mêmes meurtriers..." murmura-t-elle. " Avoir la sensation de pouvoir laisser une marque... même minime... déformée... dans une légende... Cela pourrait donner des ailes à quelques uns... Ça doit te paraître un peu vain, sans doute... Mais tu es barde... Tu existes. Nous n'existons pas vraiment."

[Taliesin]

Taliesin la dévisagea, surpris.
-Je crois que tu te méprends... murmura-t-il. Les bardes n'existent pas plus que les courtisans ou les gens du commun dont, au final, nous faisons partie. Bien sûr, nous sommes sur scène, en pleine lumière, mais... Ce n'est pas nous en tant qu'individus qui comptons, mais nos chansons, nos récits, d'autant plus que, souvent, nous utilisons un répertoire en grande partie commun. C'est de cela que se souviennent les gens : les chansons, les récits. Pas de celui qui les ont interprétés. Évidemment, il y a des exceptions, le nom de certains bardes demeure attaché à des textes couchés sur le papier, publiés, diffusés ; d'autres sont assez marquants pour rester dans les mémoires, mais ce ne sont pas toujours les plus méritants : juste ceux qui ont pu obtenir une place dans une cour, dans une cité où ils ont exercé de longues années. Les autres, l'écrasante majorité, tombent bien vite dans l'oubli, pour peu qu'ils en soient jamais sortis.
Si lui-même restait dans l'histoire, ce ne serait certainement pas pour sa profession. Et d'ailleurs, fort heureusement, il ne resterait pas dans l'histoire : qui ferait le lien entre le Prophète Gris, le Grand Mensonger, le Monstre, ce Taliesin conduisant quelques esclaves mélandiens à Luménis, cet autre dont la tête fût mise à prix après son évasion des mines de Gargouille ? Personne : trop de noms, trop de visages, trop d'actes contradictoires... Si des fragments des événements auxquels il avait participé survivaient dans les esprits, lui-même serait oublié ; l'était déjà. Et il ne pouvait qu'en remercier les dieux. A toute force.
-En revanche... Je pense que tu as raison, reprit-il ; sans doute certains d'entre nous trouveraient-ils de la force dans l'idée que leur combat ne sera pas effacé par le temps, qu'il subsistera une trace de leur résistance qui, pour le coup, est sans conteste héroïque. Quand je parlais de chanson, j'envisageais surtout le fait de... préserver la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés. Mais oui, tu as raison : peut-être... Peut-être qu'y travailler pour tout le monde, écrire l'histoire de notre lutte sur des parchemins qui survivront quand bien même nous tomberions tous...

[Galathée]

« Oh, on se souvient quand même souvent des artistes… Plus souvent que des boulangers, des fermiers ou soldats qui meurent en première ligne. Seuls les rois et les généraux peuvent prétendre à plus de célébrité. Un prêtre particulièrement bruyant de temps en temps… Un magicien démoniaque. Un barde à la voix divine. »
Elle secoua la tête.
" Et je ne pense pas que tu doives écrire ce qui se passe ici... Nous n'en avons pas le temps et... Pour l'heure, il n'y a rien de bien glorieux à consigner."
Elle sourit.
" Quand nous nous en serons sortis, par contre, tu pourras rédiger une ballade en l'honneur des braves qui sont tombés et des heureux qui ont survécu."

[Taliesin]

-Une ballade ? Tu veux dire une chanson de geste ! fit-il, avec un enthousiasme un peu forcé. Si nous survivons, notre résistance ne vaudra pas moins... Bon, évidemment, je n'ai jamais écrit quelque chose de semblable, mais... Si j'en ai l'opportunité, je ferai en sorte que ceux qui se sont battus ne soient pas oubliés.
Préserver la mémoire de ceux dont, à cause d'un oubli malheureux, il avait peut-être, en partie, causé le sacrifice ou la mort à venir... Il y avait là une ironie mordante dont il n'avait que trop conscience, et qui doucha presque aussitôt son semblant d'entrain.

[Galathée]

Elle sourit, songeuse, puis se redressa. On entendait un léger gémissement. Cela aurait pu être celui qu'un dormeur plongé dans un rêve difficile, mais il était lancinant, répétitif, peut-être un peu trop sonore pour échapper aux lèvres d'une personne assoupie.
" Tu entends ça..." souffla Elerinna, aux aguets.
Elle s'approcha des lits.
" C'est Griselda..." ajouta-t-elle, plus alarmée, soudain.

[Taliesin]

Il lui emboîta immédiatement le pas.
-Peut-être est-elle simplement en train de se réveiller ? souffla-t-il. Ce serait une bonne nouvelle... Et si, d'aventure, elle a une autre crise... J'irai récupérer le pipeau.
Il adressa un sourire encourageant à la courtisane.
-Mais vu que ce qu'il m'a fourni, autrefois, a sauvé Victor d'un trépas certain... J'ai bon espoir qu'elle soit juste en train de se réveiller.

[Galathée]

La jeune femme avait effectivement les yeux ouverts, écarquillés, et lorgnait le plafond de la grotte en balbutiant des paroles désarticulées. Elle ne prit pas tout de suite conscience de la présence de spectateurs. Elle avait les doigts recroquevillés sur la couverture, et son visage était blafard à l'exception de veines très bleues, presque noires, qui remontaient de son cou à ses joues et son front.
" Tout va bien. Nous sommes en sécurité." fit Elerinna en lui touchant le front.
Griselda sursauta, tourna son regard hanté vers la prostituée, puis aperçut Taliesin.
" Oh, Taliesin !" fit-elle précipitamment.
Elerinna ne put dissimuler un petit sourire ironique.
" Taliesin... Gauthier... Greta... Il ne faut pas... Ils ne doivent pas... Mélandis... Tu dois le dire... Tu dois..."
Elle secoua la tête, comme si elle niait vigoureusement quelque chose, puis perdit connaissance.

[Taliesin]

Taliesin fit effort pour demeurer de marbre : cette fois-ci, sa couverture - et dans une moindre mesure, puisqu'il s'agissait sans doute d'un secret de polichinelle, celle de tout l'équipage, de tous les passagers de la Liberté - venait de voler en éclats. Restait à espérer qu'Elirinna saurait garder le silence...
Mais, pour l'heure, ce n'était pas le plus important. Il se pencha sur le corps de Griselda, s'assurant qu'elle n'avait pas brusquement succombé puis, le seul constat dont il était capable effectué, il se redressa, se tourna vers la courtisane.
-Valaellyn nous aurait été bien utile... soupira-t-il. Mais il faudra faire sans elle. Nous devrons la surveiller, vérifier que son état n'empire pas à nouveau. Peut-être lui préparer un petit remontant... Au moindre doute, j'utiliserai au pipeau.

[Galathée]

" Je serais bien en peine de savoir ce qu'il en est... Certains mourants ont l'air en pleine santé et certains vivants conservent une mine de cadavre toute leur existence..." souffla la prostituée en secouant la tête. " Mais Goran devrait se débrouiller avec ce que Katja nous a laissé... Quand il était jeune, il était rôdeur, quelque chose du genre... Il n'y a pas matière à rôder sur l'île, mais il n'a probablement pas tout oublié... Et ces gens sont généralement versés en remèdes..."
" Que se passe-t-il ?" fit une voix ensommeillée derrière eux.
Guéric émergeait de son sommeil, les yeux encore bouffis et il étouffa un bâillement dans la paume de sa main.

[Taliesin]

-Griselda s'est réveillée... lui dit-il sans détour. Elle a prononcé quelques mots puis à sombré de nouveau dans l'inconscience. Elerinna et moi nous interrogions quant à la conduite à tenir, à l'aide à lui apporter...
Il ne savait pas quoi faire, pour être franc, et avait la furieuse envie de recourir à l'instrument magique pour écarter tout doute, tout danger. Mais c'était peut-être - sûrement - inutile, vu l'efficacité des diverses potions et onguents que fournissait d'ordinaire le pipeau.

[Galathée]

Guéric soupira.
" Il me semble que Goran a parlé de quelques concoctions pour accélérer sa guérison... Un dépuratif... Quelque chose pour lui rendre des forces... Elle était mourante ce matin. Il ne faut pas brûler d'étapes. Et s'il s'avère qu'il lui reste des séquelles, tes pouvoirs curatifs seront certainement les bienvenus." fit-il, songeur.
Elerinna se leva.
" Je vais lui chercher un peu d'eau."
Guéric la regarda s'éloigner.
" A-t-elle dit quelque chose de particulier ?"

[Taliesin]

Il grimaça, répondit à voix basse.
-Oui... Elle m'a appelé par mon vrai nom et... A cité Gauthier, Greta. A dit "Il ne faut pas", "Ils ne doivent pas", puis "Mélandis". Elle a ajouté que je devais leur dire... ça lui paraissait très important, mais elle n'a pas eu le temps d'aller plus loin.

[Galathée]

Guéric fronça les sourcils et demeura silencieux quelques secondes. Puis il haussa les épaules et secoua la tête.
" Je ne vois pas ce qu'elle a pu vouloir dire... et de toute façon, nous ne pouvons pas chercher Gauthier et Greta pour l'instant. Elle sera remise d'ici à la réunion de nos deux groupes et pourra nous en dire davantage. Si c'est quelque chose de sensé... Vu son état... ça pourrait être tout et n'importe quoi. Fragments d'un rêve... Instant de lucidité..."
Il leva les yeux sur l'elfe.
" J'ai l'intention de monter à la surface ce soir. Je voudrais voir où les choses en sont... S'il y a des survivants... ou des prisonniers... si les pirates s'installent ou restent. A toi de voir si tu veux m'accompagner ou pas."

[Taliesin]

Taliesin secoua la tête.
-C'est à toi de me dire si tu veux que je vienne... fit-il. Ce qui m'inquiète, c'est que mes sorts d'invisibilité ne durent que quelques minutes. Je peux en lancer plusieurs, mais... Il faut pour cela qu'il n'y ait personne dans les parages. Du coup, si nous empruntons la même sortie, je crains de ne pouvoir me rendre au village. Je peux cependant aller observer les bateaux au mouillage, ou tester le pipeau pour voir s'il a des effets intéressants, à l'extérieur.

[Galathée]

Guéric opina du chef.
" Il ne faut en tout cas pas que tu sois repéré. Je pensais les sorts d'invisibilité plus... permanents. Mais s'ils ne durent que quelques minutes... Tu as raison. Je fais sans doute mieux de monter seul tant que nous ne disposons pas d'une voie d'entrée plus proche des maisons... Même s'il n'est pas impossible que la majeure partie des pirates campent dans la lande. Vu le nombre qu'ils doivent être, c'est d'ailleurs plus que probable..."
Il lâcha un bref soupir.
" Cela dit, il faudrait effectivement savoir ce dont ce pipeau est capable... Mais j'ai l'impression qu'il pare au plus pressé... pas à la situation globale. Il ne terrassera probablement son premier pirate qu'à l'instant où celui-ci sera sur le point de te fendre le crâne..."

[Taliesin]

Il fit la moue.
-Je ne suis même pas certain qu'il soit capable de magie offensive, destructrice... Je ne l'ai encore jamais constaté, en tout cas. Par contre, il ne prend pas en compte que mes besoins, ou ceux, plus généralement, du musicien qui s'en sert : cette grotte en est bien la preuve. Alors, peut-être nous sera-t-il utile, à tous, pour nous replier, nous protéger...
Il soupira.
-Enfin, ce ne sont que des suppositions. Nous le testerons pour vérifier.

[Galathée]

Guéric acquiesça.
" Nous verrons. Nous avions compté sans. Nous nous débrouillerons quoi qu'il advienne." fit-il finalement.
Elerinna revint avec de l'eau pour Griselda, mais la jeune femme était complètement inerte et la majeure partie du liquide glissa sur ses joues et se perdit dans les replis de sa couverture. La prostituée pinça les lèvres et un instant, sembla au bord des larmes.
" Allons, ne nous laissons pas aller. Nous n'avons encore perdu personne." dit Guéric. " Vu les circonstances, c'est inespéré."
" Bellyra dit qu'elle a vu tomber Bertram, avant la retraite..."
" Je sais. Mais il ne fait pas partie de notre groupe. Nous devons avant tout nous soucier de la survie de ceux qui sont nos compagnons. Pour les autres... C'est hors de notre sphère d'influence pour le moment."