[Lieu] Temple de Moandre

[Galathée]

" Fais attention, si tes retouches sont trop merveilleuses, tu vas avoir des clients... Hormis quelques aubes et nos nippes civiles, nous ne sommes pas réputés pour nos costumes...
— C'est normal, Moandre n'est pas porté sur la mode.
— Bah, pour le satisfaire, il suffit d'enfiler un sac de pommes de terre par dessus autre chose. Sinon ça gratte. Si tu es tout nu en dessous. Et puis d'aller te vautrer dans une poubelle, aussi.
— Pourquoi avoir choisi Moandre, demanda Perceval. Il n'y avait pas de dieux morts moins... odorants ?
— Disons que Moandre est relativement facile à singer... Tu as vu ce qu'apprécie Myrkul, là en dessous. Ça nous demanderait beaucoup plus de temps."
Perceval avait pris une seconde aiguille et contemplait ses chausses avec désespoir. Gurvan avait déchiré l'entrejambe des siennes, et son col s'était déchiré vers l'arrière. Hippolyte était juste poussiéreux.

[Taliesin]

Le barde entreprit donc de ravauder la chemise de Baptiste. Jadis, alors qu'il faisait encore son métier de barde itinérant et passait sa vie par monts et par vaux, il avait souvent dû s'adonner à cette activité. Pour diverses raisons, il n'en avait plus eu beaucoup l'occasion ces dernières années, mais la petite séance de couture au Comptoir lui avait permis de retrouver la main, et la tâche s'avéra moins ardue qu'il ne l'aurait cru. Il eut donc tout loisir de songer à nouveau aux paroles de Tim - elles continuaient à lui trotter dans la tête, si bien qu'essayer de composer une chanson lui était tout bonnement impossible.
Lorsqu'il en aurait fini, il passerait aux affaires de Gurvan. Et ensuite... Il se demandait si une bonne lessive ne serait pas nécessaire. Malheureusement, cela signifiait qu'il risquait lui aussi d'en passer par le rose, vu l'état de sa propre mise... Enfin, avec un peu de chance, il pourrait croiser Judicaël avant qu'il ne soit trop tard. Ou Nominoé : même le jaune, l'orange et le rouge étaient moins pires.

[Galathée]

Les enfants s'étaient mis au dessin, sous la houlette de Tim, tandis qu'Iris était partie s'entraîner au lancer de couteau sur une cible en bois. Hippolyte abandonna d'ailleurs rapidement ses crayons pour aller observer la jeune femme. Baptiste et Gurvan se montrèrent plus appliqués. Le premier avait manifestement opté pour la salle aux dragons, qu'il avait eu tout loisir d'observer, tandis que Gurvan dessinait, chose imprévue, un portrait de leur groupe. L'un et l'autre étaient relativement doués, mais pour des choses différentes. Baptiste avait une mémoire étonnante des détails, il parvenait à reproduire la mosaïque avec une précision confondante, tandis que Gurvan était un excellent observateur des expressions et des traits, qu'il représentait de manière un peu exagérée, mais sans que le doute soit permis sur l'identité de chacun ou son état d'humeur.
Tim était fasciné par leur travail. Au bout d'un moment, il releva les yeux.
" Je les garde tous les deux. Vous pouvez embarquer Aaron et Maude pour rentrer à Luménis."

[Taliesin]

Taliesin, qui n'avait pas manqué d'observer les réalisations des enfants, secoua aussitôt la tête.
-Dans tes rêves ! On les embarque, c'est non négociable. Par contre, je ne manquerai pas de dire à qui de droit que tu essaies de manigancer pour te débarrasser d'eux. Nul doute qu'ils apprécieront et procéderont à de justes représailles. J'ai hâte d'assister à ça !
Il songeait que Gurvan pourrait tirer grand profit de son talent : dans les services secrets, oui, où il serait en mesure de démasquer menteurs et espions, mais peut-être plus encore en tant que clerc, où il serait particulièrement à même d'aider ses interlocuteurs, puisqu'un seul regard lui suffirait à saisir leur état d'esprit. Quant à Baptiste, il aurait fait un excellent assistant pour le sieur Finrod Felagund.
Et pourrait faire un excellent barde.

[Galathée]

" Argh ! Non, Taliesin ! Pitié ! Je te les laisse ! Et je te donne Iris en prime, si tu ne me dénonces pas ! Tu ne connais pas Maude ! Et Aaron...
— Je croyais qu'il te tenait chaud.
— C'était une blague ! Aaron est une succube !
— C'est quoi une succube ?
— Une sorte de pâtisserie, intervint Perceval.
— Mais pas du tout !" protesta Baptiste.

[Taliesin]

Bah, puisque Baptiste savait et finirait probablement par le lui dire...
-Les succubes sont des démones, Gurvan. Elles prennent l'apparence de femmes extraordinairement belles et tentent de séduire les hommes afin soit de les faire travailler pour elles, soit qu'ils acceptent leurs baisers, ce qui permet à ces créatures d'aspirer leur force vitale... Elles ont des équivalents masculins qu'on appelle incubes. Mais les dieux soient loués, ces monstruosités sont extrêmement rares. Je n'en ai jamais croisé, personnellement.
Bon, il fallait excepter Meloenn, qui en était une au sens au moins métaphorique du terme.
-Les Bainites en avaient lancé une à nos trousses, quand Baptiste et moi avons fui leur temple. Ainsi qu'un Ilithid et un vampire. C'est finalement sur celui-ci que nous sommes tombés. Bon, j'ai dû accepter qu'il m'embrasse dans le cou, mais tout ce qu'il m'a pris, c'est un peu de sang.
Il adopta une mine dépitée, soupira.
-Et à mon grand désespoir, j'ai vérifié mes dents tous les matins sans jamais constater qu'elles avaient poussé. Quelle tristesse !

[Galathée]

Tim et Perceval avaient fait les gros yeux à Taliesin pendant son explication, sans succès. Le guerrier avait l'air vaguement scandalisé, le clerc était hilare. Gurvan l'avait écouté avec sérieux, Baptiste avait continué son dessin, tout en opinant du chef pour marquer son approbation.
" Tu voudrais être un vampire ? Mais quelle idée ! En plus, si tu étais un vampire, je devrais te tuer.
— Comme tu y vas.
— Lathandre abhorre les morts-vivants.
— Oui, c'est juste pour avoir quelque chose à dire.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Tout le monde abhorre les morts-vivants. C'est comme de dire que les roses, ça sent bon.
— Moandre ne serait pas d'accord."
Taliesin avait terminé de raccommoder la chemise de Baptiste, avec un résultat plutôt admirable et le petit garçon lui décocha un sourire radieux en le récupérant.

[Taliesin]

La réaction de ses compagnons lui avait arraché un haussement d'épaules. Puisque le gamin voulait devenir clerc, il ne tarderait pas à en entendre des vertes et des pas mûres sur les entités qu'il pourrait être amené à combattre. Et puis, il n'avait rien dit de scabreux ! Pour le reste, il trouvait que Tim était un peu trop rude lorsqu'il évoquait Lathandre...
-Gurvan, si tu le souhaites, je peux m'occuper de tes affaires, dit-il. Et c'est vrai que tout le monde abhorre les morts-vivants. Mais c'est encore plus vrai de Lathandre : il incarne la jeunesse, l'espoir, la lumière, le renouveau, tout le contraire de ce que sont ces créatures, en somme.
Il sourit.
-Et je plaisantais : je n'ai nullement envie d'être un vampire. Il existe tout un courant littéraire qui en fait des héros romanesques et romantiques. Mais, franchement... Devoir boire du sang, être contraint de dormir dans un cercueil, ne plus pouvoir contempler la lumière du soleil, qui aurait envie d'une existence pareille ?

[Galathée]

" Et surtout devoir se priver d'ail... ça se serait vraiment difficile, dit Baptiste.
— Ah beurk, moi j'aime pas l'ail..."
Le gamin se pencha vers Taliesin.
" C'est gentil, pour ma tunique... J'ai pas réalisé que Perceval nous malmenait à ce point...
— Vous malmenait ?! Parbleu, c'est vous qui m'avez agressé.
— Si peu."
Tim rit joyeusement tandis que Gurvan se déshabillait et tendait ses vêtements à Taliesin.
" Mais vous n'y êtes pas, cela dit. Ce dont Taliesin aurait le plus de mal à se passer, c'est d'un miroir."

[Taliesin]

En retour, il tendit au petit garçon l'un des ponchos restants : en voilà au moins un que leur teinte ravirait ! Puis il se tourna vers Tim et adopta une expression outrée.
-Messire, voici un coup aussi bas qu'injustifié : je n'use pour ainsi dire jamais de ces accessoires. Durant l'année écoulée, j'ai dû y recourir en une unique occasion, afin de me grimer pour une expédition. En dehors de cela... Rien.
Le pire, c'est qu'il disait la plus stricte vérité.
-Face à pareille insulte, vous me voyez contraint de réagir. Par conséquent, j'informerai le sieur Aaron et dame Maude de vos mauvaises intentions à leur égard, et je les soutiendrai s'ils décident de se venger. Je pourrais, par exemple, commencer par expliquer à Judicaël que vous nous avez sans cesse poussés à pénétrer plus avant dans le temple de Myrkul, et que vous avez refusé de placer des glyphes sur les portes de la salle du trône, sous prétexte que vous souhaitiez montrer aux enfants le plus de morts-vivants possibles. Je suis sûr que toutes les personnes ici présentes corroboreront mes propos.

[Galathée]

" Il y avait des glyphes, protesta le Milite. Ce n'est pas de ma faute si tous les morts-vivants ne sont pas mauvais !
— Et Iris, elle a rien fait, ce serait pas juste pour elle, ajouta Gurvan.
— Et puis si on redescendait cet après-midi ? demanda Baptiste. On n'est pas obligés de retourner dans le même coin ! Y'avait la chapelle d'à côté, on pourrait juste rentrer dedans pour l'examiner, non ? Si on dit rien, Judicaël saura rien, et il nous permettra d'y retourner. Il suffit juste qu'on mette bien au point notre petite histoire... en plus, les vêtements, on les a déchirés ici, pas en bas... donc ? Non ?"

[Taliesin]

Il hésita. Indéniablement, il avait envie de lui faire plaisir. Mais d'un autre côté...
-Hum, il faudrait que tous les membres de notre escouade soient d'accord... Et je craint que Judicaël ne découvre rapidement la vérité, même si nous inventons une bonne histoire, même si chacun fait de son mieux pour la défendre. Et dans ce cas-là, il y a de fortes chances pour que nous soyons tous consignés dans nos chambres jusqu'au départ...
Il baissa les yeux sur la tunique qu'il était en train de raccommoder.
-Par ailleurs, je ne sais pas si mes superbes coutures résisteront à de rudes épreuves, ou si ma tenue, miraculeusement préservée, sortira indemne d'une nouvelle expédition. Sans compter toutes cette horrible poussière dont les catacombes sont envahies.. A ce propos, Tim, je trouve que vous êtes quand même un peu négligents en matière de ménage.

[Galathée]

" C'est un Temple de Moandre, pas une auberge luménienne, dit le Milite. Grâce à cette poussière et à nos vieilles poubelles, nous t'avons abusé un certain temps."
Baptiste paraissait déçu mais il ne protesta pas et continua son dessin, passant du trait à la couleur. Gurvan, à ses côtés, avait terminé son croquis du groupe et entamé un second. Iris apprenait désormais à Hippolyte à lancer son premier couteau. Perceval avait encore du pain sur la planche, compte tenu de l'état de ses vêtements. La tunique de Gurvan fut rapidement raccommodée et le petit garçon la remit, avant de replacer le poncho rose par dessus : il avait l'air effectivement satisfait de cette aube de substitution.
" Bon... Nous avions parlé de jouer ensemble. Il ne va pas nous rester beaucoup d'opportunités, si vous filez rapidement... Nous devrions nous mettre d'accord sur le programme de ce soir..."

[Taliesin]

Le barde s'attaqua au dernier des vêtements qu'il devait ravauder - pour l'heure.
-D'abord, Tim, vous ne m'avez jamais abusé. Pas un seul instant ! Ensuite, il n'est pas encore dit que nous partirons rapidement, car je n'ai pas consulté tout le monde. D'ailleurs, tant que j'y suis...
Il se tourna vers les autres.
-Perceval, Gurvan, j'ai discuté avec Judicaël et Kerun, ce matin. Pour rentrer à Luménis, nous serons téléportés dans une ferme que nos amis possèdent dans le sud, près de la frontière. De là, nous gagnerons facilement les terres manostiennes puis prendrons un navire. Mais nous avons le choix entre rester ici jusqu'au moment du grand départ, ou aller l'attendre là-bas, à la campagne, au grand air...

[Galathée]

Perceval et Gurvan demeurèrent un instant silencieux, comme ils avalaient l'information.
" Heu... Je dois dire que... le grand air me tente bien, dit le jeune homme. Rester confiné à l'intérieur, ça n'a jamais été ma tasse de thé.
— Mais... et mon instruction de clerc... demanda Gurvan, moins enthousiaste. Je croyais que j'allais pouvoir rester avec Helen...
— Ce serait juste des vacances avant d'entamer ta véritable formation au Temple à Luménis, intervint Baptiste. Parce qu'après, tu ne risques plus d'aller à la campagne avant un certain temps."
Le petit garçon grimaça.
" Tu sais, je crois que j'ai jamais été à la campagne, en fait."

[Taliesin]

Taliesin grimaça également. Bien sûr, il savait que nombre de petits citadins ne quittaient jamais l'enceinte de leur ville, et que les novices n'étaient presque jamais autorisés à quitter celle de leur temple. Mais tout de même, grandir sans jamais avoir mis un pied à la campagne...
-Raison de plus pour aller la découvrir ! lança-t-il finalement. D'autant qu'Helen viendrait avec nous : c'est elle qui doit s'occuper de l'accouchement... Cette solution ne présenterait donc que des avantages. Tu ne trouves pas ?
Il espérait que la réponse de Gurvan serait positive, tout comme celle d'Hippolyte. Car même si les quartiers privés des faux Moandrins étaient fort agréables, il devait bien admettre que le soleil lui manquait.

[Galathée]

Baptiste et Perceval sourirent à Gurvan qui finit par les imiter.
" D'accord alors, dit-il. C'est vrai que célébrer l'aube à l'intérieur, c'est pas facile.
— Tu verras, la vue est splendide, là-bas, dit le Milite. Des champs et des prairies, des collines, des ruisseaux... On ne se croirait pas en terre mélandienne... Et pourtant... Il faut bien que le blé et les légumes viennent de quelque part. C'est le grenier de la région..."
Le clerc avait l'air un peu mélancolique, mais il retrouva rapidement le sourire.
" Vous rencontrerez nos trois derniers larrons, et puis tout le personnel de l'exploitation. Ce sont pour la plupart d'anciens esclaves que nous avons affranchis. Ils ne sont pas au courant de tout ce qui nous concerne, cependant. Il faudra donc que Judicaël vous bride la cervelle avant de partir."

[Taliesin]

-Tim veut dire que Judicaël vous lancera un sortilège vous empêchant de parler de ces lieux avec quelqu'un qui n'en connaît pas les secrets, s'empressa-t-il d'ajouter. Mais ne vous inquiétez pas : j'y suis passé, et si ce qu'on ressent pendant l'incantation est un peu bizarre, ça n'a rien de douloureux.
Il jeta un regard au Milite.
-Rassure-moi : il y a beaucoup de place, là-bas ? Beaucoup de chambres ? Et elles sont bien insonorisées, n'est-ce pas ? Non, parce que... Quand Heleon et Gurvan iront saluer le soleil levant et le gratifiera des hymnes adéquats, j'aimerais autant pouvoir continuer à dormir. Se lever à l'aube est interdit aux bardes. Théoriquement, nous n'avons même pas le droit de nous réveiller avant midi. Mais il existe des dérogations en cas de force majeure...

[Galathée]

Tim rit joyeusement.
" Pour qui me prends-tu, Taliesin ? Ne suis-je pas barde, moi aussi ? Je sais très bien de quoi nous sommes faits. Et ne t'inquiète pas... Les vagissements de ta propre progéniture t'empêcheront de toute façon de dormir ! Mais Judicaël vous expliquera un petit peu comment ça se passe là-bas. C'est toujours un peu compliqué, car nous devons garder un certain secret sur nos agissements... En même temps, nous organisons la fuite des esclaves... en leur faisant penser qu'ils ont réussi à filer eux-mêmes. Bref, je ne vais pas entrer dans les détails. Le sortilège suffira amplement, et nous trouverons une explication quant à votre présence sur place... La situation est un peu nouvelle, pour nous. Jusqu'ici, nous n'avions jamais secouru de Luméniens. Et libérer des esclaves n'est pas notre fond de commerce... Simplement, parfois, les circonstances l'exigent."
Iris et Hippolyte revinrent de leur entraînement et Gurvan mit son ami au courant. Le petit garçon parut ravi de la perspective et projeta déjà de grandes épopées champêtres. La porte s'ouvrit alors sur Kerun. Devant lui, marchait une petite fille blonde, manifestement demi-elfe, aux grands yeux clairs humides. Elle serait une peluche difforme et sale contre sa poitrine.
" Je vous présente Prudence, annonça l'elfe en s'approchant. Je vous prierais de l'accueillir parmi vous."
Hippolyte poussa un cri perçant.
" Les ponchos ! Planquez les ponchos !" hurla-t-il.
La gamine resta calée dans les jambes de l'agent secret.

[Taliesin]

Le premier réflexe de l'elfe fut de très discrètement rendre ses chausses à Gurvan : heureusement, il avait terminé de les recoudre juste à temps. Puis il se tourna vers les nouveaux venus et son cœur se serra lorsqu'il songea à la petite Mona et à sa dérisoire peluche...
-Bienvenue parmi nous, Prudence, dit-il à la fillette en lui adressant un sourire engageant.
Il devait s'agir de 'lune des petites luméniennes qu'il restait à sauver...

[Galathée]

Gurvan s'accrochait à son poncho en dépit des cris de son compagnon. Baptiste sourit à la petite fille tandis qu'Iris se levait pour lui tendre la main. La gamine ne bougea pas d'un poil, puis cacha son visage dans les chausses de Kerun. Elle ne devait pas avoir plus de huit ans, elle non plus.
" Tu veux un poncho ?" demanda alors Baptiste.
La petite fille l'observa une seconde, puis se cacha à nouveau.
" Ils sont roses, dit Hippolyte d'un air dégagé.
— J'aime pas le rose, finit par dire Prudence.
— Moi non plus."

[Taliesin]

Il faillit ajouter que personne n'aimait le rose, mais il préféra s'abstenir.
-Et des biscuits, ça te tente ? demanda-t-il plutôt en lui désignant la table. Si c'est le cas, sers-toi sans hésiter : il nous en reste encore des centaines !
Il songea qu'en revanche, la pénurie de frusques dont souffrait leur petite communauté venait de s'aggraver encore. Si l'atelier de confection n'était pas extrêmement productif, aller en acheter serait chose incontournable.

[Galathée]

Elle le regarda et lui sourit, les yeux soudain pétillants.
" Regarde-moi cet effet de son charme ravageur, c'est quand même scandaleux..." souffla Tim à Iris.
La prêtresse rit joyeusement tandis que la petite fille s'approchait de la table et jetait un oeil sur ce qui s'y trouvait. Elle choisit une étoile puis brusquement, elle s'enfuit dans un coin de la salle, se tourna dos à eux et grignota. Kerun pinça les lèvres et soupira, tandis que les trois garçons l'observaient.
" Elle est bizarre, cette fille, dit Hippolyte.
— Laissez-lui de l'espace mais gardez-la à l'oeil, dit Kerun aux adultes. C'est un petit chat sauvage avec des tendances à la rapine.
— Ça veut dire quoi, rapine ?
— Ça veut dire que t'as intérêt à surveiller tes affaires.
— Ça sera vite fait, j'en ai pas."

[Taliesin]

Ah ça, il était certain qu'aucun des survivants du Comptoir n'avait à craindre à ce niveau. Les Moandrins, en revanche...
-Sois tranquille, Kerun : nous veillerons sur elle, dit-il.
Quatre mômes à surveiller... Il eut une pensée pour Constance, qui en avait cinq dans l'espace étriqué de son navire.
Bah, ils s'en sortiraient. Et il était ravi que Kerun ait pu procéder à une nouvelle libération : cela lui ferait du bien.

[Galathée]

" Bon, il faudrait qu'on décide si on pique-nique ici, comme des malpropres, ou si on rejoint la salle à manger, dit Tim en regardant l'état de leurs victuailles. Ce n'est pas avec du vin et des biscuits qu'on va se maintenir en bonne santé.
— Moi j'ai pas eu de vin.
— Ha ha.
— En parlant de malpropres, je pense que les combattants feraient bien d'aller se laver... Certains dégagent un parfum...
— Je pensais que c'était un Temple de Moandre, protesta Perceval.
— Ça doit être trop bien d'être novice de Moandre ! On peut être crado tout le temps !"

[Taliesin]

Le barde rit.
-Libre à toi de ne pas te laver, Hippolyte. Mais ne t'étonne pas si, ensuite, aucun d'entre nous n'accepte de t'approcher ou que tu t'approche de lui...
Il se tourna vers las adultes.
-Bon, il faut s'organiser. Qui s'occupe de cuisiner et de mettre la table ? Qui garde un oeil sur Prudence ? Qui gère la salle de bain ?
Pour les taquiner, il pensa parler de lessive mais choisit de s'abstenir.

[Galathée]

" Je vais me charger de la salle d'eau, dit Perceval avec un sourire. Qui vient avec moi ?
— Moi je sens pas mauvais, fit Hippolyte, sceptique.
— Est-ce que l'eau sera chaude ? demanda Gurvan.
— Si on a le temps ?"
Il fut décidé qu'ils l'auraient et Perceval entraîna les trois garçons vers la salle d'eau. Iris s'attela au rangement de la salle d'armes. Tim décida d'aller classer les dessins des enfants dans la bibliothèque, mais il ne voulait pas abandonner Taliesin seul avec Prudence, aussi proposa-t-il au barde qu'ils y aillent ensemble. Il fallait cependant approcher la petite sauvageonne.
" J'ai presque envie de l'attraper dans un filet."
La petite fille les observait, revêche, toujours calfeutrée dans son coin.

[Taliesin]

Le barde se sentit brusquement mal à l'aise. Évidemment, c'était à lui qu'on avait attribué la tâche d'amadouer la fillette, et même s'il n'avait rien contre cette dernière, bien au contraire, il se disait que ce ne serait pas du tout une bonne idée qu'elle s'attache à lui.
Enfin, il avait fait la même chose avec Gurvan et Hippolyte, puis passé pas mal de temps avec eux sans que cela se produise.
Baptiste était un cas à part.
-Prudence ? fit-il sans s'approcher d'elle. Nous devons ranger ces dessins, puis nous irons sans doute préparer le repas. Est-ce que tu es d'accord pour nous accompagner ?

[Galathée]

Elle le dévisagea, d'abord méfiante, puis son sourire revint. Elle courut vers lui et lui prit la main.
" On mange quoi ? Moi j'aime bien le poulet et aussi la salade, et puis j'aime pas le poisson, sauf si tu m'enlèves les arêtes. Je connais quelqu'un qui est mort parce qu'il avait une arête en travers de la gorge ! Bon, c'était un chien, mais certains chiens sont plus gentils que les gens, tu sais ça ?"
Elle haussa les épaules et le tira vers la sortie. Tim les suivit, circonspect.
" Et j'aime bien aussi les bonbons. Surtout ceux à la guimauve que fait la mère Suzanne, derrière la Bienveillance. Mon papa, il dit que c'est pas bon pour les dents, mais il y connait rien, évidemment. Et puis tu sais quoi ? Si tu as un trou dans ta dent, et que ça fait mal, et bien tu vas au Temple de Waukyne, tu donnes tes sous, et ils te réparent ta dent. Alors tant que t'as des sous, tu peux manger autant de bonbons que tu veux. Donc moi je vais être très très riche, comme ça je pourrai avoir beaucoup beaucoup de bonbons, et jamais mal aux dents."

[Taliesin]

Bon, on allait dire que c'était un effet de son "charme ravageur", comme l'avait qualifié Tim, et que cela se dissiperait quand Prudence aurait pris ses marques, quand elle connaîtrait mieux les autres. Et d'ici là, s'il pouvait l'aider à se sentir plus à l'aise, ce serait tant mieux.
-Malheureusement, à moins que nos hôtes m'aient caché quelque chose, je crains qu'il ne te faille attendre notre retour à Luménis pour savourer des bonbons. Mais notre garde-manger est malgré tout fort bien garni et, si tu le souhaites, tu pourras participer à l'élaboration du menu.