La Couronne de Cuivre

L'asabi ne fit pas mine de s'approcher davantage. Peut-être craignait-il un piège, ne voyant pas la druidesse. Mais il répondit néanmoins à la question posée.
- Ceux qui sont morts sous tes coups sont ceux du clan de mon enfance. J'aurais été du nombre si je n'avais pas été à ce moment-là auprès de mon mentor. Mais tu as tué mon père, mon frère, mon oncle et sa compagne, ainsi que la moitié des guerriers du clan des Pierres Bleues. Ils avaient un mode de vie différent du vôtre, certes, ils étaient semi-nomades, ils avaient leur propre code de l'honneur. Certes, ils volaient parfois ce qu'ils ne pouvaient marchander. Mais ils ne méritaient pas la mort.
Son regard se fit dur.
- J'ai répondu à votre question, mais j'attends toujours votre réponse. Quel prix êtes-vous prêt à payer ?

Le rôdeur prit un instant à la question, comme s'il réfléchissait avant de répondre :

- Cela est une autre question que celle à laquelle j'ai déjà répondu à l'instant... J'y ai réfléchi et je suis parvenu à la conclusion que nos deux races ne partagent en fait qu'une seule valeur commune. Non pas l'or ou même le sens de la vie mais autre chose. Une chose que l'on ne peut ni voler ni reprendre et à laquelle je suis prêt à renoncer...

Il marqua une pause pour s'assurer qu'il avait attiré l'attention de son interlocuteur puis ajouta sans plus tergiverser comme s'il énonçait une évidence :

- Je suis prêt à renoncer à une partie de mon temps.

L'asabi le regarda, incrédule. Kasumi eût l'impression de voir ses traits se crisper légèrement. A peine. Mais c'est d'une voix parfaitement calme qu'il répliqua.
- Dans ce cas, il mourra. Et vous m'avez importuné pour rien.
Et il fit demi-tour, tournant calmement le dos au rôdeur pour s'éloigner. Comme s'il ne craignait pas la moindre embuscade, la moindre attaque... ou peut-être se préparait-il à y résister ?

Le rôdeur répondit immédiatement mais d'une voix calme :

- Je pensais avoir affaire à quelqu'un d'un peu plus curieux et subtil... A combien de temps estimez-vous que correspond ma faute ? Un mois ? Un an ? Une vie entière ? Songez à ce que vous pourriez faire de ce temps pendant lequel je serais à votre disposition.

Le shaman se retourna vers lui.
- Et à quoi pourrait bien me servir d'avoir un humain à ma disposition ? Un esclave que je devrais surveiller pour être certain qu'il ne joue pas les espions pour son peuple... Nous autres, clans errants, n'avons pas d'esclaves. Comment mes compatriotes te jugeraient-ils, comment se comporteraient-ils avec toi ? Combien jugeraient que j'aurais mieux fait de te tuer ? Ils se chargeraient de te faire payer très cher ton passé, crois-moi. Remarque, ça pourrait être une alternative intéressante... Quelques dizaine d'années d'esclavage... Mais ce que je vois, surtout, c'est que tu as changé de discours par rapport à cette nuit...

Kasumi fit un effort pour pas se mordre les lèvres. Le shaman n'avait sans doute jamais eu l'intention de négocier pour ce qu'il montrait. Il prit tout de même sur lui pour conserver un ton toujours aussi calme :

- J'étais venu pour négocier mais il semblerait que vous n'ayez pas la même idée. Est-ce qu'être esclave est la seule façon de vous donner de mon temps ? Qu'était venu négocier votre délégation asabie dans la cité de mon père ? Pourquoi vos shamans ne se rendent-ils pas plus souvent dans la Haute-Forêt pour chercher la racine qui leur est si précieuse ? J'ai négocié avec les Everaskans, je me suis rendu au cœur du bosquet noir. N'y voyez-vous pas une opportunité ? Je voulais vous laisser cette chance là mais vous ne semblez accorder d'importance qu'à ma mort. Vous n'êtes pas si différent de vos ancêtres, tout compte fait...

Le shaman secoua la tête.
- Vous énoncez des absurdité sans même vous en rendre compte. Vous vous méprenez complètement sur le rôle de cette racine... et sur celui de sa quête dans notre formation de shaman. Mais je ne peux pas en attendre davantage d'un étranger.
Il le toisa d'un oeil sévère.
- Cette nuit, vous prétendiez offrir votre vie, mais finalement ce ne serait que quelques années. Il y a quelques minutes, vous prétendez offrir votre temps, mais ça s'avère n'en être qu'une minuscule parcelle. Croyez-vous vraiment que j'aie le moindre besoin de vous, d'une quelconque manière ? Êtes-vous suffisamment prétentieux pour imaginer une chose pareille ?
Sa voix enflait sous l'effet de la colère.
- J'étais venu parce que l'espace d'un instant, cette nuit, j'avais cru que vous aviez compris la gravité de vos actes et le prix qu'ils nécessitaient. Mais je me suis fourvoyé. Et j'en ai assez entendu pour aujourd'hui.

La colère – trop longtemps contenue – était cette fois partagée et le rôdeur ne chercha plus à la dissimuler :

- J’étais prêt à risquer ma vie pour vous et ainsi m’amender de mes fautes mais croyez-vous vraiment que j’allais vous offrir ma tête sur un plateau sans la moindre garantie ou contrepartie ? Alors que rien, absolument rien de ce que vous avez dit ou fait depuis notre rencontre n’a plaidé dans ce sens. Qu’en est-il de la gravité de ce clan qui – non content de piller les plus faibles – a tué plusieurs des membres de mon clan ? Hannath l’ancien, un demi-elfe qui avait consacré toute sa vie à la forêt et à en soigner tous les êtres vivants. Benéth qui n’était qu’à peine adolescent et avait tout juste acquis le droit de porter une arme. Et Adara, ma mère qui a vécu toute sa vie pour défendre les siens. Ils n’étaient pas soldats, eux non plus, et pourtant ils sont morts par les armes des vôtres. Alors ne me parlez pas de ne pas assumer la gravité de mes actes. Vous qui n’êtes venu que pour assouvir votre vengeance et ne valez certainement pas mieux que moi à une certaine époque.

l'asabi lui répondit avec un calme absolu, et un ton légèrement narquois.
- Ma vengeance, je l'ai déjà. Peut-être aurais-je pu accepter de la troquer contre une autre forme de réparation du mal qui nous a été fait, à moi particulièrement. Mais ce n'est pas ce que vous cherchez. Vous n'êtes venu que pour tenter de justifier vos actes, et non dans une volonté de repentance comme j'ai commis l'erreur de le croire. Sans doute prenais-je mes désirs pour des réalités...
Il haussa les épaules.
- C'est vous qui avez souhaité cette entrevue. Mais je pense qu'il est inutile que nous discutions davantage désormais. Je suis déçu, je pensais que vous valiez mieux que cela, que peut-être vous aviez... je ne sais pas... certaines qualités de coeur ou d'ouverture d'esprit, un peu plus de sagesse ? je me suis trompé. J'aurais dû me douter que ça n'était pas possible chez un semi-humain.
Il s'inclina légèrement.
- Adieu. Puisse cet échec vous aider à acquérir un peu de la sagesse dont manquent tant les humains...

Il n'avait plus le choix... Si l'asabi partait ainsi et maintenant, Kasumi sentait qu'il pourrait bien ne plus avoir d'occasion telle que celle-ci. Alors, avant que le shaman ne s'éloigne, il mit un genou en terre et changea de ton :

- Très bien Huasasth. J'avais cru pouvoir arriver à un autre dénouement mais puisque vous ne me laissez pas le choix... Je ne peux pas rentrer sans avoir sauvé mon père. Je ne fuirai pas mes responsabilités. Accomplissez donc votre vengeance sanglante, je ne vais pas m'envoler... Mais avant que vous ne me tuiez, je veux des garanties. Des garanties que vous soignerez Elryndel.

Eärundra aurait-elle perçu le message ? Si ce n'était pas le cas ou si le shaman ne lui laissait pas le temps d'agir, il avait de bonnes chances de finir sa vie dans quelques instants. Ce n'était donc pas très difficile de jouer la comédie.

Le shaman l'observa avec attention.
- Des garanties ? Vous voulez dire que vous ne vous fierez pas à ma parole ? Hum... Si vous êtes réellement prêt à sacrifier votre vie, je ferai un serment que je ne peux rompre, je vous expliquerai... Mais déjà... êtes-vous sincère ou n'est-ce qu'une manière de gagner du temps ? Pour... attendre une intervention extérieure par exemple...
Il avait reculé d'un pas, mais il fit signe à l'un de ses hommes qui se rapprocha d'un pas tranquille. Il était armé d'une arbalète.

Le rôdeur ne fit pas mine de bouger mais asséna un regard de reproche au shaman :

- Non, Huasasth, laissez vos gardes en dehors de cela : je me suis présenté seul face à vous alors ayez un peu d'honneur de faire les choses par vous-mêmes. Si vous devez me tuer, c'est à vous de vous salir les mains mais je sais que ça vous fera plaisir. Quant aux serments des asabis, vous voudriez bien me pardonner de nourrir les mêmes doutes que les vôtres concernant votre sincérité.

Le shaman fit signe à son garde du corps de s'immobiliser.
- Vous vous trompez, pourtant. Si je fais un serment devant le maître du monde des esprits, c'est une promesse que je ne pourrai rompre sous peine de mourir immédiatement... et, pire, de voir mon esprit condamné à errer indéfiniment sans jamais trouver le repos...
Il croisa les bras.
- Et donc... vous êtes réellement prêts à mourir pour sauver votre père et expier vos crimes ? C'est une noble attitude. Mais je suppose que vous voulez m'accompagner auparavant dans le monde des esprits pour vérifier que je fais bien ce serment inviolable ?

Kasumi réfléchit à ses options : s'il refusait d'accompagner Huasasth, celui-ci craindrait sans doute quelque duplicité et - pire - il ne se rendrait pas dans ce monde des esprits, moment où le demi-elfe supposait qu'il deviendrait inconscient et vulnérable dans le plan matériel. Malheureusement, cela valait aussi pour lui et il devrait alors se reposer encore davantage sur l'intervention d'Eärundra. La décision était néanmoins vite prise :

- Très bien, je vous accompagne. Mais je veux mourir libre et conscient, comme les vôtres. Vos gardes ne devront pas nous approcher pendant ce voyage.

Il se surprenait lui même de parvenir à évoquer sa propre mort avec un tel détachement.

- Mes hommes veilleront sur notre transe, répondit calmement le shaman.
Il se retourna, leur adressa quelques mots dans une langue sifflante, et ils se déployèrent autour d'eux, veillant à rester à une trentaine de mètres. Deux d'entre eux étaient armés d'arbalète. Et Kasumi réalisa que, de là où ils se trouvaient, ils apercevraient immanquablement la druidesse si elle reprenait forme humaine pour se mettre à incanter.
- Mâchez ce morceau de racine, ajouta le shaman en tendant à Kasumi un morceau de bois filandreux. Votre présence là-bas sera plus... profonde, si je puis dire. Sauf si vous préférez que je nous amène là-bas d'une simple incantation ?

La configuration allait effectivement s'annoncer plus problématique que prévu. Avec deux asabis armés d'arbalètes, Eärundra n'aurait jamais le temps de reprendre sa forme naturelle et d'incanter pour appeler les aigles à l'aide. Et il lui avait bien spécifié de ne pas prendre de tels risques si sa vie était en danger. Il semblait bien que cette fois était la fin : il allait se rendre dans ce monde étrange et y passer ses derniers instants d'être vivant. L'espace d'un instant, il faillit se raviser mais il était désormais trop tard : un revirement ne lui vaudrait que la mort. Au moins pouvait-il se consoler de ce que son père serait probablement sauvé.

- Je ne vois pas l'intérêt que ma présence soit plus profonde dans votre monde. Ce n'est pas ma destination : je n'y vais que par obligation. Lancez donc votre sort, qu'on en finisse.

Il lui sembla que Huasasth était vaguement contrarié de son refus de prendre la racine, mais il n'eût pas le temps de s'appesantir sur cette impression. Déjà, le shaman incantait...

Et tout disparut autour d'eux.

Il se retrouva dans un monde d'un blanc immaculé, avec la sensation du sable sous ses pieds nus. Parce qu'il était pieds nus. Et entièrement désarmé. Et ses vêtements semblaient avoir une étrange consistance, comme s'ils n'étaient pas tout à fait présents, comme s'ils n'étaient qu'une illusion.
Le shaman, à quelques mètres de lui, était complètement nu... ce qui, sur sa peau recouverte d'écaille, ne se voyait finalement pas tant que ça aux yeux d'un humain. Kasumi le vit s'agenouiller, écarter les bras, et une lumière blanche sembla tomber du ciel, le nimbant de clarté.
- Maître des esprits... Sonde mon âme, et sonde celle de ce demi-elfe...
L'asabi parlait d'une voix forte et assurée.
- Quelle demande souhaites-tu formuler ?, répondit la voix autoritaire que Kasumi avait déjà entendue.
- Cet ennemi de ma race prétend qu'il est prêt à donner sa vie pour que j'accepte de lever la malédiction que j'ai prononcée à l'encontre de son père. Je pense qu'il n'est pas sincère et que, peut-être, il me tend un piège dans le monde réel. Qu'en est-il ?

Cette fois-ci, tout disparut. Kasumi se retrouva en train de léviter quelque part au milieu de ce monde étrange, sans rien sous ses pieds ni autour de lui. Et entièrement nu, désormais.
- Tu as entendu la question. Qu'en est-il ?, répéta la voix. Mais avant que tu ne répondes, sache qu'ici tu ne peux me mentir, en aucune façon, sans souffrir aussitôt les pires tourments dans ta chair.

Kasumi se sentait effectivement mis à nu et la sensation n'avait vraiment rien d'agréable. Il était pris au piège, fait comme un rat, sans aucune assurance d'échappatoire. Dans ces conditions, que lui restait-il à espérer ou à craindre ? Il tenta de faire le vide dans sa tête, de chasser les pensées morbides, de chasser celles aussi qui le ramenaient immanquablement vers Sylvia et la peine qu'elle allait forcément ressentir. Mais elle se remettrait de sa mort, il le fallait. Elle était aussi forte qu'elle le montrait, elle finirait cette fois par l'oublier, par passer à autre chose. Pour l'heure, la seule chose constructive à faire était de gagner du temps. Quelques secondes de vie supplémentaires étaient toujours bonnes à prendre, aussi futile que cela paraisse. Il déclara avec sincérité :

- Bien sûr que je suis prêt à donner ma vie si c'est nécessaire pour sauver l'un de mes proches. Mon père parmi les premiers. Et je ne tend aucun piège : je suis à la merci des guerriers d'Hasuasth dans le monde réel comme vous l'appelez !

Ce n'était pas un mensonge. Pas vraiment : lui-même n'avait plus aucune liberté d'action et le shaman n'avait rien précisé concernant la druidesse. Il aurait bien lancé un regard de défi à son adversaire mais il ne le voyait plus.

Il sentit une décharge fort peu agréable le parcourir lorsqu'il prétendit ne tendre aucun piège. pas aussi violente toutefois que ce que la voix le laissait entendre.
- Ta phrase est une demi vérité. Un demi-mensonge. Tu es réellement prêt à donner ta vie. Mais quel sorte de piège se trouve dans le monde matériel ?
La voix était calme, détachée. Sans colère ni rancune d'aucune sorte. Un simple constat.
- J'oubliais de préciser que tu peux aussi refuser de répondre à une question. Une absence de réponse est une réponse en soi.

La douleur - si elle ne répondait peut-être pas aux promesses qu'avait laissé entrevoir l'esprit - était tout de même d'une intensité rare et elle le laissa hébété de longues secondes avant qu'il ne parvienne à nouveau à réunir ses pensées et à retrouver la force de défier ses opposants :

- Et que se passera-t-il si je refuse de répondre à vos questions de participer à votre petit jeu sadique et pervers ? J'imagine que cela aussi me vaudra des tourments ? Je vis mes derniers instants loin de mes proches alors prenez-vous en autant que vous voulez à mon corps, je n'en ai cure.

- Une absence de réponse est une réponse en soi, répéta simplement la voix, paisible. Il ne s'agit pas d'un jeu, et il n'y a nulle perversité là-dedans.
Et il se retrouva de nouveau en présence de Huasasth.
- J'ai entendu, fit simplement celui-ci. Peut-être un piège quelconque... impliquant votre amie druidesse j'imagine. Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas... Si vous me tendez un piège dans le monde matériel, pourquoi devrais-je accepter de lever la malédiction qui pèse sur votre père ? Et pourquoi toute cette mascarade, pourquoi proposer de mettre votre vie en jeu, si vous avez finalement simplement l'intention de me tuer ? C'est ce qui me fait penser qu'en réalité vous n'envisagez pas sérieusement de donner votre vie. Et sur cette question, votre réponse, pour véridique qu'elle était, contenait une certaine ambiguïté.
Il secoua la tête.
- Avant que vous ne parliez, sachez qu'ici non plus, vous ne pouvez mentir. Pas tant que vous êtes en présence du Maître. Et avant de prendre le moindre engagement... je tiens à savoir ce que vous avez réellement dans le coeur.

Cette fois, le rôdeur avait une réponse sincère à proposer et il regarda l'asabi droit dans les yeux pour la lui délivrer bien que la présence de l'esprit rende quasiment impossible de négocier en cachant une partie de la vérité :

- Je ne peux répondre à votre première question puisque votre acceptation à prêtre ce serment ne doit dépendre que de vous. Et quant à votre seconde question, je dois vous détromper : il n'est nullement dans mon intention de vous tuer. Et vous ne pouvez pas nier le fait que j'en ai eu plusieurs fois l'occasion. Peut-être avais-je peur que cela ne suffise pas à lever le maléfice dont vous vous êtes rendu coupable mais ce n'est plus le cas depuis bien longtemps. Non, je ne voulais pas sauver mon père en prenant une nouvelle vie, même celle d'un être mauvais.

L'asabi hocha la tête.
- Je suis... agréablement surpris de votre réponse. Vous marquez un point, fit-il simplement. Je sais maintenant que vous avez suffisamment changé, depuis l'époque où vous avez perpétré ces massacres, pour que je puisse accepter de négocier avec vous sans déshonneur.
Il se tut un moment, perdu dans ses pensées.
- C'est vous qui avez proposé votre vie. Je crains, si je la prends, même si vous la donnez de votre plein gré, de subir une vengeance des vôtres. Je tiens à la vie, et j'ai un clan à protéger, en tant que shaman. Et si je refuse votre marché, je crains que vous finissiez par me tuer, vous ou l'un des vôtres, pour lever cette malédiction. Je vais donc devoir vous demander un autre prix que votre vie. Et il y aura, également, un prix à payer au Maître des Esprits, car lui seul peut lever cette malédiction.

Ce revirement était pour le moins surprenant et le rôdeur éprouvait autant de méfiance envers ce que cela pouvait cacher que de soulagement à penser que sa vie serait peut-être épargnée. Et restait de toute façon cette histoire de prix à payer... Ne serait-il pas encore plus lourd à payer que de renoncer à son existence. Le demi-elfe répondit, suspicieux :

- Ce sont là des paroles de sagesse qui me surprennent également. Mais vous devez savoir que toute vie autre que la mienne m'est encore plus précieuse alors cela ne pourra pas faire l'objet de notre négociation. Mais je ne sais pas ce qui pourrait avoir de la valeur à vos yeux, une valeur expiatoire j'entends. Peut-être avez-vous déjà votre idée sur la question ?

- Ne soyez pas si surpris. Ni si soupçonneux. Bien sûr, je dois venger la mort de mon père, mon honneur me le dicte, et pas seulement mon honneur : certains des asabis que vous avez tués n'ont pas trouvé le repos, et ne le trouveront pas tant que votre crime restera impuni. Mais la mort n'est pas le seul moyen d'expier ce genre d'acte. Et comme vous l'aviez si bien dit l'autre jour, il est de mon intérêt, comme du vôtre, que tout ça ne débouche par sur une spirale de vengeance et de haine entre nos communautés.
Son regard se fit dur.
- Néanmoins, vous devez accepter de payer pour ce que vous avez fait. Et ce prix, non seulement doit comprendre une compensation pour le mal fait à mon peuple, que je remettrai aux miens, mais doit être suffisant pour que les morts trouvent le repos de leur âme. Et dans ce domaine-là, le seul juge possible est le Maître des Esprits. Acceptez-vous de voue en remettre à lui ?

Le demi-elfe soutint le regard de l'asabi mais son expression s'adoucit néanmoins quelque peu quand il déclara :

- Je dois ainsi m'en remettre à la sagesse de votre supérieur ? Mais si je ne peux pas contester ses demandes, comment puis-je être certain que le prix qu'il demandera n'ira pas à l'encontre de mes valeurs ? Nous n'appartenons pas à la même culture, vous et moi, après tout. Je préfère ne pas donner un accord que je serais peut-être incapable d'honorer. En revanche, je suis prêt à entendre votre proposition et à la considérer. Pour le bien de nos communautés respectives.

- Je pense que vous pouvez connaître le prix avant de vous prononcer...
L'asabi recula d'un pas et écarta les bras.
- Ô maître... Cet étranger souhaite savoir le prix qu'il doit payer aux morts ?
- Les morts réclament qu'il fasse pénitence, qu'il reconnaisse son erreur. Mais seule une part de son être peut racheter des âmes perdues par sa faute, répondit la voix. Et lever la malédiction impose un sacrifice important. Mais ce qu'il en sera exactement ne te concerne pas.
Une lumière éblouissante tomba à nouveau sur le shaman.
- Et quel sera la compensation demandée par les vivants ? questionna la voix.
Le shaman réfléchit un bref instant.
- Des excuses. Le serment solennel et inviolable que plus jamais il ne lèvera une arme sur l'un des membres de mon peuple, sauf bien sûr s'il est attaqué et doit défendre sa vie. Et une compensation financière... de cinquante pièces d'or par asabi tombé sous ses coups, que je reverserai à leurs familles.

Des excuses solennelles ? Ne plus jamais attaquer un asabi ? Renoncer à une part de lui-même sans même la connaître à l'avance ? Et une compensation financière bien sûr... Tout cela paraissait raisonnable quand on avait été à deux doigts de la mort mais à quel point l'était-ce vraiment ? A quel point ce serment allait-il l'obliger à trahir une partie de son être ? Le demi-elfe était blanc comme un linge mais il garda tout de même son sang-froid.

- Je ne voudrais pas avoir l'air de négocier à tout prix mais je n'ai pas la somme demandée sur moi bien que je reconnaisse que c'est une juste compensation pour les familles des victimes et je pourrai vous la donner si je repasse par Everaska. Quant à ceux de votre peuple, cela veut-il dire que si un asabi - n'importe lequel - s'en prend à un innocent, je devrais rester sans réagir ? Ecoutez, je ne vis plus dans la région alors il est peu probable que je croise encore l'un des vôtres mais ne peut-on pas limiter ce serment à ceux que vous avez juré de protéger. Et non pas à tous vos cousins dont certains ne valent pas mieux que des monstres et dont vous ne savez peut-être rien ?

Il marqua une pause et guetta la réponse du shaman, concerné au premier chef. La question du sacrifice de lui-même qu'il devrait consentir était bien plus épineuse mais il était inutile de l'aborder s'ils ne parvenait pas même à se mettre d'accord sur ces détails là.

- Cette objection me semble raisonnable, fit la voix.
L'asabi eût une grimace de dépit, mais accepta de poursuivre la négociation.
- Soit... Alors, disons... que vous pourriez jurer de ne jamais attaquer l'un des membres de mon clan, mais également... aucun asabi qui n'ait d'abord, le premier, levé une arme ou menacé quelqu'un, ou, d'une quelconque façon, fait la preuve de sa nature mauvaise. Ce que je veux, c'est que vous n'attaquiez plus un asabi simplement parce qu'il est asabi, que vous ne préjugiez plus de la nature soi-disant mauvaise de ceux de mon peuple. Est-ce que, formulée ainsi, cette condition vous semble acceptable ?

Le rôdeur prit le temps d'y réfléchir et convint par devers lui que - formula ainsi - il n'avait aucune raison de refuser de prêter le serment. Après tout, ne serait-il pas seul juge de la nature mauvaise des actions d'un asabi ? Il tint toutefois à clarifier un dernier point :

- Je suis prêt à accepter cette partie du marché : elle me semble raisonnable. Puis-je tout de même savoir à quoi je m'expose si j'en venais un jour à commettre une erreur ? Non pas que ce soit dans mes intentions mais je veux prendre toute la mesure de ce à quoi je m'engage avant de faire.

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines