La Couronne de Cuivre

" Il faut que je me procure le reste du matériel de l'aventurière sans peurs et sans reproches ! Un peu de corde, un bon sac, une outre, un briquet, un peu de savon, de la cire... Ce genre de choses. Et puis au moins une dague ou quelque chose comme ça. Et je dois passer chez l'herboriste... J'ai récolté des plantes que je pense plus ou moins rares... Ça me fera un petit pécule."
Victor engloutissait son repas à une vitesse stupéfiante.
" Je me demande si je sortirais pas un peu Minuit, il doit être tout engourdi..."

Il acquiesça;
-C'est une bonne idée.
Bon, Victor ferait du cheval, Baptiste et Cordélia procéderaient à leurs courses respectives avant de probablement se retrouver chez l'herboriste, et lui-même... garderait un œil sur Victor.
Le programme était fixé !

Et c'est ce qu'ils firent. Cordélia promit de garder un oeil sur Baptiste, celui-ci rétorqua — sans agressivité — qu'il était capable de veiller sur lui-même, et ils furent les premiers partis. Victor, de son côté, prit un certain temps pour préparer Minuit dans la cour de l'auberge. Le cheval avait besoin d'être pansé, le poil brossé, les crins démêlés, et c'est seulement quand il fut presque rutilant que Victor estima qu'il était prêt pour une promenade. Ils cheminèrent ensuite dans les rues du village, le petit garçon en selle, Taliesin à ses côtés, jusqu'à atteindre les champs alentours et un espace suffisamment ouvert pour pousser un petit galop. Impossible, à ce moment-là, pour le barde de suivre l'enfant, aussi dut-il se résoudre à s'asseoir sur un tronc couché tandis que Victor et Minuit s'ébattaient dans la campagne.
Ils regagnèrent l'auberge alors que le ciel s'assombrissait. Cordélia et Baptiste n'étaient pas encore rentrés, mais de bonnes odeurs s'échappaient déjà de la cuisine. L'aubergiste leur organisa un bain à chacun et au moment où le barde en sortait, les deux derniers revinrent, si bien qu'ils se retrouvèrent tous ensemble à table.
Baptiste avait acheté du frais, comme prévu, et l'herboriste était à demeure, aussi avait-il pu mettre des noms sur les fleurs qu'il avait récoltées. Cordélia, de son côté, avait tiré un peu d'argent de sa propre cueillette et paraissait satisfaite de son après-midi.
En fin de repas, la question du départ du lendemain fut abordée.
" On part tôt demain ?"

-Raisonnablement tôt, disons; C'est-à-dire en début de matinée mais... après le lever du soleil tout de même. Nous ne sommes pas pressés au point de filer avant l'aube;
Et puis, les bardes n'aimaient pas se lever avant l'aube.
-Mieux vaut malgré tout ne pas se coucher trop tard : nous devrons marcher un bon moment.

" Bah, on peut marcher même en étant un peu zombie, dit Cordélia avec le sourire. Pourquoi ne pas fêter notre grand départ à l'aventure, plutôt ? Je vous offre... du jus de pomme !"
Victor grimaça.
" On peut avoir du cidre, plutôt ? Dis oui dis oui dis oui."
Même Baptiste avait l'air intéressé.

-D'accord : vous aurez droit à un demi-quart de gorgée prélevé sur mon propre verre. Et je crains déjà que ce ne soit trop, qu'il ne nous faille ensuite vous empêcher de danser sur les tables...
En réalité, ils en auraient un verre chacun : il arrivait qu'ils en boivent, à la ferme, pour les grandes occasions.
Et comme l'avait dit Cordélia, ils pouvaient bien fêter un peu.

Cordélia gloussa et fit venir l'aubergiste. Elle commanda deux verres de cidre et deux hydromels, en provenance directe d'un producteur elfe local.
" Aux merveilles de la Vallée ! trinqua Cordélia.
— A l'aventure au bout du chemin ! renchérit Victor.
— Aux... découvertes, je suppose." ajouta Baptiste.
Et tous se tournèrent vers Taliesin pour qu'il couronne leurs souhaits.

Il prit une profonde inspiration.
-Aux voyages paisibles et routiniers, exempts de toute péripétie, de toute surprise, de tout incident ! déclama-t-il, solennel.
Il sourit.
-Puissent ceux qui les apprécient en jouir à loisir ! Mais nous, c'est à l'aventure que nous allons !
Et il leva son verre.

Ils entrechoquèrent leurs verres et burent. Le pétillant du cidre arracha un léger renvoi à Victor, qui fit rire les enfants. L'hydromel était fameux, avec une saveur particulière que Taliesin ne pensait pas avoir jamais goûté. Il était fort, aussi.
Ils bavardèrent un moment de choses et d'autres, les garçons n'étaient pas du tout fatigués vu leur journée relativement oisive, et ils protestèrent au moment d'aller dormir, exigeant une aventure de Gérard de Berge. Cordélia se montra intéressée et obtint un laisser-passer pour la chambre familiale. Ne restait plus à Taliesin qu'à se montrer prolixe, et ils pourraient tous aller se coucher...

Il fit de son mieux, narrant l'une des quêtes les plus épiques dans lesquelles Gérard eut l'occasion de se lancer, à savoir... découvrir l'intégralité des caches de contrebandiers qui constellaient les environs d'un archipel nordique. Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, cela n'avait rien de répétitif, chaque plongée se révélant être une aventure à part entière, différant par bien des aspects des précédentes et des suivantes...
Bon, il y eut quand même un kraken, à un moment, ainsi qu'une attaque de pirates. Mais c'était presque superflu, tant le reste était passionnant.
Enfin, son récit terminé, il proclama l'extinction des feux.

Baptiste s'était endormi avant la fin de l'histoire, signe que les contrebandiers l'intéressaient seulement à moitié. Victor, lui, parut satisfait — il avait particulièrement apprécié le kraken — et se pelotonna sous ses couvertures. Cordélia remercia le barde et quitta la chambre pour gagner la sienne. Autour d'eux, Rivelfe était tranquille, plongée dans le noir.
Le lendemain matin, les quatre voyageurs se retrouvèrent dans la salle à manger, devant un plantureux petit déjeuner. Cordélia, Victor et Baptiste paraissaient tous trois pleins d'enthousiasme et d'énergie, impatients de prendre la route.

C'était également son cas.
Ayant englouti son repas avec appétit, il alla avec les garçons récupérer les bagages dans leur chambre, redescendit payer son dû à l'aubergiste puis gagna l'écurie où Minuit les attendait. Dès le cheval chargé, ils se mettraient en route pour rejoindre la rivière dont ils suivraient un bon moment le cours - à moins, bien sûr, qu'ils ne trouvent un chemin allant globalement dans la même direction.

D'après la carte, il leur faudrait probablement déjà une petite heure de marche pour rejoindre la rivière, heureusement sur un chemin de terre. Ils quittèrent donc Rivelfe sous un ciel lumineux mais légèrement nuageux, alors qu'autour d'eux, les habitants de Rivelfe vaquaient déjà à leurs occupations quotidiennes. Ils dépassèrent les dernières maisons et progressèrent sur la route de terre, suffisamment large pour qu'ils y avancent à deux de front et exempt de roches traîtres et de trous. Victor prit la tête avec Minuit, Cordélia resta dans son sillage, Baptiste prit l'étui avec la carte (mais il l'avait consultée juste avant leur départ).
Il faisait frais et une brise odorante soufflait dans les champs alentours qui devinrent rapidement pâturages, puis bocages et prairies, avec seulement des signes épars de présence humaine : des bûches empilées, un troupeau de moutons lointain, un appentis de rochers sommaire.

Sans atteindre la splendeur des panoramas qu'ils avaient pu observer en compagnie de Nremyn, c'était un charmant paysage qu'il prenait plaisir à observer tout en marchant.
Mais ce n'était sans doute qu'un avant-goût de ce qu'ils admireraient par la suite, lorsqu'ils longeraient la rivière et traverseraient des secteurs plus sauvages, plus préservés.
Bref, son entrain était toujours le même.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Sur la Sylvestre...