La Couronne de Cuivre

Elle haussa les épaules, le sourire embarrassé.
" Ce n'est pas votre rôle... et même si messire Maurin...
— Laisse-le aider, Gin. On s'ra pas trop d'trois." intervint Meg en fourrant un plat entre les mains de l'elfe, puis un autre, et enfin un troisième en équilibre instable sur le second.
Elle prit ensuite la tête de leur procession, aidée par Cormack qui leur ouvrit la porte puis les suivit dans le hall pour leur ouvrir celle qui menait au sous-sol. Il ne les accompagna pas plus bas.
" L'héritier est drôlement doué, si vous me permettez, dit Meg tandis qu'ils descendaient. Jamais vu un gosse maîtriser la pâte brisée comme ça. D'la force dans les bras, déjà. Un bon tour de main."

Le barde acquiesça.
-Oui, il se débrouille bien. Et surtout, il adore ça : à la maison, c'est limite s'il ne nous chasse pas de la cuisine pour en avoir l'entier contrôle. Alors c'est sûr que c'est une passion originale, pour un gamin de son âge. Mais qu'importe ! Ce qui compte pour moi, c'est qu'il s'épanouisse, qu'il trouve des activités qui lui plaisent : dès lors, je ne peux que l'encourager.
Il sourit.
-D'ailleurs, merci de l'avoir accepté derrière vos fourneaux : c'est très gentil de votre part.

" Ça fait longtemps que j'ai plus d'marmiton, mais j'peux m'y faire, s'il est obéissant." dit Meg.
Ginevra étouffa un cri de surprise.
" Meg ! Il s'agit du fils de Maître Maurin !" s'exclama-t-elle.
L'imposante cuisinière haussa les épaules.
" Je sais, je sais, mais c'est pas parce qu'on le sait, qu'on l'ressent. L'a pas grandi ici, le gosse. C'est le prince surprise. C'est normal qu'on l'voit pas ainsi."
Ils avaient atteint les cuisines et il était temps de déposer, ranger et laver leur fatras.

Il dédia un sourire apaisant à Ginevra.
-Et puis, vous savez, ça reste avant tout un gosse. Un gosse qui est en train de vivre une sacrée épreuve, de surcroit... Par conséquent, pouvoir s'adonner à une activité qu'il aime beaucoup, c'est une chance pour lui, une occasion mille fois bienvenue de se changer les idées, de penser un peu à autre chose.
Sans compter qu'il faisait confiance à Meg et serait donc rassuré de savoir Baptiste sous sa surveillance.

" Sans doute, mais il y a le choix des mots..." dit Ginevra en haussant les sourcils.
Taliesin fut rapidement mis à contribution : on lui attribua un torchon et une place à droite de l'évier. Ginevra faisait la plonge, Meg rangeait les restes. Ils travaillèrent ainsi une demi-heure, avant que Cormack ne débouche dans les cuisines.
" La brume se lève, annonça-t-il. Il semble que certains ont l'intention de partir, désormais."

-Oh...
Il déposa son torchon.
-Il va falloir envoyer quelqu'un prévenir les autorités de ce qui s'est passé. Et convaincre ceux d'entre nous qui quitteront le domaine de rester dans les environs, de préférence à Athrey, afin de faciliter l'enquête...
Lui-même allait devoir vite trancher : en profiterait-il pour retourner à l'auberge avec les garçons ? C'était tentant.

" La plupart des gens habitent la région. En plaine, les déplacements sont plus faciles. Seul Messire Haran vit à quelques heures de route, mais c'est le plus éloigné." dit Cormack.
Il se tourna vers Ginevra et Meg.
" Je vais m'enquérir des personnes qui ont l'intention de rester... pour que nous puissions nous organiser."

Le barde les observa tour à tour.
-Aucun d'entre vous n'envisage de partir pour le village et d'y rester quelques jours, le temps que les autorités bouclent l'enquête et, avec un peu de chance, attrapent l'assassin ? Vous y seriez tout de même moins exposés qu'ci, où il est difficile de tout surveiller...
Certes, une auberge ne povuait pas être sûre à cent pour cent mais ce serait toujours moins pire que le domaine.

Meg, Cormack et Ginevra se dévisagèrent.
" Je suppose que nous devrions en discuter... dit Ginevra. Après tout... Nous n'avons plus de travail, à proprement parler.
— J'n'ai pas d'argent à dépenser dans une chambre d'auberge mal tenue ! répondit sévèrement Meg. Et pas question que je laisse le manoir sans surveillance ! Et le corps de ce pauvre maître Maurin !"
Cormack acquiesça.
" Je vais rester ici aussi. Mais, Ginevra, il est vrai que tu pourrais retourner au village."

Taliesin hésita.
-Faites ce que vous jugez le mieux, leur dit-il finalement. Cependant, si c'est l'aspect financier qui vous retient, sachez que je peux prendre en charge vos frais à l'auberge.
C'était peut-être idiot, mais il se sentait une certaine responsabilité envers les employés de feu messire Maurin.

" Je vais y réfléchir." dit-elle en jetant un regard vers Meg.
Celle-ci, les bras croisés, haussa les épaules. Ginevra se tourna vers Taliesin.
" Mais j'irai chez ma cousine, si je décide de descendre."
Cormack fit face au barde.
" Pour le reste, Meg a raison : tant que le corps de Maître Maurin est ici et tant que les autorités n'ont pas fait leur enquête, il est indispensable que certains d'entre nous restent ici. Et je pense que... c'est mieux que ce soit nous. Sans vouloir vous manquer de respect."

-Ne vous en faites pas : je comprends très bien et cela me semble également le plus logique. C'est juste que je n'étais pas très à l'aise à l'idée de vous savoir isolés et en petit nombre dans cette demeure. Mais je suis sûr que vous prendrez des précautions.
La cause semblait entendue : ne restait plus qu'à aller récupérer les garçons puis leurs possessions au cottage, et ils seraient prêts au départ.

Meg et Ginevra libérèrent le barde qui put regagner le salon. Les enfants y étaient toujours, mais les lieux s'étaient évidemment dépeuplés des invités. Victor et Baptiste accueillirent la nouvelle avec un mélange de surprise, de soulagement mais aussi de déception, surtout de la part du plus jeune.
" C'est dommage, si on s'en va, on ne pourra plus rien élucider ! dit Victor avec une grimace.
— C'est pas notre rôle, murmura Baptiste.
— Mais on aurait fait ça bien ! Là, on va traîner des jours et des jours à l'auberge, sans avoir rien à faire ! Et puis, si c'est vraiment un esprit, il peut nous suivre n'importe où !"

-Peut-être... ou peut-être pas : les lois qui régissent les esprits sont complexes... Mais de toute façon, à trop m'attarder ici, je pourrais donner l'impression que je cherche à influencer les autres témoins, à altérer ou à faire disparaître des preuves : honnêtement, je préfère éviter. Et puis, vois le bon côté des choses : nous serons plus libres de nos mouvements, à Athray, nous pourrons nous promener dans les rues sans risque de complètement nous égarer. L'ambiance, aussi, sera moins pesante.

" Mais on s'en va alors que c'est ici que ça se passe !" grommela Victor.
Il haussa les épaules.
" Bon, j'vais faire mon sac, je suppose. C'est bête, j'avais envie d'aller explorer le domaine ! Les vieilles ruines ! Les souterrains ! Trévor connait des coins où y'a des salamandres !
— Tu penses qu'on reviendra ?" demanda Baptiste.

Il opina du chef.
-Je pense, oui. Nous retournons au village par mesure de sécurité et pour laisser les autorités enquêter tranquillement mais nous n'en avons pas terminé ici.
N'était pas encore venue l'heure de regagner leurs pénates ; des jours, sans doute même des veilles s'écouleraient avant qu'elle n'advienne. Mais au moins pourrait-il, depuis Athrey, écrire à Galathée pour l'informer de ce qui se passait.

Baptiste acquiesça sagement tandis que Victor grommelait à voix basse. Ils se dirigèrent tous deux vers la porte. Miranda avait rejoint sa mère, Trévor examinait le contenu de certaines des vitrines exposées dans le salon. Arzhel contemplait tout ce remue-ménage, les bras croisés. Elsa, la musicienne, s'approcha alors de Taliesin.
" Avez-vous besoin d'un transport ? Nous sommes en train de voir si Kathleen peut s'en sortir en un seul trajet ou si elle devra en faire plusieurs. Georgina, Haran et les halfelins ont leurs propres véhicules, mais les deux premiers ne vont pas à Athrey et les Saugeverte ne savent prendre personne."

-J'aurai effectivement besoin d'un transport, répondit-il. J'ai bien loué les services d'un cocher pour venir jusqu'à Athrey mais il m'attend au village...
Restait à espérer qu'il ne serait pas nécessaire de faire deux voyage, sans quoi certains seraient contraints à patienter, avec la crainte que la brume ne revienne et ne les bloque ici. Les volontaires risquaient donc de ne pas être légion...

" Je vais aller voir avec Kathleen, dit Elsa. Je pense qu'on devrait s'en sortir en se serrant un peu. Vous avez beaucoup de bagages ? Ou peut-être montez-vous aisément à cheval ?
— Ouais ! Sans souci !" s'exclama joyeusement Victor.
Baptiste fit la grimace.

-Nous n'avons que très peu de bagages : comme nous pensions, dans un premier temps, ne séjourner qu'un ou deux jours au manoir, nous avons laissé le reste à notre auberge. Bref, nous ne prendrons pas beaucoup de place ! Mais s'il faut absolument que quelqu'un monte à cheval, je peux le faire. En revanche, je préfère que les garçons s'abstiennent, compte tenu du terrain difficile.
Et d'ajouter, à l'intention de Victor, avant que celui-ci n'ait le temps de protester :
-S'il manque vraiment de la place, tu pourras monter avec moi.

Victor ronchonna mais ne protesta guère.
" Bon, je suppose que dès que vous êtes prêts, on se mettre en route, dit Elsa. Nous avons déjà plié bagage."
Baptiste attrapa la main du barde tandis que Victor les précédait.
" On passe par dehors ou par dedans ?"

-Par dehors : ça me semble le plus simple, surtout avec le temps qui s'est éclairci.
Rallier le cottage et récupérer leurs effets serait l'affaire de cinq minutes tout au plus. Mais, durant ce court laps de temps, il n'entendait pas relâcher sa vigilance : si l'assassin était toujours dans les parages, il pouvait fort bien choisir ce moment pour frapper, alors que la perspective d'être bientôt loin d'ici risquait d'en pousser cerrtains à baisser la garde...

Rien ne se produisit. Le temps s'était éclairci mais à la position du soleil pâle, il était clair que la nuit viendrait rapidement remplacer la brume. Les nuages étaient plus hauts et il tombait une petite bruine désagréable qui les mena à hâter le pas sur le chemin. Le parc dévoilé paraissait identique à la veille, il n'y avait rien à voir, la brume ne révélait aucun monstre, aucune surprise. Si Baptiste se dépêcha d'entrer dans le cottage, Victor parut déçu de ne rien apercevoir d'intéressant.
Comme l'avait prévu Taliesin, ils n'en eurent que pour quelques minutes et purent rejoindre le manoir avec leurs sacs. Plusieurs véhicules étaient rassemblés devant le perron : une petite carriole à deux places tirée par un poney gris, sur laquelle étaient déjà installés les halfelins, deux autres voitures légères, l'une plus rustique que l'autre, chacune pourvue de son unique cheval, et enfin un chariot massif, prévu davantage pour le transport de marchandises que pour celui des voyageurs. Deux imposants chevaux de trait patientaient à l'attache, avec Kathleen. Elsa vint à la rencontre du barde.
" J'espère que ça vous convient. Ce sera un peu... inconfortable, mais comme ça nous pouvons tous descendre en même temps."
Arzhel était en train d'embarquer à l'arrière, Ginevra sur les talons. Haran vérifiait le harnachement de son cheval noir de jais. Georgina était déjà dans sa propre voiture et claqua de la langue pour donner le signal du départ.

Taliesin sourit.
-Ce sera très bien comme cela, répondit-il.
Ils avaient déjà voyagé dans des conditions plus drastiques et le plus important était qu'ils puissent tous regagner Athrey en une fois : dès lors, il ne voyait absolument rien à redire. Et d'ailleurs, il ne fut pas long à encourager les enfants à prendre place dans le chariot où il les suivrait sans tarder.

Ils se retrouvèrent donc à sept à l'arrière du chariot : Ginevra et Arzhel au fond, puis Elsa et Miranda, enfin Victor et les deux enfants. Ils disposèrent des couvertures pour s'asseoir à même le sol, certains se servirent de leurs sacs pour s'improviser des dossiers. Il y avait de la place, mais effectivement aucun confort.
Avant qu'ils ne partent, Haran passa la tête par l'ouverture à l'arrière et fit signe à Taliesin.
" Si le temps devient long à Athrey, faites-moi signe : je vous recevrai avec plaisir pour un dîner. Votre fils Victor avait l'air d'avoir de nombreuses histoires inspirantes à raconter..."
Le principal intéressé parut très flatté que l'écrivain se souvienne de ses bavardages de la veille.
" Portez-vous bien, pour le reste. Je suis sûr que nous nous reverrons."

-J'en suis certain et ce sera avec grand plaisir, répondit le barde, amical. D'ici là, prenez soin de vous; Et soyez prudent sur le chemin du retour.
Celui-ci ne serait en effet pas exempt de risques, entre le terrain difficile et la nuit qui approchait. Sans compter l'assassin, quel qu'il soit, qui n'avait pas encore été appréhendé.
Taliesin ne serait vraiment tranquille que lorsque l'affaire serait résolue, il s'en rendait bien compte.

Mais il lui faudrait attendre car, quelques minutes plus tard, ils quittèrent le domaine. Ils retraversèrent le parc sans rien en voir, sinon le manoir qui s'éloignait par l'ouverture arrière du chariot bâché, puis ils franchirent les grilles que Lorcan referma obligeamment derrière eux. Plus lourds, plus chargés, ils étaient les derniers du convoi : tous les autres véhicules les devançaient. A l'intérieur du chariot de Kathleen, c'était le silence. Arzhel broyait du noir tout au fond, Ginevra semblait nerveuse, perdue dans ses pensées. Elsa sourit à Taliesin, un peu par réflexe. Les enfants s'agitaient déjà : la route serait longue.

Heureusement, ils avaient l'habitude des longs périples et savaient comment les occuper : ainsi pourrait-il, si nécessaire, sortir un jeu de cartes ou leur narrer des histoires. Dans l'immédiat, toutefois, il préférait rester aux aguets, ouvrir l’œil et surtout, puisque son angle de vision était pour le moins limité, tendre l'oreille. Les risques d'une embuscade paraissaient modérés mais... pas totalement inexistants, au vu des circonstances. Alors autant se montrer un minimum précautionneux.

Rien de tel ne se produisit, mais ils durent abandonner toute idée de jouer aux cartes assez rapidement : les cahots dans la route étaient tels que les cartes étaient projetées aux quatre coins de l'habitacle et, à la faveur d'une embardée, ils en perdirent deux dans la nature que, malgré les suppliques de Victor, ils ne purent récupérer.
Taliesin se rabattit donc sur une histoire, et il s'érailla la voix à la narrer, car la pluie succéda à la brume et le tambourinement des gouttes sur la bâche, mêlé aux grincements des essieux et des roues, mêlés au souffle du vent capricieux, noyait ses paroles. Il lui fallut renoncer et supporter la fin du trajet en lorgnant le paysage gris frappé par la pluie grise. Heureusement, la lumière restait acceptable et Kathleen avait manifestement l'habitude du parcours —*bien plus que leur cocher de la veille.
Au final, un peu plus d'une journée après leur départ, ils atteignirent à nouveau Athrey.

HRP : je te laisse faire la transition dans le sujet de la Route de Rohan à Erhedun.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Domaine d'Averlande