La Couronne de Cuivre

" Si elles sont magiques, elles tiendront le coup le temps qu'il faudra, trancha le paladin. Bon, vous deux, vous mettrez des mailles, Giovanni mettra du cuir. Je veux être sûr que vous serez protégés au cas où il y a contact. Mais il n'y aura pas contact."
Albérich échangea un regard avec Thibault, espérant que le Sunite parviendrait à se contenir... au moins trois minutes.

Le Sunite lui dédia un sourire désarmant puis se tourna vers le barde.
-Giovanni, souviens-toi de ce que je vais te dire : je t'interdis formellement de nous peindre dans les tenues dont nous allons être affublés. Mon orgueil n'y survivrait pas, pas davantage que ma réputation d’élégance irréprochable.
Puis il s'exécuta, de même que son interlocuteur.

Hubert ne releva pas.
" Bon. Giovanni, tu vas passer le premier..."
Il se tourna vers les paladins sunites, qu'il avait réquisitionnés.
" Roland, tu vas faire le démon."
Il revint au barde.
" Essaie de faire comme si. Mettez-vous en position. Et puis vous pouvez y aller."

Les paladins, à qui on n'avait pas expliqué ce qui se préparait mais qui savaient que quelque chose se préparait, avaient accepté d'aider sans poser de questions. Nul doute, cependant, qu'ils finiraient par le faire...
-Heu, je dois vraiment lui tirer dessus ? s'enquit Giovanni, bourdon brandi, tandis que Roland s'avançait sur lui, lame au clair.

" Reste concentré. Ne lui tire pas dessus. Il ne va pas te frapper." dit Hubert, sans le quitter des yeux.
Il observait manifestement le positionnement du barde et Albérich se demanda ce qu'il en tirerait. Giovanni était barde, mais il n'était pas forcément aisé de se représenter la charge d'un véritable démon. Le paladin avait l'air contrarié. Il réalisait sans doute que vu l'arme que maniait le peintre, il n'allait pas pouvoir lui donner le moindre conseil. Il soupira d'ailleurs à la fin de l'assaut avorté de Roland et ferma les yeux.
" Bon, c'était une mauvaise idée, dit-il. Giovanni, je crois que... tu vas t'en tirer sans entraînement. Albérich et Thibault, je voudrais voir comment vous vous en tirez au corps à corps avec ces aubes. Roland, tu prends Thibault. Renaud, tu prends Albérich. Au travail."

S'il parut extrêmement embarrassé - peut-être craignait-il d'avoir d'emblée découragé son instructeur -, Giovanni s'écarta néanmoins sans protester et observa avec attention la suite des événements.
Celle-ci permit à Hubert et aux deux clercs de constater que les aubes n'étaient guère contraignantes : certes, leurs porteurs étaient obligés d'en tenir compte mais ils ne se sentaient nullement engoncés ou gênés dans leurs mouvements... Très déconcertant, sachant qu'il était question de vêtements sacerdotaux d'ordinaire très peu pratiques...

Au-delà de ça, Hubert observa les deux hommes combattre. Il connaissait bien le style d'Albérich, ses forces comme ses mauvaises habitudes et ses faiblesses, aussi ne s'y attarda-t-il pas longtemps, laissant le paladin sunite le faire travailler. Il se concentra sur Thibault, pour mémoriser sa technique, ses points forts comme ses lacunes. Il était manifestement mieux entraîné que son ami luménien, était plus adroit, moins lourd, plus belliqueux, mais il y avait une esbroufe sunite dans sa manière de combattre qui lui faisait gaspiller pas mal d'énergie.
Il se garda cependant bien de faire le moindre commentaire. Il était trop tard pour rectifier quoi que ce soit : il fallait désormais exploiter ce dont ils disposaient, et en appréhendant correctement l'escouade, il espérait pouvoir en tirer le maximum en minimisant les risques.
" C'est bon. Maintenant, Roland et Renaud, allez vous chercher quelques alliés, nous allons essayer de nous défendre en groupe. Pas de concertation préalable entre assaillants et assaillis cependant. Vous avez le choix de votre méthode d'attaque."
Il s'approcha des deux clercs et du barde.
" Personne ne doit arriver au contact de Giovanni, c'est la règle numéro 1. Vous deux, vous devez alterner entre attaque et soutien. Vous pouvez lancer des sorts inoffensifs, juste pour simuler les temps d'incantation. Moi je reste en avant et je couvre qui je peux."

Pour disparate qu'elle soit, son escouade ne manquait pas de bonne volonté et il ne put qu'être satisfait par son attitude comme par son comportement : il n'allait pas transformer le petit groupe en commando d'élite en quelques heures seulement mais... les démons n'auraient pas pour autant la partie facile. Quant aux assaillants, ils firent de leur mieux pour être à la hauteur, pour ne pas trop retenir leurs coups sans risquer non plus de blesser les défenseurs. Hubert comprit néanmoins qu'il lui faudrait, avant longtemps, se fendre d'explications...

Et les paladins allaient adorer ça.
Mais il ne pouvait pas reculer. Il libéra donc les deux clercs et le barde, leur donnant rendez-vous pour une autre séance dans la soirée, et prit Roland et Renaud à l'écart.
" Vous n'allez pas aimer ce que je vais vous annoncer, mais autant que vous l'appreniez par moi."
Il posa les mains sur les hanches, chercha un instant ses mots.
" Seuls Giovanni, Thibault, Albérich et moi-même allons partir au devant des démons. Je sais que vous aimeriez vous illustrer dans ce combat mais... les instructions que nous ont laissé les anciens sont très claires et ce serait du suicide que de sortir dans les couloirs sans la protection des artefacts que nous avons trouvés. Une fois que nous aurons refermé la faille, cependant, il est probable qu'il faudra terminer la chasse aux démons, dans les souterrains, et vous aurez alors la possibilité de combattre..."

Ils se contentèrent d'acquiescer, de le saluer avec une politesse froide et de tourner les talons.
Ils n'avaient pas protesté mais leurs regards avaient été explicites quant à leur fureur, quant au fait qu'ils n'aient pas un seul instant cru à cette histoire d'instructions qui les écartaient et de démons qui resteraient à éliminer après la fermeture de la faille.
Il fallait espérer que ses collègues soient aussi peu rancuniers que le prétendait Thibault. Sinon, il y avait fort à parier qu'il se soit fait deux ennemis.
En même temps... Comment un paladin pouvait-il bien prendre le fait d'être tenu à l'écart du mal qu'il avait juré, devant son dieu, de combattre ?

Pourtant, ils devaient savoir, l'un et l'autre, qu'Hubert n'aurait pas pu leur mentir. Ils devaient savoir, aussi, qu'il n'aurait eu aucune raison de les écarter volontairement, pourquoi diable l'aurait-il fait ?
Leur réaction le fit soupirer mais il n'essaya pas de les retenir. Il fallait espérer, oui, que les Sunites ne seraient pas rancuniers. Et s'ils l'étaient... il n'était vraiment pas responsable de la situation, à aucun niveau.

Quoiqu'il en soit, il avait désormais devant lui du temps à occuper jusqu'au repas. Et s'il voulait lui-même se livrer à des exercices martiaux, il ne manquerait pas d'adversaires : les salles d'entraînement de désemplissaient pas.
Albérich, Thibault et Giovanni s'en étaient cependant très vite éloignés, et le troisième n'avait pas tardé à prendre congé pour retourner à ses "dispositions", comme il les qualifia.
-Alors, n'ai-je pas été adorable ? demanda le clerc une fois le barde parti.

" As-tu trouvé les desiderata d'Hubert si absurdes ? demanda Albérich, curieux. Moi j'ai trouvé que c'était plutôt raisonnable. Je l'ai même trouvé... timide, à vrai dire. Je pense que c'est parce qu'il craint de découvrir des failles qu'il n'aura pas le temps de combler avant que nous allions au devant des démons."

-J'ai la même impression. Et je pense aussi qu'il avait peur que je me braque et que je cause un esclandre s'il osait souligner mes défauts martiaux, comme ma propension à faire des gestes spectaculaires mais inutilement fatigants. En réalité, il se trompe quant à ma réaction : j'ai beau être terriblement orgueilleux, je ne me permettrais jamais de lu manquer de respect devant ses troupes... Enfin, son erreur est heureuse pour moi : je déteste les critiques, même quand elles sont fondées ! Oh, et ses instructions n'avaient absolument rien de scandaleux.

" Je pense que s'il avait estimé pouvoir t'aider à progresser, il t'aurait pris à part pour te le dire ensuite... Mais c'est vrai que nous n'avons pas le temps de modifier radicalement nos habitudes et souligner nos défauts pourrait avoir l'effet pervers de nous insécuriser... Il faudra espérer qu'avec les artefacts, notre niveau sera suffisant pour réussir notre entreprise."
Il pinça les lèvres.
" Il faut d'ailleurs que toi et moi nous coordonnions très précisément au niveau des sortilèges à mémoriser..."

-J'y ai déjà réfléchi... Je pense mémoriser plusieurs splendeurs de l'aigle, pour être toujours à mon avantage et en imposer aux démons, plusieurs réparations, au cas où il y ait un accroc ou une salissure dans ma tenue, ainsi que différents sorts de lumière, histoire de produire des effets esthétiquement spectaculaires...
Il eur un sourire innocent.
-C'est bien, non ?

" Ça me semble parfait, dit Albérich avec un sourire goguenard. Tu feras diversion et nous courrons jusqu'à la faille."
Il leva les yeux au ciel.
" Il faut aussi que je te briefe sur les symboles à dessiner. Je crois que ça fonctionne comme un glyphe, mais il y a un ordre et une position à respecter. Demain, je prendrai le temps de redessiner le site, avec Hubert, pour que nous soyons bien clairs sur ce qui doit être fait, où. Toi et moi devrons tracer ces signes pendant que Giovanni et Hubert nous protègent. Finalement, ils auront la partie la plus éprouvante du boulot..."

-Et la plus amusante, surtout... soupira-t-il. Personnellement, entre trucider du démon et tracer des symboles, mon choix est vite fait.
Il sourit.
-Mais je serai un bon petit clerc et je ferai mon travail, ne t'inquiète pas. Et je me tiens à ta disposition pour préparer nos sorts et apprendre lesdits symboles.

" Nous verrons demain, quand nous aurons élucidé la dernière partie du rituel..."
Si c'était seulement possible.
" Mais je me dis que je vais aller réviser mes connaissances sur les démons, en ce qui me concerne... Enfin, si je déniche un bouquin qui en traite... Défense contre les Forces du Mal n'a jamais été mon cours favori."
Peut-être à la bibliothèque...

-Pareil pour moi. Même si les raisons sont sans doute différentes..
Son regard se fit lointain.
-Le clerc chargé de cet enseignement se nommait Gilles de Roilocard. Une célébrité dont tu as dû entendre parler : ses bouquins se vendaient comme des petits pains, quand nous étions jeunes, et je crois qu'il avait remporté le concours de Monsieur Helonna organisé à Antelucas. A moins qu'il ait seulement eu le prix du plus beau sourire ? Bref, peu importe. Toujours est-il que toutes les filles étaient folles de lui et que c'était insupportable, d'autant que sous ses grands airs, je suis convaincu qu'il n'était pas exactement doué.

" Ce nom me dit quelque chose, dit Albérich en prenant la direction de la bibliothèque. Mais je n'ai jamais été très sensible à ce genre de personnalités... et honnêtement, la thématique était bien trop... physique pour me passionner."
Son sourire se fit mutin.
" Ton cours préféré était danses de salon. Tu voulais tout le temps répéter pour et avec nous."

-Parce que c'est formidable, la danse de salon ! C'est une activité assez physique pour entretenir le corps sans que cela vire à la torture, assez peu salissante pour ne pas risquer de gâcher de belles mises et surtout, c'est quelque chose qui fait son petit effet auprès de la gente féminine... ou de certains membres de la gente masculine, d'ailleurs. Bref, j'essayais simplement de vous faire partager cette merveilleuse et utilissime occupation. Mais tu es toujours resté hermétique...

" Il faut dire qu'après avoir écrasé le pied d'Euryale et celui d'Artémise, j'ai été expulsé de la piste. C'est le problème, quand on est cinq : il y a une cinquième roue du chariot. Et pour cette activité précise, c'était moi."
Il sourit.
" Je n'en veux à personne. Je n'étais ni doué, ni assidu. Je m'en sors mieux aujourd'hui. Je pourrais te servir de faire-valoir sans me rendre trop ridicule."

-Je demande à voir. Non que je doute de ta parole : pas du tout. Simplement, te voir te livrer à la danse de salon, toi si peu friand des mondanités...
Il sourit mais se remprunit en jetant en regard vers leur destination désormais toute proche.
-En revanche, je n'ai guère changé de mon côté, si bien que je suis toujours aussi peu capable de te servir de faire-valoir dans une bibliothèque. En plus, à quoi ça va te servir d'en apprendre davantage sur le régime alimentaire ou le mode de reproduction des démons ? On sait que nos sorts les défoncent et ce que nous voulons, c'est les défoncer, ces horribles et horripilantes horreurs... Qu'y a-t-il besoin de savoir d'autre ?

" Je ne sais pas... Certains ont peut-être des auras de terreur ou des sorts mentaux particulièrement puissants. Et c'est peut-être simplement pour moi un moyen de tromper mon angoisse.... M'informer sur l'ennemi. On dit que la connaissance, c'est le pouvoir."
Il haussa les épaules.
" Chacun gère la tension comme il le peut."

-Ouais ouais, tu cherches juste le moindre prétexte pour lire, ce qui est, après prier, ton activité favorite ! Ceci dit, tu aurais tort de te priver !
Il sourit.
-Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas tendu.

" Lire n'est pas mon activité favorite. Ni même la seconde."
Il sourit.
" As-tu une meilleure proposition à me faire ? A quoi vas-tu occuper ton temps, toi ?"

-Si la situation de la Communauté avait été différente, j'aurais passé tout mon temps parmi ses membres, pour me réchauffer à la flamme de l'amour et de l'amitié qui existent dans ses rangs, pour me rappeler, si besoin en était, à quel point il faut être prêt à tout sacrifier pour préserver ces sentiments entre tous primordiaux. Mais vu les circonstances... Je vais me rabattre sur la beauté, je crois, en observant les splendeurs de ce palais, de ses œuvres d'art, de ses fresques, qui elles aussi méritent d'être sauvées.

" Je comprends. C'est bien, dit le Luménien. Je te souhaite... une agréable contemplation."
De son côté, il aurait également pu aller se promener parmi les gens, écouter leurs doléances, répandre l'espoir. Mais il décida quand même de retourner à la bibliothèque : la victoire primait, désormais, et ses effets seraient fantastiques.

Thibault hésita mais lui souhaita finalement bonne lecture.
Et de la lecture, le clerc en eut : la bibliothèque qu'ils avaient rassemblé comprenait plusieurs ouvrages sur les plus maléfiques créatures qui soient. Le problème, c'est que certains étaient trop vagues et d'autres, trop précis. Difficile, dès lors, de savoir ce qui était susceptible d'être utile, d'autant qu'Albérich n'avait pas encore d'éléments pour juger de la nature exacte de leurs adversaires : s'agissait-il de diables, de démons ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue