La Couronne de Cuivre

Hubert leur fit signe de s'arrêter.
" Des sentinelles. Des Ithiliens, probablement. Peut-être possédés, peut-être pas. Quoi qu'il en soit, nous devons passer..."
Albérich acquiesça, jeta un oeil sur ses camarades. Il savait ce dont Thibault était capable, mais n'avait qu'une idée très vague des capacités de Giovanni... Hormis l'invisibilité.

-J'aimerais bien qu'un certain arbalétrier soit au nombre de ces sentinelles, dit Thibault d'un ton badin.
Quant à leur propre arbalétrier, il se tint coi et immobile, son bourdon dans une main, l'autre prête à saisir son arme à projectiles.
Il était clair qu'il n'allait pas prendre la moindre initiative. Mais sans doute exécuterait-il des consignes si on lui en donnait...

" La dernière fois, il y avait un sort d'alarme, dit Hubert. Même si nous approchons discrètement, cela ne va pas nous aider...
— Thibault peut détecter la magie. Et la dissiper, le cas échéant, intervint Albérich. On peut espérer qu'il n'aient piégé que le début du parcours, imaginant que nous ne pourrions le franchir sans les alerter."
Le paladin se tourna vers le Sunite.
" Alors en avant."

-Je suis tout prêt à incanter pour détecter la magie et la dissiper le cas échéant mais pensez quand même à me couvrir : ce serait trop bête qu'un carreau m'expédie ad patres avant que j'ai eu la chance de voir les enfers !
Ils se remirent en route, prudents, silencieux. Mais la vue perçante d'Hubert commençait tout juste à discerner des silhouettes lorsqu'une voit calme, posée, presque chaleureuse se fit entendre.
-Ah, vous voilà enfin ! Venez, venez, ne faites donc pas les timides...

Hubert leur fit signe de s'arrêter à nouveau. Albérich pinça les lèvres. C'était mal embarqué, déjà...
" Je vais y aller seul. Vous ne bougez pas tant que je ne vous en donne pas l'ordre."
Il dégaina sa lame et avança aussitôt, lentement, comptant sans doute sur sa bonne vision pour voir l'ennemi avant d'atteindre le cercle de lumière.

Il aperçut bientôt une bonne vingtaine d'Ithiliens armés de pied en cap. Ainsi qu'un homme de haute taille vêtu d'une manière on ne peut plus raffinée. Un homme dont le visage pointu lui donnant des airs de rapace ne lui disait absolument rien.
-Mes respects, messire de Maleval, dit-il avec chaleur. Vos compagnons préfèrent rester en arrière ? Pourtant, cela n'est guère prudent de se séparer, dans ces tunnels. Enfin, je dis cela, je ne dis rien...

" Vous êtes le fameux Duc, je suppose... J'ai oublié votre nom." dit Hubert.
Il haussa les épaules.
" Enfin... le corps du fameux Duc. Je ne sais pas exactement à qui je m'adresse, pour le reste."

L'homme eut un rire bref, distingué.
-Je n'ai point l'honneur d'être sa seigneurie, non. J'ai celui, déjà immense, de faire partie de son conseil restreint. Quoi qu'il en soit, c'est un plaisir de faire enfin votre connaissance. J'ai beaucoup entendu parler de vous, vous savez.

" J'ai du mal à le croire. Je ne suis pas si célèbre." répondit le paladin.
Il s'était arrêté, jaugeait l'adversaire. Ils étaient nombreux, évidemment, bien armés, et ils n'étaient que quatre. Affronter des démons était une chose, défaire tout un groupe de militaires entraînés en était une autre. Et ils ne pouvaient pas épuiser leurs ressources sur des simples êtres humains, mêmes possédés.
" J'imagine que vous n'avez pas l'intention de nous laisser passer."

-Et pourquoi pas ?
Il eut un sourire lumineux.
-Je ne suis là que pour vous accueillir, vous souhaiter la bienvenue ! Et vous assurer que la porte des mines vous est grande ouverte : sa seigneurie vous attend en bas.

Le seul fait que l'homme les ait perçus, comptés peut-être même, dans le noir, et identifiés, était la preuve qu'il n'était pas ce qu'il prétendait être, un simple être humain. Et en conséquence, il ne pouvait pas lui faire confiance.
" Pourquoi vous croirais-je ?"

-Un paladin qui ne croit plus en la parole d'autrui ? Ah, mais quelle tristesse...
Il secoua la tête.
-Le meilleur moyen pour vous de savoir si je mens ou si je dis la vérité, c'est de tenter de descendre, non ?

Ce type n'y connaissait absolument rien en paladins, c'était manifeste. Une preuve supplémentaire qu'il n'était sûrement pas très humain. Mais Hubert ne tenta pas de descendre, non. Il incanta.

Hubert -> Détection du Mal

Il eut à peine esquissé un geste que les gardes levèrent leurs arbalètes déjà chargées. Mais l'homme leur ordonna de les rabaisser, ce qu'ils firent.
Un instant plus tard, Hubert chancelait : qu'il soit humain ou non, l'être qui lui faisait face était plus que maléfique.
Pire, il était puissant.
-Ca va, vous n'êtes pas trop secoué par le contrecoup ? s'enquit-il, prévenant.

Hubert recula d'un pas. Il ne s'était pas attendu à ce que les démons se mettent à parlementer : il s'était attendu à les combattre. Il décida de battre en retraite vers ses compagnons. Il n'était pas le plus puissant de leur groupe : Albérich l'était. Et s'ils n'étaient pas fichu de venir à bout du premier écueil, descendre ne servirait sans doute à rien. Les sortilèges de renvoi, qui bannissaient les extérieurs jusqu'à leur plan d'origine, ne serviraient de toute façon à rien une fois qu'ils seraient dans les enfers...

-Quoi, vous partez déjà ? fit son interlocuteur d'un ton qui avait tout de la sincère surprise. Au beau milieu d'une conversation, de surcroit ? N'est-ce point un tantinet discourtois ? Et puis, n'aviez-vous pas dit vouloir descendre ?
Le démon - ou le diable ? - parlait mais ne le suivait pas, et c'est sans mal aucun qu'il put rejoindre ses compagnons.

" Albérich, je te le laisse... C'est un gros morceau."
Le clerc sourit.
" Tu es trop aimable. Qui te dit que je vais en venir à bout ?
— Si tu n'en viens pas à bout, autant retourner au palais et organiser l'évacuation. Ce n'est certainement pas le plus puissant d'entre eux. Si tu n'es pas capable de le renvoyer... Bref, il faut que tu y arrives."
Albérich acquiesça. Hubert se sentit soulagé de le trouver aussi déterminé et tranquille.

Des bruits de pas résonnèrent alors.
Des bruits de pas qui s'éloignaient.
Et après que le commando se fut prudemment avancé, Hubert put constater que les lieux étaient désormais déserts.
-Je vous l'avais bien dit que vous pouviez passer... fit une voix désormais lointaine.

" Je n'aime pas ça." dit Hubert, sans avancer.
Albérich soupira.
" Nous devons descendre. Nous n'avons pas le choix.
— Comment diable ont-ils pu savoir que nous arrivions ? murmura le paladin avec humeur. Et pourquoi nous laissent-ils descendre ? Ça n'a aucun sens. Ça pue le piège. Nous devrions peut-être trouver un autre moyen, remettre l'expédition à un autre jour."

-S'ils nous ont attendus aujourd'hui, ils nous attendront tout autant un autre jour. Et entretemps, ils se seront renforcés, seront plus nombreux dans notre plan... Ils auront peut-être même trouvé un moyen d'empêcher la fermeture de la faille.
Thibault secoua la tête.
-Il faut continuer et croiser les doigts pour que nos ennemis nous aient sous-estimé. N'est-ce pas le propre des grands méchants de se croire trop forts ? En tout cas, c'est comme ça dans beaucoup d'histoires.

" Est-ce qu'il n'y a pas un sortilège qui nous permettrait de nous téléporter directement dans leur plan ? demanda le paladin.
— Si. Mais il est complexe à plus d'un titre, répondit le Luménien. On ne peut pas calculer précisément l'endroit où on arrive et on a besoin d'une baguette d'un métal lié à ce plan... Alors en ajoutant que nous ne savons même pas de quel plan il s'agit... C'est assez impossible."
Hubert soupira, toujours sans se remettre en mouvement. Albérich avait un petit sourire en coin.
" Je t'ai connu plus téméraire." dit-il finalement.
Le paladin grimaça.
" C'est un piège. Nous ne devrions pas y aller.
— Thibault a raison, Hubert. Ils nous sous-estiment. Viens."
Le clerc prit cette fois la tête, avant que le paladin ne le rattrape et ne le double, non sans lâcher un soupir qui disait tout le bien qu'il pensait de la manière dont leur périple s'était engagé.

Ils avancèrent donc dans le passage désormais libre.
Bientôt, ie sol plan se transforma en larges marches.
Enfin, ils débouchèrent dans un vaste hall. Face à eux, une porte monumentale flanquée de hautes colonnes et surmontée d'un tympan sculpté. Les bas-reliefs glorifiaient les mineurs et leur travail : aucun doute là-dessus, dans l'antique Clairétoile qui leur devait ne bonne partie de sa richesse, on ne les méprisait pas.
Pour le reste, aucun ennemi aux environs.

L'absence de toute résistance rendait le paladin de plus en plus nerveux. Quel pouvait être le sens derrière cette voie complètement dégagée ? Les attendaient-ils avec toutes leurs forces au même endroit ? Etaient-ils à ce point puissants qu'ils ne craignaient finalement rien de leur incursion ? Avaient-ils préparé une mise en scène — Hubert était persuadé que les derniers colons prisonniers surgiraient tôt ou tard, possédés ou démembrés, qu'il leur faudrait persévérer en dépit de leur calvaire — à un endroit précis du parcours ?
Il obligea ses compagnons à avancer lentement, avec précaution, sondant les passages avant d'y pénétrer.
Non, il n'aimait pas ça. Pas du tout.

Hubert n'ayant rien détecté de particulier, ils s'avancèrent et franchirent les portes.
Au-delà, ils cheminèrent quelques instants dans un couloir maçonné. Puis sa nature changea, il se fit tunnel creusé à même la roche.
Quelques minutes encore et ils croisèrent, sur leur droite, un premier boyau latéral. Un autre ne tarda pas à apparaître sur leur gauche.
Pour l'heure, la voie principale était aisée à suivre. Mais sitôt qu'elle se diviserait, se repérer dans le dédal des mines deviendrait ardu...

Mais si les démons étaient si impatients de les voir arriver, nul doute qu'ils auraient jalonné la route de signes à suivre. Et Hubert ne doutait pas de parvenir à détecter la direction des enfers, avec un peu de concentration. Le mal qui en exsuderait serait tel qu'il le flairerait dans l'air. Il continua donc à mener leur escouade, tâchant de puiser du réconfort dans la détermination de ses alliés. Lathandre lui-même les avait investis de cette mission, après tout. Ils ne pouvaient pas échouer.

Les passages latéraux se multiplièrent.
Le sol de la galerie qu'ils suivaient commença à descendre.
Ils parvinrent à un premier carrefour : aucun signe sur la direction qu'il fallait prendre mais il sembla à Hubert que continuer tout droit était le plus indiqué.
Le silence était profond, l'obscurité totale en dehors du petit cercle de lumière projeté par l'enchantement d'Albérich.

Il ne leur restait qu'à progresser, et ils progressèrent. Le paladin n'avait pas rengainé sa lame, il demeurait sur le qui-vive, mais il avait de plus en plus l'impression que la créature maléfique avait dit vrai, et qu'ils allaient se promener sans heurts jusqu'aux tréfonds. Il avait la sensation — la conviction — que c'était un piège et qu'ils auraient dû trouver un itinéraire alternatif, peut-être en usant de sortilèges modifiant la pierre pour creuser eux-mêmes leur tunnel. Ils avaient le passe-muraille, aussi... Peut-être n'étaient-ils pas si démunis pour prendre l'adversaire au dépourvu... Mais les démons semblaient omniscients, sans doute dotés de pouvoirs magiques incommensurables... ce qui le renforçait dans son impression qu'ils ne feraient pas le poids.

La pente s'accentua, le tunnel commença à décrire un large virage. Puis il redevin plan.
Sans doute étaient-ils descendus au deuxième niveau des mines. Mais les premières galeries que la Communauté avait dû déblayer se trouvaient bien plus profond encore.
Tunnels, embranchements, tunnels encore.
Descente.
Le troisième niveau, peut-être.
Toujours aucune trace particulière, toujours aucun bruit.
Mais un carrefour où, pour la première fois, Hubert ne sut quelle direction prendre : parmi les quatre passages qui s'offraient à eux, au moins deux semblaient traversés par un souffle maléfique d'égale intensité.

Il s'immobilisa, hésitant.
" Tu n'as pas mémorisé ton sortilège d'orientation ?" demanda-t-il à Albérich.
Le Luménien secoua la tête.
" Non. Je n'ai pas pensé que ce serait le plus utile."
Le paladin acquiesça, puis choisit une des deux routes au hasard. La plus à gauche. La gauche était depuis toujours associée au mal.

Galeries, embranchements.
Tunnels, carrefours.
Cul de sac.
Une étroite fissure au pied d'une paroi, impossible à franchir : c'est d'elle que provenait le souffle maléfique, montant sans doute des profondeurs...
Ils allaient devoir rebrousser chemin. Et, surtout, retrouver ledit chemin.
Cela n'aurait rien d'évident car cela faisait de longues minutes qu'ils ne cessaient de bifurquer dans ce dédale, suivant la piste invisible...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue