La Couronne de Cuivre

Un pour Giovanni, un pour lui et un pour...
" Albérich !"
Le clerc fit volte-face et leva les yeux, écartant déjà légèrement les mains pour préparer son sortilège. Les créatures seraient peut-être mises en déroute par le barde et son bourdon, mais si elles persévéraient, le Luménien prendrait le relais, puis lui si les choses devenaient physiques.

Peut-être rasséréné par son premier succès, Giovanni parvint à toucher coup sur coup deux créatures. Mais comme la dernière était sur le point de toucher Hubert, Albérich dut intervenir.
Ils avaient repoussé l'assaut... et l'échéance.
Mais d'autres monstres ne tarderaient pas à revenir. Et même s'ils les repoussaient à chaque fois, leur avance en serait considérablement ralentie.

Pourtant, ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'avancer et avancer encore, en espérant qu'ils seraient de taille à repousser tous les assaillants jusqu'au moment fatidique. Hubert devinait que les clercs devaient avoir le pouvoir d'invoquer l'une ou l'autre créature pour les aider, mais tant qu'ils étaient capables de s'en tirer sans trop de problèmes avec les moyens du bord, il était inutile de gaspiller leurs forces.

Dès lors, leur progression fut émaillée d'assauts qu'il fallut repousser : plus d'une fois, Hubert dut user de son épée, et même Thibault y alla d'un ou deux sortilèges.
Mais aussi lent cela soit-il, ils avançaient.
Le cercle de pierres levées paraissait tout proche que jamais : il devait leur rester tout juste un quart du trajet.
A peine avaient-ils fait ce constat réconfortant qu'un cor résonna à une distance indéterminée, signe que la cavalerie ne tarderait plus à arriver.
Sauf qu'elle ne serait pas de leur côté...

Albérich peinait à retrouver son allant. Il avait traversé la première partie de leur périple fort d'une conviction inébranlable, mais tout cela semblait désormais bien loin. L'aube était désormais un vague souvenir, la noirceur les environnait. Hubert avait failli se rendre au diable, Louis était mort, et le duc avait parlé de César et de Thibault. Thibault qui marchait juste devant.
Les diables mentent.
Il songea à Combeloup, à César, à Elisa, à Bastien son neveu troublé. Il avait écrit une lettre, avant de partir. Trouverait-elle jamais son destinataire ?
Un assaut supplémentaire le ramena dans le réel in extremis, Hubert lui lança un regard inquiet, il se remit à marcher. Puis le paladin décida de les faire augmenter la cadence... avant d'invoquer son destrier.
Mais il y avait un seul cheval pour quatre...
" Montez en selle, tous les trois. Je vais courir. Grand Vent peut vous porter un certain temps."

Thibault fit la moue.
-Hum, ton destrier est costaud, c'est certain. Et peut-être assez grand pour que nous nous entassions tous les trois sur lui. Mais, Hubert, outre le ridicule de la scène... S'il se met au galop, l'un de nous se cassera forcément la figure.

" On s'en fiche, de l'allure, Thibault. Et vous vous débrouillerez. Sans compter qu'il est costaud... mais pas au point de galoper très vite avec vous trois sur le dos."
Il eut un sourire mauvais.
" Celui qui ne monte pas, je vous préviens, je le porte. Comme un sac de grain."

Thibault grimaça de telle manière qu'on pouvait se demander si ça n'était pas exagéré à dessein.
-Tu sais à quoi s'apparentent tes ordres, Hubert ? A de la violation de dignité, à du massacre d'amour-propre, à de l’annihilation d'estime de soi ! Aucun mortel ne peut se relever de ça !
Il se tourna vers Giovanni.
-Et toi... Je te jure que si tu t'avises de peindre cette scène, je te tue. Puis je te ressuscite pour te tuer à nouveau, et ainsi de suite.
-Ne t'en fais pas : je doute de jamais retoucher à un pinceau de toute ma vie.
Puis, bon gré mal gré - mais avec autant de célérité que possible -, ils s'exécutèrent.

Tout en enfourchant Grand Vent juste derrière Giovanni, Albérich songea que leur situation n'était pas si indigne que ça : le destrier était énorme et magnifique et il semblait, effectivement, capable de les porter à un rythme acceptable. Ils étaient juste un peu serrés. Sans doute était-ce une manière pour Thibault de relâcher la tension qui l'habitait. En tout cas, satisfait du résultat, Hubert ne chercha pas à l'ennuyer davantage, et ils se remirent en route : Grand Vent aussi rapidement que le lui permettait le terrain et la charge, Hubert aussi vite qu'il pouvait aller. L'idée n'était cependant pas qu'ils se séparent, aussi paladin et destrier accordèrent-ils leur célérité.

Cela accéléra leur allure. Pas autant qu'ils auraient pu le souhaiter mais... ça l'accéléra tout de même.
Il y eut d'autres assauts des créatures ailées, ce qui les força parfois à s'immobiliser pour riposter plus adéquatement.
Il y eut d'autres détours, aussi, à cause des failles.
Mais, alors que les premiers cavaliers diaboliques commençaient à apparaître, encore à bonne distance, ils réussirent à atteindre leur objectif.
Donc l'effroyable spectacle arracha un hoquet d'horreur à Giovanni.

Hubert se détourna aussitôt, tournant le regard vers l'extérieur et la charge infernale.
" Apaise-le, demanda Albérich à Thibault, en désignant Giovanni. Ensuite, je pense qu'il faut lancer une Interdiction tant que nous avons la latitude."
De son côté, il allait bénir les lieux d'une Consécration, pour les délivrer peu à peu de l'horreur qui y régnait.

Thibault poussa un soupir déchirant.
-Super : toute ma réserve d'encens précieux, qu'il m'a fallu des années et des sommes astronomiques pour acquérir, va y passer en une seule fois. Et je doute fort de parvenir jamais à la reconstituer... Enfin, c'est la vie, j'imagine.
Et de s'exécuter.

Albérich ne put s'empêcher de sourire à cet énième boutade de son camarade et incanta de son côté.

Albérich -> Consécration -> Cercle de Pierres

Ensuite, en fonction de l'atmosphère ambiante, il aviserait. Il espérait que le sort d'apaisement permettrait à Giovanni d'aller rejoindre Hubert, tandis qu'il commençait à tracer un premier symbole dans le cercle.

Les deux clercs étaient désormais parvenus au terme de leurs incantations.
Pour autant, le lieu demeurait malsain : la magie qui l'habitait, qui l'imprégnait devait être extrêmement puissante et leurs efforts n'étaient parvenus qu'à l'atténuer.
Giovanni, pâle et défait, était néanmoins allé se placer auprès d'Hubert.
Dans le ciel, les créatures ailées, toujours plus nombreuses, décrivaient des cercles concentriques.
A l'horizon, de nouveaux cavaliers apparaissaient constamment.

Albérich s'approcha de Thibault et déroula les parchemins.
" Bon, tu traces ces trois-là et moi ces trois-là. On fera le dernier ensemble."
Il n'y avait pas grand chose d'autre à dire : il fallait persévérer et compter sur Giovanni et Hubert, comme dans la vision...

Thibault croisa les bras.
-Et en quel honneur t'attribues-tu les trois plus jolis symboles, tu peux me le dire ? Désolé, je veux les tiens.
Il sourit.
-Ça va, ça va, j'arrête !
Et, à l'instar de son confrère, il entreprit de tracer un premier symbole. Opération qui consommerait une gemme et... beaucoup d'énergie de la part de celui qui officiait. Non, ce n'était pas un mince labeur que le leur...
Pendant ce temps, deux créatures ailées décidèrent de fondre du ciel.

Hubert aurait aimé trouver les mots pour requinquer Giovanni. Mais il n'avait que son aura à lui offrir, et la victoire, il l'espérait.
" Essaie de les toucher... S'ils passent ton barrage, je les achèverai."
Ils seraient sûrement pris au dépourvu par la protection qu'avait érigée Thibault, et donc plus facile à éliminer.

Ce fut le cas.
Du moins... En partie.
La magie bénéfique était-elle moins puissante, en ces lieux maudits ? Les créatures étaient-elles particulièrement résistantes ?
Bien malin celui qui aurait pu le dire.
Toujours est-il que le sortilège les ralentit, les affaiblit sans doute mais ne les dissuada pas d'attaquer.
D'attaquer de plus en plus souvent et... en nombre grandissant.
Giovanni parvenait à en toucher beaucoup ; Hubert devait se charger des autres.
Ils tenaient bon, tant bien que mal.
Mais tandis que les clercs entamaient chacun leur deuxième symbole, un premier cavalier fit mine de se ruer entre deux menhirs.

Hubert devait laisser le ciel à Giovanni et s'occuper des cavaliers, il n'avait pas le choix. Charger sur Grand Vent aurait été peu pratique et incroyablement risqué, aussi se décida-t-il à attendre le premier agresseur de pied ferme. Avec un peu de chance, il serait désarçonné quand le pouvoir de l'Interdiction blesserait gravement son cheval, et il serait plus aisé de le vaincre.

La monture se cabra.
Le cavalier ne fut pas désarçonné.
Mais Hubert n'était pas un combattant novice et il sut profiter de l'occasion pour l'abattre.
La lutte continua : Giovanni usait de son bourdon sans discontinuer, Hubert devait courir de toutes parts pour occir les cavaliers et, de temps à autre, un monstre ailé trop insistant.
Albérich et Thibault, de leur côté, poursuivaient leur tâche harassante, et ils s'apprêtaient à commencer leur troisième symbole lorsque le sol se mit à trembler.

Hubert essaya de se rapprocher de Giovanni tout en demeurant vigilant à ce qui continuait à déferler autour d'eux.
" Tu sais faire autre chose ? Dans ma vision... Le mage créait une sorte de dôme..."
Albérich s'était interrompu et mis à incanter tout en tâchant de conserver son équilibre.

Albérich -> Convocation de Monstres VII -> 1d4 + 1 de Griffons Célestes

Le barde dut décocher un nouvel éclair de lumière avant de pouvoir répondre.
-Le bourdon possède d'autres facultés, oui... Mais je ne sais pas à quoi elles correspondendent et je ne peux donc garantir le résultat si j'essaie d'en user...
Les griffons, eux, se lancèrent à l'assaut des monstres volants. Ces derniers durent donc, au moins temporairement, relâcher la pression qu'ils exerçaient sur le quatuor.

Albérich avait repris son travail.
" Tant pis, dit Hubert. Nous allons avoir affaire à un gros morceau incessamment... Nos maigres pouvoirs ne suffiront pas... Mais attendons encore..."
Il s'était repositionné pour recevoir un adversaire. Ils avaient de la chance qu'ils ne pouvaient pas les submerger par tous les côtés à la fois...

Lutter, encore et encore...
Les cavaliers étaient de plus en plus nombreux à franchir les pierres levées, obligeant Hubert à ne s'occuper que d'eux, à courir de droite et de gauche pour les empêcher de se ruer sur les clercs qui officiaient toujours. Giovanni, depuis le sol, prêtait main forte aux griffons qui, cependant, face à la masse grouillante de leurs ennemis, tombaient un à un.
Alors qu'il venait d'abattre un nouveau diable, Hubert s'immobilisa tout à coup.
Il venait d'apercevoir, se rapprochant à grandes enjambées, l'être innommable, indescriptible qu'il avait découvert au cours de sa vision.
Ce spectacle le terrifia, le révulsa, ancra en lui la conviction que tout était perdu...
Thibault et Albérich venaient juste de terminer les cinquième et sixième symboles.

Mais le paladin n'en prit pas conscience. Il était pétrifié, défait, incapable de lever son épée, même, pour continuer à défendre le cercle. La protection contre la terreur dont il avait toujours bénéficié dans son plan d'origine était impuissante face à une telle menace.
Ils allaient tous mourir. Ils étaient perdus. Ils avaient présumé de leurs forces, de leur pouvoir, tout avait été en vain...
" Giovanni... souffla-t-il. Giovanni, fais quelque chose... Ne regarde pas par ici... Agis..."

-Agir ? Mais agir... pour faire quoi ?
Les clercs avaient entrepris de tracer le septième et dernier symbole. L'effort était si intense qu'il en paraissait surhumain.
Une vague de lumière jaillit subitement vers le ciel, les aveuglant mais, surtout, annihilant nombre des créatures ailées.
-C'était bien, non ?
Brusquement, Thibault tomba à genoux, les traits crispés, haletants, tout son corps parcouru de violents tremblements.-
-Pardon... Je ne peux plus... C'est au-dessus de mes moyens... lâcha-t-il, à peine audible.
L'instant suivant, Giovanni poussait un hurlement dément.
Il venait d'apercevoir la l'effroyable créature qui, plus proche que jamais, commençait à les dominer de toute sa hauteur.

Hubert se rua vers Giovanni pour le soutenir, l'attrapant dans ses bras, par derrière. Il lui banda les yeux d'une main, de l'autre il attrapa le poignet de la main qui tenait le bourdon.
" Ne regarde pas. Concentre-toi. Trouve-le moyen, lui souffla le paladin. Tu peux le faire. Nous allons annihiler le Mal."
De son côté, Albérich, épuisé, jeta un oeil vers Thibault, hésita. Mais il ne pouvait absolument rien faire pour lui, hormis terminer ce foutu tracé, quel qu'en soit le résultat.

Dans un sursaut d'énergie - ou de lucidité ? - Giovanni raffermit sa prise sur le bourdon et en frappa le sol.
Puis il s'effondra tandis qu'une vive lumière jaillissait, de déployait, formait les contours du fameux dôme tant espéré par Hubert.
Les monstres ailés et les cavaliers s'y heurtèrent, incapables de le franchir.
Puisant dans ses dernières ressources, Albérich continuait à tracer l'ultime symbole. C'était long. Long et terriblement difficile.
Le sol tremblait plus que jamais : encore quelques instants et l'être cyclopéen aurait atteint le dôme.

Hubert insuffla de l'énergie divine à Giovanni, tout en sachant que ce n'était peut-être pas ce dont il avait besoin, avant de courir vers Thibault. Il prit garde de ne pas déranger Albérich, il était conscient de l'épuisement extrême du Luménien, et même s'il aurait voulu, plus que tout au monde, le soutenir, il savait qu'il était impuissant.
Il incanta cependant, plus pour se donner quelque chose à faire que par réelle conviction, s'efforçant de ne pas regarder vers la chose qui approchait.

Hubert -> Bénédiction

Albérich avait de la peine à garder les yeux ouverts, tous ses muscles le faisaient souffrir et l'abattement qui avait pris corps dans sa carcasse le faisait chanceler et trembler sa main qui travaillait. Une douleur sourde palpitait derrière ses orbites et lui battait les tempes, les sons autour de lui étaient bourdonnants, comme s'il était sur le point de perdre connaissance. Mais il ne voulait pas s'offrir le luxe de flancher. Même si tracer ce symbole était le dernier acte dont il devait s'acquitter au cours de sa vie terrestre, il en viendrait à bout.

Un cri retentit.
Un rugissement, plutôt.
A glacer le sang.
Puis ce fut un choc, si violent qu'il parut ébranler le monde entier.
Albérich progressait : la moitié du symbole était tracée.
Un second choc, un troisième, un quatrième.
Le Lathandrite en était aux deux tiers de son œuvre.
Encore, toujours des chocs.
Trois quarts.
Secousses, hurlements...
Presque terminé.
Subitement, il y eut un son de déchirement.
La lumière disparut.
Le dôme était brisé.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue