La Couronne de Cuivre

On avait beaucoup vanté à kerim les mérites de la solidarité entre marins. Des gens un peu brutaux parfois mais frère et sœur de cœur creusé dans le même bois. Elle aurait tué pour un verre de liqueur de cerise du soleil mais elle doutait ici de trouver sa boisson favorite, fabriqué avec la sève de chênes centenaires.

Kerim s'assit au bar. Une bière ce serait très bien il avait soif. Il essaya de tendre l'oreille pour attraper des bouts de conversations. Qu'est-ce qui animais les gens ? Quelles histoires résonnaient plus que les autres ? Quels silences rebondissaient parfois entre deux brouhaha ?

Quelqu'un poussa lentement la porte de l'auberge. Une femme entra, ou plutôt fit son apparition : grande et fort belle, c'était la barde réputée de Mélandis, Béroalde Voix-d'Airain.

Elle repoussa le capuchon vert qui couvrait sa tête et passa sa main le long de sa chevelure roux sombre. Ce fut suffisant pour que tous les assistants la regardent, avec plus ou moins de discrétion.

La barde eut un sourire léger et se dirigea vers le comptoir.

- Messire ? On a dû vous apporter quelque chose pour moi... Une bouteille de liqueur. L'avez-vous ?

Le regard de Béroalde parcourut la clientèle. Elle reconnut bien sûr quelques pochetrons habituels, certains ayant été en des temps meilleurs des gens de la haute société désormais tombés en disgrâce. Elle remarqua aussi quelques inconnus, dont un demi-orc à l'allure ambigüe mais non dénuée de charme.

Kerim observa la femme, curieux. Elle lui glissa un sourire poli en dégustant sa consommation.

Abandonnant aussitôt ce qu'il était en train de faire - quand quelqu'un comme Dame Béroalde daigne franchir la porte de votre établissement, il va sans dire qu'il faut la dorloter ! -, le tenancier salua respectueusement la nouvelle venue avant de répondre :
-Bien sûr, madame. Je vous demande juste de m'accorder un instant, le temps de la récupérer : c'est que j'ai tenu à la mettre en lieu sûr, vous comprenez... Il s'agissait de liqueur de cerise, c'est cela ?
En vérité, c'était un peu plus que cela : une boisson rare dont il n'avait jusqu'alors jamais entendu parler.

Béroalde saisit la bouteille avec délicatesse et remercia l'aubergiste. Elle ouvrit sa petite bourse de cuir, d'un cuir aussi roux que sa chevelure, et en tira quelques pièces.

- Pour votre peine, messire. Grand merci à vous.

Son regard se posa sur la bouteille à l'engageante couleur grenat, puis se perdit dans le vague. J'aurais tant aimé la boire avec mon tendre ami... Une telle bouteille ne se boit pas sans compagnie... Elle envisagea de faire goûter la liqueur au jeune Roetir, le demi-ogre barde en formation chez elle, mais la jeunesse de l'adolescent déconseillait de lui faire boire de l'alcool. Mon Vellir... Il me manque tant... Jamais je ne rencontrerai une âme semblable à la sienne...

La noble barde sortit de sa rêverie. Vit le demi-orc qui lui souriait et lui sourit en retour. Partager avec un inconnu ? Pourquoi pas... Béroalde tendit la main élégamment pour désigner la bouteille et parla doucement :

- Auriez-vous l'amabilité de goûter à cette liqueur de cerises du soleil en ma compagnie ?

Kerim fut très surpris de voir ici parler de cet alcool auquel il songeait à peine quelques minutes plus tôt. Ça ne pouvait être un hasard. Fallait-il y voir une trace du passage de son amant ? Elle répliqua du tac au tac.

- Oh volontiers oui... Mais je suis étonnée de voir un alcool comme celui ci ici. Elle a du voyager loin cette bouteille...

- En effet... De très loin... Mais laissons là ces trivialités.

Deux petits gobelets furent poussés dans la direction de dame Béroalde. Sur un signe de la barde, la bouteille fut ouverte avec une dextérité professionnelle. Elle s'assit près de son invité.

- Laissez-moi me présenter... Puis vous me parlerez de vous, enfin, si le coeur vous en dit...

Béroalde versa lentement la liqueur dans les gobelets bruns, regrettant de ne pouvoir en admirer la couleur. Elle chuchota :

- On ne peut pas tout avoir... Et l'aubergiste n'a pas de verrerie... Nous aurons les simples gobelets marqués du Luménien Noyé !

Elle désigna les initiales gravées grossièrement sur un côté des gobelets, précaution qui permettait d'éviter les vols trop fréquents. Ou qui les favorisait parfois ! les jeunes nobles désireux de s'encanailler quittaient désormais la taverne avec le gobelet marqué qui prouvait qu'ils avaient osé fréquenter les bas-fonds mélandiens. Mais ils laissaient souvent quelques pièces en échange, plus que ne valait en réalité ledit gobelet ; raison pour laquelle l'aubergiste ne songeait pas à se plaindre de ces petits larcins.

Dame Béroalde tendit un des gobelets au jeune demi-orc.

- Mon nom est Béroalde d'Airainie, je suis barde sous le nom de Béroalde Voix-d'Airain. Mon installation ici remonte à... disons bien longtemps ! j'exerce mon art auprès de la noblesse mélandienne, très souvent en ville, parfois mes engagements m'entraînent à l'extérieur... Je compte bien, maintenant que la paix est rétablie, retourner chanter à Luménis et Manost. De bien belles villes ! mais peut-être venez-vous d'une de ces cités ?

Kerim était intrigué par sa remarque.

- La paix ? Les gens étaient en guerre ici ? A bien y réfléchir je ne suis pas sure que cette guerre ait cessé, la colère et la peur qui hantaient leurs cœurs ne semble pas les avoir quitté. J'ai un peu parfois des bêtes acculés qui ne savent comment se défendre....

Elle lova sa tête contre ses bras en s'appuyant au comptoir.

- Moi je viens de très loin vous savez. J'ai été élevé par un cercle de femme et je ne sais pas tout était différent la bas. Les gens avaient le temps de se parler et de se comprendre ou se donnait le droit d'essayer en tout cas. Ici tout semble tellement compliqué...

Compliqué ? songea Béroalde. Oui... On apprend à se méfier de tout et tous... Il ne fait pas bon déplaire, à Mélandis... Son regard s'abîma un instant, alors qu'elle pensait à son installation dans la cité dix ans auparavant.

- Je suis sûre que vous vous inquiétez pour peu de chose... Mais on ne peut nier que vivre à Mélandis implique une certaine réserve. Les lois ici sont sévères, il faut juste veiller à ne pas les enfreindre !

Elle but une gorgée du liquide rouge sombre et ferma les yeux tant la liqueur était délicieuse.

- C'est un nectar des dieux !

La barde reposa doucement son gobelet.

- Si vous venez d'un milieu où était doux et facile, vous aurez peut-être un peu de mal à vous habituer. Mais rien n'est impossible à une personne jeune et volontaire. Et si vous cherchez l'aventure, vous la trouverez sans mal. Peut-être même aurez-vous l'idée de vous installer dans la cité, qui est fort belle malgré ses remparts garnis de suppliciés !

Cette conversation rendait kerim soucieuse. Elle réalisait subitement dans quel cadre assez extraordinaire elle avait eu la chance de grandir.

- Oh m'installer je ne sais pas, c'est l'amour qui m'a fait venir ici. Et puis je ne pense pas que je pourrais rester ici trop longtemps...

Elle désigna le monde autour d'elle puis chuchota.

- Les gens ont tellement de mal ne serait ce qu'à se parler sans se hurler dessus alors vivre ensemble ? Cela me semble presque étrange. Je ne pense pas avoir vécu dans un milieu facile, il était très exigeant au contraire, trop pour certaines même.

Elle sourit.

- Il est probable que la plupart des gens ici n'y aurais pas survécu. Mais oui il était doux quelque part dans le sens ou on s’efforçait de comprendre les individualités de chacune et d'adapter nos exigences aux énergies qui les animaient... Mais j'ai payé cher ma place dans la communauté alors facile ? Non pas vraiment enfin ce n'est pas le mot que j'emploierais en tout cas.

- L'amour...

De nouveau le regard de Béroalde se perdit dans le vague. Elle se reprit.

- Venir à Mélandis pour l'amour...

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Le souvenir de son amant, mort désormais, revenait. Le visage d'Eldurvellir, ses yeux rieurs et son envie de vivre pleinement un rôle important dans la cité, ses demi-sourires et sa bouche si tendre...

- Excusez-moi...

Béroalde dissimula vivement son visage.

Kerim ne put s’empêcher d'approcher sa main de la femme sans pour autant oser la toucher.

- Je suis sincèrement désolée, je n'aurais pas du aborder ce sujet.

Elle porta le gobelet à ses lèvres.

- Si vous me disiez plutôt ou vous aviez trouvé cette délicieuse boisson ? Vous saviez que sa fabrication prend une année entière ?

- Oh ! vous ne pouvez pas savoir... Je... J'ai...

La barde fit un effort sur elle-même pour ne pas se laisser aller au chagrin. Inutile de gâcher une nouvelle rencontre avec des paroles tristes...

- Ce nectar m'a été apporté par le capitaine d'un navire qui a accosté hier soir. Un ami fidèle me fait régulièrement parvenir des produits rares, devenus très rares à cause de la guerre. Ainsi n'ai-je manqué de rien pendant cette sombre période ! je vous avoue ne pas toujours savoir d'où viennent les produits !

... D'autant plus que les achats ne sont pas forcément très réguliers, pensa Béroalde. Et l'avouer peut naturellement être dangereux, ici à Mélandis, même si les princes profitent de ces largesses lors de mes fêtes... La barde, sagement, se contenta de sourire et reprit :

- Si les produits rares vous intéressent, peut-être serez-vous heureux de venir à la prochaine fête que j'organise afin d'introduire un jeune barde auprès de la bonne société mélandienne ? Voici mon adresse, la fête aura lieu sous huitaine à partir de la tombée du jour.

Béroalde d'Airainie tendit une carte sur laquelle était tracée son adresse à l'encre argentée :

Béroalde Voix-d'Airain
Petit-Manoir
Havre Bourgeois
Mélandis
Dorrandin

L'écriture en était délicate et élégante. Elle ajouta cependant :

- Mais n'hésitez pas, si vous le souhaitez, à venir avant la fête. Vous serez accueilli chaleureusement !

Lien vers la maison de Béroalde : lacouronne/le-havre-bourgeois/31822-pet ... post464514

Le visage de kerim s'illumina quand elle récupéra la carte qu'on lui tendais. Elle avait toujours adoré danser.

- Oh c'est vraiment très adorable à vous. Je dois ramener quelque chose ? Je ne connais pas trop les us et coutumes par ici....

- Non, bien sûr, c'est une invitation... Oh ! je vais devoir partir... Tenez !

Béroalde remplit le gobelet de son interlocuteur et dissimula prestement la bouteille dans son sac. Elle tendit quelques pièces à l'aubergiste et le remercia, ouvrit la porte et disparut dans la pénombre.

Voilà à nouveau Kerim seul au bar. Mais il y avait désormais une différence notable : tout le monde l'avait vu discuter et même boire un verre en compagnie de la célèbre Béroalde Voix-d'Airain, tout le monde avait vu cette dernière lui remettre sa carte. Voilà qui lui conférait, même temporairement, un statut particulier : il y avait donc fort peu à parier qu'on vienne lui chercher des noises. Quant au tenancier, qui lui avait semblé d'emblée du genre serviable, il paraissait encore plus soucieux de satisfaire ses attentes.
-Vous faut-il autre chose ? lui demanda-t-il d'ailleurs dès qu'il en eut l'occasion, entre deux commandes.

Kerim, comme souvent quand quelque chose d'un peu important se produisait autour d'elle, avait la tête d'ailleurs et nageait dans ses souvenirs. Elle mit une minute ou deux à sortir de ses univers.

- Oh oui bien sur. Vous avez des chambres ici ?

Le tavernier acquiesça.
-J'en ai quelques-unes, oui, et vous avez de la chance : pour une fois, il m'en reste de libre. Je peux même vous en réserver une qui donne à l'arrière du bâtiment, un peu plus calme que celles donnant sur la rue. Enfin, calme... Comme vous n'êtes pas un habitué, je préfère vous prévenir : ici, les gens font la fête très, très tard, ce qui peut être incommodant si on n'a pas l'habitude.

Kerim afficha un visage calme et serein.

- Oh ne vous en faites pas pour ça. Je dors en communion avec les arbres et l'esprit des anciens. Rien ne saurait perturber une telle communion.

Le tenancier fronça les sourcils, quelque peu surpris par cette réponse. Mais il se reprit vite et se garda bien de tout commentaire.
-Parfait alors, je vais vous donner votre clef.
Ce qui fut chose faite moins d'une minute plus tard.
-Voulez-vous également que je vous réserve une place pour le repas de ce soir et le petit-déjeuner de demain ? s'enquit-il encore.

- Le repas du soir oui volontiers mais demain c'est la pleine lune donc non. Vous vous alimentez même les jours de pleine lune par ici ?

Kerim leva les yeux aux ciels en ayant un peu le sentiment d'être le sujet d'une plaisanterie de mauvais gout.

Le tenancier se gratta la tête, cette fois véritablement perplexe.
-Eh bien... oui, répondit-il. Et pour être honnête... Autant je sais que la pleine lune est un moment important pour nombre de religions et que bien des cérémonies sont organisées à cette occasion, autant je n'avais encore jamais entendu parler de personnes faisant alors le jeûne, toute la journée qui plus est. Comme quoi, on en apprend tous les jours.

Kerim prit la clé d'un air mutin.

- Oui bien pas de soucis je vais monter m'installer.

Elle hésita un instant avant de faire demi tour.

- On peut faire monter d'autres personnes dans la chambre ?

Il opina du chef.
-Bien sûr. Je demande à mes clients de laisser les lieux dans l'état où ils l'ont trouvé et de penser un minimum à leurs voisins mais en dehors de ça, chacun est libre d'utiliser à sa guise la chambre que je lui loue. Par contre, si la vôtre compte parmi les plus tranquilles, c'est loin d'être la plus grande : vous risquez de vous sentir à l'étroit si vous avez des invités.

Elle afficha un sourire angélique avant de repartir vers sa chambre.

- On se serrera au pire. Merci pour votre gentillesse, je pars me poser un peu la haut.