La Couronne de Cuivre

L'elfe ne répondit rien. Il accusait toujours le coup de la révélation. Etrangement, elle ne l'étonnait pas. Du moins, pas la petite voix qui le narguait intérieurement, lui parlant de catastrophes, de malheur attaché à ses pas, de mauvaise décision pour lui et pour les autres...
Il secoua la tête, serra les dents, et fixa d'un œil vide le vieillard.
-Comment peut-on se débarrasser de ce fantôme ?
Juste se concentrer sur ce qu'il fallait faire. Ne pas penser au reste. Penser au reste, c'était s'arrêter et ne plus pouvoir se remettre en marche.

Le vieux prêtre grimaça, sondant toujours son interlocuteur, méfiant. L’elfe sortit de la maison, portant un plateau sur lequel trônaient trois tasses emplies d’un liquide ambré. Elle le posa sur le banc, entre les deux hommes, puis s’assit dans l’herbe, en face d’eux.
« Le petit dort. Je peux me charger du fantôme. » dit-elle ensuite.
Le vieillard tendit la main vers une des tasses, frémit et huma le liquide.
« C’est du thé glacé, prenez-en. » fit Vallaelyn à l’intention de Taliesin.
« Je ne sais pas. »
« Tu es trop vieux pour faire le trajet. Si nous partons maintenant, je serai de retour demain matin. »
« Je ne sais pas. » répéta-t-il, grincheux.
Le front de la jeune femme se plissa et elle soupira doucement, puis elle se releva, posa une main sur celle de son collègue, et se tourna vers Taliesin.
« Nous avons un peu de temps, nous devrons agir à la nuit. Votre cheval a besoin de repos, aussi, il faut que je prépare mon matériel. Et vous devriez manger quelque chose. Ensuite, nous irons. »
Gérold secoua la tête et grommela quelque chose, mais ne dit rien.

L'elfe n'avait pas esquissé le moindre mouvement. Ni pour se lever, ni pour prendre la tasse qu'on lui avait désignée. Les choses avaient changé de tour si vite... Il finit par secouer la tête et ne put retenir un sourire désabusé et fataliste.
-Je n'ai pas très faim, je vous remercie... dit-il doucement. Quant à Victor... Etait-il absolument nécessaire de l'endormir ? De le laisser ici ? Il est sous ma responsabilité, et sans vouloir vous faire offense en aucune manière, je rechigne à l'abandonner ainsi, sans même l'en prévenir.

« Il ne s’éveillera pas avant notre retour. » murmura Vallaelyn. « Le sommeil… ralentit la progression de la maladie. C’est la vie, l’énergie, le mouvement, qui l’aident à se répandre et à coloniser l’organisme. En gardant… Victor en stase nous… nous prolongeons son existence et nous lui épargnons les souffrances qu’occasionnent les lésions. »
Elle se tourna vers Gérold, hésitante.
« Il n’est pas impossible de le faire voyager avec nous, si vous le désirez vraiment. »
« Il peut rester, je sais m’en occuper pendant une nuit. » fit Gérold.
« Mais si vous le désirez… »
Le vieillard se renfrogna.
« Nous pouvons chercher un chariot et l’affréter pour le voyage. Sinon, nous serons rentrés avant son réveil. »
« Qu’est-ce qu’un elfe comme vous fait avec un enfant humain ? » demanda alors le prêtre, avec une pointe d’agressivité.
Vallaelyn écarquilla les yeux de surprise.
« Gérold… »
« C’est une simple question. »

L'elfe haussa les épaules.
, Nous venons tous de Luménis. Moi, l'enfant, et une jeune femme qui, pour l'heure, officie dans les environs en tant que vétérinaire. Nous avons traversé de nombreuses épreuves ensemble, ce qui nous a soudés. Voilà tout. Mais si cela peut vous rassurer, la jeune femme est humaine. L'enfant sera donc élevé par quelqu'un de sa race.
Il grimaça, peut fier de sa dernière phrase. Les doutes du vieillards étaient compréhensible, surtout eut égard à la catastrophe qui avait résulté des quelques jours où il avait dû s'occuper seul de l'enfant. Mais la question l'avait néanmoins blessé.
Il soupira et haussa les épaules.
-Atteler un chariot prendrait trop de temps et nous ralentirai au cours du trajet. Je pense qu'il peut rester ici pour une nuit.

Valaellyn acquiesça puis retourna à l’intérieur. Elle revint quelques instants plus tard avec un petit sac, et elle marcha droit sur la prairie. Elle y cueillit quelques tiges de blé, un coquelicot, deux bleuets, qu’elle fourra dans sa besace sans cérémonie. Accroupie, elle prit également une poignée de terre, puis se frotta les mains sur son aube, et rejoignit les deux hommes.
« Je suis parée. Nous prendrons Seigle et Froment, pour que leur jument puisse se reposer. »
Gérold resta silencieux, les lèvres pincées, et finit par hocher la tête. L’elfe sourit doucement à Taliesin.
« Vous permettez un instant ? »

Taliesin s'inclina.
-Bien sûr, oui... Est-ce que... Est-ce que je peux en profiter pour aller voir l'enfant ?
La jeune elfe acquiesça et, en quelques mots, lui expliqua où il se trouvait. L'ancien barde laissa donc les deux clercs en tête à tête et gagna l'intérieur de la maison.
Il ne tarda guère à dénicher Victor : il était allongé sur une étroite banquette, dans une alcôve, et semblait tout bonnement s'être installé là pour faire une petite sieste après leur chevauchée matinale. N'eussent été les marques noires, à la base de son cou, Taliesin aurait pu douter de la gravité de la situation. Mais voilà, il ne les voyait que trop bien, et aucun doute n'était permis quant à leur signification.Au moins ne s'étaient-elles pas étendues depuis leur arrivée. C'était sa seule consolation.
Machinalement, il tendit la main et remit en place une mèche claire qui barrait le front humide du petit garçon. La culpabilité et la révolte menacèrent alors de le submerger et il se détourna, épaules basses, gorge nouée.
Pourquoi avait-il fallu que l'endroit qu'ils avaient choisi pour retraite soit hanté ? Pourquoi ne s'en étaient-ils rendus compte qu'après le départ de Galathée ? Pourquoi lui-même avait-il été si pusillanime, au point de permettre au gamin de jouer avec le spectre, envers et contre toute logique ? Pourquoi n'avait-il pas pu prévoir que l'au revoir de Victor à son amie se finirait ainsi ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi...
Autant de questions sans réponses. Ou aux réponses trop accablantes.
Avec un soupir tremblant, et sans un nouveau regard à l'enfant inconscient - il n'en avait pas la force, craignait de s'effondrer s'il voyait à nouveau les stigmates macabres -, l'elfe gagna à pas pesants la porte de la maison. Il s'immobilisa sur le perron, à bonne distance des deux clercs, et attendit, fébrile, que s'achève leur conciliabule.

Les deux prêtres en étaient à la fin de leur discussion, ils s’étreignirent brièvement, puis la jeune elfe revint vers Taliesin et l’entraîna vers une petite dépendance. C’était une écurie toute simple, dans laquelle se trouvaient deux chevaux et un âne. Valaellyn confia le harnachement d’un grand hongre brun à l’ancien barde, et se chargea du sien, presque identique, sans rien ajouter. C’étaient de grandes bêtes vigoureuses, qui échappaient probablement aux travaux fermiers en épaulant les résidents du temple. La prêtresse se débarrassa ensuite de son aube, révélant de simples vêtements usuels en toile claire, et monta en selle.
Ils se glissèrent dans les rues du village au petit trot, gagnèrent la route de terre, plus tendre pour les sabots de leurs chevaux, et ralentirent.
La jeune femme fouina un instant dans sa besace, puis vint à la hauteur de son congénère.
« Vous êtes certain de ne pas vouloir manger quelque chose ? Ça vous ferait vraiment du bien. »

La seule idée d'avaler quoi que ce soit révulsa l'ancien barde. Il avait chaud, il était épuisé, et le tourbillon de ses pensées lui donnaient le vertige. Il profita cependant de leur allure réduite pour se saisir de sa gourde et y boire quelques longues lampées.
-Je vous remercie, mais, pour l'heure, je serai bien incapable d'avaler quoi que ce soit, finit-il par dire d'un ton neutre.
Puis il reporta son attention sur la campagne environnante. Ecrasée de soleil, frémissante des stridulations de milliers d'insectes, elle lui paraissait cependant aussi glacée qu'une nuit d'hiver.

Valaellyn acquiesça sans rien ajouter et ils cheminèrent quelques minutes en silence. Elle finit par reprendre la parole, alors qu’ils longeaient un ruisseau craquelé où roucoulaient des grenouilles inquiètes.
« Vous ne devez pas vous en faire. L’exorcisme d’un fantôme est chose aisée, quand on en a une certaine habitude. Votre petit garçon sera rétabli avant même que nous ne regagnons le village. »
Elle leva les yeux vers la forêt, encore lointaine.

L'elfe lui jeta un regard et acquiesça lentement.
-Je vous fais confiance, même si j'avoue que je ne serai tranquille qu'une fois toute cette sinistre affaire terminée.
Il soupira.
-S'il s'en sort sans séquelles, je me considérerai comme chanceux. J'aurais dû lui interdire d'approcher cet esprit... Mais il paraissait inoffensif, dénué de mauvaises intentions... Et de toute fasson, le gosse serait allé le voir quoi que je dise. J'ai donc préféré donner mon accord et les surveiller... Mais je ne l'ai pas fait assez bien, visiblement.

« Même le spectre doté des plus douces attentions… Les morts et les vivants n’appartiennent pas au même univers. Je ne pense pas que cette petite créature ait voulu faire du mal à son ami. Simplement, l’angoisse de rester seule… Elle devait sentir que toucher ce qui existe encore, ce qui respire, était un interdit… Mais sous le coup de la colère… »
Valaellyn secoua la tête.
« Je me demande ce qui a pu arriver pour que cette fillette reste ainsi en arrière… Je me souviens mal de sa famille. C’était pourtant il y a quelques années seulement, mais c’étaient des gens secrets, ils descendaient rarement se mêler aux Epineux. Des Luméniens je pense. Comme vous. »
Elle sourit doucement.
« Ils sont partis du jour au lendemain, d’après les forestiers qui les croisaient parfois. Sans prévenir. En emportant tout. Je ne savais pas qu’ils avaient perdu un enfant. »

Taliesin, pensif, garda un moment le silence.
-Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le gamine a parlé de champignons. Elle croyait avoir trouvé les bons, a-t-elle dit, mais son père n'était pas d'accord... Elle croit que tout est arrivé parce qu'elle mangeait trop, elle se dit que si elle ne mange rien du tout, personne ne se fâchera... Bref, il pourrait fort bien s'agir d'un simple empoisonnement... A ceci près qu'elle a eu le crâne défoncé, qu'elle a peur des adultes et que son corps a été enterré à la va-vite, sans égards ou presque, ce qui est tout de même étonnant...
Il hocha la tête.
-En tout cas, elle pense que sa famille est partie parce qu'elle était encore là à les hanter. Que ce soit la véritable raison de leur départ, ou bien qu'ils aient eu des choses à se reprocher... Toujours est-il que cela explique pourquoi un endroit si tranquille a été abandonné. Nous aurions dû nous douter que quelque chose de néfaste s'y était passé, quand nous l'avons découvert...

La jeune elfe ne répondit rien, se contentant de regarder l’orée des bois, les traits légèrement crispés.
« J’en apprendrai plus en lui parlant. Je peux l’amener à révéler ce qui l’empêche de partir. Parfois, c’est très simple. D’autres fois, c’est incroyablement compliqué. Et si c’est le cas… Nous pouvons la faire disparaître autrement. C’est moins… moins serein. Mais quand un vivant est en danger, les morts se doivent de s’écarter. C’est une règle fondamentale, le cycle du renouveau… Personne ne peut s’y soustraire. Nous savons que la non-mort n’est pas naturelle. Estelle le sait. Elle aspire, de toute façon, au repos. J’espère pouvoir le lui apporter dans les règles… »
Elle se tut un instant.
« Votre présence me sera nécessaire. Mais je vous expliquerai tout cela en temps utiles. »

Taliesin laissa échapper un soupir résigné. Il aurait aimé que la chose se déroule loin de lui, hors de sa vue. Il se serait bien imaginé, assis au bord de l'étang, sa pipe à la bouche, attendant que tout soit fini, songeant à tout sauf à ce qui se passait dans les bois. Attente peu sereine, il est vrai, mais cela aurait mieux valu que de participer au rituel.
Or, hasard malheureux ou acharnement du sort, voilà que la prêtresse avait besoin de lui. Et, si fort qu'il en eut envie, il ne pouvait pas se dérober.
-Je ferai mon possible pour vous aider. Mais je crains de ne pas être bon à grand chose en la matière, je me dois de vous en prévenir... Enfin, je ferai de mon mieux...

« Ne vous inquiétez pas. Ce ne sera pas bien compliqué. »
Ils durent interrompre leur conversation comme le chemin se rétrécissait pour passer au travers d’un amas rocheux. Lorsque la plaine se rouvrit, la jeune elfe resta en retrait pendant quelques minutes, avant d’à nouveau rejoindre l’ancien barde. Elle semblait prête à parler, mais hésitante, ses tergiversations se lisaient sur son visage à la peau hâlée.
« Je voulais m’excuser pour mon accueil… cavalier, tout à l’heure. » commença-t-elle d’une voix nerveuse.
Elle eut un sourire, qui disparut aussitôt, et elle grimaça.
« En réalité, vous êtes le premier elfe que je rencontre, ce qui explique quelque peu ma surprise. Je ne voulais pas vous importuner. »

L'elfe la dévisagea, étonné, avant d'esquisser un sourire. Lui-même avait grandi loin de ceux de sa race, et il se souvenait parfaitement de l'étrange impression qu'il avait éprouvé la première fois qu'il s'était trouvé en présence de l'un de ses congénères, en l'occurrence Hafgan.
-Vous ne devez pas vous excuser. Je peux très bien comprendre votre étonnement, pour l'avoir moi-même vécu, jadis. Et puis, votre accueil fut des plus chaleureux, et vous avez accepté de nous aider en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Dès lors, je vous aurais pardonné un accueil mille fois plus glacial.

« Oh… » fit-elle. « J’allais justement vous bombarder de questions sur les cités elfiques, et les traditions, et les gens, et les vêtements, la nourriture, les chansons… »
Elle rit doucement.
« Mais vous n’êtes donc pas de ce genre-là. J’aurais dû m’en douter. Déjà vous vivez avec des humains, puis vous venez de Luménis… »
Elle secoua la tête.
« Ainsi vous… vous avez aussi grandi parmi… parmi d’autres ? »

L'elfe hésita. Il n'avait pas spécialement envie de parler de son passé à la première personne venue... Mais cette partie de son histoire n'était pas gênante, n'impliquait rien de mauvais, et il renonça finalement à changer de sujet.
-Oui. J'ai été recueilli et élevé par une famille de forestiers humains qui m'ont traîté comme si j'étais l'un de leurs enfants. Par la suite, j'ai suivi la route d'un barde de notre race, et j'ai même séjourné quelques temps à la cour d'un prince elfe... Mais je me suis toujours senti plus à ma place parmi les humains qu'au milieu de nos congénères.
Il observa un instant la jeune prêtresse.
-Serait-il indiscret de ma part de vous demander pourquoi ce sont aussi les hommes qui vous ont élevée ?

Elle sourit doucement et jeta un regard troublé sur la campagne environnante.
« Je ne puis répondre au pourquoi. Le comment est plus simple. Le prêtre de Chauntéa de Hautépine de l’époque, Aymeric, m’a trouvée abandonnée dans une chapelle de Sylvanus, sur la route entre le hameau et la petite cité côtière de Franche-Falaise. Il a cherché ma famille pendant plusieurs mois, mais personne ne me cherchait, personne ne m’a revendiquée, et les rares elfes qu’il a rencontrés ne savaient rien d’un nourrisson disparu. Alors il m’a ramenée à Hautépine, où j’ai grandi, et que je n’ai pas quitté depuis. »
Elle sourit pour elle-même, haussa gracieusement les épaules, et se tourna vers Taliesin, croisant son regard une seconde, avant de rougir et de baisser les yeux.
« Mais cela viendra, bien sûr. Tout arrive un jour. »

Taliesin fut tenté de lui répondre que plus tard ce jour viendrait, mieux ce serait. Mais il savait bien que cela n'aurait pas eu grand sens. Eut-il été à la place de la jeune prêtresse qu'il aurait aussi rêvé de prendre la route. Il n'allait donc pas commencer à jouer les rabat-joie.
-Oui, répondit-il avec un demi sourire. Tout arrive, et j'espère que ce que vous trouverez au-delà des frontières de Hautépine vous plaira. Mais en ce qui me concerne, si les dieux sont cléments, je ne quitterai pas les environs de votre village avant longtemps. Pour peu qu'il n'y ait pas un fantôme sous chaque souche de la forêt, je crois que l'endroit me conviendra parfaitement.

« C’est effectivement un coin calme. Les plus grands périls sont les loups et les sauterelles. » fit Valaellyn avec le sourire. « Les habitants sont cordiaux et accueillants en général. Bien sûr, nous avons aussi quelques personnages revêches, mesquins ou originaux, mais nous ne formerions pas une réelle communauté sans cela… »
Elle eut un léger sourire, presque attendri.
« Au bout d’un siècle, évidemment, on a parfois l’impression d’en avoir fait le tour. Même si les gens sont sans cesse différents… »
Son front se plissa une seconde.
« Ce qui n’est pas toujours facile non plus. »
Son sourire revint.
« Mais j’espère que vous aurez, sous d’autres auspices, l’occasion de me parler de vos voyages, et des elfes, de cette cour que vous avez arpentées. Aussi chaleureux soient les humains, aussi aimants, aussi sincères, il est des moments… où je m’interroge sur mes racines. Je pense que c’est normal. Je n’y vois pas d’ingratitude. J’espère. »

-Je ne vois là rien que de très naturel, et en aucune manière de l'ingratitude... répondit-il. Je vous dirais bien de ne pas idéaliser les nôtres, que l'amour, l'affection et la tendresse sont aussi vrais quelle que soit la race de celui avec qui on les partage, mais... Vous vous ferez votre propre idée en temps voulu. Et je ne vois aucun inconvénient à vous parler du peu que je sais. Sans nul doute aurons-nous l'occasion de nous croiser dans des circonstances plus favorables à la conversation...
Il hocha la tête. Raconter son passé n'était décidément pas quelque chose qui le tentait outre mesure. Mais il comprenait la curiosité de la jeune femme... Même si certaines de ses réflexions, de ses interrogations, le renvoyaient à des dilemmes qu'il s'efforçait pour l'heure d'écarter de son esprit.

L’elfe acquiesça puis ralentit et se glissa dans le sillage de Taliesin, le laissant mener leur équipée. Ils atteignirent l’orée du bois quelques temps plus tard, s’engagèrent sur la piste qui apparaissait de mieux en mieux tracée dans les broussailles à mesure qu’ils l’empruntaient, et cheminèrent encore quelques temps sous le soleil désormais déclinant. Le hongre que montait l’ancien barde avait de l’énergie à revendre et il déboucha dans la clairière aussi frais qu’au départ, suivi par son congénère.
« C’est ravissant… » fit Valaellyn en démontant. « Je comprends ce qui a pu vous séduire dans un tel endroit. »

Taliesin mit à son tour pied à terre et observa la clairière, un sourire triste dansant sur ses traits fatigués.
-Oui, c'est très paisible... Même si l'endroit perd un peu de son charme lorsque l'on sait ce qui s'y est déroulé...
Il grimaça.
-Il reste un peu de temps avant la nuit... Voulez vous boire ou manger quelque chose en attendant ? Ou préférez-vous que je vous conduise immédiatement auprès du fantôme ?

« Je ne veux pas puiser dans vos réserves, j’ai pris de quoi me sustenter. » fit-elle avec un sourire. « Mais j’ai besoin d’énergie pour affronter les ténèbres, oui. »
Elle s’assit dans l’herbe sans se formaliser, posa la besace sur ses genoux, et sourit à l’elfe.
« C’est frugal, mais je peux partager. » ajouta-t-elle.

L'ancien barde s'empara de son propre sac.
-J'avais apporté cela pour le gosse et moi... Nous n'y avons même pas touché, au final...
Il soupira puis sortit les quelques provisions emportées à la hâte, avant d'aller puiser de l'eau fraîche au ruisseau voisin. Au final, leur repas s'annonçait simple mais abondant, et Taliesin finit par s'assoir puis se força a manger. Il n'avait absolument pas faim, mais il pressentait que la nuit serait rude. Autant ne pas affronter l'obscurité le ventre vide...

Ils mangèrent sans parler. La prêtresse était désormais concentrée, Taliesin l’entendait murmurer à voix basse, de temps en temps, des litanies brèves, des mots qu’il ne parvenait pas à décrypter. Lorsque par hasard il croisait son regard, il la trouvait toujours sereine, souriante. Lorsqu’elle eut terminé de manger, elle se leva et commença à arpenter la clairière de long en large, décrivant d’étranges figures, peut-être au hasard, dans l’herbe haute. Elle contourna l’étang, chemina le long de la rivière, les yeux fixés sur le sol, psalmodiant à voix basse, esquissant parfois un geste de la main. Ensuite, elle revint vers ses affaires, sortit son aube des fontes de sa selle, la passa d’un geste ample et mille fois répété, puis reprit sa besace et rejoignit l’elfe.
« Je suis prête. Menez-moi au fantôme. »

Taliesin se leva, s'épousseta machinalement et jeta un regard à la forêt. Jamais elle ne lui aviat paru si inquiétante. Pourtant, il savait ce qui l'y attendait. savait qu'il y avait de fortes chances qu'à l'aube, tout serait terminé. Mais entre le crépuscule finissant et le lever du soleil, il y avait la nuit. Et de ce qui allait s'y dérouler, il ne savait rien et aurait voulu ne jamais rien en savoir.
-C'est par ici... souffla-t-il, avant d'emprunter la petite piste qu'avaient fini par tracer ses passages et ceux de Victor. Quelques instants plus tard, ils avaient atteint la clairière.

La souche trônait, sinistre, au centre de la trouée. Malgré l’heure tardive, il faisait encore très chaud, et la brise s’était éteinte, comme effrayée par les événements à venir. Le chant des oiseaux semblait lointain, étouffé, et seuls quelques insectes s’aventuraient autour de la tombe.
« Je vais essayer de savoir ce qui la retient ici. Si elle parle, nous pourrons la renvoyer sans fracas. Si elle refuse de se confier, nous devrons la chasser sans son accord, et cela sera peut-être plus difficile. »
Elle leva les yeux sur le barde.
« Votre rôle est de me seconder. Si les choses dérapent… »
D’une main fraîche, elle lui écarta les doigts et déposa une poignée de terre dans sa paume.
« Cette terre consacrée devrait repousser le fantôme. En général, nous travaillons en duo, mais vous avez vu Gérold… Il n’est plus capable de m’accompagner. »
Elle s’immobilisa, sourit doucement.
« Je ne dis pas ça pour vous inquiéter. »

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