La Couronne de Cuivre

Ce n'était guère rassurant… mais il y avait sans doute là beaucoup de superstition, en effet. Quoiqu'il en soit, le sujet de conversation était quelque peu sinistre, surtout à une table fréquentée par une enfant. Peut-être était-il préférable d'en dévier quelque peu… et de glaner quelque information utile au passage.

« Savez-vous de quand datent les dernières expéditions ? Si elles ne sont pas trop anciennes, peut-être les choses n'ont-elles pas beaucoup évolué depuis… »

Comme si elle avait senti que la conversation prenait une direction dangereuse, la dame de Fortin se leva pour emmener Eglantine se coucher. La gamine minauda mais finit par obéir, saluant l'assemblée d'une révérence approximative. Elle quitta la salle en expliquant à sa mère qu'elle entendait devenir elfe quand elle serait grande. L'adolescent ne bougea pas, signifiant clairement à qui aurait osé en douter, qu'il faisait partie des hommes, et qu'il ne craignait rien de ce qu'ils pourraient échanger. Son père ne parut pas s'en formaliser.
" Je ne sais pas, pour tout dire. Je ne crois pas que des gens de Fortin s'y soient rendu ces derniers mois... peut-être pas même cette dernière année... Mais les habitants de Tiernach sont plus téméraires et il est donc possible que certains y aillent encore plus ou moins souvent. Pour récolter des plantes, notamment. On raconte beaucoup de choses sur ce qui pousse dans les lieux maudits... Comme vous le savez sans doute."

« Entre ce que l'on raconte et la réalité, cependant, il y a parfois de grandes différences… mais ça n'empêche ni de raconter, ni malheureusement d'y croire. »

Le druide avait observé, pensif, le départ de la jeune demoiselle. Une enfance dans un fort, à proximité d'une forêt maudite, ne devait pas être toujours amusante… d'un autre côté, il n'était sans doute pas le mieux placé pour envisager ce à quoi les petits humains ordinaire aspiraient, lui qui avait été élevé à distance respectable de l'humanité.

" Effectivement, dit le capitaine. Mais donc, si vous voulez des nouvelles fraîches de Ferleyn, vous pouvez toujours passer chez eux. Cela dit, vous êtes équipés, et le village n'est pas bien loin dans la forêt. Vous gagnerez du temps à aller voir vous-mêmes. D'autant que les gens de Tiernach pourraient vous mener en bateau pour éviter que vous n'alliez voler leurs coins à champignons ou à écrevisses."
Il grimaça, manifestement dégoûté.
" Je dois avouer, de surcroît, que vous voir à l'oeuvre ne me déplairait pas. Il n'y a jamais assez de chasseurs de morts-vivants, en cet endroit."

Maël, tout en parlant, faisait lui aussi honneur aux plats.

« Oui, il est sans doute préférable d'aller voir directement. C'est ce qu'avait prévu messire Horatio, de toute façon. »

Des chasseurs de morts-vivants ? Eh bien, le paladin correspondait sans doute davantage à la description que ses deux compagnons de route ; mais Maël se ferait un devoir de l'épauler dans cette tâche, qui correspondait tout à fait à ses attributions.

Le repas se termina peu à peu. Comme les voyageurs ne semblaient pas avoir d'autres questions sur la région ou le village ruiné qu'ils entendaient rejoindre, le capitaine changea de sujet et il interrogea un moment le paladin sur la situation à Luménis, les affaires politiques, la guerre en Dorrandin, citant des personnes et des lieux dont ni Talianna, ni Maël n'étaient familiers. Ils prirent congé tôt et se replièrent dans le vaste hangar qui servait de dortoir. La nuit se déroula sans le moindre incident, hormis une course poursuite entre un chat et un rat qui les éveilla tous en plein coeur de la nuit, pour connaître son dénouement à l'extérieur. Horatio réveilla ses deux compagnons un peu avant l'aube. Il était déjà habillé de pied en cap.
" Je vais sortir prier, leur annonça-t-il. Préparez-vous. Nous récupérerons les chevaux à la porte que nous avons franchie hier. Ce sera notre point de ralliement."

Les trois compagnons quittèrent donc Fortin peu après l'aube. Horatio avait trouvé un cheval pour Maël, une bête brune, robuste, qui semblait avoir un caractère très égal sans pour autant manquer de feu. Ils purent ainsi quitter le fort au petit trot, sous une lumière douce. Le soleil était encore masqué par l'ombre noire de la forêt, une vision peut-être un peu paradoxale. A moins que les gens de la région ne tirent grand réconfort de la victoire quotidienne de l'astre diurne sur les bois maudits : quoi qu'il advienne, il parvenait toujours à s'en extirper.
Ils cheminèrent ainsi pendant une petite heure avant qu'Horatio ne fasse une halte.
" Bon. Je pense que nous sommes plus ou moins à hauteur du village. Je pensais que nous pouvions peut-être laisser les chevaux à l'extérieur et continuer à pied ?"

Talianna se demande si c'est réellement une si bonne idée,Néenmoins garder les chevaux avec eux serait d'autant plus dangereux...qui sait ce qui les attend au village..

"Je n'y vois pas d'inconvénient Sir Horatio,même si le danger peut venir rapidement de partout je dois dire."

Déclare l'amazone elfique qui est prête a mettre pied a terre,elle scrute également les allentour même si les bois sont particulièrement sinistres.

Le paladin parut hésitant.
" Je comprends bien votre souci, dame, et je le partage. Mais à cheval dans un sous-bois de ce genre, nous n'avancerons pas. C'est en partie pour repérer un passage accessible aux cavaliers... ou le défricher, le cas échéant, que nous avons été envoyés jusqu'ici... Mais sans doute pouvons-nous prendre un peu de temps pour vérifier s'il n'existe pas déjà un semblant de sentier... ne fut-ce qu'un passage laissé par les sangliers ou les chevreuils, s'il en existe dans cette région... Cela nous évitera d'avoir à nous frayer un chemin à coups d'épée..."
Il jeta un regard vers le druide.
" A moins que vous n'ayez une meilleure idée, maître Maël."
Il avait déjà mis pied à terre.

« Marcher ne me dérange pas… j'espère simplement que laisser les chevaux livrer à eux-mêmes ne les expose à rien de grave ; nous ne savons pas vraiment ce qui se trouve à proximité… »

Il mit lui-même pied à terre, examinant les environs.

« Si les gens de Fortin et des villages voisin ont eu coutûme de venir jusqu'à Ferleyn un moment après l'incendie, même s'ils ont cessés depuis plusieurs années, il doit encore se trouver les restes d'un chemin. La nature ne tarde pas à reprendre ce qui est sien ; mais ne s'y précipite pas non plus, et il faut du temps pour effacer les traces du passage des hommes… »

" Ne vous inquiétez pas pour les chevaux, mon destrier peut veiller pour eux. Ils vont prendre leurs distances avec l'orée de la forêt et reviendront quand nous en sortirons... Il faut simplement que nous soyons de retour avant la tombée du jour, mais ça nous laisse une bonne dizaine d'heures."
Il gratifia son cheval d'une tape amicale sur la croupe.
" Je pense que les gens de Fortin et de Tiernach n'ont pas emprunté la même voie... et les gens de Tiernach sont davantage susceptibles d'avoir tracé de multiples petits chemins. Ce sont davantage des glaneurs, des chasseurs, des cueilleurs... Je ne suis pas certain que les ruines en tant que telles aient toujours été leur première destination. Les gens de Fortin sont davantage tournés vers la campagne. Ils pensent que consommer des animaux ou des plantes qui vivent dans la forêt est dangereux."

Son destrier ? Hum, oui, Maël avait déjà lu quelque chose mentionnant le fait que les paladins avaient la capacité d'appeler à eux une monture particulière. Cela signifiait que la créature sur laquelle il était monté un peu plus tôt n'était pas un cheval ordinaire… et pourtant, le connaisseur de la nature qu'il était n'avait rien remarqué. Curieux comme les choses pouvaient échapper aux yeux de celui qui n'avait pas idée de les chercher.

« Eh bien, dans ce cas, nous verrons. »

Tous les sens en alerte, le druide fit quelque pas en direction de la forêt, s'efforçant d'en percevoir les secrets cachés – y avait-il des formes de vies au alentours ? N'importe quel trace qui pourrait guider leur route ?

Maël constata rapidement que les abords de la forêt fourmillaient de la vie habituelle d'un sous-bois : fourmis et coléoptères fourrageaient dans l'humus, des oiseaux pépiaient sur les branches basses, une salamandre traçait sa route dans les feuilles mortes, on percevait le bruissement d'un petit rongeur en maraude. Les plantes avaient une allure normale, les troncs étaient encore jeunes, les taillis denses. Il distingua le passage étroit laissé par une harde de chevreuil, un terrier de lapin manifestement occupé, une sente un peu plus large mais qui s'arrêtait quelques mètres plus loin, devant un gros buisson de ronces, pour l'heure couvert de mûres vertes. Le paladin longeait l'orée de son côté, circonspect.
" J'ai l'impression qu'il va falloir nous tracer notre propre route... Mais nous avez peut-être une méthode à nous proposer..."

Bon : dans l'immédiat, les choses étaient plutôt rassurantes, et cette forêt, si maudite soit-elle, était encore semblable à toutes celles que le druide avait connu jusque là. Mieux valait, néanmoins, ne pas cesser d'être sur ses gardes : l'endroit finirait sans doute tôt ou tard par faire honneur à son nom…

« En ce qui me concerne, me déplacer dans ce genre d'environnement a toujours été pour moi plus naturel que de marcher dans les plaines nues, aussi ne suis-je peut-être pas apte à prendre la mesure des difficultés que cela représente pour vous. Néanmoins, je pense pouvoir vous guider vers les zones les plus praticables. »

Il suffirait qu'il veille à ne pas prendre trop d'avance, si la progression d'un paladin en armure s'avérait notablement plus lente que la sienne.

Ils progressèrent un moment dans cette atmosphère pesante, aux aguets, Maël en tête, Talianna dans son sillage, Horatio fermant la marche. La forêt semblait engluée dans un étrange silence. Pourtant, une araignée bougeait lentement dans sa toile à gauche, le suc vénéneux d'une plante rouge sombre gouttait sur le sol à droite, les branches dansaient en craquant au-dessus de leurs têtes.
Il y eut du mouvement dans un buisson sur leur gauche, mais ce n'était qu'un oiseau sombre qui s'envola en criant.
Malgré le caractère sinistre de l'environnement, il semblait n'y avoir nul danger immédiat. Et, en y réfléchissant bien, ils étaient encore très près de l'orée du bois.
" Si nous devons nous replier rapidement, nous allons avoir des problèmes, nota cependant le paladin. Je me demande si nous n'aurions pas mieux fait de débroussailler une piste large dès le début..."

« Ce terrain ne vous avantage pas ; mais il peut gêner au moins autant certains adversaires potentiels. »

Les morts-vivants que Maël avait déjà eu l'occasion de croiser n'avaient, en tout cas, pas été suffisamment agiles pour s'en sortir mieux qu'un paladin en armure dans ce genre de situation.

« Et je dispose, au besoin, d'un sortilège susceptible de retenir d'éventuels adversaires… quoique je me demande quel effet il aurait sur ce terrain… »

Le sortilège d'enchevêtrement faisait appel à la végétation locale, et celle-ci pouvait parfois modifier ses effets. Dans une région maudite comme celle-ci, où certaines plantes semblaient presque menaçantes même aux yeux d'un druide, cela pourrait s'avérer un changement… intéressant. Néanmoins, ne pas avoir à en faire usage demeurait préférable.

Horatio opina du chef, l'air concentré, puis se détendit.
" De toute façon, un paladin ne se replie généralement pas, dit-il avec un léger sourire. Il faudrait qu'il y ait une créature bien puissante aussi près de l'orée pour que je me sente tenu de fuir..."
Ils continuèrent leur progression. Les arbres devenaient plus gros, plus anciens, les troncs craquelés plus serrés, à certains endroits, le sol paraissait humide et Maël repéra au moins une étendue vaseuse, peut-être une mare, qu'il évita soigneusement. Des insectes sombres grimpaient le long des troncs, des toiles d'araignée parfois gigantesques bloquaient le passage entre certains arbres. Il faisait de plus en plus sombre, des feuillages gris cachaient le ciel. Maël et Talianna virent un terrier dont l'entrée était tapissée d'ossements de rongeurs. Une odeur de charogne flottait dans l'air, couplée à celle des champignons pourrissants. Ils marchèrent ainsi de longues minutes, circonspects, aux aguets, dans le silence relatif du bois maudit, sans rien percevoir d'autre que cette atmosphère désagréable d'hostilité larvée.
Et puis il y eut de la lumière et ils devinèrent une clairière, plus loin devant eux. Ils avaient bien marché une heure... et ils avaient atteint Ferleyn.

Quête : Cent heures de campagne

La route quittant Luménis pour le sud était bien entretenue et très fréquentée en temps ordinaire. A leur droite, les voyageurs pouvaient observer la mer intérieure, agitée en toute saison jusqu’à l’horizon. A leur gauche, la campagne luménienne offrait un contrepoint saisissant : bien plus paisible, elle étendait ses champs jusqu’à perte de vue. Les plantations étaient à peine relevées par quelques bosquets épars offrant sans doute une protection efficace contre le vent du large.

Aknoll était émerveillé par ce paysage. La mer était magnifique avec ces reflets ondulant au gré des vent. La campagne était surprenante: c'était une mère d'un autre genre qui se dressait de ce côté. Aknoll réfléchit à toutes ces opportunités qui s'offrait à lui: de nouvelles et magnifiques villes, des paysages hors du commun...
Décidément il avait fait bien peu de choses dans sa vie.

Les comparses du demi-orc semblaient eux aussi subjugués par le paysage. En tous cas, tous deux gardèrent le silence durant un long moment, se contentant d’observer les alentours ou le ciel où défilaient d’énormes nuages à une vitesse impressionnante. Au bout d’un temps qu’Aknoll aurait été bien en peine de calculer, Fendel rompit le silence jusque-là uniquement meublé par les vagues déferlant sur les falaises en contrebas et par les roues grinçantes de la charrette sur le sol.

- Espérons qu’il ne pleuvra pas : Brus a peur des auberges et préfère les bosquets. Sans doute parce qu’ils lui coûtent bien moins cher !

L’interpelé se contenta d’un grognement et d’une remarque acerbe :

- Libre à toi de vouloir dépenser tout ton salaire en auberges, Fendel, mais moi j’ai une famille à nourrir.