La Couronne de Cuivre

Ils pouvaient tourner en rond pendant des semaines à la recherche de rumeurs ou sur des pistes froides, sauf s'ils avaient de la chance... Kasumi avait de plus en plus la sensation de s'en remettre à Tymora ou aux compétences d'autrui pour trouver une solution qui lui échappait. La sensation n'était pas très agréable mais il allait devoir s'y faire, composer avec la situation, avec une certaine solitude aussi.

Tout en s'attelant à la tâche que lui demandait la druidesse, il répondit à son affirmation sans masquer sa curiosité :

- Parfois deux paires d'yeux sont utiles : à quoi pourrez-vous reconnaître votre... ami ? A-t-il un signe distinctif particulier ?

Eärundra sourit.
- Non, pas vraiment. Enfin, à part un chapeau de paille un peu étrange, extrêmement large, que je n'ai jamais vu sur personne d'autre... Mais c'est surtout qu'il doit être le seul asabi, ou presque, à voyager seul dans le désert. Et sans doute le seul bipède, à bien y réfléchir. Dans des contrée aussi inhospitalières, rares sont les voyageurs solitaires, on apprécie la sécurité qu'offre le groupe. Or lui, c'est le contraire, il recherche la solitude, et il est assez rare qu'il partage plus de quelques jours la compagnie d'autres nomades du désert.
Elle coupa quelques tranches de pain, puis sortit leurs gamelles.
- Et du coup, n'importe quel groupe de nomades que nous interrogerons se souviendra de lui, s'il l'a rencontré. Enfin, s'il s'est laissé apercevoir : il est capable de se rendre quasiment invisible lorsqu'il le souhaite. Mais il ne se cache pas des groupes de nomades du désert, quelle que soit leur race. Il sait qu'ils ont parfois besoin de ses services.

A vrai dire, cela lui rappelait son propre périple dans le désert. Il avait été trop obnubilé par l'accomplissement de sa vengeance, à l'époque, pour vraiment chercher à nouer des relations, même avec les bédouins humains. Et à cette époque il avait apprécié la solitude qu'offrait le désert au point de la rechercher pour elle même. Un asabi isolé et vêtu étrangement : il devait en effet ne pas passer inaperçu, à moins de le vouloir évidemment...

Le rôdeur se saisit d'une des deux gamelles et d'une tranche de pain qu'il mordit avec appétit, tout compte fait.

- Ce serait plus pratique qu'il ait quelques lieux de prédilection mais j'imagine que vous avez l'intention d'atterrir pour interroger tous les groupes de bédouins qui passeront à notre portée ? Il faudra cependant se méfier : tous savent se défendre et certains ne sont pas inoffensifs.

La druidesse hocha la tête.
- Je sais, je viens d'y passer deux mois... Mais la plupart, tout de même, ne s'attaquent qu'aux personnes qui leur semblent hostiles. Or nous ne le serons pas. nous devrions attirer la curiosité plutôt. Alors, certes, nous voir arriver du ciel peut les inquiéter, et si certains d'entre eux ont eu maille à partir avec les elfes d'Everaska, ils nous jugerons peut-être inamicaux. Mais on devrait s'en rendre compte très vite, peut-être même avant d'atterrir... et heureusement, nos aigles sont la peau solide, ils ne craignent pas les projectiles lancés de loin.
Kasumi avait trouvé du jambon, de la viande séchée, du fromage et des fruits, tout ce qu'il fallait pour un petit en-cas sur le pouce. Sur le feu, la bouilloire chantait doucement.
- La dernière fois, j'ai mis plus d'un mois à le trouver mais j'étais à pied. Donc rassurez-vous, à dos d'aigle nous irons beaucoup plus vite. Et mon mois de reconnaissance me permet d'avoir déjà quelques lieux de bivouac en tête, notamment pour ce soir. mais je pense que nous devrions laisser nos aigles s'éloigner de nous une bonne heure pour chasser, avant que nous ne soyons en territoire trop aride. Il vaut mieux qu'ils prennent un peu d'avance, ils auront bien plus de mal à trouver de la nourriture là-bas...

Comme ils avaient une heure devant eux - ce dont le rôdeur ne cherchait certainement pas à se plaindre - Kasumi s'installa confortablement sur un rocher après avoir marché quelques minutes de long en large pour se détendre les jambes.

- Vous avez raison pour Rubis et Opale : laissons-les profiter un peu de liberté tant que ce n'est pas encore dangereux. Cela nous permettra aussi de peaufiner notre stratégie : comment aborderons-nous ces groupes de bédouin ? Même s'ils ne sont pas hostiles, la plupart sont férus de commerce - ou d'informations - et je ne crois pas que nous disposions de ce qu'il faut pour les intéresser et les inciter à nous livrer des nouvelles fiables et fraiches.

La druidesse haussa les épaules.
- Tout dépend de ce qu'ils cherchent, en effet. S'ils imaginent qu'on peut leur donner des informations sur Everaska, ils seront déçus. Mais de notre point de vue là-haut, on peut observer ce qui se trame dans le désert, et ainsi leur donner des informations utiles sur la position d'autres groupes, l'état des oasis et la distance à laquelle ils se trouvent. Ce sont pour eux des informations tout aussi précieuses... Et durant les deux mois que j'ai passé dans la région, je me suis souvent rendue utile en soignant des bêtes, également. "
Elle sembla rêveuse, un instant.
- Donc ne vous en faites pas, je pense qu'on aura de quoi échanger... Nouvelles contre nouvelles. A condition d'ouvrir les yeux là-haut. Par contre il vaut peut-être mieux qu'on fasse descendre nos aigles à quelque distance et qu'on finisse à pied, qu'en dites-vous ? Au cas où certains soient hostiles, ou n'aient jamais vu ce genre d'oiseau...

Le plan de la druidesse se valait : soigner les bêtes de somme et indiquer les routes les plus sûres seraient assurément dans leurs cordes et seraient de bons moyens de s'assurer nombre de coopérations utiles. Pour la suite, il était également du même avis comme il le fit savoir :

- Oui, il vaut mieux que le moins de monde possible ne nous voient en compagnie des aigles. Ce ne sera pas toujours possible mais nous risquerions d'attirer encore plus de curiosité que votre ami druide : il vaut mieux que le faux diplomate qui a maudit mon père n'ait pas vent d'un couple à sa recherche avec des aigles Evaraskans. Certes, nous devrions nous déplacer plus vite que les bédouins que nous rencontrerons mais prenons le moins de risques possibles.

- Ne vous faites pas d'illusion. Ils nous verrons, de toute façon. Ils verront les aigles descendre avec des passagers sur le dos, et ils se douterons que c'est nous s'ils nous voient surgir juste après.
Elle soupira.
- Mais effectivement, vous avez raison, la nouvelle va se répandre très vite. il n'y a pas tant de voyageurs que ça dans le désert, et la communication entre eux est la clé de leur survie. Néanmoins, comme vous le dites, leurs informations voyageront à pied, bien moins vite que les nôtres, il est donc peu probable qu'elles atteignent notre cible, à moins bien sûr d'utiliser des modes de communication magiques. En tout état de cause, il va falloir rester prudent, et, je pense que pour le moment il vaut mieux ne pas mentionner le shaman qui est responsable de l'état de votre père. Nous cherchons juste un ami à moi, personne d'autre.

Il était en effet inévitable que leur description voyage de groupe en groupe dès la première fois où ils se seraient posés. Et le shaman à l'origine de la malédiction devait bien se douter qu'on se mettrait à sa recherche, même s'il espérait peut-être les avoir piégé en les envoyant chercher la racine toxique.

- Il va de soi que nous ne mentionnerons pas ce shaman mais s'il est à l'écoute des nouvelles étranges comme l'arrivée d'elfes en provenance d'Everaska en manquera pas d'en être une, il se pourrait qu'il nous attende ou au contraire cherche à fuir. Mais j'ai peur que nous n'ayons pas le choix et qu'il faille là aussi s'en remettre à la chance. Cela ne me plait pas mais mieux vaut ça que n'avoir aucune piste.

- Au pire... et bien au pire il sera avertit de notre présence et nous attendra de pied ferme. Ce serait jouer de malchance, s'il est avertit en quelques jours seulement. Mais nous verrons bien, de toute façon...
La druidesse haussa les épaules avant de croquer à belles dents dans une tranche de pain surmontée d'une généreuse tranche de jambon.
- Une fois que nous aurons trouvé mon collègue, il vaut mieux que le mène les... tractations. La racine que vous avez ramenée de là-bas me sera utile... Cela dit, il voudra certainement vous parler aussi. Vous verrez, il est un peu... particulier. Ce n'est ni un elfe, ni un humain, leurs manières sont un peu rudes. mais vous les connaissez, j'oubliais... D'ailleurs, je serais curieuse de savoir ce que vous pensez de leur peuple, en fait.

On y venait... C'était inévitable évidemment surtout qu'ils allaient devoir compter sur l'aide de l'un des leurs. Le rôdeur termina de mâcher sa propre bouchée avant de répondre d'un ton assez fataliste :

- En ce qui concerne leur peuple en général, je ne pense pas beaucoup de bien : ils sont aussi violent et à peine plus civilisés que les tribus orques. A de rares exceptions. L'esclavage et les raids font partie de leurs traditions mais on pourrait en dire autant de bien des peuples humains. Oh, et ils sont froids aussi, et je ne parle pas seulement de leur sang mais aussi de l'impression que m'ont donné ceux que je n'ai pas rencontré une arme à la main... Bref, je serai poli avec votre ami, ne vous en faites pas, mais il y a peu de chance qu'il veuille devenir le mien.

Eärundra rit doucement.
- Ce n'est pas un ami. Juste un collègue, et en tant que druides nous nous devons, en quelque sorte, assistance mutuelle en cas de besoin. Mais je vois tout à fait ce que vous voulez dire en parlant de froideur. Ça doit être encore plus prégnant pour vous qui vivez parmi les humains.
Elle entama une autre tartine.
- En revanche, je ne vous rejoins pas concernant le jugement sur leur civilisation. Oh, ne vous méprenez pas, l'immense majorité des humains et des elfes diraient la même chose que vous, à leur sujet comme au sujet des orques. Mais ce n'est pas ma perception des choses. Comment, en tant que druide, pourrais-je me permettre de juger de la valeur d'une civilisation, de considérer que certaines sont plus évoluées que d'autres ? Non, ce serait contraire à ce que je suis et à tout ce que j'ai appris. Ce serait un peu comme si je disais que les loups sont supérieurs aux lynx parce qu'ils vivent en meute organisée, ça n'aurait pas de sens. Pour en revenir aux asabis... Oui ils ont des moeurs violentes, comme d'autres races, les géants, ou même les centaures. Et certains humains aussi. Ils pratiquent l'esclavage, comme bon nombre de société humaines. Ils sont souvent nomades, comme d'autres races. Ca n'en fait pas une civilisation moins évoluée...

Kasumi s'était attendu à ce genre de récriminations de la part de la druidesse mais elle lui avait demandé d'être honnête et il ne voyait aucune raison de ne pas donner son opinion. Tout en se resservant dans leurs maigres réserves, il répondit d'une voix conciliante :

-Ne vous méprenez pas non plus sur mes paroles : je juge ainsi les asabis peut-être parce que nous avons un... contentieux. Mais j'ai pu constater de nombreuses fois que ce peuple cherche plus souvent à détruire, y compris la nature que je défends, qu'à construire des abris pour les siens. C'est avant tout sous cet aspect que je les juge. Certes les grandes cités des autres races peuvent parfois menacer les équilibres mais les asabis ont encore plus tendance à détruire ce qu'ils ne peuvent pas contrôler ou voler.

" Hum... Je vous trouve bien affirmatif. Et je connais bien des humains qui en font autant. Je ne parle pas des villes seulement. Je parle de la tendance à considérer la nature comme leur appartenant, comme des ressources à exploiter, et non quelque chose à respecter. Pas tous les humains, bien sûr. Mais tout de même, ils n'ont généralement pas le respect inné de la nature qu'ont les elfes, par exemple. Enfin, je parle des humains, mais je pourrais sans doute en dire autant des nains ou de la plupart des races vivant sur Féérune. La principale différence est l'étendue des dégâts qu'ils occasionnent. Les nains restent dans les montagnes, les asabis dans leur désert. Mais les humains vont partout et sont plus nombreux. Et là où ils s'étendent, les autres races présentes régressent, ou disparaissent."
Elle soupira.
" Mais je sais très bien que nous ne tomberons pas d'accord là-dessus, et je ne vous en veux pas. Vous partagez les préjugés habituels des humains sur les autres races, même si vous n'en êtes pas tout à fait un. C'est après tout parmi eux que vous avez toujours vécu, c'est donc tout à fait compréhensible... Et rassurez-vous, je ne cherche pas à défendre à tout prix les asabis. Certains de leurs actes sont répréhensibles, leurs valeurs ne sont pas les miennes. je considère juste qu'il en est de même pour de nombreux individus de toute race sur Toril.

Kasumi ne prenait pas ombrage de ces arguments : c'était même la position qu'avait toujours défendu sa communauté sylvestre. A son arrivée à Luménis, il avait constaté que le respect de la nature n'était pas forcément l'idée première d'une population comptant des centaines de milliers d'individus. Mais avec le temps, ils avaient tout de même appris qu'entretenir la nature - quitte à l'exploiter - était indispensable à leur survie à long terme. Certes, c'était bien loin de l'idéologie druidique d'Eärundra ou même des enseignements de Mielikki, sa propre déesse mais ce genre d'initiative méritait d'être encouragé pour que les choses s'améliorent plutôt que se dégradent.

- J'imagine que votre collègue est une sorte de cas isolé... Comment s'entend-il avec les tribus de sa race ?

Il n'y avait nulle animosité dans sa question, mais une pointe de curiosité tout de même.

- Et bien en fait... un peu comme ma mère s'entendait avec les elfes d'Everaska. Ou comme n'importe quel druide. Il est considéré comme un sage, en un sens, mais aussi comme un drôle d'hurluberlu, un original qui ne suit pas forcément les voies de son peuple. Ils n'aiment pas quand il leur fait la morale, ce qui lui arrive un peu trop souvent. Et pourtant, dans le fond, ils sont sensibles à ses arguments. Ses pouvoirs leur font peut-être un peu peur, il faut dire qu'il joue beaucoup là-dessus et entretient sa légende. C'est un druide très puissant... Du coup, on l'évite tout en le respectant. Il vit en ermite, et aucune tribu n'aimerait l'avoir longuement parmi eux, mais on vient parfois solliciter ses conseils. C'est une personnalité locale, pour les asabis. C'est aussi pour cela que je suis quasiment certaine de le trouver assez rapidement.
Elle sourit.
- Cela dit, il n'impressionne certainement pas le shaman qui a maudit votre père, et qui dispose lui aussi de nombreux pouvoirs. Que savez-vous de lui, d'ailleurs ?

Avant de répondre à la question, le rôdeur ne put s'empêcher d'ajouter d'un ton amusé destiné à alléger l'atmosphère :

- Est-ce aussi votre ambition Eärundra ? Etre une sage ermite que l'on vient consulter je veux dire ? Pas une hurluberlu donneuse de leçon, bien entendu ! Je n'oserais jamais vous appeler ainsi !

Il avait malgré tout une lueur dans le regard qui jurait l'inverse avant qu'il n'enchaîne :

- Je n'en sais pas grand chose à vrai dire. Certainement moins que vous d'ailleurs. Mon père m'a dit qu'il était entré en contact avec lui voilà plusieurs moi déjà et se faisait passer pour un guérisseur. Il a aussi utilisé le nom d'Huasasth mais il est probable que ce soit une fausse identité...

- Je n'en sait guère plus que vous sur ce soi-disant guérisseur. Je ne sais pas avec certitude s'il est shaman, sorcier, ou ensorceleur... ou même druide peut-être. S'il a réellement été vu en train de soigner, il peut très bien être druide, ou shaman, ou clerc. Ou même barde après tout. Mais non, s'il a lancé lui-même la malédiction, il est peu probable qu'il soit druide. A moins qu'il possède un mélange de capacités...
Elle grimaça.
- Je pense qu'il va falloir non seulement le localiser, mais chercher à savoir ce qu'il est réellement. Histoire de savoir à quoi se préparer.
Puis, revenant à un ton plus léger, elle ajouta.
- Et je tiens à vous détromper... je suis parfaitement enchantée d'être une hurluberlue donneuse de leçons, doublée d'une ermite pas encore assez sage...

Le sourire du rôdeur s'élargit à cette dernière remarque de la druidesse mais il jugea plus sage - justement - de ne pas relever. Son inquiétude concernant le shaman était légitime toutefois :

- Pensez-vous que votre collègue saura nous en dire plus sur lui ? Même s'il évite de se mêler aux siens... En tous cas, restons sur l'idée d'éviter de parler de ce shaman tant que nous n'aurons pas retrouve votre druide. Encore une fois, il ne sert à rien d'ébruiter nos recherches trop tôt.

Le demi-elfe avait fini sa troisième tartine et se sentait rassasié. Il fallait économiser leurs maigres ressources en prévision du voyage qui les attendait aussi ne se resservit-il pas.

- Puisque nous avons encore un peu de temps avant de reprendre les airs, je ferais bien de m'entraîner avec cette maudite flûte. Mieux vaut pouvoir compter sur elle quand nous serons en plein désert.

- Ah, mais c'est formidable, je vais enfin avoir droit au récital promis ! commenta la druidesse en souriant, un peu taquine. Et elle s'installa aussi confortablement que possible, les jambes croisées, adossée à un rocher, tandis que Kasumi sortait l'instrument magique et s'efforçait de jouer la mélodie... en faisant abstraction du regard de l'elfe qui ne fit heureusement aucun commentaire.
Il lui fallut plusieurs tentatives pour en tirer un ton acceptable, sans brusque couinement dans les aigus, et encore un bon moment pour parvenir à enchaîner les notes que lui avaient apprises Tilmandil. Do, mi, fa, sol, mi, do, mi, ré, mi, mi, ré, do, do, fa, sol, sol, la, do, si, sol, la, mi, do. Puis il fallait les rythmer.
Au bout d'un temps indéfini, l'instrument parut reconnaître la mélodie, bien plus lente sans doute que lorsque Tilmandil la jouait, et il en coula un mince filet d'eau... aussi lent que la musique qu'il venait de jouer. Bien sûr, Tilmandil jouait autrement plus vite et obtenait un débit bien supérieur. Mais ça suffirait à les empêcher de mourir de soif, et c'était l'essentiel après tout.
Peu de temps après, les aigles reparurent, Rubis tenant dans ses serres quelque chose qui ressemblait à un chevreuil. Ils piquèrent droit sur eux et atterrirent à quelques mètres seulement. Ils se partagèrent leur proie sans se soucier de l'aspect peu ragoûtant de leur repas. Heureusement que les deux voyageurs avaient déjà mangé...

Et heureusement que Tilmandil n'était pas là où il en aurait probablement été malade. Et il était encore plus heureux qu'il n'ait pas assisté à sa tentative au résultat pour le moins discutable. En disposant d'un peu plus de temps et d'un second instrument, il aurait pu s'entraîner pour obtenir un effet plus satisfaisant mais le retour des aigles signalait de toute façon qu'ils n'allaient plus tarder à reprendre leur vol. Kasumi se redressa pour effectuer quelques pas en prévision des heures qu'il allait passer en selle sans avoir l'opportunité de les remuer.

La druidesse laissa aux deux oiseaux le temps de manger et de se désaltérer, puis grimpa sur Opale, fixant soigneusement les quelques bagages qu'elle avait descendus pour préparer le repas. Elle s'installa ensuite en selle, laissant à Kasumi le soin d'en faire autant de son côté.
- Nous allons voler jusqu'au soir, cette fois-ci. Préférez-vous que j'ordonne simplement à votre aigle de suivre le mien, comme ce matin ? Ou bien voulez-vous tenter de le guider seul pendant un moment ?

Kasumi prit soin de fixer lui-même ses affaires : il allait falloir qu'il se fasse à sa monture et qu'elle prenne l'habitude de sa présence. La question de la druidesse sembla faire écho à ses pensées mais il y prit tout de même le temps d'y réfléchir avant de répondre d'un ton décidé :

- D'un côté, c'est confortable de n'avoir rien à faire mais j'ai failli me faire surprendre plusieurs fois pendant la première heure de vol. Et peut-être que j'ai besoin d'avoir l'impression de contrôler un peu plus la trajectoire de Rubis pour me sentir à l'aise. Je veux essayer de le guider cette fois-ci mais j'aurai besoin de vos conseils, assurément.

- On va essayer... Et si je sens qu'il vous obéit mal, je reprendrai le contrôle. Je m'en rendrai compte, ne vous en faites pas. Mais donc, je vous répète... pour lui dire de s'envoler, claquez des deux lanières. Et tirez du côté où vous voulez tourner. Je vais partir juste devant vous, ça l'aidera à deviner qu'il doit sans doute suivre. Et quand vous vous sentirez plus sûr de vous, vous pourrez essayer de lui ordonner de faire autre chose que me suivre... Juste pour voir ! Ah, et pour descendre, il faut vous pencher très fortement en avant, contre son cou, en relâchant les rênes.
Elle s'installa sur sa selle.
- Je vous laisse lui dire de me suivre, lança-t-elle en claquant des rênes.
Son aigle se mit à sautiller en battant des ailes, le secouant certainement très fortement. Et s'envola.

Kasumi déglutit. Il avait rejoint souplement sa position surélevée et se sentait maintenant vulnérable. D'autant que Rubis ne se contenterait plus de suivre Opale mais qu'il attendait son ordre. Cela ne pouvait pas être si difficile... Fermant les yeux un instant pour s'efforcer de ne pas penser aux secousses qui l'attendaient, le rôdeur claqua les deux rênes d'un coup sec et se cramponna du mieux qu'il put tout en s'efforçant de ne pas gêner sa monture afin qu'elle n'interprète pas mal son geste. Si Rubis décidait de s'envoler après ça, il se sentirait un peu plus rassuré sans doute. Et advienne que pourrait !

L'oiseau parut hésiter un instant la tête tourné vers sa compagne qui venait de décoller. Puis il se mit à sautiller, secouant Kasumi comme une prune au bout de sa branche, et finit par décoller à son tour.
Les secousses cessèrent enfin. Et l'oiseau, par réflexe sans doute, suivit sa compagne. Kasumi put voir qu'Eärundra tournait fréquemment la tête dans sa direction, pour vérifier que tout allait bien. Elle lui adressa un petit signe de la main et il eût la sensation nette que les deux volatiles accéléraient l'allure en direction de l'est et du désert d'Anauroch qui apparaissait devant eux.

Quête : Racines

Chap 5 : retrouvailles

Le contraste de climat avec le désert était saisissant : c'est sous une averse de neige qu'ils arrivèrent au col. Ils voyaient, non loin, la guérite servant de poste frontière. Les gardes, vu le temps, s'étaient réfugiés à l'intérieur, mais ils ne manqueraient pas de contrôler les deux voyageurs.

" Alors, qu'est-ce qu'on fait ? questionna Sylvia. On rentre au chaud chez ton père ? Tu as l'air frigorifié... Ou bien tu préfères rester encore un peu par ici, à l'abri dans une grotte, avant de passer la frontière ? Vraiment c'est comme tu veux. Qu'on soit ici où là-bas, l'essentiel c'est qu'on soit ensemble...

Le demi-elfe hésita l’espace d’un instant : il était tentant de rester seuls à seuls dans ce décor naturel mais le climat de ce côté de la montagne limitait tout de même les activités. Ce n’était pas à franchement parler pour lui déplaire mais ce ne serait tout de même pas très prudent.

- Oui, l’essentiel est d’être enfin ensemble… Je préfère autant passer le col quitte à rejoindre ensuite les forêts autour de la ville après avoir rassuré ma famille. Et puis, je n’ai plus aucun vêtement propre et en bon état. Bien sûr, ce n’est pas vraiment nécessaire surtout si on passe toute la journée dans une grotte mais tout de même…

" La grotte, ça ne serait pas de refus, mais j'ai surtout peur que tu prennes froid ! Je sais que tu es solide, mais tout de même..."
Elle lui prit la main, doucement, et l'entraîna vers le poste frontière. Puis, intimidée à l'idée de devoir se présenter aux gardes, elle se glissa subrepticement derrière lui, le laissant assurer seul les déclarations.
" Bonjour, voyageurs. Veuillez déclarer votre identité et la raison de votre venue à Everaska."
Le ton, monocorde, trahissait un discours répété des dizaines de fois.

Kasumi ne reconnut pas les deux elfes qu’il aperçut – une chance sans doute à moins qu’il ne s’agisse d’un oubli fâcheux – et répliqua d’un ton diplomate :

- Je suis Kasumi Meredith Hendulaurë, fils d’Elryndel et voici ma compagne, Sylvia de la Haute Forêt. Nous avons récemment séjourné à Everaska et nous venons à nouveau rendre visite à ma famille.

Bon, il restait cette histoire d’aigle emprunté et le rôdeur s’attendait à ne pas pouvoir s’en tirer si facilement mais il ne servait à rien de tendre le bâton pour se faire battre et cette histoire concernait la Garde Ailée seule après tout…

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines